II. UN EFFORT INDÉNIABLE EN FAVEUR DES FORCES DE SÉCURITÉ, QUI NE PERMETTRA CEPENDANT PAS DE FINANCER L'INTÉGRALITÉ DE LEURS BESOINS
A. UNE DÉGRADATION CONSTANTE DU CONTEXTE SÉCURITAIRE QUI JUSTIFIE UNE SANCTUARISATION DES BUDGETS
La préservation du budget de la police et de la gendarmerie nationales est une absolue nécessité dans le contexte sécuritaire actuel. Celui-ci se dégrade de manière importante et continue sur la période récente, avec une augmentation inquiétante du niveau de violence observé au sein de la société.
Le DGPN et le DGGN ont confirmé cette dégradation au cours de leurs auditions respectives. Le total des crimes et délits enregistrés par les services de police a ainsi augmenté de 5,2 % entre 2010 et 2024, tandis que « pour la criminalité organisée, les réseaux de malfaiteurs se sont professionnalisés et complexifiés ». Les atteintes aux personnes sont en très forte progression depuis 2010 (+ 45,4 %), principalement en raison des violences intrafamiliales portées à la connaissance des services de police. De manière générale, l'ensemble des acteurs auditionnés par le rapporteur ont confirmé cette progression importante du nombre d'infractions et de leur niveau de violence. Ils ont également souligné leurs grandes difficultés à y faire face avec leurs moyens actuels.
Cette évolution prend une dimension particulière dans le domaine du trafic de stupéfiants. Le Sénat a mis au jour l'emprise inquiétante du narcotrafic sur l'ensemble du territoire national. Si la proposition de loi sénatoriale visant à sortir la France du piège du narcotrafic a permis de doter les forces de sécurité d'outils juridiques à même de lutter contre ce fléau, elle nécessite d'être accompagnée de moyens conséquents pour être pleinement efficace3(*).
B. UNE REPRISE DES RECRUTEMENTS EN 2026 QUI NE PERMETTRA QU'UN RATTRAPAGE PARTIEL DU RETARD PRIS SUR LA LOPMI
1. Pour la gendarmerie nationale, une cible de recrutements sans doute hors de portée
Le projet de budget pour 2026 prévoit un schéma d'emploi positif avec la création de 400 emplois. Selon la DGGN, ces 400 équivalents temps pleins (ETP) seront dédiés à la création de 58 nouvelles brigades dans le cadre du plan des « 239 brigades ». Celles-ci seront intégralement armées de sous-officiers de gendarmerie.
Si ces créations de poste sont conformes à l'objectif fixé par la LOPMI pour l'année 2026, elles ne permettront pas de résorber le retard enregistré l'année précédente. Le schéma d'emploi pour 2025 ne prévoyait aucune création de poste, en dépit d'une cible LOPMI fixée à + 500 ETP. L'objectif final de 3 450 ETP à horizon 2027 n'aura ainsi été rempli qu'aux deux tiers en fin d'année (2 395 créations de poste). Celui-ci semble durablement mis en cause, sauf à ce qu'un rattrapage massif soit effectué sur la dernière année de programmation (pour laquelle 1 145 ETP supplémentaires seraient nécessaires). L'effort de recrutement effectif à fournir en 2027 serait en effet deux fois supérieur à la prévision LOPMI.
Trajectoire des créations d'emploi dans la gendarmerie nationale prévue par la LOPMI
Source : Commission des lois, d'après les données du ministère de l'intérieur
Ces éléments auront une incidence directe sur l'exécution de plan des « 239 brigades », dont plus de 40 % devront être financées sur la seule année 2027. Pour rappel, les 80 premières ont été créées en 2024 avant une année blanche en 2025, tandis que le budget 2026 ne devrait permettre d'en financer que 58 (27 brigades fixes et 31 brigades mobiles).
Le rapporteur ne peut donc malheureusement que constater que, dans le cas de la gendarmerie nationale, l'avertissement formulé l'année précédente n'a pas été suivi d'effets. Le décrochage avec la cible finale de recrutements fixée par la LOPMI se confirme en 2026 et, alors que le ministre évoquait déjà en 2024 la perspective d'un rattrapage comme un « véritable combat », celui-ci apparaît de plus en plus mal engagé. En l'absence d'inflexion, cet objectif sera à n'en pas douter rapidement et définitivement hors d'atteinte. Dans ce contexte, le rapporteur appelle à procéder aux ajustements nécessaires pour se donner les moyens de parvenir aux 3 540 créations de poste en 2027.
2. Pour la police nationale, une trajectoire globalement respectée, mais qui ne prend que trop peu en compte les nouveaux besoins
La police nationale a également subi un schéma d'emploi nul en 2025, en contradiction avec les 356 ETP originellement prévus par la LOPMI. Ceci n'a pas été sans conséquence, la DGPN ayant confirmé avoir été de ce fait mise en difficulté pour répondre aux objectifs supplémentaires qui lui avaient été assignés en matière notamment de lutte contre l'immigration irrégulière (entrée en vigueur du système « EES » d'entrée-sortie Schengen, poursuite du plan « CRA 3000 » etc.) et contre la criminalité organisée, ainsi que pour la mise en oeuvre des plans d'actions départementaux de restauration de la sécurité du quotidien.
Le budget 2026 permet un rattrapage significatif de cette année blanche, avec la création de 1 000 ETP supplémentaires. Sous réserve de son exécution, cet indéniable effort permettra de se placer légèrement au-dessus de la cible LOPMI (+ 4 041 ETP contre + 3 872 en trajectoire LOPMI 2023-2027).
Ces nouveaux postes viendront selon la DGPN renforcer les effectifs de la police aux frontières, afin notamment d'accroître la capacité des CRA (+ 300 ETP), ainsi que ceux de la filière investigation, afin notamment d'augmenter les capacités de traitement des stocks de procédures (+ 700 ETP). S'ils ne seront pas nécessairement suffisants, ces renforts seront bienvenus au sein d'une filière investigation notoirement en souffrance, comme l'ont montré les deux rapports de Nadine Bellurot et Jérôme Durain sur le sujet4(*). Ceux-ci ont en effet dressé le constat d'une crise profonde de la police judiciaire, que la dernière réforme de l'organisation de la police nationale n'a pas permis d'endiguer.
Si le retour à la trajectoire LOPMI en matière de recrutement constitue en soi un élément de satisfaction, il n'en appelle pas moins deux réserves. D'une part, il est regrettable que ces efforts de rattrapage bénéficient exclusivement à la police nationale, au détriment d'une gendarmerie nationale dont l'année blanche en 2025 est « confirmée ». D'autre part, il convient de rappeler que la LOPMI ne tient pas compte des objectifs supplémentaires assignés ces deux dernières années aux forces de sécurité. Quand bien même le schéma d'emploi serait intégralement exécuté, il est donc peu plausible qu'il permette de couvrir l'ensemble des besoins opérationnels.
* 3 Rapport n° 588 (2023-2024) du 7 mai 2024 fait au nom de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et sur les moyens pour y remédier.
* 4 Sénat, rapports d'information n° 384 (2022-2023) et n° 816 (2024-2025) de Nadine Bellurot et Jérôme Durain sur l'organisation de la police judiciaire dans la police nationale, 1er mars 2023 et 2 juillet 2025.
