II. DES GRANDS PROGRAMMES CAPACITAIRES STRATÉGIQUES POUR ACCOMPAGNER NOTRE REMONTÉE EN PUISSANCE
Les rapporteurs avaient eu l'occasion l'année dernière de rappeler que la LPM 2024-2030 adoptée en août 2023 avait été calibrée au plus juste voire en-deçà des besoins réels pour ce qui concerne plusieurs programmes d'intérêt majeur. Ils avaient donc indiqué « que la question du format même de la LPM ne pourra pas être très longtemps ignorée ». Ils ne peuvent, dans ces conditions, que se réjouir d'une actualisation de la LPM prévoyant de nouveaux moyens.
Cette actualisation de la LPM devra permettre de tirer les conclusions de la fin de l'ambiguïté majeure du texte initial de 2023 qui en réalité ne tranchait pas véritablement la question de l'avenir de la menace russe ni celle du format des armées. Les déclarations du chef d'état-major des armées lors de ses auditions au Parlement sont venues lever tout doute sur la réalité de cette menace dans le prolongement de la révision de la revue nationale stratégique publiée en juillet 2025.
A. LA NÉCESSITÉ DE POURSUIVRE LE RENOUVELLEMENT DE NOS CAPACITÉS MAJEURES
1. La modernisation impérative de toutes les composantes concourant à la dissuasion
a) Le développement du standard F5 du Rafale nécessaire à la délivrance de l'ASN4G
Le standard F5 du Rafale doit permettre de prolonger le succès de cet avion tant dans les missions qu'il accomplit pour les armées françaises - en particulier dans le cadre de la dissuasion nucléaire - qu'à l'exportation où il suscite un intérêt croissant. Le nouveau standard doit permettre la conduite d'opérations aériennes de plus en plus complexes sur des théâtres d'opérations de mieux en mieux défendus. L'objectif est de le doter de nouveaux capteurs, de nouveaux armements et de capacités accrues de combat collaboratif notamment en association avec un drone de combat.
Le lancement de la réalisation du standard F5 est prévu en 2026 pour une date prévisionnelle de livraison du premier exemplaire en 2033. Pourtant, alors que les pilotes de Rafale sont unanimes à considérer qu'un surcroît de puissance doit être envisagé pour préserver les capacités de l'avion, le ministère des Armées tarde à dégager les moyens nécessaires à l'évolution du moteur. Le groupe Safran qui produit le moteur actuel M 88 du Rafale a proposé une évolution incrémentale (T-REX) permettant de porter de 7,5 tonnes à 9 tonnes la poussée du moteur au travers d'un nombre limité de modifications du moteur actuel. Une telle évolution serait utile pour accroître la capacité d'emport, la capacité d'interception et la survivabilité au combat. Ce surcroît de puissance doit notamment permettre l'emport du futur missile nucléaire ASN4G qui sera plus lourd que le missile actuel ASMPA-R.
Si la nécessité de développer ce moteur à poussée augmentée ne fait plus guère de doute, d'autant plus qu'il constitue un jalon indispensable pour développer le moteur d'un chasseur de 6ème génération, les rapporteurs ont rappelé dans leur avis budgétaire de l'année dernière que la LPM n'avait pas prévu l'enveloppe correspondant au développement du T-REX. Si l'État a finalement contribué en 2025 pour un peu plus de la moitié au coût des études, le PLF 2026 ne prévoit pas en l'état de crédits d'études alors que les besoins sont estimés à plusieurs dizaines de millions d'euros par le motoriste français. Les échanges conduits avec l'EMA ont permis d'établir que le dialogue se poursuivait avec l'industriel pour répartir la prise en charge de ce coût afin de poursuivre les travaux qui sont considérés comme prioritaires.
Les rapporteurs rappellent la nécessité de poursuivre en 2026 le développement et le perfectionnement du Rafale qui repose sur un moteur plus puissant et souhaitent que la DGA et le groupe Safran puissent trouver au plus vite un accord sur la répartition de la prise en charge des crédits. Ils considèrent que cet investissement est indispensable pour maintenir les compétences du motoriste et ainsi préparer la motorisation du futur chasseur de 6ème génération.
2026 sera une année cruciale pour l'avenir de l'A400M
L'A400M constitue avec le MRTT et le Rafale le triptyque sur lequel s'appuie l'armée de l'air et de l'espace. Pourtant, malgré ses qualités stratégiques et tactiques, le gros porteur souffre d'un déficit de commandes de ses pays fondateurs (compte tenu des révisions à la baisse du nombre d'avions commandés par la France, l'Espagne et le Royaume-Uni) qui a fragilisé sa chaîne de productions qui ne doit pas descendre en-dessous de 8 appareils par an pour rester viable.
Airbus estime que l'A400M est aujourd'hui dans la même situation qu'a connu le Rafale en 2012 avant la multiplication des commandes à l'export. Un certain nombre de contrats pourraient se concrétiser en 2026 à la fois du côté des pays fondateurs (la France et l'Espagne envisageraient respectivement 4 et 3 nouvelles acquisitions), qui ont réévalué leurs besoins à la hausse, de certains pays européens qui ont fait part de leur besoin mais aussi de la part de pays du Moyen-Orient et d'Asie. Des usages nouveaux de l'A400M sont également envisagés au profit des forces spéciales et pour délivrer des missiles et des drones.
b) La poursuite du renouvellement de notre force de dissuasion nucléaire
Le programme de modernisation et de renouvellement des différentes composantes de la dissuasion nucléaire se poursuit avec des étapes importantes en 2025 et 2026.
Les moyens budgétaires du P146 consacrés à la dissuasion baissent en 2026 de -69,2 % à 8,03 Mds€ en AE et augmentent de +6,7 % en CP à 6,12 Mds€. La baisse du niveau d'AE globale en 2026 s'explique notamment par des affectations importantes sur tranches fonctionnelles en 2025 sur le programme 146 et par le renouvellement de marchés de MCO sur le programme 178 cette même année. Le niveau des paiements augmente entre 2025 et 2026, notamment du fait du lancement en réalisation des programmes majeurs de renouvellement des composantes de la dissuasion (M51.4, 2ème étape du SNLE 3G et programme ASN4G).
La composante aéroportée a bénéficié cette année de la mise en service du missile de croisière ASMPA-R5(*) à capacité nucléaire qui a fait l'objet d'un tir d'évaluation dans le cadre de l'opération Diomède le 13 novembre 2025. La mise en service de son successeur, l'ASN4G reste prévue à l'horizon 2035.
La composante océanique a vu en octobre 2025 la mise en service opérationnelle du missile balistique M51.3. Par ailleurs, la DGA a notifié en août 2025 à ArianeGroup le marché de développement et de production de la quatrième version (M51.4) du missile balistique stratégique M51 appelé à être déployé après 2035 à la fois à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) actuels type Le Triomphant et des futurs SNLE de 3ème génération en phase de réalisation.
2. Le renforcement de notre flotte pour assurer sa disponibilité et sa capacité de combat
a) Une réflexion à venir sur la permanence à la mer de la capacité aéronavale
La guerre des 12 jours entre l'Iran et Israël en juin 2025 est venue rappeler l'utilité des groupes aéronavals américains pour projeter leur puissance et peser dans le déroulement d'un conflit en contribuant à apporter la supériorité aérienne. C'est dans ce contexte que le programme de porte-avions nucléaire de nouvelle génération est appelé à franchir une nouvelle étape en cette fin d'année 2025.
Selon les indications recueillies par les rapporteurs, le Gouvernement devrait décider avant la fin de l'année le lancement de la réalisation en notifiant aux industriels concernés, notamment Naval Groupe et les Chantiers de l'Atlantique réunis pour l'occasion dans une société commune dénommée « MO Porte-avions », un premier marché portant sur l'ingénierie du bateau et la réalisation des chaudières nucléaires. Ce premier marché laisserait ouvertes certaines options concernant les fonctionnalités qui devraient être précisées dans un second marché attendu en 2028/2029. Le recours à deux marchés subséquents doit permettre notamment de doter le bâtiment d'un système de combat et des équipements électroniques et numériques les plus récents.
Les rapporteurs rappellent que la mission « Clémenceau 2025 » qui a mené le Charles-de-Gaulle dans la région indopacifique a confirmé la nécessité de disposer d'un bâtiment de taille plus importante pour mieux affronter la haute mer dans le cadre de déploiements sur tous les océans. Le PA-NG devrait donc être plus lourd, plus long et plus large que le Charles-de-Gaulle. Il devrait également être en mesure d'opérer à la fois des avions de chasse et de surveillance, des drones de toutes natures et, éventuellement, d'autres vecteurs pour atteindre de plus hautes altitudes.
S'il est entendu que cette plateforme devra être évolutive, un débat se poursuit sur certains aspects décisifs comme le nombre de catapultes électromagnétiques6(*) mais aussi sur la nécessité d'assurer une permanence à la mer qui pourrait prendre plusieurs formes : un prolongement du porte-avions Charles-de-Gaulle après la mise en service du PA-NG en 2038 (cette hypothèse étant liée au résultat du futur arrêt technique majeur), la réalisation d'un second PA-NG (ce qui poserait la question de son financement) ou une coordination entre les marines européennes disposant de tels bâtiments pour assurer une permanence.
b) Le renforcement de l'armement de la flotte sans modification du périmètre existant
Concernant le reste de la flotte et notamment les frégates de Premier rang dont le nombre devrait demeurer à 15, l'actualisation de la LPM pourrait prévoir de renforcer leur armement afin de les rendre plus homogènes en portant à 32 le nombre des cellules Sylver permettant de mettre en oeuvre leur défense antiaérienne au moyen de missiles ASTER. Si le ministère des Armées n'exclut pas un maintien dans le programme EPC de « corvette hauturière », un débat est en cours sur la possibilité de prolonger encore les frégates de surveillance déployées outre-mer au nom des nécessaires choix budgétaires.
* 5 Air Sol Moyenne Portée Amélioré - Rénové
* 6 L'actualisation de la LPM pourrait acter la dotation d'une 3ème catapulte électromagnétique de type EMALS.