C. DES DÉPENSES DE PERSONNEL DONT LE DYNAMISME CONTINUE À « CANNIBALISER » LA MISSION, AU DÉTRIMENT D'AUTRES POSTES
Si les cibles de crédit fixées par la LOPMI sont formellement respectées, son objectif de rééquilibrage des dépenses de la mission « Sécurités » au profit de l'investissement et de l'équipement n'a en revanche pas été atteint.
L'exemple de la police nationale est à cet égard parlant. Si les crédits supplémentaires ouverts par la LOPMI devaient initialement se concentrer aux deux tiers sur les dépenses hors-titre 2, ce ratio s'est progressivement inversé pour répondre à la multiplication des mesures salariales. Peuvent notamment être cités l'augmentation de 3,5 % du point d'indice en 2022 et le protocole du 2 mars 2022 sur la modernisation des ressources humaines, ce dernier comptant encore en 2026 pour 36,6 millions d'euros dans le budget de la police nationale. Dans le détail, le titre 2 compte en 2026 pour 65 % des crédits LOPMI (722,8 millions d'euros, contre 391,6 millions pour les crédits hors titre 2), alors même que celle-ci établissait initialement une prévision à 33 % (371,1 millions d'euros pour le titre 2, contre 743,3 millions d'euros pour les crédits hors titre 2).
Le Sénat alerte de longue date sur le fait que l'accent mis sur le renforcement des effectifs se fait pour partie au détriment de l'amélioration de l'équipement et des conditions de travail des policiers et des gendarmes. Ainsi, la part des dépenses de personnel sur le budget total demeure stable en 2026, à hauteur de 87 % pour le programme 176 et de 82 % pour le programme 152. Ces niveaux sont en contradiction avec l'objectif fixé par la LOPMI. Dans ce contexte, le rapporteur estime indispensable de renouer au plus vite avec une trajectoire de réduction de ce ratio, sans quoi il sera porté atteinte à terme à la capacité opérationnelle des forces de sécurité.
Comparaison de la décomposition initiale de l'enveloppe LOPMI pour le programme 176 « Police nationale » (à gauche) et de sa mise en oeuvre effective (à droite)
(En millions d'euros CP)
Source : Commission des lois, d'après les données de la DGPN
D. LE RENOUVELLEMENT DES MOYENS MOBILES DES FORCES DE SÉCURITÉ : UN RETARD PRÉOCCUPANT
Cet effet d'éviction se manifeste notamment vis-à-vis des dépenses affectées au renouvellement du parc automobile des deux forces et, de manière plus préoccupante encore, de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale.
S'agissant des moyens automobiles, les lignes budgétaires ouvertes seront à nouveau insuffisantes pour atteindre les seuils de renouvellement des parcs :
- s'agissant de la police nationale, 2 500 acquisitions annuelles de véhicules sont nécessaires pour assurer ce renouvellement, soit un coût annuel de 100 millions d'euros en AE et de 80 millions d'euros en CP. Si les montants prévus au budget 2026 sont légèrement supérieurs à cette cible (116 millions d'euros en AE et 103 millions d'euros en CP, permettant théoriquement l'acquisition de 2 900 véhicules), cet effort ne permettra pas de compenser le retard accumulé sur les deux exercices précédents. Les acquisitions de véhicules neufs ont en effet été moitié moins importantes que la cible de renouvellement en 2024 comme en 2025 (voir graphique infra) ;
- s'agissant de la gendarmerie nationale, le besoin de renouvellement annuel estimé pour le seul maintien du parc est de 3 750 véhicules. Si ce seuil avait été atteint entre 2020 et 2022, cette dynamique s'est ensuite brutalement interrompue avec deux années quasi- blanches en 2023 et 2024 (respectivement 428 et 543 véhicules acquis), et une exécution qui sera une nouvelle fois inférieure au seuil de renouvellement en 2025 (2 000 véhicules acquis). L'investissement dans le parc automobile connaîtra un nouveau coup d'arrêt en 2026. Le « sacrifice » de cette enveloppe pourtant cruciale est la conséquence directe des choix budgétaires opérés en défaveur de la gendarmerie nationale, qui contraignent la DGGN à prioriser certains postes de dépense (préservation de l'activité des forces et investissement immobilier). La DGGN a ainsi confirmé qu'il n'avait pas été possible de conserver en 2026 le même niveau de dotation qu'en 2025 pour l'investissement dans les moyens mobiles et que les enveloppes afférentes avaient dû être revues à la baisse (- 63 millions d'euros en AE et - 39 millions d'euros en CP). Les crédits ouverts ne pourront permettre l'acquisition que de 105 véhicules de maintien de l'ordre et de 600 à 700 véhicules classiques.
Le rapporteur est particulièrement préoccupé par cette accumulation de retards dans le renouvellement des moyens mobiles. Il est regrettable que la police et la gendarmerie n'aient d'autre choix que de sacrifier des postes de dépense aussi essentiels sur l'autel d'autres priorités. Faute d'investissements importants, cette accélération du vieillissement du parc pourrait dégrader de manière durable leurs capacités opérationnelles. Le rapporteur sera par conséquent vigilant à ce que l'engagement pris par le ministre de l'intérieur devant la commission de procéder à des commandes supplémentaires en gestion soit tenu.
Comparaison entre les acquisitions annuelles de véhicules de la police et de la gendarmerie nationale et le seuil de renouvellement du parc
Source : Commission des lois, à partir des données de la DGPN et de la DGPN
La situation est même particulièrement critique pour le renouvellement de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale. Sur ses 56 aéronefs, 26 sont en effet des AS 350 « Écureuils » dont l'âge moyen approche les 40 ans. Ceux-ci sont confrontés à des indisponibilités chroniques et huit d'entre eux ont déjà dus être retirés du service prématurément. Le retrait des 18 restants interviendra entre 2028 et 2030. Si les crédits exceptionnels ouverts au titre du plan de relance ont permis d'amorcer le remplacement de ces appareils, la DGGN a confirmé que le budget 2026 ne permettrait pas de financer le reste de l'effort nécessaire - à savoir une tranche complémentaire estimée à 355 millions d'euros. Le rapporteur considère qu'il y a urgence à agir en la matière car, en l'absence de décision d'ici le début 2027, la gendarmerie nationale pourrait subir une rupture capacitaire abrupte, avec des conséquences opérationnelles particulièrement dommageables en outre-mer.
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Le rapporteur n'a pas caché sa préoccupation vis-à-vis du budget proposé en 2026 pour la mission « Sécurités » qui, certes, respecte formellement la trajectoire définie par la LOPMI mais qui, en pratique, sera loin de couvrir l'intégralité des besoins des forces de sécurité. Dans un contexte budgétaire extrêmement difficile, ce budget a au moins le mérite de sauvegarder l'essentiel. En conséquence, le rapporteur a proposé de ne pas s'opposer à l'adoption des crédits.
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La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors programme « Sécurité civile », inscrits au projet de loi de finances pour 2026.


