B. L'INDISPENSABLE RENOUVEAU DE LA GESTION DU PATRIMOINE MONUMENTAL
1. L'entretien et la restauration des monuments dans l'impasse budgétaire
La commission a régulièrement pointé la décorrélation structurelle entre les crédits du programme et l'immensité des besoins d'investissement, dans un contexte de renchérissement des chantiers. L'ensemble des acteurs pointent le « mur d'investissement » des prochaines années, face auquel il est à craindre que les crédits du programme ne puissent être à la hauteur des enjeux.
Le financement du patrimoine devra en effet relever deux défis majeurs :
- la poursuite des « grands projets » de restauration, rendus indispensables par la dégradation du bâti et l'obsolescence des équipements de monuments emblématiques ;
- l'engagement de multiples chantiers de réhabilitation locaux, alors que près d'un quart des monuments historiques du territoire se trouvent dans un état dégradé. La dernière édition du Bilan national de l'état de conservation des monuments historiques immeubles, publié en mai 2025 pour la période 2019-2024, fait apparaître une stabilité des besoins d'intervention : comme sur la période précédente, environ 18 % des 36 512 monuments évalués (sur 45 070) sont en mauvais état, et 5 % en état de péril.
Cette situation est aggravée par l'affectation majoritaire des crédits aux opérations de restauration, au détriment de leur entretien. En 2024, les crédits dédiés à la conservation préventive des monuments représentaient un peu moins de 18 % de ceux alloués à leur restauration. L'absence d'entretien régulier ne peut que conduire à la multiplication des catastrophes telle que celle subie par la cathédrale Notre-Dame de Paris, et qui menacent plusieurs autres édifices majeurs - notamment la Tour Saint-Nicolas de La Rochelle ou les cathédrales de Nantes et de Bourges.
Face à ces défis, plusieurs réflexions visant à identifier de nouvelles sources de financement pour le patrimoine monumental ont été engagées. Un changement de paradigme de gestion plus général est cependant nécessaire, selon des modalités qui devront faire l'objet d'un grand chantier de réflexion dès 2026.
2. Des nouvelles ressources à la portée limitée
a) Les succès contrastés du financement participatif
Plusieurs appels publics à la générosité ont été lancés depuis 2018, avec des résultats contrastés :
- la mission Patrimoine en péril a permis de mobiliser des financements importants (182 millions d'euros collectés via le Loto du patrimoine entre 2017 et 2024, et 312 millions d'euros mobilisés en incluant le mécénat d'entreprise et le soutien du ministère de la Culture) tout en développant l'information sur les enjeux patrimoniaux ;
- une collecte nationale en faveur du patrimoine religieux a été mise en place par la LFI pour 2024, qui a instauré, du 15 septembre 2023 au 31 décembre 2025, un taux de 75 % de réduction d'impôt sur le revenu pour les dons en faveur du patrimoine religieux immobilier non protégé des communes de moins de 10 000 habitants. Ce dispositif a été mis en oeuvre sous la forme d'une collecte nationale au bénéfice de cent édifices, assortie de collectes locales en faveur de projets précis. Alors que la collecte nationale est très en deçà des attentes, avec 4,7 millions d'euros récoltés au 31 août 2025 contre 10 millions d'euros annuels attendus, les collectes locales ciblées ont mieux mobilisé les donateurs, en recueillant 20 millions d'euros pour 1 342 édifices ;
- des collectes ciblées au profit de certains monuments en péril ont également été lancées : la souscription nationale en faveur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, lancée au lendemain de l'incendie du 15 avril 2019, a recueilli 843 millions d'euros ; le domaine national de Chambord a récemment lancé une collecte en vue des travaux de réhabilitation de l'aile François Ier.
b) Une différenciation tarifaire au bénéfice de quelques établissements
Plusieurs évolutions sont par ailleurs en cours pour renforcer les recettes de billetterie.
Une tarification différenciée pour les visiteurs non-résidents de l'espace économique européen sera mise en place en 2026 dans trois sites fréquentés par au moins 60 % de visiteurs étrangers : le musée du Louvre ; le château, musée et domaine national de Versailles ; la Sainte-Chapelle et la Conciergerie du Palais de justice de Paris. Deux établissements dont la fréquentation n'atteint pas cette cible ont par ailleurs souhaité intégrer le dispositif : le domaine national de Chambord ainsi que l'Opéra national de Paris, au titre des visites patrimoniales du Palais Garnier.
Cette évolution ne constitue pas une solution pertinente pour la plupart des autres monuments, principalement fréquentés par un public français, ainsi que le soulignent le centre des monuments nationaux (CMN) comme la RMN-Grand Palais. La rapporteure souligne en conséquence qu'elle ne saurait donner lieu à une réduction du financement budgétaire des monuments et des musées, d'autant que sa mise en place donne lieu à des coûts de gestion importants.
La ministre de la Culture s'est par ailleurs déclarée favorable à la mise en place d'une tarification de la visite touristique de la cathédrale Notre-Dame de Paris, indépendamment des droits de visite déjà perçus pour le trésor et le circuit des tours. Dans le format envisagé, les fonds recueillis seraient en partie reversés au diocèse de Paris, et le solde affecté à la restauration des édifices religieux de l'ensemble du territoire.
Afin de satisfaire aux dispositions combinées de l'article 17 de la loi du 9 décembre 1905, qui établit le principe de la gratuité de la visite des édifices du culte, et de l'article L. 2124-31 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), qui prévoit une dérogation à ce principe pour les parties d'édifices cultuels dont la visite requiert des modalités particulières d'organisation, cette tarification ne serait applicable qu'à la visite d'une partie de la cathédrale.
Cette évolution n'est cependant pas engagée en raison de l'opposition de l'affectataire cultuel à la mesure. Dans ce contexte, la rapporteure rappelle la nécessité d'engager une véritable réflexion sur l'usage partagé des monuments cultuels - ainsi que l'ont préconisé Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon dans leur rapport relatif à l'état du patrimoine religieux du 6 juillet 2022.
3. Le modèle de gestion des monuments historiques en question
a) La préfiguration d'un National trust à la française
La ministre de la Culture s'est déclarée favorable, à la fin de l'année 2024, à la transposition en France du modèle du National trust for places of historic interest or natural beauty. Cette organisation philanthropique britannique détient environ 500 sites patrimoniaux bâtis ou naturels et en assure la gestion, avec, pour 2025, des ressources de 874 millions d'euros issues des cotisations de ses 5,7 millions de membres, de la billetterie de chaque site et de levées de fonds.
Une mission de préfiguration a été confiée à la présidente du CMN, qui a remis à l'été 2025 un rapport comportant plusieurs propositions. La plus structurante consisterait à développer une gestion organisée autour de trois ensembles de monuments, intégrés dans un réseau identifiable par une marque commune. Le premier recouvrirait les monuments aujourd'hui gérés par le CMN, le deuxième des monuments rentables donnés au CMN en pleine propriété, et le troisième des monuments publics ou privés conservés par leurs propriétaires, mais bénéficiant de prestations d'expertise du CMN.
L'engagement de cette réflexion n'a pas convaincu les acteurs entendus par la rapporteure, qui relèvent que les difficultés françaises portent sur le financement des opérations patrimoniales et non sur le régime de propriété des édifices. La priorité donnée à l'entretien des monuments est en revanche saluée comme un élément à reprendre. Entendue par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale le 15 octobre 2025, la présidente du CMN a précisé que cette préfiguration ne devait pas être entendue comme une transposition littérale du modèle britannique, mais nourrir le débat à l'heure de l'indispensable changement de paradigme de la gestion des monuments protégés.
b) Entre péréquation et autonomie, un cadre de gestion des monuments emblématiques à repenser
Dans ce contexte, les cas emblématiques du Mont-Saint-Michel et du domaine national de Chambord témoignent d'une nécessaire évolution des modalités actuelles de gestion et de financement des monuments historiques.
Le Mont-Saint-Michel fait aujourd'hui l'objet d'une gestion duale : la gestion du site est assurée par un établissement public (EPMSM) associant depuis 2019 l'État et les collectivités locales, et qui a développé d'importantes ressources propres via les parkings et les boutiques ; la conservation et l'exploitation de l'abbaye sont assurées par le CMN, qui bénéficie des recettes de sa billetterie. Dans son rapport de juillet 2025 sur l'EPMSM, la Cour des comptes évalue ces recettes à 16,5 millions d'euros pour 2023, pour un solde d'exploitation de 5,7 millions d'euros ; la hausse du tarif de la visite de 11 à 16 euros augmentera ce chiffre d'affaires de 5,7 millions d'euros annuels. La contribution annuelle du CMN à l'EPMSM, fixée par une convention de partenariat, s'élève à 1,68 millions d'euros, dont un million pris en charge par le ministère de la culture.
Alors que la préservation et le fonctionnement du site requièrent des investissements évalués à 38 millions d'euros pour 2026-2030, actuellement non finançables par l'EPMSM, mais jugés difficilement reportables par la Cour des comptes, l'établissement souhaite renforcer ses ressources propres et bénéficier d'une part plus importante des recettes de l'abbaye.
Dans ce contexte, et alors que la convention de partenariat expirera au 31 décembre 2025, deux modèles de gestion s'opposent pour la gouvernance future du site.
Le réseau du CMN fonctionne selon un double principe de mutualisation des compétences expertes du siège et de péréquation financière entre monuments. Les quelques sites (5 sur 110) dégageant un excédent d'exploitation contribuent au fonctionnement de l'ensemble des monuments du réseau, dont la moitié sont situés en zone rurale. Si l'abbaye du Mont-Saint-Michel fait partie des monuments contributeurs, le CMN souligne que 80 % de l'excédent réalisé, soit 7 à 8 millions d'euros par an, est réaffecté à des dépenses d'investissement au bénéfice du monument - le CMN ayant financé 35 millions d'euros de travaux depuis 2011, notamment pour la restauration de la Merveille.
Le modèle dit « Chambord » repose sur la réunion du monument et de son domaine au sein d'un unique établissement public, permettant le développement d'un modèle économique autonome. Le domaine de Chambord dégage aujourd'hui des recettes propres couvrant l'intégralité de ses dépenses de fonctionnement. Cette situation n'est pas exclusive de difficultés en investissement : son directeur général regrette que l'excellente performance financière de l'établissement conduise l'État à se désinvestir des investissements indispensables au site, alors que la subvention d'investissement au titre du programme 175, déjà très faible au regard des établissements comparables (2,5 millions d'euros), sera amputée de 1 million en 2026.
Le CMN et le ministère de la culture affirment leur attachement au modèle de gestion actuel, la DGPA soulignant que le Mont-Saint-Michel constitue « un monument majeur dans le système de péréquation du CMN et dans son image de marque ». L'EPMSM met en avant, quant à lui, son souhait de développer un modèle économique adapté aux besoins d'investissement du site, ce qui suppose de renforcer son autonomie, ainsi que la nécessité de rationaliser les coûts organisationnels induits par la cohabitation de deux entités de gestion.
Alors que les financements budgétaires ne permettront pas de répondre aux besoins d'investissement du patrimoine bâti à court et moyen termes, la commission souhaite l'engagement d'une réflexion sur l'équilibre des objectifs de péréquation et de performance économique dans le modèle de gestion des monuments.