II. UN EFFONDREMENT DES CRÉDITS DÉDIÉS AUX MONUMENTS HISTORIQUES
A. UN RECUL AUX FORTES CONSÉQUENCES POUR L'ÉCOSYSTÈME PATRIMONIAL
Les crédits dédiés à l'entretien et à la restauration des monuments historiques reculeront de 209 millions d'euros en AE (- 34 %) et de 114 millions d'euros en CP (- 21 %). Alors que la conservation du patrimoine monumental requiert de la visibilité pluriannuelle et des engagements financiers de long terme, ce freinage brutal sera préjudiciable à l'ensemble de l'écosystème de la préservation des édifices protégés.
1. Un lissage des grands projets
Ce recul résulte d'abord des diminutions des crédits alloués aux projets d'investissement. La direction générale des patrimoines et de l'architecture (DGPA) du ministère de la Culture indique que « les opérations programmées sont maintenues, mais leur phasage a été revu de manière à lisser les investissements dans le temps et à les adapter à l'enveloppe disponible en 2026 ».
Pour 2026, 137 millions d'euros sont prévus en CP au titre des grands projets, dont 28 millions d'euros pour le CNAC-Georges Pompidou, 23 millions d'euros pour l'extension du site des Archives à Pierrefitte-sur-Seine, 15,6 millions d'euros pour l'abbaye de Clairvaux, 10 millions d'euros pour le schéma directeur du musée du Louvre et 8,7 millions d'euros pour le schéma directeur de Versailles. Si ces crédits sont relativement préservés du fait de l'importance des AE inscrites en LFI pour 2025, le décalage des chantiers se fera sentir à partir de 2027, les AE prévues au titre de ces grands projets pour 2026 étant plus de deux fois inférieures aux CP (57 millions d'euros).
Les projets concernés par ce lissage touchent l'ensemble du territoire. Il s'agit notamment :
- des travaux de reconversion du Palais de la cité ;
- de la troisième phase des travaux prévue par le schéma directeur du château de Fontainebleau ;
- du schéma directeur du domaine national de Chambord, alors que la réhabilitation de l'aile François Ier, en état de péril, appelle un financement de 37 millions d'euros, dont 12 millions pour la mise en sécurité de l'édifice. Le ministère indique son souhait de dégager des crédits en gestion pour contribuer à cette première phase de travaux.
2. Le report annoncé de nombreux chantiers dans les territoires
Le soutien déconcentré à l'entretien et à la restauration des monuments est également fortement restreint. Les crédits d'intervention des directions régionales des affaires culturelles (Drac) seront en baisse de 38 % en AE (- 163 millions d'euros) et de 29 % en CP (- 172 millions d'euros).
Ces crédits sont attribués à des collectivités territoriales ou à des particuliers pour les travaux d'entretien ou de restauration réalisés sur les monuments dont ils sont propriétaires et dont ils assurent la maîtrise d'ouvrage ; ils peuvent également être mobilisés au soutien de chantiers de bénévoles. Le taux de participation aux projets est en moyenne de 20 % pour les monuments inscrits et de 40 % pour les monuments classés.
Ces financements peuvent être bonifiés via le fonds incitatif et partenarial (FIP) : le soutien aux projets des petites communes cofinancés au moins à 15 % par la région peut être porté au-delà des taux habituels d'intervention. Alors que le bilan de cet outil, qui a permis de rehausser le financement de 1035 projets depuis sa création en 2018, est unanimement salué, les crédits associés seront diminués de moitié, et s'élèveront à 10 millions d'euros en AE comme en CP.
Depuis 2018, 15 millions d'euros annuels permettent de compléter le financement des chantiers sélectionnés par la mission Patrimoine en péril, via la compensation des taxes acquittées par le Loto du patrimoine. Inscrits pour la première fois en LFI en 2025, ces crédits ne sont pas reconduits pour 2026. Cette suppression ne remet pas en cause la collaboration entre les acteurs de la mission patrimoine en péril, la convention tripartite entre le ministère, la Fondation du patrimoine et la Française des jeux ayant été renouvelée pour quatre ans en janvier 2025.
La DGPA indique que le resserrement de cette enveloppe obligera les Drac à prioriser davantage leurs interventions, en prenant notamment en compte « le niveau de maturité des chantiers, la complétude du tour de table financier et l'état sanitaire des biens », et que le financement de nombreux chantiers s'en trouvera reporté. La rapporteure souligne que ces évolutions seront avant tout subies par les petites communes, qui concentrent la majorité des monuments historiques sans disposer des moyens suffisants pour en assurer la conservation.
3. Faute de moyens, deux impensés majeurs du programme
a) Les métiers du patrimoine en danger
Alors que le chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris a mis en lumière et valorisé les métiers du patrimoine, ce ralentissement des chantiers patrimoniaux, fortement dépendants de la commande publique et du soutien financier des crédits déconcentrés, conduira à fragiliser le tissu de petites et moyennes entreprises hautement spécialisées qui concourent localement à la conservation et à la restauration des monuments. La rapporteure alerte sur le coût humain du ralentissement budgétaire, qui pèse fortement sur ces emplois non délocalisables et contribuant à la vie économique de leur territoire en même temps qu'à leur attractivité.
b) La transition énergétique du bâti patrimonial à l'arrêt
Si la prise de conscience de la nécessité de mieux prendre en compte les spécificités des édifices patrimoniaux dans les opérations de rénovation énergétique progresse, les exercices budgétaires 2025 et 2026 constituent deux années blanches pour la transition énergétique du bâti ancien.
En ce qui concerne le diagnostic de performance énergétique (DPE), dont les effets délétères sur le bâti ancien ont été largement pointés par la commission, l'action du ministère de la Culture passe principalement par la production de documents encadrant l'intervention des diagnostiqueurs. Un guide interministériel relatif au DPE et à l'audit énergétique dans les logements, réalisé sous l'égide du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), a ainsi été publié en mars 2025, avant la parution attendue cet hiver d'un guide de la réhabilitation énergétique du bâti ancien. Si l'audit énergétique développé par l'agence nationale de l'habitat (Anah) apparaît comme le modèle le plus pertinent pour orienter les choix techniques de réhabilitation du bâti patrimonial, sa généralisation ne saurait être à l'ordre du jour dans le contexte budgétaire.
Ce contexte pèse également sur les aides financières allouées à la rénovation énergétique du bâti, qui doivent être calibrées de manière à favoriser les interventions respectueuses des édifices patrimoniaux. À l'heure des mesures d'économies, ni le dispositif fiscal au bénéfice de la Fondation du patrimoine, ni le bouquet « MaPrimeRénov » ne sont susceptibles d'évoluer pour intégrer ces préoccupations.