N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté
par l'Assemblée nationale, pour
2026,

TOME V

Fascicule 1

RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Recherche

Par Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Max Brisson, Michel Savin, Jacques Grosperrin, Mme Marie-Pierre Monier, M. Yan Chantrel, Mme Samantha Cazebonne, M. Jérémy Bacchi, Mmes Laure Darcos, Monique de Marco, M. Bernard Fialaire, vice-présidents ; Mmes Anne Ventalon, Else Joseph, Colombe Brossel, M. Pierre-Antoine Levi, secrétaires ; Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, M. Christian Bruyen, Mmes Evelyne Corbière Naminzo, Karine Daniel, Nathalie Delattre, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Paulette Matray, Catherine Morin-Desailly, M. Georges Naturel, Mme Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, François Patriat, Jean-Gérard Paumier, Stéphane Piednoir, Bruno Retailleau, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180

Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026)

AVANT-PROPOS

Dans le contexte de maîtrise des finances publiques, le projet de loi de finances (PLF) 2026 ne concrétise, sur le périmètre relevant de la commission, qu'environ un quart de la sixième « marche » de la loi de programmation de la recherche (LPR). Les moyens nouveaux ouverts en son application sont principalement consacrés à la poursuite de la revalorisation des métiers de la recherche, mais sur un périmètre de mesures très restreint.

La commission déplore le non-respect, pour la deuxième année consécutive et dans une proportion plus marquée, de la trajectoire budgétaire fixée par la LPR. Ce nouveau coup de frein risque de casser la dynamique de réinvestissement qu'elle avait réussi à enclencher entre 2021 et 2024.

L'Agence nationale de la recherche (ANR), dont la commission avait veillé à accroître sensiblement les moyens sur les premières années de la programmation, est aujourd'hui financièrement fragilisée. D'une part, le niveau insuffisant de ses crédits de paiement ne lui permet pas de couvrir les engagements pluriannuels d'ores et déjà souscrits auprès des porteurs de projets. D'autre part, la révision à la baisse de la trajectoire de ses autorisations d'engagements marque un recul par rapport à l'ambition initiale. Sans doute temporairement acceptable dans les proportions proposées par ce projet de budget, elle pourrait, si elle devait être aggravée, faire repasser le taux de succès en dessous des standards internationaux.

La commission estime qu'une revoyure en bonne et due forme de la LPR, associant le Parlement, aurait permis de réfléchir collectivement aux moyens que l'État, contraint à des arbitrages budgétaires, est prêt à consacrer à un secteur crucial pour l'avenir du pays et nécessitant un investissement sur le temps long. Avec le budget proposé, l'effort national de recherche restera en deçà de l'objectif d'au moins 3 % du PIB fixé par la LPR. Des coupes supplémentaires le feraient dangereusement et durablement régresser.

Suivant l'avis de sa rapporteure, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du PLF 2026.

I. LA REVOYURE DE LA LOI DE PROGRAMMATION DE LA RECHERCHE AU PRINTEMPS 2025 : UN RENDEZ-VOUS MANQUÉ

A. UN ÉVÈNEMENT « INTERNE » AUQUEL LE PARLEMENT N'A PAS ÉTÉ ASSOCIÉ

L'article 3 de la loi de programmation de la recherche (LPR) dispose que : « La présente programmation fait l'objet d'actualisations, au moins tous les trois ans. Ces actualisations permettent de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi, les réalisations et les moyens consacrés, notamment financiers. »

Alors que cette actualisation, plus couramment appelée « revoyure », aurait dû intervenir en 2023, elle n'a pas été menée par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche de l'époque, Sylvie Retailleau. Bien que son successeur, Patrick Hetzel, arrivé en poste en septembre 2024, ait fait part de son intention d'activer la revoyure, il n'en a pas eu le temps. C'est finalement le troisième ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en trois ans, Philippe Baptiste, arrivé en fonction en janvier 2025, qui s'est emparé de ce chantier, rendu selon lui « plus urgent » par les circonstances internationales, marquées par les attaques contre la science aux États-Unis. En mars, il a annoncé son intention de décliner le travail autour de la revoyure en trois sujets : l'attractivité RH, les modes de financement de la recherche, la recherche partenariale entre public et privé. Sur la méthode, le ministre a demandé aux chefs d'établissements du supérieur et aux dirigeants d'organismes nationaux de recherche (ONR) de lui faire parvenir leurs contributions écrites (état des lieux des dispositifs de la LPR, propositions concrètes) pour la mi-avril. Parallèlement, le ministre a reçu les organisations syndicales représentatives du secteur.

Le 29 avril, le ministère a organisé un évènement « interne », intitulé « Convention de l'enseignement supérieur et de la recherche : bilan et perspectives à l'heure de la revoyure de la LPR », qui a rassemblé des chefs d'établissements, des dirigeants d'ONR et des recteurs. Cette journée de travail a pris la forme de débats en séance plénière et de tables rondes thématiques.

Auditionnés par la rapporteure, les dirigeants des principaux ONR ont globalement porté une appréciation mesurée sur cet évènement, qui semble avoir davantage relevé de l'exercice de bilan et de prospective que d'une véritable actualisation de la LPR.

La commission regrette la non-association du Parlement à la revoyure de la LPR, disposition qu'il a pourtant votée. Depuis 20221(*), elle n'a eu cesse d'insister sur l'importance de ce rendez-vous d'étape et demandé à en être partie prenante, compte tenu du rôle joué par le Sénat dans le renforcement du niveau d'investissement financier prévu sur les premières années de la programmation.

B. LES CONTRAINTES BUDGÉTAIRES NATIONALES ET LES TENSIONS INTERNATIONALES EN TOILE DE FOND

Lors de cette revoyure, le ministre a beaucoup insisté sur l'état inquiétant des finances publiques, rappelant que les intérêts de la dette publique de la France, d'une soixantaine de milliards d'euros, représentaient plus de deux fois le budget du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR), et prévenant que cette situation budgétaire critique devait être prise en compte pour chacun des chantiers à venir. Il a également mis l'accent sur les conséquences des attaques contre la science portées par l'administration américaine, qui posent un défi de souveraineté scientifique et d'autonomie stratégique à la France et à l'Europe.

Face à cette double contrainte budgétaire et géopolitique, la revoyure a pris des allures de quadrature du cercle, entre priorisation des moyens sur certaines mesures de la LPR et maintien de l'objectif d'une recherche de haut niveau et compétitive à l'international.

II. UN BUDGET 2026 DE LA RECHERCHE DONT L'AUGMENTATION TRÈS MODESTE CREUSE L'ÉCART AVEC LA LOI DE PROGRAMMATION

A. UNE SIXIÈME « MARCHE » DE LA PROGRAMMATION ENCORE MOINS RESPECTÉE QUE LA PRÉCÉDENTE

La LPR a pour principal objectif de réarmer budgétairement la recherche publique française, après des années de sous-financement. La programmation pluriannuelle prévoit un investissement de 25 Md€ sur dix ans (2021-2030), pour atteindre la cible d'un budget annuel de la recherche de 20 Md€ en 2030, soit 5 Md€ de plus qu'en 2020.

Pour ce faire, son article 2 fixe une trajectoire de croissance budgétaire - appelés « marches » - pour les programmes 172 Recherches scientifiques et technologiques , 150 Formations supérieures et recherche universitaire et 193 Recherche spatiale de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires).

Trajectoire pluriannuelle de variation des crédits de paiement
inscrite à l'article de 2 de la LPR
(en écart à la LFI pour 2020 et en M€ courants)

Globalement appliquée jusqu'en 2024, la trajectoire de la LPR a connu une première entorse en loi de finances initiale (LFI) pour 2025, laquelle n'a concrétisé qu'environ un tiers des 500 M€ programmés par la LPR, ce montant ayant été concentré sur le financement des mesures relatives aux ressources humaines prévues par le protocole d'accord sur les rémunérations et les carrières du 12 octobre 2020.

La hausse programmée par la LPR pour l'exercice 2026, qui correspond à la sixième « marche » de la trajectoire, s'élève à 500 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2025. Pour les crédits relevant du périmètre de la commission, cette augmentation se répartit comme suit :

· + 361 M€ pour le programme 172 ;

· + 107 M€ pour le programme 150, sur le périmètre des crédits du programme mettant en oeuvre la trajectoire définie par la LPR.

Or les moyens nouveaux ouverts par le PLF 2026 au titre de la LPR, par rapport à la LFI pour 2025, s'établissent respectivement à :

· + 44,3 M€ pour le programme 172, soit un différentiel de 316,7 M€ par rapport à la programmation ;

· + 87 M€ pour le programme 150, montant qui intègre une enveloppe de 44 M€ dédiée aux contrats d'objectifs, de moyens et de performance (Comp) des établissements d'enseignement supérieur. Comme le rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur, la rapporteure juge cette intégration discutable sur le plan de lisibilité et de la sincérité par rapport à la LPR. Si l'on s'en tient strictement à son périmètre, l'apport de moyens nouveaux sur le programme 150 ne serait plus que de 43 M€, soit un différentiel de 64 M€ par rapport à la programmation.

Au total, le PLF 2026 ne concrétise, pour le périmètre couvert par les avis de la commission, qu'un quart voire qu'un cinquième de la sixième « marche », selon le périmètre des moyens nouveaux au titre de la LPR retenu.

Les opérateurs de recherche n'ont pas caché à la rapporteure leur déception ni leur inquiétude face à ce qu'ils considèrent être, au mieux, une « pause » dans le déploiement de la LPR, au pire, un « arrêt » de celle-ci.

La commission se dit très inquiète de l'écart qui se creuse entre la programmation prévue par la LPR et sa concrétisation. Le non-respect de la trajectoire budgétaire, pour la deuxième année consécutive et dans une proportion plus marquée, constitue, à ses yeux, une dangereuse remise en cause de la dynamique que la LPR avait réussi à enclencher sur les premières années. Même si l'effort de maîtrise des finances publiques impose de procéder à des arbitrages, elle considère que la recherche, secteur stratégique pour l'avenir et qui nécessite un investissement sur le temps long, ne peut servir de variable d'ajustement.

B. L'APPORT DE MOYENS NOUVEAUX SUR LE PROGRAMME 172 FLÉCHÉ VERS CERTAINES MESURES « RH » DE LA LPR

Le programme 172 Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires constitue le principal vecteur de financement de la recherche publique. Il comprend notamment les financements attribués à l'Agence nationale de la recherche (ANR) et aux organismes nationaux de recherche (ONR) ;

Dans le PLF 2026, sa dotation s'élève à 8,5 Md€ en AE et 8,2 Md€ en CP, soit respectivement une évolution de - 0,53 % en AE et de + 0,54 % en CP.

Bien que la LFI pour 2025 n'ait concrétisé qu'un tiers de la programmation, elle avait permis de sanctuariser le financement du déploiement des mesures de revalorisation salariale et indemnitaire des personnels de la recherche issues de la LPR et de son protocole d'accord.

Ce n'est pas le cas du PLF 2026, dont les 44,3 M€ de moyens nouveaux attribués au programme 172 sont fléchés vers certaines de ces mesures, notamment la mise en oeuvre du plan de repyramidage des emplois de la filière ingénieurs et techniciens de recherche et de formation (ITRF) et la revalorisation de la rémunération des contrats doctoraux à compter du 1er janvier 2026. À l'inverse, d'autres mesures « RH », comme la poursuite de la revalorisation du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs (Ripec), ne seront plus financées l'année prochaine.

Une enveloppe de 11,9 M€ est également prévue pour le déploiement des chaires de professeur junior (CPJ).

Dans un contexte budgétaire qui impose de faire des choix, la rapporteure approuve le ciblage des moyens nouveaux sur l'amélioration de l'attractivité des métiers de la recherche, même si le périmètre des mesures concernées est réduit par rapport à 2025.

Elle appelle également le ministère à poursuivre la dynamique des CPJ, dispositif apprécié des opérateurs de recherche pour recruter des profils scientifiques spécifiques. Elle attire toutefois sa vigilance sur des disparités entre disciplines s'agissant de la part de femmes recrutées via ce dispositif.

C. APRÈS UNE MONTÉE EN CHARGE RÉUSSIE, UNE AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE CONFRONTÉE À DES DIFFICULTÉS FINANCIÈRES

a) Grâce à la LPR, une montée en charge financière de l'ANR qui a permis d'atteindre des résultats proches des standards internationaux

Compte tenu des niveaux particulièrement bas atteints par le budget d'intervention de l'ANR au cours de la décennie 2010, la LPR, qui conforte son rôle pivot dans le financement de la recherche sur projets, fixe une trajectoire des moyens d'intervention de l'Agence, l'objectif étant d'investir 1 Md€ d'ici 2027 pour arriver à un budget d'intervention annuel de l'ordre de 1,8 Md€.

Trajectoire pluriannuelle des autorisations d'engagement de l'ANR
inscrite à l'article de 2 de la LPR

(en écart à la LFI pour 2020 et en M€ courants)

Dès 2021, le budget d'intervention de l'ANR est passé de 780 M€ à plus de 1 Md€, un niveau inédit depuis sa création. Après un léger repli en 2022, il a continué de croître en 2023 et 2024, pour atteindre 1,24 Md€.

Source : ANR

Cette montée en charge financière de l'ANR a eu deux effets très significatifs : l'augmentation du taux de succès aux appels à projets de recherche et le relèvement du taux de préciput2(*)

Dépendant du niveau des AE disponibles, du nombre de projets déposés et de leur coût moyen, le taux de succès aux appels à projets a connu une progression significative jusqu'en 2023, année où il atteint son plus haut niveau. Il a, en revanche, commencé à diminuer en 2024 (24,2 %), repli qui devrait se poursuivre en 2025, avec la prévision d'un taux inférieur à 23 %.

Depuis 2021, le préciput, abondement financier qui irrigue tout l'écosystème de la recherche, a lui aussi régulièrement augmenté, pour atteindre le taux de 30 % en 2023, niveau stabilisé en 2024.

Ces très bons résultats, proches des standards de recherche internationaux, sont une réussite incontestable de la LPR.

b) Un niveau de crédits de paiement qui ne permet pas à l'ANR de couvrir ses engagements passés

La gestion « classique » des appels à projets de recherche entraîne mécaniquement un écart entre les AE et les CP3(*). Avec le déploiement de la trajectoire prévue par la LPR, les AE de l'ANR ont été substantiellement supérieurs à ses CP sur la période 2021-2024, le différentiel étant de l'ordre de 280 M€ par an en moyenne. L'Agence se retrouve désormais avec un niveau de CP insuffisant pour couvrir les décaissements liés aux projets qu'elle s'est déjà engagée à financer.

Lors de l'examen du PLF 2025, la présidente-directrice générale de l'ANR avait déjà alerté la rapporteure sur cette difficulté. Après un travail de concertation avec le ministère, la décision a été prise de mettre en place en 2025 des mesures de lissage, consistant en des décalages de versements aux porteurs de projets.

Un an plus tard, l'ANR se retrouve confrontée au même problème : l'enveloppe de CP prévue par le PLF 2026, d'un montant de 1,04 Md€, soit une augmentation de 20 M€ par rapport à la LFI pour 2025, ne permet pas de couvrir ses engagements passés. L'Agence chiffre en effet à 70 M€ son besoin en CP, soit un différentiel de 50 M€.

Face à cette difficulté devenue structurelle, l'ANR semble exclure de nouvelles mesures de lissage, estimant être allée au maximum de ce qu'elle pouvait faire, sans porter préjudice aux bénéficiaires. Elle indique également qu'en 2027, le niveau de sa trésorerie ne sera plus suffisant pour couvrir ses engagements passés. En conséquence, la seule solution viable consiste, selon elle, à augmenter le niveau de CP, scénario qui se heurte toutefois au contexte budgétairement contraint.

c) Une dynamique des AE qui interroge la poursuite des objectifs de la LPR

Ce sujet de la mise à niveau CP-AE, qui concerne les appels à projets passés, pose également la question de la poursuite de la dynamique des AE, laquelle emporte des conséquences sur les appels à projets futurs. Faut-il freiner cette dynamique afin de limiter, à l'avenir, le besoin de CP, mais au risque de porter atteinte aux résultats obtenus grâce à la LPR en termes de taux de succès aux appels à projets ?

En effet, le taux de succès dépend mécaniquement du niveau des AE disponibles : leur diminution entraîne de facto un recul du taux de succès, sans baisse simultanée du nombre de projets déposés et/ou du coût moyen des projets, qui sont des variables dites « libres » sur lesquelles l'ANR n'a pas ou peu prise. Celle-ci indique ainsi qu'une baisse de 40 M€ des AE se traduit par une baisse de l'ordre de 1 % du taux de succès.

En 2025, parallèlement aux mesures de lissage des décaissements, le volume des engagements de l'ANR a été réduit de 90 M€. Une nouvelle diminution des AE, à hauteur 70 M€, est prévue dans le PLF 2026. Ces baisses vont inévitablement entraîner un recul du taux de succès, déjà perceptible cette année puisqu'il atteindrait moins de 23 %, contre 24,2 % en 2024. Ce repli est néanmoins jugé « acceptable » par l'ANR, car permettant à la France de rester dans les standards internationaux. En revanche, une forte baisse des AE pourrait faire repasser le taux de succès sous la barre des 20 %, soit le taux d'avant la LPR, et provoquer un nouveau décrochage de la recherche française.

La commission exprime sa préoccupation face aux difficultés financières auxquelles se trouve confrontée l'ANR. Elle rappelle que sa montée en charge, rendue possible par la LPR, a permis d'atteindre de très bons résultats en termes de taux de succès aux appels à projets et de préciput. En cas de révision massive à la baisse de la trajectoire de ses engagements, elle alerte sur le risque d'un retour en arrière, dont les conséquences pourraient être graves à l'heure où la France doit plus que jamais assurer sa souveraineté en matière de recherche.

D. DES OPÉRATEURS DE RECHERCHE CONFRONTÉS À DE NOUVELLES DÉPENSES SOCIALES, PARTIELLEMENT VOIRE NON COMPENSÉES PAR L'ÉTAT

D'un montant total de près de 5 Md€, les subventions pour charges de service public (SCSP) des opérateurs de recherche du programme 172 ayant le statut d'établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST)4(*) seront globalement reconduites en 2026.

Ils devront toutefois prendre en charge deux nouvelles mesures sociales conduisant à une augmentation de leurs dépenses :

· la hausse de 4 points du taux de contribution employeur au CAS « Pensions » : la compensation prévue par le programme 172 pour les organismes de recherche s'élève à 16 M€, pour un surcoût total évalué à 68 M€. Cette compensation très partielle représente moins d'un quart de la charge supplémentaire induite ;

· le financement du nouveau régime de protection sociale complémentaire (PSC), qui sera mis en place à compter du 1er mai 2026. Le montant total du surcoût, entièrement laissé à la charge des opérateurs de recherche, est estimé à 62,5 M€.

Ces dépenses nouvelles s'ajoutent aux mesures salariales et sociales prévues par les lois de finances pour 2023, 2024 et 2025, partiellement ou non compensées par l'État :

· en 2023 et 2024, les mesures de revalorisation indiciaire pour les fonctionnaires (dites mesures « Guérini ») compensées à hauteur de 45 M€ pour un surcoût de 100 M€ ;

· en 2025, un premier relèvement de 4 points du taux de contribution au CAS « Pensions », non compensé pour les organismes de recherche.

Pour absorber ces charges nouvelles qui s'accumulent au fil des ans, les opérateurs de recherche procèdent à des prélèvements sur leur trésorerie libre d'emploi qui, à force, s'assèche. Dès 2026, certains pourraient être contraints de recourir à des mesures d'économie affectant directement leurs activités de recherche (baisse des dotations de base des laboratoires, réduction des campagnes d'emploi et des campagnes d'équipement).

Si la rapporteure estime que la mise à contribution des opérateurs de l'État est légitime face à la nécessité de répartir l'effort de la maîtrise des finances publiques, elle considère que son caractère répété et cumulatif n'est pas acceptable dès lors qu'il conduit à une altération de leur capacité à exercer leurs missions. Elle alerte sur le fait que certains opérateurs de recherche sont proches de ce point de bascule.

III. DEUX CHANTIERS STRUCTURELS QUI SUIVENT LEUR COURS : LA GOUVERNANCE ET LA SIMPLIFICATION DE LA RECHERCHE

A. DES AGENCES DE PROGRAMMES EN ORDRE DE MARCHE, QUI DOIVENT DÉSORMAIS DÉPLOYER LEURS POTENTIALITÉS

Nées du constat d'un déficit de pilotage stratégique de la recherche publique, les agences de programmes ont pour mission d'identifier les priorités stratégiques de recherche par une approche prospective, de mettre en oeuvre des programmes nationaux de recherche sur les priorités retenues, de fédérer l'ensemble des acteurs de la recherche autour de ces programmes.

Sept agences de programmes ont été créées au début de l'année 2024.

Les agences de programmes, dont la rapporteure rappelle qu'elles ne sont pas de nouveaux opérateurs de l'État dotés de la personnalité morale, se sont structurées autour du même schéma de gouvernance : présidence par le dirigeant de l'ONR-pilote, nomination d'une direction exécutive, installation d'un comité des partenaires - équivalent d'un conseil d'administration, mise en place d'un comité de liaison avec l'État - instance d'interface avec les ministères. Au-delà de cette architecture commune, chaque agence a ses propres spécificités d'organisation, découlant notamment de son intrication plus ou moins forte avec son ONR-pilote.

Auditionnés par la rapporteure, les dirigeants des ONR-pilotes dressent un premier bilan globalement positif des agences en termes de gouvernance : fluidité des relations avec les ONR-pilotes, dialogue et coordination entre les partenaires, chacun reconnaissant la valeur ajoutée qu'il y a à travailler en commun sur des priorités stratégiques de recherche, relations fructueuses avec l'ANR, dans une logique de complémentarité entre recherche par programmes (dite « dirigée ») et recherche sur projets.

Tout le défi réside désormais dans la capacité des agences à faire vivre cet esprit collaboratif et à jouer leur rôle de chef de file, sans donner le sentiment d'exercer un monopole, sans générer davantage de complexité et de lourdeur administratives, sans bloquer la prise de décision et le pilotage stratégique ;

La rapporteure trouve particulièrement intéressant le principe de subsidiarité adopté par l'un des ONR-pilotes : l'agence de programmes se positionne comme un maître d'ouvrage qui confie des missions à ses partenaires maîtres d'oeuvre les plus pertinents selon les sujets.

Entre le printemps et l'automne 2024, les agences ont fait remonter plusieurs propositions de programmes nationaux de recherche, dont 15 ont été validées en juin 2025 par l'État. Une enveloppe de 300 M€ leur a été réservée en 2024 sur les crédits de la mission France 2030. Celle-ci s'ajoute aux financements consacrés aux premiers programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) (3 Md€ dont 2,45 Md€ déjà alloués).

Alors qu'en 2024, une augmentation de cette enveloppe avait été envisagée via des redéploiements de crédits au sein de la mission France 2030, son montant n'a, à ce jour, pas progressé, ce qui, d'une part, génère de l'incertitude pour les programmes déjà engagés en cas de dépassement de l'enveloppe initiale, d'autre part, pose la question du support de financement de la prochaine vague de programmes. Aussi la rapporteure appelle-t-elle l'État à donner de la visibilité financière à la recherche « dirigée ».

B. UNE DYNAMIQUE DE SIMPLIFICATION BIEN ENGAGÉE

La rapporteure se félicite que le chantier de la simplification de la recherche, qu'elle juge prioritaire, se décline à tous les niveaux.

Au niveau national, le processus d'expérimentation de mesures de simplification, lancé en 2024 par le ministère sur dix-sept sites pilotes sous la responsabilité d'universités cheffes de file, se poursuit. Onze groupes de travail thématiques5(*), pilotés par l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) et la Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI), ont également été mis en place. Le ministre a par ailleurs fait part de sa volonté d'avancer en 2026 sur le dossier de la délégation globale de gestion (DGG)6(*), bloqué depuis des années. Il a confirmé, lors de son audition par la commission, que faute d'accord entre les établissements tutelles sur le choix d'un gestionnaire unique des unités mixtes de recherche (UMR), le ministère se chargera de le désigner.

Au niveau de l'ANR, un plan de simplification a été mis en place en juillet 2025, dans l'objectif de limiter au maximum les contraintes administratives des chercheurs dans le cadre des procédures d'appels à projets. Il comprend notamment :

· la mise en place d'un financement forfaitaire, ne nécessitant aucun justificatif de dépense, pour plusieurs dispositifs de financement (dispositifs d'encouragement au dépôt de projets européens, Laboratoires Communs - LabCom -, projets jeunes chercheurs...) ;

· l'allègement des justificatifs fournis par les établissements publics bénéficiaires de projets sélectionnés dans le cadre du plan d'action de l'Agence ;

· l'assouplissement des modalités d'ajustement budgétaire des projets sélectionnés dans le cadre de l'appel à projets générique de l'ANR, pour laisser plus de marge d'appréciation aux porteurs de projets ;

· la simplification du cycle d'évaluation et de sélection des projets de recherche collaboratifs avec les entreprises ;

· le déploiement du principe « Dites-le-nous une fois », afin de plus demander des informations déjà disponibles.

Au niveau des ONR, la rapporteure constate une vraie volonté de mettre en oeuvre des solutions concrètes pour simplifier le quotidien des chercheurs. En parallèle de leur participation à la démarche nationale, tous mènent des actions en interne : allègement des formalités administratives, processus de dématérialisation, mise en place d'outils facilitant la gestion budgétaire et comptable, développement d'un portail commun des appels à projets...

Malgré cette dynamique collective, deux limites sont remontées à la rapporteure :

- l'hétérogénéité des pratiques, particulièrement mise en exergue dans les groupes de travail nationaux, peut constituer un frein aux évolutions. Certains acteurs estiment que sans cadre partagé et un minimum contraignant, les progrès en matière de simplification risquent d'être limités ;

- la dimension subjective de la démarche de simplification - ce qui paraît être « simplifiant » pour certains ne l'est pas forcément pour d'autres - justifierait l'élaboration par le ministère d'un référentiel national de la simplification, permettant d'objectiver et d'harmoniser les pratiques.

IV. FACE AUX ATTAQUES CONTRE LA SCIENCE AUX ÉTATS-UNIS, L'ENJEU DE LA SOUVERAINETÉ DE LA RECHERCHE FRANÇAISE ET EUROPÉENNE

La recherche française, comme européenne, s'inscrit dans un écosystème fortement interdépendant de celui les États-Unis, compte tenu de leur position de leader mondial dans ce secteur depuis la Seconde Guerre mondiale. Aussi les menaces qui pèsent sur la science américaine ont-elles des effets indirects, mais structurants sur la recherche française et européenne, qui fait face à un enjeu majeur de souveraineté.

Pour la rapporteure, cet enjeu est d'abord celui de la souveraineté de l'hébergement des données de recherche, qui relèvement du patrimoine scientifique. La dépendance française et européenne vis-à-vis des États-Unis en la matière, qui revêt des niveaux de criticité variables selon les domaines scientifiques, appelle une action rapide, ambitieuse et coordonnée.

L'accueil de chercheurs étrangers en France

Annoncé le 5 mai 2025 lors de l'évènement Choose Europe for Science organisé à la Sorbonne, le programme Choose France for science a pour objectif d'attirer en France des chercheurs étrangers, américains en particulier. Financé par France 2030 à hauteur de 100 M€, le programme permet de cofinancer l'accueil, par un établissement français, d'un chercheur installé à l'étranger7(*).

L'ANR a indiqué à la rapporteure que sur 106 dossiers déposés, 33 candidats ont été sélectionnés, dont la grande majorité (88 %) travaillent actuellement dans des établissements de recherche américains très prestigieux. Près de la moitié des candidats sélectionnés sont de nationalité américaine (45 %), suivis par les Français (24 %) et les Italiens (9 %). Les domaines de recherche les plus représentés sont la santé (33 %) et le climat (18 %). Les candidats retenus seront accueillis dans des établissements situés sur l'ensemble du territoire.

La rapporteure salue les bons résultats de ce programme qui prouvent qu'en dépit de conditions de rémunération moins favorables, la France présente un environnement de recherche attractif.

*

* *

La commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a émis, lors de sa réunion plénière du 2 décembre 2025, un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2026.

EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 2 DÉCEMBRE 2025

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M. Laurent Lafon, président. - Nous passons à l'examen des crédits relatifs à la recherche.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la recherche. - Avant de vous présenter le budget pour 2026 de la recherche, je souhaite revenir sur l'année 2025, qui a été marquée par la revoyure, au printemps dernier, de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (LPR).

Prévue à l'article 3 de la loi, cette revoyure, qui doit intervenir au moins tous les trois ans, consiste en une actualisation permettant de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés par la LPR, ses réalisations et les moyens consacrés.

Alors qu'elle aurait dû avoir lieu en 2023, elle a été sans cesse reportée par les ministres successifs, malgré les appels réguliers de notre commission à respecter l'échéance des trois ans. Le premier de ces appels a été lancé dès juillet 2022 par Laure Darcos et Stéphane Piednoir, dans leur rapport d'information sur la mise en oeuvre de la LPR. Plusieurs ont suivi, à l'occasion de chaque exercice budgétaire.

C'est finalement le ministre Philippe Baptiste qui a décidé d'activer la revoyure au début de cette année, initiative qui doit être mise à son crédit. Cependant, la méthode choisie, celle d'un « événement interne » selon l'expression du ministère, réunissant les acteurs de l'enseignement supérieur de la recherche autour de débats thématiques, n'est pas satisfaisante.

Ne pas associer le Parlement au bilan d'étape d'une loi de programmation relève presque de la faute politique ! Certes, le ministre nous a dit, il y a quelques semaines lors de son audition, sa disponibilité pour nous rendre compte de cet événement interne, mais cela arrive trop tard puisque nous examinons aujourd'hui un budget censé concrétiser la sixième « marche » de la LPR.

Une revoyure en bonne et due forme, associant le Parlement, le ministère et les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR) nous aurait permis de réfléchir collectivement aux moyens que l'État, contraint à des arbitrages pour redresser ses comptes, est prêt à consacrer à un secteur crucial pour l'avenir du pays et qui nécessite un investissement sur le temps long.

Nous voici donc devant un projet de budget pour 2026 de la recherche qui enregistre une très légère augmentation - cela doit être souligné alors que d'autres budgets sont en baisse -, mais dans une proportion bien inférieure à l'annuité programmée.

Stéphane Piednoir nous a expliqué le montant et l'affectation des crédits ouverts sur le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » au titre de la LPR.

Sur le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », qui est le principal support de financement de la recherche publique, l'apport de moyens nouveaux est de 44,3 millions d'euros, soit une différence de près de 317 millions d'euros par rapport à la programmation.

Cet apport est principalement consacré à la poursuite de la revalorisation des métiers de la recherche, mais sur un périmètre de mesures très restreint. Seront ainsi financés l'année prochaine le repyramidage des emplois de la filière des ingénieurs et techniciens de recherche et la revalorisation de la rémunération des contrats doctoraux. En revanche, d'autres mesures de ressources humaines, comme la poursuite de la revalorisation du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs, sont mises à l'arrêt.

Le ministère m'a par ailleurs confirmé qu'une enveloppe de 11,9 millions d'euros était bien prévue pour le déploiement des chaires de professeur junior, dispositif apprécié des opérateurs de recherche pour recruter des profils scientifiques spécifiques.

Au total, le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 ne concrétise donc, sur les programmes 150 et 172, qu'un quart, voire un cinquième de la sixième « marche », selon que l'on y intègre ou non le montant consacré aux nouveaux contrats d'objectifs, de moyens et de performance (Comp) des établissements d'enseignement supérieur.

Ce non-respect de la trajectoire budgétaire, pour la deuxième année consécutive et dans une proportion plus marquée, constitue, à mes yeux, une dangereuse remise en cause de la dynamique de réinvestissement que la LPR avait réussi à enclencher durant les premières années de la programmation.

Même si le nécessaire redressement de nos comptes publics impose de faire des choix et de partager les efforts, la recherche ne doit pas servir de variable d'ajustement, à l'heure où la France doit plus que jamais assurer sa souveraineté dans ce domaine.

Cette sous-exécution de la LPR est aggravée par le fait que l'Agence nationale de la recherche (ANR), dont notre commission avait veillé à accroître sensiblement les moyens d'intervention pendant les premières années de la programmation, est aujourd'hui financièrement fragilisée.

Sa situation mérite quelques explications qui sont nécessaires à la bonne compréhension du problème.

La gestion des appels à projets de recherche entraîne mécaniquement un écart entre les autorisations d'engagement (AE) et les crédits de paiement (CP) : les premières servent à lancer l'appel à projets et à lui donner une visibilité pluriannuelle, tandis que les seconds permettent de financer les porteurs de projets au fur et à mesure de leur avancement.

Avec le déploiement de la trajectoire prévue par la LPR, les AE de l'ANR ont été substantiellement supérieures à ses CP de 2021 à 2024, de l'ordre de 280 millions d'euros par an en moyenne. L'Agence se retrouve aujourd'hui avec un niveau de CP insuffisant pour couvrir les décaissements liés aux projets qu'elle s'est déjà engagée à financer.

Face à cette difficulté, sur laquelle la présidente de l'ANR m'avait déjà alertée l'année dernière, des mesures de lissage, consistant en des décalages de versement aux porteurs de projets, ont été mises en place.

Avec le PLF 2026, l'ANR se retrouve confrontée au même problème : l'enveloppe de CP prévue, en augmentation de 20 millions d'euros par rapport à 2025, ne permet toujours pas de couvrir ses engagements passés. L'Agence chiffre en effet son besoin en ressources à 70 millions d'euros, soit une différence de 50 millions d'euros.

L'ANR semble exclure de nouvelles mesures de lissage, estimant être allée au maximum de ce qu'elle pouvait faire, sans porter préjudice aux porteurs de projets. Elle indique également que, dès 2027, le niveau de sa trésorerie ne sera plus suffisant. En conséquence, la seule solution viable consiste à augmenter le niveau de ses CP, scénario qui se heurte toutefois aux contraintes budgétaires.

Ce sujet de la mise à niveau des CP, qui concerne les appels à projets passés, pose également la question de la poursuite de la dynamique des AE, dont dépendent les futurs appels à projets. Faut-il freiner cette dynamique afin de limiter, à l'avenir, le besoin de CP, mais au risque de porter atteinte aux résultats obtenus grâce à la LPR quant au taux de succès des appels à projets ? Ce taux, qui était de 19,2 % avant la LPR, a connu une progression significative jusqu'en 2023, année où il a atteint 25,2 %.

Le niveau du taux de succès a aussi des répercussions sur celui du préciput, cet abondement financier versé par l'ANR en complément du financement des projets de recherche.

L'évolution du taux de succès dépend mécaniquement du niveau des AE : leur diminution entraîne de facto un recul du taux de succès, sans baisse simultanée du nombre de projets déposés ou du coût moyen des projets, qui sont des variables dites « libres » sur lesquelles l'ANR n'a pas ou peu prise. Celle-ci indique qu'une baisse de 40 millions d'euros de ses AE se traduit par une baisse de l'ordre de 1 % du taux de succès.

En loi de finances pour 2025, le volume des AE de l'ANR a été réduit de 90 millions d'euros. Une nouvelle diminution, à hauteur 70 millions d'euros, est prévue dans le PLF 2026.

Ces baisses vont inévitablement entraîner un recul du taux de succès, déjà perceptible cette année puisqu'il atteindrait moins de 23 %, contre 24,2 % en 2024. Ce repli est néanmoins jugé « acceptable » par l'ANR, car il permettra à la France de rester dans les standards internationaux.

En revanche, une baisse plus significative pourrait faire repasser le taux de succès sous la barre des 20 %, soit le taux d'avant la LPR, et provoquer un nouveau décrochage de la recherche française.

J'évoque ce scénario plus maximaliste, car c'est celui qui est proposé dans l'amendement adopté par nos collègues de la commission des finances et visant à annuler 150 millions d'euros d'AE et 30 millions de CP sur le budget de l'ANR. Notre commission ne peut raisonnablement pas soutenir une telle initiative, qui nous éloignerait encore plus de l'objectif, toujours loin d'être atteint, d'un effort national de recherche au moins égal à 3 % du PIB.

Ce projet de budget est aussi marqué par une nouvelle mise à contribution des opérateurs de recherche pour le financement de mesures salariales ou sociales décidées par l'État.

Les opérateurs devront ainsi prendre en charge une hausse de 68 millions d'euros de leur contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », dont seulement 16 millions d'euros leur seront compensés. S'y ajoutera un surcoût de 62,5 millions d'euros au titre de la protection sociale complémentaire (PSC), pour laquelle aucune compensation n'est prévue.

Ces dépenses nouvelles viennent en plus des mesures dites « Guerini » de 2023 et 2024, compensées à hauteur de 45 millions d'euros pour un surcoût de 100 millions, et d'une première mesure CAS « Pensions », non compensée pour les organismes de recherche - à l'inverse des universités.

Pour absorber ces charges nouvelles qui s'accumulent au fil des ans, les opérateurs de recherche procèdent à des prélèvements sur leur trésorerie libre d'emploi qui, à force, s'assèche. Dès 2026, certains pourraient être contraints de recourir à des mesures d'économies affectant directement leurs activités de recherche : baisse des dotations de base des laboratoires, réduction des campagnes d'emploi et des campagnes d'équipement. Ce scénario a notamment été évoqué par le président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) lors de sa récente audition.

Si l'ensemble des opérateurs de recherche n'est sans doute pas dans une situation financière aussi critique que celle que connaissent les universités, j'alerte tout de même sur le fait que le caractère répété et cumulatif de ces transferts de charges pourrait, à plus ou moins brève échéance selon les organismes, altérer leur capacité à exercer leurs missions.

Dans le contexte du nécessaire redressement de nos comptes publics, je vous propose de donner un avis favorable à ce projet de budget, assorti des points de vigilance que j'ai mentionnés.

Je précise que, dans mon rapport écrit, j'ai aussi souhaité aborder deux thématiques, non strictement budgétaires, mais sur lesquelles il me paraissait important de faire un point d'étape : d'une part, les deux chantiers structurels en cours dans le secteur de la recherche - le déploiement des agences de programmes et la démarche de simplification -, d'autre part, les effets directs et indirects sur notre recherche des menaces qui pèsent sur la science américaine, avec notamment l'enjeu autour de l'hébergement des données scientifiques.

M. David Ros. - Merci de la précision de votre rapport et de celui de Stéphane Piednoir, étant observé que vos travaux sont étroitement liés dans leur objet.

L'état difficile de l'université emporte assurément des conséquences sur la recherche, l'université ayant pour double mission l'enseignement supérieur et la recherche. S'y ajoutent la non-compensation de la contribution des organismes de recherche au CAS « Pensions » - ces organismes sont du reste souvent les partenaires des universités pour le fonctionnement des unités mixtes de recherche (UMR) -, la situation complexe de l'ANR et une sixième « marche » ratée de la LPR, qui évoque davantage une descente qu'une ascension.

Certes, la revalorisation du doctorat est mise en avant, mais elle reste très inférieure à ce que prévoyait la LPR et à ce qui se fait ailleurs en Europe ou aux États-Unis. L'enjeu est celui de la reconnaissance du diplôme national de doctorat non seulement par les décideurs publics, ainsi que le mettait en avant le rapport d'information sur les relations stratégiques entre l'État et les universités de nos collègues Laurence Garnier et Pierre-Antoine Levi, mais également dans le monde privé. Le dispositif « jeunes docteurs » du crédit d'impôt recherche (CIR), favorisant la reconnaissance des docteurs en entreprise, a par exemple été supprimé par la loi de finances de 2025. Autant d'éléments qui mettent à mal la recherche, en dépit de l'importance qu'elle revêt pour notre pays, sa souveraineté et son avenir.

Le budget pour 2026 a été qualifié de budget d'attente ; cependant, les moments de vérité sont nécessaires et il faut réagir. Si je partage les constats de nos deux rapporteurs pour avis sur les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », j'en arrive à une conclusion diamétralement opposée à la leur : ce budget ne correspond pas aux ambitions affichées pour notre pays et l'avis du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) sera donc défavorable.

M. Pierre Ouzoulias. - Je partage l'expression de mon collègue sur la qualité de ce rapport : vous avez, en très peu de temps, acquis une connaissance fine du budget, pourtant extrêmement complexe, de la recherche.

Max Brisson, à la suite de la présentation du rapport pour avis de Stéphane Piednoir, faisait état d'une dissension gauche-droite sur le rôle de la recherche. Elle n'a pas toujours existé et il fut une période où nous partagions les mêmes objectifs dans ce domaine. Permettez-moi de citer le général de Gaulle : « Sans la science et les savants, un pays comme la France ne serait plus qu'un paysage et des souvenirs », « La France ne peut être la France sans la grandeur ; or celle-ci, au XXe siècle, se fonde d'abord sur la science et sur la technique ». N'avons-nous pas aujourd'hui abandonné cette vue très progressiste d'une science au service tant de la souveraineté que du développement humain ? Et n'est-ce pas sous cet angle que quelque chose s'est cassé ?

On finit par considérer que la science et la connaissance ne servent pas à l'évolution de notre société. C'est un mal typiquement français : quand on franchit le Rhin, un fonds spécial de 500 milliards d'euros, qualifié de « bazooka budgétaire », doit permettre de porter la part du budget de la recherche et de la connaissance de 3,07 % à 3,5 % du PIB de l'Allemagne. Dans le même temps, en France, nous acceptons une baisse continue de cette part, ramenée aujourd'hui à quelque 2,14 % de notre PIB.

L'Allemagne consacre notamment des crédits très importants à l'accueil des chercheurs étrangers, dans un contexte, semblable au nôtre, de crise démographique majeure. D'autres pays font le même constat de la nécessité d'attirer des chercheurs étrangers : l'Arabie saoudite, par exemple, offre aux chercheurs un salaire moyen mensuel équivalent à 6 000 euros. L'université du Roi-Saoud (King Saud University, KSU), qu'une délégation de notre commission a visitée, bénéficie, du reste, d'équipements sans commune mesure avec ceux dont nous disposons en France.

Cette forme de précarisation de l'ESR que nous subissons me devient insupportable.

Le constat est également accablant au sujet de l'ANR. Notre collègue rapporteur spécial de la commission des finances Jean-François Rapin considère qu'il faut en diminuer le budget, afin de contraindre les chercheurs à solliciter les crédits européens. Or ils ne pourront le faire, tant la bureaucratie européenne excède leur capacité administrative, tandis que l'ANR a énormément progressé dans ce domaine.

Les universités connaissent aujourd'hui des difficultés telles pour gérer les crédits de la recherche qu'elles demandent de plus en plus à leurs chercheurs fonctionnaires de se constituer en autoentrepreneurs, afin de les rémunérer de leurs travaux sur factures. Nous en arrivons à des situations totalement ubuesques !

M. Max Brisson. - Les conclusions des deux rapports sur les crédits de l'enseignement supérieur et ceux de la recherche pour 2026 ont pu sembler contradictoires avec les exposés qui les ont précédées, mais les rapporteurs s'en sont expliqués.

Cependant, n'est-il tout de même pas choquant d'abandonner la LPR en catimini ? Notre pays connaît certes une situation financière difficile, mais, en consacrant 2,3 % de son PIB à la recherche, contre 3,5 % en Allemagne ou en Suède, j'ai l'impression que la sixième « marche » y est prise en descendant. Et, plutôt que de dire le contraire de ce que l'on est train de faire, cela mériterait au moins un débat.

Enfin, l'amendement de la commission des finances relatif à l'ANR et à sa mécanique spécifique des AE et des CP, inscrite dans le temps - celui des programmes de recherche -, ne nous ramène-t-il pas, pour sa part, tout simplement à zéro, c'est-à-dire à la situation qui prévalait avant la LPR ?

Mme Laure Darcos. - Je suis dépitée : cette LPR, nous ne l'avions acceptée pour une période de dix ans, quand nous la voulions pour sept ans, qu'afin de concentrer les efforts sur l'ANR, avec le doublement de ses moyens dès les deux premières années. En 2017, le taux de succès des appels à projets de l'ANR n'excédait pas 12 % à 13 %. On donne un coup d'arrêt brutal à la progression rassurante, en comparaison de nos voisins européens ou d'États d'autres continents, de notre recherche au cours des dernières années.

J'ai eu l'occasion de le dire à Claire Giry, la présidente-directrice générale de l'ANR : il est sans doute reproché à l'Agence de n'avoir pas pu, deux années de suite, décaisser davantage de CP, et notre commission des finances, toujours à la recherche d'économies, en a retenu l'existence d'une trésorerie d'un niveau exceptionnellement élevé. Dans le champ qui est le sien, l'ANR porte quatre projets sur cinq : il lui faut par conséquent, à l'instar du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou, dans un autre domaine, du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), disposer d'une trésorerie importante.

Nous allons nous battre pour essayer de défendre ses crédits, mais je suis inquiète et quelque peu pessimiste quant à l'issue. Il nous faudra de nouveau nous mobiliser. Le seul point positif consiste actuellement dans le dispositif des chaires de professeur junior.

Mme Mathilde Ollivier. - La rapporteure a fait une analyse critique de l'absence de suivi des engagements pris dans le cadre de la LPR. En 2025, pour les programmes 150 et 172, seul un tiers de l'effort prévu par la LPR a été financé. En 2026, seul un quart du montant supplémentaire programmé serait atteint. Ainsi, année après année, les financements dédiés aux engagements pris sont de plus en plus insuffisants.

La France a du retard en matière de recherche et de développement. La part de la recherche dans le PIB stagne à 2,19 %, en deçà de la moyenne des pays de l'OCDE. En février 2025, le Collège des sociétés savantes académiques de France a mené une étude. Dans ce cadre, plus de 2 200 scientifiques ont été interrogés sur la recherche française et leur diagnostic est sévère : seuls 15 % d'entre eux estiment que le système actuel de financement de la recherche publique est satisfaisant. Il s'agit d'un signal d'alarme important. En effet, les chercheurs sont mobiles, explorent la possibilité de travailler dans des centres de recherche qui leur offrent des conditions matérielles intéressantes et leur permettent de développer des projets. Si nous décrochons sur ce point, nous pourrions perdre une partie de l'excellence construite en France.

J'en viens à l'idée que les centres de recherche et les universités devraient davantage se tourner vers les financements européens. Des présidents d'université nous ont confié que certaines équipes de recherche demandent à leurs chercheurs de ne plus tenter d'obtenir ces crédits parce qu'ils n'ont plus le personnel nécessaire pour encadrer ces projets. Il y a donc une dissonance entre ce qu'on demande aux chercheurs et la réalité qui est la leur.

Enfin, en la matière, il faudrait clarifier certaines choses. En effet, nous reprochons à certaines universités de ne pas suffisamment tenter d'obtenir des crédits européens, mais, dans certains cas, des projets sont attribués à des chercheurs du CNRS hébergés par des universités.

Nous donnerons un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.

M. Jean Hingray. - La dynamique de la recherche semble toujours effective puisque les crédits qui lui sont dédiés atteignent 12,6 milliards d'euros en CP.

Toutefois, certains secteurs stratégiques sont étonnamment sous-dotés, notamment ceux de l'aéronautique civile et de l'énergie nucléaire. L'amendement de Stéphane Piednoir ne devrait pas améliorer cette situation.

Par ailleurs, les partenariats entre les entreprises et les partenaires institutionnels européens connaissent un net recul, ce qui est inquiétant. Il faudrait obtenir davantage de crédits européens, notamment du programme Horizon Europe.

L'amendement de M. Rapin pose question. Comme nous l'enseignait Maurice Thorez : « S'il est important de bien conduire un mouvement revendicatif, il faut aussi savoir le terminer ».

Mme Laurence Garnier. - Le taux de succès des appels à projets de l'ANR s'élève à 23 %, ce qui reste acceptable selon Claire Giry, présidente-directrice générale de l'Agence. Il est important que ce curseur soit fixé au plus juste. Le taux doit rester attractif pour les chercheurs, afin de permettre d'attirer les meilleurs, tout en n'étant pas trop élevé, ce qui pourrait conduire à sélectionner des projets qui ne seraient pas suffisamment qualitatifs.

Par ailleurs, il est nécessaire de prendre en compte la pluriannualité de ces appels à projets, qui a un effet miroir sur la trésorerie de nos universités. Selon ces dernières, le coût réel des projets accueillis est supérieur aux crédits octroyés par l'ANR, en raison de charges diverses. Selon l'ANR, ce problème serait réglé grâce au préciput. Il serait intéressant de dénouer cette dissension entre les acteurs. Nous devons y voir clair afin d'utiliser au plus juste les crédits publics affectés à la recherche.

Enfin, le financement de la recherche correspond à 2,2 % du PIB, ce qui est mieux qu'en Espagne et en Italie, qui connaissent des taux d'environ 1,5 %, mais ce qui est moins bien qu'au Royaume-Uni et en Allemagne, où ce pourcentage s'élève respectivement à 3 % et à 3,5 %. Cependant, dans ces pays qui font mieux que nous, la recherche privée est dynamique et les crédits publics sont comparables. La recherche de crédits privés constitue un enjeu sur lequel il faut nous pencher, pour que les entreprises françaises alimentent la dynamique de la recherche, en complément de la recherche publique.

Mme Karine Daniel. - Je voudrais préciser que d'autres lignes budgétaires affectent aussi le fonctionnement des universités en la matière ; je songe notamment aux crédits du plan France 2030, mais aussi à ceux qui font fonctionner les instituts de recherche technologique (IRT) et les instituts hospitalo-universitaires (IHU). Il faudra aussi nous mobiliser quand ils seront examinés en séance.

M. Laurent Lafon, président. - Effectivement, ces crédits n'appartenant pas au périmètre couvert par notre commission, nous n'avons pas à nous prononcer dessus. Il faudra être vigilants en séance.

M. Stéphane Piednoir. - Comme l'a dit Laure Darcos, nous nous sommes un peu fait berner en cédant sur la durée prise en compte par la LPR. Si nous nous en étions tenus à une durée de sept ans, l'application toucherait à son terme et l'impact des réductions budgétaires serait sans doute moins important. Pour l'enseignement supérieur et la recherche, il manque 370 millions d'euros par rapport à ce que prévoyait la loi.

La création de l'ANR avait vocation à augmenter le taux de succès des appels à projets et à accompagner l'augmentation du préciput. Ces deux objectifs ont globalement été atteints. Cependant, il nous faut interroger notre modèle de recherche.

D'abord, le professeur de mathématiques que je suis ne parvient pas à comprendre le décalage entre les CP et les AE. On vote des AE élevées et puis, à un moment, le couperet tombe : les CP ne sont pas disponibles et les projets ne sont pas financés. C'est ce que pointe Jean-François Rapin dans l'objet de son amendement.

Ensuite, malgré les efforts fournis, la France connaît un net recul en ce qui concerne sa contribution aux publications mondiales. À cet égard, un besoin de simplification se fait entendre. Depuis l'étranger, notre système est incompréhensible. Il y a eu des tentatives de clarification, mais les tutelles restent trop nombreuses sur de trop nombreux projets. Il faut simplifier et donner de la lisibilité au système.

Enfin, un effort doit être fourni, au sein des organismes de recherche et des universités publiques, pour engager des partenariats avec le secteur privé. En la matière, nous avons affaire à des blocages idéologiques, qui doivent être dépassés pour que nous enclenchions une dynamique et puissions atteindre peu à peu les objectifs définis par la stratégie de Lisbonne.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour avis. - Laure Darcos et David Ros, d'abord, je vous remercie pour l'engagement et la fidélité dont vous avez fait preuve lors des auditions que nous avons menées. Ensuite, je partage votre position, notamment sur le CAS « Pensions ».

Concernant le manque d'attractivité évoqué par Pierre Ouzoulias et Mathilde Ollivier, une conférence s'est tenue au printemps dernier, Choose Europe for Science, financée par France 2030. Nous ne pourrons jamais offrir les mêmes conditions matérielles en France que dans certains pays. Cependant, nous comptons des organismes de recherche et des établissements de grande qualité, qui sont reconnus. J'espère que le programme Choose France for Science portera ses fruits et que nous pourrons accueillir, dans les meilleures conditions possibles, les chercheurs qui ne s'épanouiraient plus dans leur pays.

Je ne peux que m'associer aux propos de Max Brisson sur l'amendement portant sur l'ANR, qui constitue un abandon de la LPR et un retour en arrière.

En ce qui concerne le taux de succès de l'ANR, je partage la vision de Laurence Garnier : il faut trouver un juste milieu. Le bon curseur représente la clé de l'équilibre, de la raison et de la responsabilité.

Enfin, j'avais déjà évoqué le rapprochement du public et du privé l'an dernier, lors de la présentation de mon rapport. Il faut nous inspirer des modèles des pays voisins. Le ministre a évoqué des mesures à prendre, mais nous sommes toujours dans l'attente de leur concrétisation.

Nous avons entamé des négociations avec l'auteur de l'amendement que nous avons évoqué.

J'essaierai de rendre compte de chacune de vos interventions en séance, afin de pouvoir peser au nom de notre commission.

M. Laurent Lafon, président. - En séance, nos votes seront importants puisqu'ils pourront peser en faveur ou en défaveur de tel ou tel amendement.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 4 novembre 2025

- Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) : MM. Didier SAMUEL, président-directeur général, Damien ROUSSET, directeur général délégué à l'administration et Mme Anne-Sophie ETZOL, responsable des relations institutionnelles.

Mercredi 5 novembre 2025

- Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) : MM. Philippe MAUGUIN, président-directeur général, Louis-Augustin JULIEN, directeur général délégué aux ressources, et Marc GAUCHÉE, conseiller parlementaire.

- Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : Mme Anne-Isabelle ETIENVRE, administratrice générale, M. Jean-Philippe BOURGOIN, directeur de cabinet, Mmes Anne-Hélène BOUILLON, directrice des finances et des programmes et Louise THOMAS-VAILLANT, conseillère parlementaire.

Vendredi 7 novembre 2025

- Réseau SATT (Sociétés d'accélération du transfert de technologies) : Mme Maylis CHUSSEAU, présidente et M. Patrick CAZENEUVE, secrétaire.

Mercredi 12 novembre 2025

- Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) : Mme Sandrine MAZETIER, directrice générale déléguée à l'appui aux politiques publiques.

- Agence nationale de la recherche (ANR) : Mme Claire GIRY, présidente-directrice générale, M. Vincent COTTET, directeur général délégué à l'administration et au budget et Mme Cécile SCHOU, directrice de cabinet.

Jeudi 13 novembre 2025

- Centre national de la recherche scientifique (CNRS) : M. Antoine PETIT, président directeur général.

- Association des Instituts Carnot (AiCarnot) : MM. Alexandre BOUNOUH, président et Jean-Denis MULLER, directeur général.

ANNEXE

Audition de M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace

MERCREDI 29 OCTOBRE 2025

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M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons notre séquence budgétaire avec l'audition de M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace.

Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit d'ouvrir 31,5 milliards d'euros de crédits pour la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », la Mires, soit 566 millions d'euros de plus qu'en loi de finances initiale pour 2025. Sur le périmètre de votre ministère, monsieur le ministre, qui correspond aux programmes budgétaires 150, 231 et 172, les crédits pour 2026 sont de 27 milliards d'euros, en hausse de 176 millions.

En ce qui concerne, tout d'abord, les crédits de l'enseignement supérieur, vous avez peut-être pris connaissance du rapport adopté la semaine dernière par notre commission sur les relations stratégiques entre l'État et les universités, dont le processus annuel d'allocation des moyens budgétaires des établissements constitue un pilier central. Nos rapporteurs, Laurence Garnier et Pierre-Antoine Levi, ont formulé plusieurs préconisations pour améliorer le processus de définition et de répartition de la subvention pour charges de service public (SCSP) ainsi que le diagnostic porté sur les marges de manoeuvre financières des universités, notamment en ce qui concerne leur trésorerie.

Ils ont plus largement mis en évidence les faiblesses et les carences de l'État dans la définition de sa stratégie universitaire, et regrettent que votre ministère ne satisfasse plus à l'obligation qui lui est faite par la loi d'adopter et de mettre en oeuvre une stratégie nationale de l'enseignement supérieur (Stranes) concertée. Comment, monsieur le ministre, accueillez-vous ces constats et ces propositions ?

S'agissant, ensuite, du secteur de la recherche, cette année a été marquée par la revoyure de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche (LPR), menée au printemps dernier « en interne », selon l'expression de votre ministère. Si nous comprenons parfaitement votre démarche de concertation avec les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR), monsieur le ministre, nous regrettons que les parlementaires n'aient pas été associés à ce travail, d'autant que nous vous avions fait part de notre intérêt et de notre disponibilité lors de votre audition le 9 avril dernier. Le Gouvernement de l'époque avait pourtant été content de trouver le Sénat lors de l'élaboration de la LPR...

Quelle est la traduction de cette revoyure dans le projet de budget 2026 ? Comment celui-ci concilie-t-il poursuite du déploiement de la LPR et contrainte budgétaire ? Alors que la question de la souveraineté de notre recherche, dans un contexte international très troublé, est de plus en plus prégnante, quelle orientation stratégique comptez-vous donner à la politique de recherche, avec quels moyens et selon quelle gouvernance ?

M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace. - S'agissant de la stratégie nationale de recherche et d'innovation (SNRI), dans une vie antérieure, j'avais participé à sa définition. Je pourrais la caractériser en disant que tout était prioritaire, quels que soient les sujets et quelle que soit la granularité, pour une capacité de priorisation peu satisfaisante...

Cela n'enlève rien pour autant à l'obligation de présenter une stratégie nationale en matière de recherche et d'innovation. Je vous propose donc qu'elle soit articulée autour des agences de programme, qui portent aujourd'hui les grands défis sociétaux correspondant aux priorités sur lesquelles nous devons nous concentrer, dont le numérique, l'écologie, l'environnement, la santé ou encore l'énergie.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous interrogeais plutôt sur la Stranes.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Certes, j'ai plutôt évoqué la SNRI, mais les deux stratégies sont proches.

S'agissant de la LPR, je sais le rôle qu'a joué le Sénat. Un travail de revoyure a effectivement été mené avec les acteurs de l'ESR. Je n'ai pas eu l'occasion de venir vous le présenter, le calendrier politique ayant quelque peu percuté les consultations, ce dont je me désole. Je suis bien évidemment à votre disposition pour revenir vous présenter les trois sujets principaux : renforcer l'attractivité des carrières et des parcours scientifiques, simplifier et rendre plus efficace le financement de la recherche et développer la recherche partenariale. Ces différentes priorités n'ont de sens qu'au travers du budget dont nous discutons.

Je vous avais présenté les priorités du ministère il y a quelques mois ; elles n'ont pas beaucoup changé et tiennent en peu de mots : garantir les conditions qui nous permettent de préparer un avenir collectif en investissant dans notre jeunesse, d'une part, dans les leviers de notre souveraineté, présente et future, d'autre part, en les ancrant dans les territoires.

L'enseignement supérieur français continue de former des chercheurs au meilleur niveau. Cette année encore, nous avons eu la fierté de compter deux lauréats du prix Nobel, en physique et en économie. Leur réussite est le fruit d'investissements consentis depuis des décennies. Ainsi, Philippe Aghion avait bénéficié d'une bourse de thèse grâce au gouvernement de Raymond Barre. Nous parlons donc bien d'investir sur des temps très longs, qui dépassent les questions d'alternance politique, ce qui est difficile à envisager dans un monde politique contraint par des échéances de plus court terme. L'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern) et d'autres grands équipements s'inscrivent dans la même logique.

Or, depuis plus de quinze ans, l'investissement dans la recherche stagne à 2,2 % du produit intérieur brut (PIB), alors que, dès 2000, la cible était de 3 % du PIB. Ce taux a été largement dépassé par l'Allemagne, les États-Unis, la Corée du Sud, Israël ou la Suisse. Cet écart est problématique à deux titres.

D'une part, cet argent manque à nos laboratoires publics de recherche et à la recherche fondamentale. D'autre part se pose la question de l'investissement de nos entreprises dans la recherche. Ainsi, dans le détail de l'effort de recherche, on constate, certes, un manque de la part de l'État, mais surtout un immense retard de nos entreprises sur les activités de recherche et développement (R&D). Tout cela a des conséquences majeures sur le type d'activités industrielles qui sont menées dans le pays et, par conséquent, sur notre capacité à créer des produits et des emplois, en d'autres termes, sur notre potentiel de croissance.

Cette année encore domine le besoin de redresser nos finances publiques. Malgré cela, le Gouvernement a donné un gage en permettant une progression du budget de notre ministère. En 2026, celui-ci s'établit à 28,9 milliards d'euros, spatial compris, répartis en quatre programmes. 15,6 milliards d'euros, soit 54 % du budget, sont consacrés au programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire », ce qui représente une progression d'un peu moins de 160 millions d'euros, soit 1 % de plus par rapport à la loi de finances initiale pour 2025. Le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » - qui finance principalement les grands organismes nationaux de recherche - est lui doté de 8,2 milliards d'euros, soit une progression de 44 millions d'euros. Le programme 231 « Vie étudiante » bénéficie de 3,2 milliards d'euros. Enfin, 1,8 milliard d'euros sont alloués au programme 193 « Recherche spatiale ».

Ces budgets constituent avant tout un socle indispensable au fonctionnement du système d'enseignement supérieur et de recherche. Ce sont eux qui permettent de payer les enseignants-chercheurs, les ingénieurs et les techniciens qui font fonctionner les petits, les moyens et les gros équipements. C'est ce qui fait tourner les laboratoires et les amphithéâtres.

Par ailleurs, nous entendons mobiliser ces fonds au service de notre stratégie, à commencer par la poursuite de la mise en oeuvre de la LPR, à laquelle votre assemblée a largement contribué. À ce titre, 87 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour le programme 150 et 34 millions d'euros pour le programme 172. Ces 121 millions d'euros financent en particulier la poursuite des mesures statutaires en faveur des jeunes chercheurs, des personnels des bibliothèques et des ingénieurs techniques, ainsi que du repyramidage des chargés et des directeurs de recherche. Pour être transparent, nous avions prévu de faire un peu plus : cette marche est inférieure à celle qui est prévue dans la LPR et une partie de la revalorisation des autres personnels ne pourra pas être effectuée cette année. J'insiste néanmoins sur le bénéfice apporté aux jeunes et aux titulaires d'un contrat doctoral. Ainsi, à compter du 1er janvier 2026, leur rémunération sera portée à 2 300 euros, contre moins de 1 800 euros il y a cinq ans. La LPR produit donc bien des effets de revalorisation très nets et très concrets sur les bourses de thèse, par exemple.

Les financements fléchés par la LPR, pérennisés en 2026, permettront également d'investir dans les équipements et dans les infrastructures indispensables à une recherche de très haut niveau, dont la flotte océanographique et les grands équipements de physique de Saclay ou Grenoble, éléments extraordinaires qui font rayonner le pays.

On entend souvent un discours un peu morose sur les universités et sur la recherche. Sans nier les difficultés, soyons fiers de nos grandes universités, de nos grands laboratoires, qui sont très attractifs et qui sont au meilleur niveau international aujourd'hui.

Le programme 172 permet de soutenir les organismes publics de recherche placés sous la tutelle ou la cotutelle du ministère - le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), etc. -, qui couvrent tous les champs disciplinaires. Une part importante de ce programme est dédiée au financement de la recherche sur projets via l'Agence nationale de la recherche (ANR), modalité d'organisation et de financement de la recherche que l'on trouve dans tous les grands pays. Les crédits de l'ANR s'élèvent aujourd'hui à 1 milliard d'euros par an. Le financement de la recherche en France s'appuie aussi sur des crédits récurrents, non ciblés sur des projets, qui sont essentiels pour la recherche fondamentale, la liberté dans la conduite des travaux de recherche et le bouillonnement d'idées des équipes.

Ensuite, plus on monte en maturité dans les projets en se rapprochant de l'industrie, plus il faut prendre des risques. C'est le rôle que devraient jouer les grands opérateurs de recherche. Il faut donc bien une vision stratégique, avec de grands programmes qui tendent vers l'industrialisation, mais aussi une recherche fondamentale correctement financée.

Je voudrais ici mentionner que le niveau de crédits alloués au dispositif de la convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) est maintenu en 2026, à 73 millions d'euros. Ces thèses Cifre sont un élément essentiel de transfert, au sens où elles permettent d'envoyer de jeunes doctorants dans des entreprises. Une partie du coût est indirectement prise en charge par l'État, et cela permet de créer un lien immédiat entre le laboratoire d'origine du jeune chercheur et l'entreprise. Ce transfert de fait évite les achoppements autour de la propriété industrielle. Ce système, concret, fonctionne bien : il faut absolument le préserver.

De manière plus générale, ce budget permettra d'accroître la performance des établissements d'enseignement supérieur, notamment grâce aux contrats d'objectifs, de moyens et de performance (Comp). Ils sont le levier principal, pour le ministère, de la déconcentration de l'action publique, afin d'assurer un pilotage au plus près des territoires et des établissements. C'est le même effort d'efficacité et de lisibilité qui m'a conduit à présenter un projet de loi sur la régulation de l'enseignement supérieur privé, qui, je j'espère, pourra être débattu rapidement.

À partir de 2026, les Comp couvriront l'intégralité de la stratégie des établissements. Ils auront vocation à mettre autour de la table tous les acteurs, tous les financeurs d'un établissement qui le souhaitent, en particulier les collectivités territoriales, les régions, mais aussi l'État. C'est l'endroit où nous devrons discuter concrètement de la carte de formation, en tenant compte des spécificités du territoire, des bassins d'emploi, des besoins et des zones blanches de formation. Cette discussion stratégique n'a pas lieu aujourd'hui.

Nous sommes au milieu d'une expérimentation avec un grand nombre d'établissements des régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nouvelle-Aquitaine, avant une généralisation dès l'an prochain. C'est une petite révolution, qui doit nous amener à déconcentrer l'action du ministère. En effet, si celui-ci comporte beaucoup d'opérateurs, il reste très concentré. Cette petite révolution interne s'appuiera, en particulier, sur les rectorats. À ces fins, une enveloppe de 45 millions d'euros figure dans le programme 150, en complément des 100 millions d'euros déjà déployés pour la mise en oeuvre des Comp.

Le budget 2026 doit aussi nous permettre de poursuivre la lutte contre la précarité étudiante. Un étudiant précaire est un étudiant qui ne peut pas bien étudier, qui ne peut pas aller bien. Nous agissons pour la santé mentale des étudiants, mais nous devons aussi et avant tout leur garantir des conditions de vie décentes. Voilà pourquoi la subvention pour charges de service public (SCSP) du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) augmentera de 15 millions d'euros en 2026, ce qui la portera à 163 millions d'euros.

Grâce à un budget d'investissement maintenu, pour la troisième année consécutive, à 120 millions d'euros, le réseau pourra aussi poursuivre les plans de réhabilitation et de construction engagés. Je rappelle aussi l'engagement de la Banque des territoires, qui atteint 5 milliards d'euros, pour la rénovation et l'extension du parc de logements étudiants. Ainsi, 45 000 nouvelles places doivent être construites dans les deux prochaines années, dont 30 000 au titre de logements sociaux. Si, au cours d'exercices précédents, nous avons eu du mal à tenir nos annonces, tel ne devrait pas être le cas pour celle-ci, grâce à une mobilisation des préfets, des recteurs, de la Banque des territoires et du Cnous. La première précarité, pour les étudiants, est celle du logement.

Enfin, comme vous le savez, le spatial fait désormais pleinement partie des attributions du ministère. S'il concerne plusieurs de mes collègues, nous essayons d'avoir un point de coordination politique unique. Son financement revêt une importance particulière cette année, en raison de la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA) : les budgets du spatial doivent se déployer pour les trois prochaines années en Europe. La question est donc celle de la contribution française à l'ESA, mais aussi du budget national du spatial. Cela concerne aussi bien la défense que les grandes coopérations internationales avec des pays situés hors d'Europe, dont le Japon, les Émirats, l'Inde, les États-Unis ou, historiquement, la Chine. Les semaines que nous vivons constituent à ce titre un moment clé.

Au-delà du projet de loi de finances, la mobilisation des financements issus de France 2030 et des fonds européens est une priorité. Pour ces derniers, la France doit faire mieux. Nous devrions avoir un retour à la hauteur de notre contribution, c'est-à-dire 17,5 %, mais nous en sommes loin. J'ai insisté fortement sur la nécessité d'une mobilisation de notre écosystème de recherche en direction des appels d'offres européens. Ces derniers ne permettront cependant pas de résoudre à eux seuls le sous-financement global de l'enseignement supérieur et de la recherche en France. L'atteinte de la cible de 17,5 % n'apporterait que 200 millions d'euros supplémentaires.

Je m'efforce également de travailler avec l'Europe pour qu'elle finance de grandes infrastructures de recherche. La France en a beaucoup, qui sont, certes, très attractives, mais aussi très coûteuses.

Le ministère dont j'ai la charge a vu son périmètre s'étendre avec l'espace. J'insiste sur l'importance du temps long et des investissements pluriannuels. Ils traduisent notre capacité à nous projeter dans l'avenir, non seulement pour la recherche académique, mais aussi pour les industries de demain, dans tout le pays et dans tous les territoires.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour avis des crédits de la recherche. - En 2025, la marche prévue par la LPR a été amputée des deux tiers. Ce premier accroc dans la trajectoire de programmation avait suscité l'inquiétude des acteurs de la recherche. Vous les avez réunis en mars dernier dans le cadre de concertations sur la revoyure de la LPR, où il a bien sûr été question du financement de la recherche. Or les parlementaires n'ont été ni associés à cette revoyure, qu'ils ont pourtant inscrite dans la loi, ni informés de ses conclusions. Qu'en est-il ressorti, notamment pour l'élaboration du projet de budget 2026 ? Excluez-vous toute actualisation législative de la LPR ? J'ai bien pris note des trois grands sujets que vous venez d'évoquer :l'attractivité des carrières, le financement de la recherche et le développement de la recherche partenariale.

Nous voudrions également comprendre dans quelle proportion la sixième marche de la LPR sera effective et connaître précisément les mesures dont le financement ne serait pas intégralement assuré l'année prochaine.

Ma deuxième interrogation porte sur la trajectoire financière de l'ANR, dont les autorisations d'engagement dépassent aujourd'hui le milliard d'euros. Son réarmement budgétaire a permis d'atteindre de bons résultats en termes de taux de succès aux appels à projets et de taux de préciput. Faut-il d'aller au-delà ou une stabilisation est-elle envisageable ?

Ma troisième question concerne les priorités stratégiques de la politique publique de recherche dans un contexte budgétaire contraint. Les nouvelles agences de programmes ont pour mission d'identifier les domaines de recherche dans lesquels investir en priorité. Quels programmes ont été retenus, pour quel calendrier de mise en oeuvre ? Par ailleurs, comment comptez-vous clarifier la relation des agences de programmes à leur organisme national de recherche (ONR) hôte ?

Ma quatrième question a trait au chantier de simplification de la recherche. Vous avez demandé aux acteurs de l'ESR de mettre en oeuvre la délégation globale de gestion (DGG) dans les unités mixtes de recherche (UMR). Comment votre ministère compte-t-il accompagner les laboratoires dans cette démarche ? D'autres formes de simplification, comme celle des appels à projets de l'ANR, très attendue par la communauté de recherche, sont-elles également prévues ?

Enfin, ma dernière question concerne deux dispositifs de recherche, les instituts Carnot et les sociétés d'accélération du transfert de technologies (Satt), qui jouent un rôle d'interface entre la recherche publique et le secteur privé, mais dont vous avez à plusieurs reprises pointé les limites, ce qui fait débat. Quel sort comptez-vous réserver à ces structures ? De manière plus générale, où en est le chantier de la recherche partenariale ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Cette année encore, les conséquences financières de mesures décidées par l'État sont laissées à la charge des établissements. Je fais bien entendu référence au relèvement du taux de cotisation au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », mais également au régime de la protection sociale complémentaire, sans aucune compensation de la part employeur, pour une dépense que vous avez évaluée à 60 millions d'euros hier à l'Assemblée nationale.

L'habitude est donc désormais bien ancrée de laisser chaque année à la charge des établissements tout ou partie des mesures sociales ou salariales décidées par le seul Gouvernement. Je trouve cette situation très choquante sur le principe et délétère sur le fond, car elle soumet les établissements à la menace annuelle d'une augmentation exogène de leurs dépenses contraintes. Cela complique la préparation de budgets pluriannuels, pourtant préférables d'un point de vue stratégique pour la formation et la recherche.

L'an dernier, un arbitrage de dernière minute avait permis la compensation intégrale du CAS « Pensions ». OEuvrez-vous pour qu'il en aille de même cette année ? Quid des années suivantes ?

L'année 2026 sera marquée par le déploiement des nouveaux Comp, ou Comp100 %, qui suscitent de fortes interrogations. Sur ce point, vous avez partiellement répondu quant à la construction du programme 150 : pouvez-vous confirmer que l'enveloppe de 44,5 millions d'euros est totalement affectée aux Comp100 %, sans couvrir les Comp lancés en 2023 ?

J'aimerais ensuite comprendre comment les moyens budgétaires des établissements, et notamment leur SCSP, seront définis dans le cadre des Comp100 %. Quelle sera votre base de départ ? Partirez-vous du dernier montant de la SCSP ou la reconstruirez-vous enfin, à partir de critères objectifs propres à chaque établissement ? Plusieurs présidents d'université craignent que l'exercice ne donne finalement lieu qu'à davantage d'évaluation et de contrôle, sans moyens supplémentaires. La mise en oeuvre de ces outils pourrait pourtant être l'occasion de se pencher enfin sur la correction d'inégalités de dotations historiques, comme le préconise le rapport de nos collègues Garnier et Levi.

En ce qui concerne la vie étudiante, je regrette le choix fait par le Gouvernement de réguler la dépense en matière de bourses par le gel de leur barème, c'est-à-dire par l'inaction. Comme souvent en matière d'enseignement supérieur, la régulation intervient donc en laissant filer plutôt que par une mesure réfléchie et pilotée. Monsieur le ministre, quelles perspectives pouvez-vous nous donner sur ce point ?

Sur la mise en oeuvre de la loi dite Levi du 13 avril 2023 visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré, je constate que le conventionnement doit se poursuivre, avec toutefois une enveloppe en baisse de 3 millions d'euros par rapport à l'année dernière. Comment expliquez-vous ce recul sur un dispositif qui doit continuer à se déployer ?

Au-delà du programme 150, je continue de m'interroger sur le fait que les financements de l'apprentissage bénéficient au développement de formations de piètre qualité, voire frauduleuses. L'examen du projet de loi relatif à la régulation de l'enseignement supérieur privé, que vous avez déposé, ayant été retardé, envisagez-vous de prendre des mesures d'encadrement par voie réglementaire ? S'agissant des cotisations sur les contrats d'apprentissage, au développement massif, êtes-vous en accord avec votre collègue chargé du travail, selon lequel des cotisations salariales et patronales devraient être mises en oeuvre, comme pour tout employé ?

Enfin, les établissements publics expérimentaux (EPE), créés par l'ordonnance du 12 décembre 2018, se retrouveront sans statut législatif à partir de 2028, ce qui suscite l'inquiétude légitime des acteurs engagés dans ces nouvelles formes de gouvernance. Le projet de loi de régulation de l'enseignement supérieur privé comporte une disposition sur ce point ; que prévoyez-vous pour le cas où il ne pourrait pas être adopté prochainement ? Les transformations nécessaires doivent en effet être anticipées par les établissements. Je m'interroge également sur la nécessité de prévoir une inscription du statut d'établissement-composante dans la loi.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Objectivement, une actualisation législative de la LPR n'est pas nécessaire. Il n'y a pas d'outil spécifique dont nous ayons besoin immédiatement. Cela étant, et bien évidemment, cela ne nous dispense aucunement de vous présenter le résultat des travaux de concertation et nos orientations stratégiques.

Comme je vous l'ai dit, notre stratégique de recherche repose à la fois sur un socle de soutien à la recherche fondamentale - il s'agit du moyen de soutenir les bons projets et de bons laboratoires, de manière très pluridisciplinaire, sur l'ensemble des champs - et sur des priorités thématiques, pilotées par les cinq agences de programmes que j'ai mentionnées tout à l'heure. Celles-ci travaillent actuellement sur leur stratégie et sur leurs grandes priorités. Nous pourrions d'ailleurs organiser une présentation de leurs travaux devant votre commission. En regard de cela, des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) vont être mis en oeuvre, autant de briques stratégiques susceptibles d'être présentées à la commission.

J'en viens aux Comp, qui ont, à mon sens, deux objectifs. Le premier est de mettre autour de la table tous les acteurs, les financeurs comme ceux qui sont directement intéressés par l'enseignement supérieur dans un territoire donné, ainsi que l'État, afin de susciter la discussion stratégique sur les priorités. Par exemple, à Angers, monsieur Piednoir, quelles sont les spécificités du bassin d'emploi ? Comment se projeter demain ? De quels métiers l'avenir est-il fait ? De quel type de formation aurons-nous besoin ? En effet, sans réduire l'université à la simple préparation à un métier, c'est aussi cela qu'attendent les familles, les entreprises et les jeunes. Il faut donc débattre de ces sujets, et que l'État participe aux discussions.

J'aimerais expliciter nos priorités au niveau national. Aujourd'hui, nous devons former plus de personnes dans le domaine médical, dans les sciences, les technologies, ainsi que des ingénieurs et des techniciens. Cette question me semble absolument centrale, alors que, actuellement, nous n'avons pas cette discussion territoire par territoire.

En outre, les Comp sont le moyen de répondre à des questions très simples. Par exemple, un jeune Meusien bachelier ne peut suivre que deux formations d'enseignement supérieur dans son département. Cela est, bien évidemment, intolérable. Nous devons évoquer cette question avec l'université, en prenant en compte l'ensemble des formations disponibles dans la région, afin de progresser.

Le second objectif a trait au financement. Il convient de mettre en cohérence, d'une part, les financements des régions, qui, bien qu'elles n'y soient pas obligées, financent très souvent les universités, soit directement, soit au travers des contrats de plan État-région (CPER), et, d'autre part, les fonds et les priorités de l'État. Or ce travail, aujourd'hui, n'est pas complètement fait. Nous ne pouvons éluder le sujet de la SCSP et de difficultés ponctuelles. Malheureusement, les universités sont plus nombreuses à se plaindre de sous-dotations que de surdotations. La question du rééquilibrage est donc complexe.

C'est d'autant plus vrai qu'il n'y a pas de modèle, avec une hétérogénéité considérable des universités, en particulier en matière de recherche. La différence est grande entre des physiciens des hautes énergies, dont les recherches coûtent parfois des dizaines de milliers d'euros par heure, d'un côté, et des gens comme moi, qui font des mathématiques ou de l'informatique, n'ayant besoin que d'un ordinateur portable tous les cinq ans. Se contenter de diviser le budget de l'université par le nombre d'étudiants n'aurait donc aucun sens. Ce serait mentir que d'affirmer que j'ai la solution pour résoudre ce problème dès demain matin. En revanche, tenir compte de ces différences, des sous-dotations et des surdotations est une manière d'ouvrir le dialogue.

Quant à la DGG, certains laboratoires de recherche et les UMR relèvent de plusieurs financeurs, comme l'Inserm, le CNRS ou des universités, chacun d'entre eux participant à la gestion de la structure de recherche selon des règles différentes Ainsi, le directeur de laboratoire se retrouve avec trois ou quatre carnets de chèques d'interlocuteurs qui ne communiquent pas entre eux. Cela nuit à l'efficience de la dépense publique et à la compréhension de ce qui est dépensé. Or cela fait vingt ans que j'entends parler de cette difficulté, tandis que les progrès sont extrêmement faibles.

Beaucoup de choses ont été essayées. On a demandé aux acteurs de s'entendre, mais ils n'y arrivent pas, pour de nombreuses raisons, ce qui empêche de trouver un délégataire unique des crédits. On a demandé des systèmes informatiques qui pouvaient se parler ; cela n'a pas pu se faire, pour mille et une raisons ... Ce que je demande aujourd'hui aux établissements, c'est de désigner un gestionnaire unique du laboratoire de recherche d'ici à 2026, faute de quoi nous le désignerons nous-mêmes. La gestion de crédits n'est pas la valeur ajoutée du CNRS ou d'une université. Vous pouvez donc compter sur mon énergie pour régler ce problème.

J'en arrive à la non-compensation de mesures obligatoires : mesures Guerini, CAS « Pensions », protection sociale complémentaire (PSC). Il est objectif que les enseignants-chercheurs, les chercheurs, les ingénieurs et les techniciens bénéficient de mesures obligatoires nécessaires, mais pas intégralement financées. Pour cette année, cela représente 60 millions d'euros, notamment au titre de la PSC, et ce sera plus en 2026, qui sera une année pleine. À ce stade, je n'ai pas de solution évidente. Toutefois, il convient de relativiser, puisque cette somme équivaut à 0,3 % de la SCSP globale des établissements. Sans que ce soit facile, trouver ce montant n'est donc pas non plus totalement inaccessible.

Ensuite, si beaucoup d'établissements votent un budget initial en prévoyant un déficit, bien peu sont effectivement dans cette situation en fin d'année, en raison souvent de sous-exécutions massives. Ainsi, nous aidons les établissements en difficulté. En revanche, quand certains ne respectent pas certains critères, comme leur trajectoire de ressources humaines, nous nous montrons plus intrusifs. Le rectorat peut alors prendre la main.

Enfin, même si mes collègues universitaires n'aiment pas que je rappelle ce chiffre, le niveau de trésorerie des universités atteint 5,6 milliards d'euros, dont une majorité est certes fléchée sur des projets et des programmes engagés : recherche, jouvence d'équipements, etc. Mais cela laisse tout de même plus de 1 milliard d'euros libres d'emploi, répartis sur 70 établissements, montant qui croît d'année en année.

Il est donc vrai que certains établissements sont en difficulté, qu'ils doivent parfois recruter moins qu'ils ne le voudraient. Il reste que la trésorerie n'est pas toujours employée. En outre, celle-ci a gonflé au travers de nombreux contrats, lesquels ont parfois pâti d'un manque d'ingénierie. Nous devons donc revoir nos modes de contractualisation et créer des dispositifs plus simples. Mais la situation budgétaire des établissements, ce n'est pas Zola, non plus !

Concernant l'ANR, son budget d'intervention a beaucoup progressé grâce à la LPR. Initialement inférieur à 17 %, ce qui était très bas, le taux de succès aux appels à projets est monté à 25 %, soit un projet financé sur quatre, ce qui est raisonnable. Il faut le stabiliser à ce niveau, avec une difficulté toutefois : les autorisations d'engagement (AE) ont été définies en fonction de la trajectoire de la LPR, alors que les crédits de paiement (CP) sont quelque peu en deçà de ce qui était prévu. Ce léger effet ciseau ne devrait cependant pas obérer de manière significative le maintien du taux de succès que nous connaissons aujourd'hui.

Sur la loi Levi, il y a bien une baisse faciale dans le budget, mais, comme vous le savez, il s'agit d'une dépense de guichet. Peut-être son montant a-t-il été surestimé pour la première année. Quoi qu'il en soit, nous ne fermerons pas le guichet.

Vous avez mentionné le projet de loi de régulation de l'enseignement supérieur privé. Il me semble absolument impossible de mettre en oeuvre ses mesures par voie réglementaire, de même que pour la prolongation du statut des établissements publics expérimentaux. Il faut absolument que nous arrivions à adopter ce texte dans des délais raisonnables, compte tenu des difficultés du moment.

Concernant l'apprentissage, il faut être prudent. Nous avons bien constaté des abus, raison pour laquelle nous avons élaboré des régulations avec le ministère du travail. Il faut tout de même rappeler un point essentiel : la plupart des formations en apprentissage, y compris dans le supérieur, sont vertueuses et plébiscitées par les jeunes, par beaucoup d'entreprises, même si les dispositifs ont quelque peu changé, et par les familles. Le système fonctionne. Nous devons donc arriver à maintenir l'effort.

Enfin, les instituts Carnot font actuellement l'objet d'un débat. Je précise qu'ils constituent un mécanisme de financement qui réabonde des laboratoires de recherche travaillant avec l'industrie. Ainsi, un contrat avec un industriel mobilise des forces de recherche. Ce réabondement, d'une certaine manière, récompense le travail accompli de la sorte en permettant de maintenir le financement de la recherche de base. Le principe est donc vertueux : plus vous travaillez avec l'industrie, plus vous avez de moyens pour la recherche fondamentale. Créé il y a une vingtaine d'années, ce dispositif s'est montré assez efficace.

Cependant, il convient de noter que les acteurs qui en bénéficient restent à peu près les mêmes depuis vingt ans. En effet, cela suppose un lien professionnel étroit avec les entreprises, la marche à franchir étant haute. Voilà pourquoi seuls quelques très gros acteurs ont réussi à se faire labelliser et captent les fonds Carnot. En outre, les récentes injections de financement sur les instituts Carnot n'ont eu qu'un faible effet sur l'activité contractuelle.

Il faut donc remettre à plat ce dispositif. Si certains des bénéficiaires actuels, qui pourraient être touchés, protestent fortement contre une ouverture du dispositif - je ne doute pas que vous les avez entendus -, je serai ferme sur cette question importante.

Quant aux Satt, certes, elles ont permis de professionnaliser le métier du transfert de technologies, mais leurs coûts de fonctionnement sont considérables. Alors que j'occupais d'autres fonctions, j'avais dit que tout cela serait très coûteux et je constate, sans grande surprise, que je ne m'étais pas trompé. Ainsi, pas moins de 600 emplois parapublics ont été créés dans les Satt, ce qui est massif, mais seule une partie d'entre eux aident effectivement les entreprises. Cela mériterait un sérieux recentrage sur l'essentiel.

En particulier, alors qu'elles devaient dégager des ressources financières, les Satt en sont venues à gérer des contrats de recherche au profit des universités, ce qui n'a aucune valeur ajoutée, si ce n'est que les gestionnaires en question sont quatre fois mieux payés que leurs homologues dans les universités. Nous travaillons actuellement sur cette question.

Mme Karine Daniel. - Malgré des augmentations, les budgets restent en deçà des besoins et de la trajectoire de la LPR.

Dans nos échanges avec les établissements universitaires, la question du glissement vieillesse technicité (GVT) revient régulièrement. Comme vous l'avez mentionné, il est compensé de manière incomplète pour les organismes de recherche. Quant à la PSC, environ 100 millions d'euros restent à la charge des universités. Enfin, seule la moitié du coût des mesures Guerini est compensée, l'autre devant être prélevée sur le fonds de roulement, d'où un effet de ciseaux pour les universités et les établissements.

Je voudrais également insister sur les montants de fonds de roulement que vous avez mentionnés, dont une partie est le fruit d'appels à projets.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Absolument.

Mme Karine Daniel. - Je réalise actuellement, pour le compte du Comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA), un rapport sur l'utilisation de ces fonds par les établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Dans ce cadre, nous constatons, et les établissements le confirment, que ces fonds sont fléchés. Ainsi, les universités qui se mobilisent le plus sur les appels à projets ont l'impression de subir une double peine, puisque, lorsqu'elles obtiennent des appels à projets fructueux et des crédits importants, leur trésorerie les place en première ligne face aux baisses de crédits de fonctionnement.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Cela n'a jamais été le cas à ce stade.

Mme Karine Daniel. - Certes, cela n'a jamais été le cas, mais c'est la crainte qui prévaut, au vu des discussions en cours. En effet, ce sont parfois les universités les plus dynamiques, ou qui ont mobilisé des moyens pour répondre à ces appels à projets, qui se retrouvent en porte-à-faux et inquiètes quant aux frais de fonctionnement. Au-delà, 58 de nos 70 universités déclarent des budgets en déficit. La tendance est tout de même inquiétante et nous recevons de nombreuses alertes sur ce sujet.

J'aborde un dernier sujet, qui nous tient tous à coeur, comme l'a souligné Stéphane Piednoir : la vie étudiante. L'alignement des bourses, sachant que notre démographie reste croissante, nous préoccupe, de même que les enjeux de la précarité étudiante.

Mme Laurence Garnier. - M. Levi et moi-même avons présenté les conclusions de la mission d'information sur les relations stratégiques entre l'État et les universités.

Je souhaiterais évoquer un premier point important : le manque de confiance des acteurs, en général, dans l'université française - étudiants, familles, acteurs économiques, entreprises et haute administration de l'État, qui, pour une grande partie, n'a pas fréquenté l'université française. Ce manque de confiance confine parfois à la défiance, et vient nuire à l'image et au travail de nos universités.

Les frais d'inscription et l'orientation des étudiants lors de l'entrée à l'université doivent être évoqués. Nous pouvons envisager ces deux questions d'un point de vue budgétaire ou du point de vue de la transmission des savoirs et de la formation.

Il faut former le mieux possible nos étudiants au coût le plus juste pour nos finances publiques, qui n'est pas le coût le plus bas. Nos étudiants paient 178 euros par an en licence, pour un coût réel de formation de 12 250 euros. Notre impôt paie la différence. Plusieurs présidents d'université nous ont parlé d'un signal négatif envoyé aux familles françaises : la quasi-gratuité renvoie une image de mauvaise qualité de la formation, selon eux. Quelle est votre analyse, monsieur le ministre ?

Concernant l'orientation des étudiants, je rappelle que seuls 36 % des étudiants obtiennent leur licence en trois ans, 47 % en quatre ans, et 50 % en cinq ans. Ainsi, 50 % des étudiants n'obtiennent pas leur licence, même après cinq ans. Cela coûte 550 millions d'euros par cohorte, selon la Cour des comptes. S'ajoutent le coût humain, les désillusions. Notre université est sélective, et elle sélectionne a posteriori et par l'échec. Cet échec pèse sur le fonctionnement des universités, sur la qualité de la formation et sur nos finances publiques. Qu'en pensez-vous ?

Vous nous indiquer que la trésorerie des établissements est de 5,6 milliards d'euros, dont 1 milliard d'euros libre de tout fléchage. Or Bercy et la Cour des comptes nous ont dit qu'il est impossible de connaître le montant de la trésorerie libre d'emploi. D'où vient ce chiffre, et comment est-il construit ?

M. Pierre Ouzoulias. - « La recherche n'est pas une dépense, c'est un investissement. Elle conditionne notre indépendance et notre capacité de progrès. » Tels sont les mots de Raymond Barre lors du débat budgétaire de 1976 sur la recherche. Il ajoutait : « La recherche publique doit être préservée même en période de rigueur économique. » Vous aurez tout entendu, y compris un communiste citer Raymond Barre !

Il nous faut un exercice de vérité. Nous devons, devant la représentation nationale, admettre que la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, dite LPR, n'a pas été respectée. Cela remet en cause l'exercice même des lois de programmation. Plusieurs lois de programmation sont en cours, et la LPR est la seule qui n'est pas respectée. La France a un problème avec son université et avec sa recherche. La France n'aime pas ses universités. Si les élites qui nous gouvernent étaient davantage passées par les universités, les choses seraient différentes. La clause de revoyure de la LPR doit faire l'objet d'un débat public.

Vous dites qu'il faut retrouver un équilibre entre les crédits récurrents et les appels d'offres. Les crédits récurrents viennent défendre le champ disciplinaire. Les appels d'offres sont en train de casser une réflexion disciplinaire qui reste fondamentale. Les disciplines rares sont particulièrement en difficulté. Or nous ne pouvons pas demander aux universités de mener des politiques qui ne concernent que quelques étudiants. Une politique nationale doit assurer que dans chaque domaine la France dispose d'au moins quelques chercheurs. N'abandonnons pas le caractère universaliste de la recherche française !

Je vous mets en garde contre la DGG. Les tutelles qui gèrent les UMR ne peuvent plus faire face à la charge administrative que représentent les appels à projets. Si vous imposez une seule tutelle, cela signifie que toute la charge lui reviendra. Il nous faudrait renforcer les moyens de l'ingénierie gestionnaire si nous voulions persévérer dans cette politique d'appels à projets.

M. Pierre-Antoine Levi. - La loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré impose un bilan annuel. Les décrets d'application ont été publiés en juillet 2024. L'aide bénéficie aux 100 000 étudiants situés en zone blanche, avec des montants différenciés - 40 euros par mois pour les boursiers, 20 euros pour les autres, avec une majoration de 10 euros pour les étudiants ultramarins.

Pouvez-vous dresser un bilan ? Combien d'établissements ont été identifiés, combien de conventions de partenariat ont été nouées par les Crous (centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires) ? Dans quelles villes l'offre est-elle accessible ? Quels sont les progrès en matière de résorption des inégalités territoriales ? Quand le bilan sera-t-il transmis au Parlement ?

La loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur était très attendue. Les universités doivent monter une mission « égalité et diversité », avec les moyens adéquats, et nommer en son sein un référent pour prévenir les actes d'antisémitisme, avec des obligations de formation et de signalement, ainsi que de nouvelles procédures en matière disciplinaire. Les événements récemment survenus à Paris 8 montrent qu'il est urgent de rendre cette loi opérationnelle.

Vous avez dit que flécher directement les moyens irait à l'encontre de l'autonomie des établissements et que les universités bénéficieraient d'une enveloppe globale pour faire leurs choix. Étant donné le contexte budgétaire, ne craignez-vous pas que les universités ne consacrent pas les moyens nécessaires à ces missions obligatoires ?

Quel est le coût moyen de la mise en conformité pour les établissements ? Si les moyens manquent, le Gouvernement envisage-t-il de créer une enveloppe spécifique ? Comment allez-vous vérifier que les établissements répondent à leurs obligations légales ?

Entre le vote d'une loi et son effectivité, il y a souvent un gouffre. Cette loi ne peut rester lettre morte.

Mme Mathilde Ollivier. - Formation, recherche, vie étudiante : les crédits qui sont au coeur de la vie universitaire stagnent, voire reculent en euros constants.

Je veux m'intéresser au programme de lutte contre la précarité étudiante et à la non-indexation des bourses sur critères sociaux. Que de reculs ! Les files de distribution alimentaire ne se sont pas résorbées. Des étudiants ne mangent pas à leur faim. La réforme des bourses semble ne plus être à l'ordre du jour. Comment comptez-vous avancer sur la précarité étudiante ?

Vous avez évoqué l'objectif de 17,5 % de financements européens à travers le programme Horizon Europe. Quelle est la stratégie du ministère pour aider les établissements à aller chercher les fonds européens, notamment les plus petites universités ?

La mise en oeuvre de l'accord de protection sociale complémentaire (PSC) est décalée de sept mois. Comment l'expliquez-vous ?

Une enquête de Libération s'intéresse aux contrats de mécénat entre les entreprises et les universités. Certains contrats bâillonnent des universités : il leur devient alors interdit de dénigrer les entreprises en question. Comment accompagner les universités pour que ces contrats n'empiètent pas sur leur liberté académique ?

M. Max Brisson. - Les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (Eespig) sont exclus, sans réelle justification, de nombreux dispositifs de soutien à la recherche, alors même qu'ils participent activement à la dynamique de recherche et d'innovation française.

La France cherche à renforcer son attractivité scientifique et à encourager la recherche partenariale. N'est-il pas indispensable de garantir un accès équitable aux dispositifs publics pour l'ensemble des acteurs reconnus par l'État, y compris les Eespig ? Leur contribution, notamment en matière de recherche appliquée et technologique, pourrait constituer un levier stratégique pour atteindre nos objectifs de souveraineté scientifique et industrielle.

Je reviens sur la sécurité des professeurs et des étudiants dans nos campus. Beaucoup a été fait, mais nous voyons les actes antisémites et l'apologie du terrorisme proliférer - je vous rappelle l'épisode dramatique de Paris 8.

Au-delà de vos réactions face à ce type d'actes odieux, quelles mesures envisagez-vous pour lutter plus efficacement contre le fléau de l'antisémitisme ? Comment comptez-vous, le plus rapidement possible, mettre en oeuvre l'excellente loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur de MM. Fialaire et Levi ?

M. Bernard Fialaire. - La diminution de la subvention pour charge de service public (SCSP) par étudiant est perçue comme particulièrement inéquitable. Le ministère devrait être capable de nous donner des éléments objectifs ; cela rassurerait.

Atteindre les 3 % de PIB consacrés à la recherche semble une gageure. Le président du Medef m'a alerté sur notre retard. Aux États-Unis, les entreprises consacrent deux fois plus d'argent à la recherche et accordent deux fois moins de dividendes. Comment inciter le secteur privé français à participer davantage au financement de la recherche ?

Les étudiants ont besoin d'une meilleure information. Ils ne savent pas ce qu'est la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Des informations pourraient être données sur son utilisation en début d'année.

On nous a souvent parlé du tutorat : que prévoyez-vous en la matière ? Je ne pense pas qu'aux études de médecine, mais à toutes les disciplines, pour que les étudiants réussissent mieux leur licence.

Mme Paulette Matray. - Je m'adresse à vous comme sénatrice de Saône-et-Loire, mais aussi comme ancienne assistante sociale et ancienne maire de Marigny, petit village de 167 habitants. Je souhaite alerter le Gouvernement sur les conséquences concrètes de la fracture territoriale, qui compromet gravement l'égalité entre tous les jeunes face à l'avenir.

Dans nos territoires ruraux, j'ai vu des jeunes pleins de volonté se heurter à des obstacles que d'autres ignorent : la distance, le coût, l'isolement. Pour beaucoup, l'ambition d'intégrer une filière sélective à Lyon, Dijon ou Paris s'éteint face à la réalité des kilomètres et à la difficulté de partir loin de chez soi. Quand 70 % des formations postbac se concentrent dans les métropoles, les études deviennent un parcours du combattant et aboutissent trop souvent à un renoncement.

En Saône-et-Loire, cette inégalité se traduit par des chiffres alarmants. Seuls 4 % des élèves de troisième en 2005-2006 ont accédé à une grande école dans les neuf ans suivants, et presque 0 % aux établissements les plus sélectifs. Ce constat local illustre une tendance nationale, documentée par l'Institut des politiques publiques et l'Institut Terram. Malgré l'augmentation des effectifs entre 2006 et 2016, le recrutement dans les grandes écoles demeure concentré socialement et géographiquement.

Si le PLF pour 2026 prévoit des moyens pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'espace, le programme « Vie étudiante », la CVEC ou encore le renforcement des dotations rurales via le fonds d'investissement pour les territoires (FIT), aucune mesure spécifique ne corrige aujourd'hui le déséquilibre structurel de l'offre de formation d'excellence.

Monsieur le ministre, vous avez parlé de dialogue et de la nécessité d'être au plus près des territoires. Pourrions-nous aller plus loin et parler de décentralisation, afin qu'il existe une véritable répartition territoriale de l'offre de formation et d'excellence ? L'enjeu dépasse la seule question sociale : il s'agit de cohésion républicaine et d'égalité face à l'avenir.

Quelle action le Gouvernement entend-il engager pour bâtir une réelle démocratisation territoriale de l'enseignement supérieur, y compris dans ses filières d'excellence, afin que l'ambition ne dépende pas du code postal ?

M. Adel Ziane. - Concernant les événements graves de Paris 8, je voulais faire une précision complémentaire, à la suite de la question au Gouvernement de M. Levi. Le sujet doit être pris très au sérieux. J'ai été très vite en contact avec le président de l'université. Il a très vite saisi le procureur de la République et il a diligenté une enquête administrative.

Concernant le budget, un an après le PLF pour 2025, rien n'a changé : 80 % des universités ont présenté un budget initial en déficit. Cela en dit beaucoup sur le malaise ambiant.

À Paris 8, malgré un plan de rétablissement de l'équilibre financier, l'université a connu deux exercices déficitaires consécutifs. Le résultat prévisionnel de 2025 reste négatif, à hauteur de 5,6 millions d'euros, ce malgré un prélèvement continu. Le fonds de roulement est passé de 28 millions d'euros en 2021 à 3,8 millions d'euros en 2025. Nous devons savoir ce que représente le milliard d'euros de trésorerie non fléchée. Paris 8 souffre aussi d'une sous-dotation chronique : la dotation par étudiant est inférieure de 15 % par rapport à la moyenne nationale. Comment expliquer une telle disparité entre établissements ? Il faudrait plus de transparence.

Nous avions tenu l'année dernière une table ronde sur l'accueil des étudiants étrangers. Il y va du rayonnement et de l'attractivité de la France. La suppression des aides personnalisées au logement (APL) pour les étudiants étrangers extracommunautaires pourrait être très problématique.

France Universités, le 15 octobre dernier, a publié un rapport intitulé « Défendre et promouvoir la liberté académique ». Que pensez-vous des 65 recommandations du rapport ?

Je souhaiterais aussi vous parler prochainement de ma proposition de loi visant à garantir la liberté académique des chercheurs et des enseignants-chercheurs, l'indépendance des travaux de recherche et la transparence des fonds privés affectés à l'enseignement supérieur et à la recherche.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Les chiffres de la réussite des étudiants peuvent sembler inquiétants. Je voudrais cependant faire deux remarques.

Les redoublements sont nombreux, mais 200 000 dossiers sur un million de dossiers Parcoursup concernent des réorientations. Jamais les taux n'ont été aussi élevés. Les jeunes changent de voie en cours d'étude. C'est un phénomène global nouveau ; nous devons essayer de valoriser cette dynamique.

Le taux d'échec est inquiétant. Cependant, nous confions aux universités une mission impossible ! Le taux de réussite au baccalauréat est de 96 %, contre peut-être 75 % il y a quinze ans : nous avons ouvert les vannes ! L'université accueille des étudiants pour lesquels on a trouvé une place au chausse-pied. Je rappelle que 25 % des bacheliers professionnels ne savent pas lire un texte simple. Comment dire ensuite aux universités que leurs résultats ne sont pas bons ? Si nous tirons le fil, cela pose plein de questions. Pour certains bacheliers professionnels, il faudrait une année de propédeutique, alors que le taux de succès des bacheliers professionnels en licence est inférieur à 8 %. Le taux de réussite des mentions « très bien » est d'environ 80 %. La question de l'orientation est mal traitée au lycée. Il faudra traiter ce sujet de fond.

Concernant les frais d'inscription, il existe un grand nombre de diplômes à côté du système LMD (licence-master-doctorat). Pour ces diplômes, les frais d'inscription sont librement fixés. Il me semble que les conditions politiques pour ouvrir le débat sur les frais d'inscription en LMD ne sont pas réunies. Je suis profondément convaincu que, pour la prochaine élection présidentielle, il faudra un débat de fond.

Concernant l'accueil des étudiants non communautaires, ces derniers ne bénéficient pas des APL ; très peu ont accès au système des bourses, par manque d'années de résidence en France. Ces étudiants doivent présenter des ressources qui leur permettent de vivre en France. Je suis profondément convaincu que nous devons continuer à accueillir massivement des étudiants internationaux. Des filières entières, notamment techniques et scientifiques, dans les laboratoires de recherche, sont désertées par les Français : 50 % des doctorants y sont non communautaires. Sans étudiants étrangers, comment allons-nous faire de la recherche et réindustrialiser le pays ?

Le système ne fonctionne pas bien. Nous n'arrivons pas à prioriser les étudiants ni les pays d'accueil. Le système des bourses n'est pas efficace. Les droits différenciés sont mal appliqués. Il existe des irritants pour la droite comme la gauche, mais il faudra revoir la politique d'accueil des étudiants internationaux.

Les bourses de l'enseignement supérieur sont le seul dispositif d'aide sociale qui n'est pas indexé. Il n'y a pas de revalorisation cette année, cela est vrai. Cela fait 35 millions d'euros de moins dans le budget, car l'effet de seuil fera sortir des étudiants du système des bourses. Il va falloir revoir les choses. Les seuils créent des problèmes, il faut linéariser par le haut - linéariser par le bas est impossible, tous les étudiants descendraient dans la rue. Revoir le système coûte 400 millions d'euros. Je n'ai pas cet argent, je le regrette, mais, un jour, nous devrons réformer.

J'en viens au bilan de la loi Levi : 65 000 étudiants bénéficient des nouveaux dispositifs d'aide à la restauration, avec 211 conventions d'agrément signées à la fin de 2024. Nous sommes en deçà de l'objectif de 100 000 étudiants aidés, et il faudra faire mieux.

L'enveloppe budgétaire pour les Eespig est aussi contrainte. Malheureusement, je ne peux pas actionner la planche à billets pour accueillir de nouveaux établissements sous ce statut. Il faudrait que tous ces établissements puissent bénéficier des dispositifs d'enseignement supérieur et de recherche et répondre aux appels d'offres correspondants ; c'est ce qui est prévu dans le texte actuellement en discussion à l'Assemblée nationale.

La fracture territoriale est un enjeu majeur. Quand on naît dans le 7e arrondissement de Paris ou dans la Meuse, les chances sont radicalement différentes.

Cependant, je suis tiraillé entre deux positions. En matière de recherche, nous devons concentrer les laboratoires, pour dégager une masse critique et partager les grands équipements. Cela plaide pour des regroupements dans les grandes métropoles. Toutefois, se pose aussi l'exigence d'égalité d'accès aux études. Je vois là une forme de tension permanente. Ouvrir des antennes coûte très cher. Les collectivités s'impliquent et offrent le gîte et le couvert, mais il faut rémunérer les enseignants-chercheurs. Nous avons créé des campus connectés, qui fonctionnent si le nombre d'étudiants est assez important au sein d'un même campus. Continuons à travailler sur la question, via des contrats d'objectifs et de performance.

Le milliard d'euros de trésorerie libre d'emploi est un chiffre issu de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip). Les situations sont très hétérogènes. Personne ne pense à des ponctions sur les trésoreries fléchées, cela n'aurait pas de sens. Sur la trésorerie libre d'emploi, la question se pose.

Entre disciplines, entre établissements, les situations sont très différentes. Que faire avec les universités qui accueillent peu d'étudiants et font une très bonne recherche, comme Sorbonne Université ? Que faire avec celles qui ont beaucoup d'étudiants, mais une recherche moins bien placée au niveau international ? Je n'ai pas de modèle : il faut tout regarder au cas par cas, et je suis hostile à tout modèle général.

Je n'ai pas de solution de financement pour la protection sociale complémentaire dans ce budget. Concernant le décalage de la mise en oeuvre, le seul engagement de l'État était qu'elle soit mise en place en 2026 : or l'année 2026 finit en décembre. Cette mise en oeuvre sera effective, mais peut-être avec l'argent des opérateurs. Je pense que les choses seront lancées dans les établissements en mai.

J'ai lu le rapport de France Universités sur la liberté académique. Partout dans le monde, notamment aux États-Unis, les libertés académiques sont attaquées. Cela doit nous amener à réfléchir sur ce qui se passerait dans notre pays si certaines majorités moins ouvertes à la polyphonie académique arrivaient au pouvoir. Un projet de modification de la Constitution propose d'y inscrire ces libertés académiques. Le chemin ne sera cependant pas simple. Ne pourrait-on pas l'inscrire dans la loi ?

Le mécénat est une bonne chose. Nous devons trouver des partenariats public-privé, mais certainement pas au prix de bâillons. Le ministère est prêt à donner un cadre.

Sur la lutte contre l'antisémitisme, je ne souhaite pas trop corseter l'utilisation des moyens des universités. Nous devons laisser une grande autonomie aux établissements. L'obligation est d'ordre législatif, et nous ferons un suivi et un bilan, via les recteurs.

Dans certaines disciplines rares, les chercheurs se comptent sur les doigts d'une main. Le CNRS, la Dgesip et la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) travaillent sur la question. Le point de vigilance est bien identifié.

Concernant Horizon Europe, les derniers résultats du European Research Council (ERC) ne sont pas bons. Précédemment, nous avions peu de dépôts, mais un bon taux de succès. Mes prédécesseurs ont donc fortement incité les établissements à déposer des dossiers, ce qu'ils ont fait, mais les taux de succès se sont effondrés. Les organismes de recherche s'en sortent bien, mais les universités sont à la traîne. Elles doivent se mobiliser. Nous travaillons en menant des stratégies d'influence auprès de la Commission européenne, et nous nous intéressons à l'utilisation des fonds de la Commission pour financer les structures de recherche.

M. Laurent Lafon, président. - Merci, monsieur le ministre, pour la précision de vos explications et la franchise de vos propos très appréciée de notre commission.


* 1 « Mise en oeuvre de la loi de programmation de la recherche : un début globalement satisfaisant mais des correctifs nécessaires lors de la revoyure 2023 », rapport d'information n° 766 (2021-2022), Laure Darcos et Stéphane Piednoir au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 6 juillet 2022.

* 2 En complément du financement des projets de recherche, l'ANR verse un préciput, c'est-à-dire un abondement financier, aux établissements gestionnaires et hébergeurs des projets sélectionnés. 

* 3 Le lancement d'un appel à projets se matérialise par un engagement financier pluriannuel en AE. Au fur et à mesure de l'avancement du projet, l'ANR va décaisser des CP qui permettront aux laboratoires de payer leurs dépenses. Concrètement, un appel à projets types se compose, en année 1, d'un engagement complet en AE du montant de l'appel par l'ANR et d'une avance en CP pour le laboratoire ; à mi-parcours, d'un versement complémentaire en CP ; en fin de projet, du versement du reliquat en CP.

* 4 Les opérateurs de recherche du programme 172 se répartissent en deux groupes : les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) (Cnrs, Ined, Inrae, Inria, Inserm, IRD) et les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) (CEA, Ifremer, Cirad, BRGM).

* 5 Dialogue intertutelles, indicateurs, harmonisation du fonctionnement des unités mixtes de recherche (UMR), bonnes pratiques financières, protection du potentiel scientifique et technique, prévention, cumuls, gestion des missions, appels à projets, évaluation, identifiants uniques.

* 6 La DGG consiste à transférer à l'un des établissements tutelle (université ou organismes de recherche) d'une UMR la responsabilité de la gestion de cette unité (accueil, hébergement, gestion des contrats de recherche, gestion administrative et financière...).

* 7 Les établissements d'accueil doivent financer au moins 50 % du coût de l'accueil du candidat et sont encouragés à mobiliser à leurs côtés les collectivités territoriales ou des acteurs privés.

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