EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du rapport pour avis sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
M. David Margueritte, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Le périmètre de la mission « Immigration, asile et intégration » recouvre la gestion des flux migratoires, l'accueil et l'examen des demandeurs d'asile, et l'intégration des personnes immigrées en situation régulière sur le territoire.
Les crédits de la mission sont fixés cette année à 2,16 milliards d'euros, soit un quart des crédits attribués aux politiques d'immigration dans notre pays, lesquels s'élèvent à 7,8 milliards d'euros.
L'exercice 2025 avait marqué une baisse sensible d'un certain nombre de postes ; celui de 2026 appelle une dynamique plus positive, avec une augmentation de 3,8 %, soit 80 millions d'euros, en crédits de paiement (CP), et de 25 %, soit 451 millions d'euros, en autorisations d'engagement (AE).
Cette augmentation significative des crédits est principalement liée à l'investissement en vue de l'accroissement des capacités de rétention administrative, avec notamment le déploiement du plan « CRA 3 000 ». Celui-ci doit s'achever en 2029, et non en 2027 comme cela était initialement prévu, avec une multiplication par trois des AE - plus de 266 millions d'euros pour cet investissement immobilier majeur - et un doublement des CP.
L'augmentation des crédits procède également de l'application du nouveau pacte en matière d'immigration et d'asile, à compter du 12 juin 2026, avec des dépenses supplémentaires qui s'élèvent à 85 millions d'euros. Les crédits doivent notamment permettre de déployer un certain nombre de mesures concrètes afférentes à ce pacte, comme l'extension de la zone d'attente de Roissy et la création de places d'hébergement au titre de la « capacité adéquate » requise pour le filtrage et la nouvelle procédure d'asile à la frontière. Ce pacte prévoit également de nouvelles garanties procédurales au profit des demandeurs d'asile, à l'instar de l'accès à un interprète dès l'enregistrement de la demande, ce qui entraîne des surcoûts durables. Une enveloppe de 34 millions d'euros est prévue pour l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) afin de mettre en oeuvre ces mesures.
Ces 85 millions d'euros sont toutefois très en deçà de la première estimation du Gouvernement, qui prévoyait 150 millions d'euros. Nous n'avons pas obtenu de réponse précise du ministre de l'intérieur pour justifier cet écart.
Faute de transposition et d'adaptation de notre droit, la mise en oeuvre du pacte suscite de nombreuses interrogations. Un projet de loi est annoncé pour le début de l'année, ce qui peut paraître hasardeux dans le contexte incertain que nous connaissons.
J'en viens à la lutte contre l'immigration irrégulière. La mission s'inscrit dans le cadre d'une pression migratoire inédite. Les indicateurs habituellement retenus pour mesurer l'immigration irrégulière atteignent des niveaux records en 2024, qu'il s'agisse du nombre d'interpellations d'étrangers en situation irrégulière (150 000) ou du nombre de bénéficiaires de l'aide médicale de l'État (AME), qui s'élève à 463 000. On estime à 700 000 le nombre d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire national.
Or, l'éloignement s'avère toujours difficile à mettre en oeuvre, en dépit des efforts déployés depuis plusieurs années. En 2024, moins de 13 000 retours forcés ont été exécutés, en légère progression par rapport à 2023. En 2025, les chiffres devraient augmenter de façon significative, puisque nous en étions déjà à plus de 10 000 retours forcés au 1er septembre, soit une augmentation de 23 % par rapport à la même période en 2024.
Le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), estimé à 8,3 % en 2024, s'élèverait à 10,9 % en 2025. Des réserves méthodologiques s'imposent sachant que de nombreuses OQTF sont édictées sans être notifiées, et qu'un certain nombre d'entre elles ne sont plus d'actualité. Il est vraisemblable que cette progression est en partie liée aux dispositions de la loi du 26 janvier 2024.
En dépit de l'amélioration qui paraît se dessiner en 2025, les résultats ne sont pas à la hauteur de l'énergie déployée par les services de l'État. Les principaux obstacles à l'éloignement sont : l'insuffisance des capacités de rétention, qui demeure, et de loin, le moyen le plus sûr d'exécuter une mesure d'éloignement ; l'établissement de l'identité des étrangers et des États d'origine ; enfin, l'obtention dans des délais utiles des laissez-passer consulaires. L'arrêt de la coopération consulaire de l'Algérie depuis le mois de mars 2025 a ainsi compliqué considérablement l'éloignement des ressortissants algériens, qui représentent 40 % des retenus des centres de rétention administrative (CRA) de métropole. Il explique en grande partie la diminution du taux d'éloignement à l'issue d'un placement en rétention, qui s'élevait à 36,4 % au 30 septembre 2025 (contre 38,8 % en 2024).
Les efforts consentis dans le budget en faveur des capacités en CRA sont significatifs et semblent prendre la mesure de l'enjeu. Le nombre de places en rétention administrative va progresser dès l'année prochaine, l'objectif étant d'atteindre les 3 000 places en 2029, contre moins de 2 000 places actuellement. Dès 2026, 340 places supplémentaires sont prévues, avec l'ouverture de deux nouveaux CRA et des extensions de CRA existants. Nous demeurerons vigilants quant à la bonne exécution de ces crédits, les années précédentes ayant été marquées par une sous-consommation chronique des crédits en la matière. Celle-ci est liée à des difficultés d'ordre immobilier et foncier, et non à l'absence de volonté politique. Ces difficultés sont ordinaires pour un programme immobilier de cette ampleur. L'extension des places en CRA devra également s'accompagner du recrutement des personnels nécessaires.
Concernant la politique de l'asile, les délais d'examen progressent légèrement - 10,8 mois cette année, contre 9,8 mois en 2024. Il s'agit d'un enjeu humain, mais également d'un enjeu budgétaire, puisque ces délais ont un effet mécanique sur les autres postes de dépense, notamment l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) et l'hébergement.
Cet allongement de la durée d'examen s'explique par plusieurs facteurs. Le nombre de demandes d'asile a atteint un niveau inédit en 2024, avec plus de 153 000 dossiers. Des facteurs conjoncturels ont également eu des conséquences sur l'activité décisionnelle de l'Ofpra et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ; pour cette dernière, il s'agit notamment de la mise en oeuvre de ses chambres territoriales.
À l'examen de ce budget, on observe des améliorations. Après la création de 29 équivalents temps plein (ETP) en faveur de l'Ofpra l'année dernière, le budget prévoit une nouvelle hausse de 48 ETP en 2026, ce qui devrait permettre d'accroître encore la capacité décisionnelle de l'office.
Si les délais devraient de nouveau diminuer en 2026, l'objectif d'un délai moyen global de six mois pour l'examen d'une demande paraît toutefois hors de portée, sans une évolution des procédures et des méthodes de travail. De telles évolutions seront d'ailleurs requises dès 2026 pour respecter les délais particulièrement exigeants de la nouvelle procédure d'asile à la frontière, dans laquelle la demande d'asile devra être examinée au fond en douze semaines, l'examen du recours étant compris dans ce délai.
À cet égard, l'on peut souligner les premiers résultats encourageants de l'espace France Asile de Cergy, ouvert le 19 mai dernier. L'introduction des demandes d'asile par les agents de l'Ofpra, plutôt que l'envoi d'un formulaire papier, permettrait à lui seul un gain de 21 jours. Le traitement des demandes serait également accéléré par la fiabilisation des dossiers et la meilleure anticipation des besoins en interprète.
M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Je poursuis avec les conditions matérielles d'accueil, qui recouvrent l'ADA et l'hébergement. Si l'on exclut les surcoûts liés à la mise en oeuvre du pacte sur la migration et l'asile, le budget de l'ADA connaît une baisse de 30 millions d'euros. Cela peut paraître très ambitieux, mais n'est pas irréaliste au regard de l'exécution du budget 2025.
Pour le ministère, cette nouvelle diminution résulterait de l'augmentation de l'activité décisionnelle de l'Ofpra, grâce notamment aux emplois supplémentaires créés.
En ce qui concerne l'hébergement des demandeurs d'asile, les crédits connaissent une légère diminution de 2,5 millions d'euros. En 2026, 1 400 places pourraient être supprimées - la direction générale des étrangers en France (DGEF) a indiqué que cette suppression n'était pas encore certaine -, sachant que le budget 2025 avait déjà prévu une réduction de 6 400 places. Contrairement à ce que l'on avait pu craindre, cette réduction ne s'est pas traduite par une dégradation du taux d'hébergement des demandeurs d'asile, grâce à l'optimisation de la gestion du parc par l'État et à une politique volontariste de réduction des présences indues.
Conformément à une recommandation de la Cour des comptes, il est prévu de transformer l'intégralité du parc d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (Huda) en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) d'ici 2028. En 2026, cette transformation porte sur un tiers du parc d'Huda, soit 12 500 places.
J'en viens à la politique de l'intégration. Les crédits du programme 104 sont stables, après une forte diminution l'an dernier. Cette réduction s'est traduite par une diminution du nombre de contrats d'intégration républicaine (CIR) signés, ce que l'on ne peut que regretter. L'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) prévoit un retour à la normale en 2026, avec 122 000 CIR.
Conséquence de cette contraction des dépenses, le programme « Accompagnement global et individualisé des réfugiés » (Agir), guichet unique pour l'accompagnement des réfugiés vers le logement et l'emploi, est plafonné à 25 000 bénéficiaires actifs, et réorienté vers les publics les plus vulnérables.
L'évolution principale réside dans la mise en oeuvre de la réforme de la formation linguistique et civique. La loi du 26 janvier 2024 a prévu un rehaussement des exigences linguistiques pour la délivrance des titres de séjour pluriannuels, ainsi que pour la naturalisation. Ce rehaussement a pour conséquence une augmentation estimée à 40 % du besoin de formation, du fait du plus grand nombre d'étrangers concernés et de l'accroissement du nombre d'heures de formation nécessaires pour atteindre les niveaux attendus. Le ministère de l'intérieur estimait initialement, à conditions inchangées, le coût de la mise en oeuvre de ces nouvelles exigences à 100 millions d'euros.
Les nouvelles modalités de formation, décidées en juillet dernier, ont pour objet de permettre la mise en oeuvre de la réforme à budget constant tout en responsabilisant les signataires d'un CIR. Le décret du 15 juillet 2025 a rendu facultative la formation linguistique proposée par l'Ofii, laissant à l'étranger toute liberté pour se former comme il l'entend, notamment dans le cadre de la formation professionnelle - la loi du 26 janvier 2024 comporte d'ailleurs plusieurs mesures visant à favoriser l'apprentissage du français par les salariés étrangers. La certification est également mise à la charge de l'étranger, et non plus de l'État.
Surtout, la formation linguistique devient entièrement dématérialisée ; elle se déroule désormais sur une plate-forme numérique d'un prestataire de l'Ofii. La formation en présentiel, sous la forme d'un forfait unique de 600 heures, n'est maintenue que pour les publics les plus fragiles, notamment les non-lecteurs et non-scripteurs. Le ministre a toutefois indiqué que le programme de 600 heures devrait bénéficier à une part plus importante des signataires de CIR.
Si ces nouvelles modalités de formation présentent un intérêt certain, nous serons vigilants quant aux conditions de leur mise en oeuvre, notamment en ce qui concerne la qualité de la formation en ligne. Nous avons été alertés sur les conséquences de l'offre restrictive de formation en présentiel, la diminution du nombre de prestataires obligeant parfois les intéressés à des trajets difficilement soutenables. Une évaluation rigoureuse sera nécessaire.
Avant de conclure, je souhaite évoquer les dysfonctionnements de l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef), qui a pour objet la dématérialisation des démarches et des procédures en matière de séjour, d'asile et d'intégration. Le Conseil national des barreaux et la Défenseure des droits se sont fait l'écho des nombreuses difficultés rencontrées par les usagers. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 prévoit une dépense supplémentaire de 40 millions d'euros, contre 20 millions d'euros en 2025, pour un coût total de 179 millions d'euros. Ces crédits sont notamment consacrés au traitement des anomalies.
Enfin, nous nous sommes rendus à Calais afin de prendre la mesure de la situation migratoire sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord, source de nombreuses difficultés pour les territoires concernés. Les traversées ou tentatives de traversées en direction du Royaume-Uni sont en nette hausse : au 19 octobre 2025, 56 789 tentatives ont été recensées, soit l'équivalent de 40 % des entrées irrégulières dans l'Union européenne sur la même période.
Nous avons pu nous rendre compte des difficultés rencontrées par les forces de l'ordre pour prévenir les traversées au moyen de petites embarcations, en dépit de l'importance des moyens mobilisés. On peut espérer que l'évolution de la doctrine d'interception en mer, décidée la semaine dernière, permette d'empêcher ces traversées périlleuses.
Un accord entre la France et le Royaume-Uni, conclu les 29 et 30 juillet 2025, organise, à titre expérimental, et jusqu'en juin 2026, un mécanisme prévoyant l'admission légale au Royaume-Uni d'étrangers en contrepartie de la réadmission en France de personnes arrivées irrégulièrement au Royaume-Uni. Critiqué par certains acteurs, son bilan est, à ce jour, très limité. Au 4 novembre 2025, 94 individus avaient été réadmis en France et 57 admis légalement au Royaume-Uni. L'intérêt d'un tel mécanisme réside dans l'implication des autres États européens et de l'UE. Comme le soulignait le rapport d'information sur les accords internationaux migratoires dont nous étions, la présidente Jourda et moi, les auteurs, la conclusion d'un accord migratoire global entre le Royaume-Uni et l'UE paraît constituer la seule solution viable pour endiguer ce phénomène.
Au bénéfice de ces observations, nous vous proposons de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission. Dans le contexte budgétaire actuel, nous ne pouvons que saluer l'effort important réalisé en faveur de la lutte contre l'immigration irrégulière, à laquelle notre commission est traditionnellement attentive.
Nous présentons un amendement relatif au régime des frais irrépétibles devant la CNDA, qui connaissent une croissance exponentielle, et qu'il s'agit de maîtriser.
Mme Corinne Narassiguin. - Notre groupe ne retient que deux points positifs dans la présentation de ce rapport. Le premier concerne les 48 ETP supplémentaires pour l'Ofpra. Ce renfort répond à une dégradation du délai moyen d'instruction des demandes d'asile, qui est liée à l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile ainsi qu'au taux de rotation des officiers de protection. Un point de vigilance doit être porté sur les conditions de travail de ces derniers.
L'autre point positif concerne les crédits supplémentaires accordés pour remédier aux dysfonctionnements de l'Anef ; il est d'urgent d'améliorer ce système.
Pour le reste, la réduction du parc d'hébergement est un sujet d'inquiétude. On craint une réduction de 1 400 places, alors que 500 places supplémentaires sont prévues à Mayotte. Cela signifie que, sur le territoire hexagonal, la baisse envisagée est encore plus importante.
Par ailleurs, on observe une forte baisse des places d'hébergement en faveur des bénéficiaires de la protection temporaire ukrainiens. Certes, ces derniers sont moins nombreux aujourd'hui, mais nous savons aussi qu'un certain nombre d'entre eux se retrouvent sans solution à la sortie du parc d'hébergement d'urgence.
Au sujet de l'ADA, on observe une baisse compréhensible pour les Ukrainiens bénéficiaires de la protection temporaire, dans la mesure où leur nombre diminue. En revanche, pour les demandeurs d'asile, au regard de l'augmentation prévue de leur nombre, cette baisse est plus contestable. Les dépenses de l'ADA vont être affectées par deux facteurs. En raison de la réduction considérable des places d'hébergement, un montant additionnel sera versé aux personnes qui ne sont plus hébergées par l'Ofii. À cela s'ajoute la mise en oeuvre du pacte européen sur la migration et l'asile, qui influera également sur le nombre de bénéficiaires.
Enfin, je m'interroge sur la formation linguistique. Avec ce choix d'une mise en oeuvre à budget constant, alors qu'on observe une augmentation de 40 % des étrangers concernés pour atteindre le niveau A2 afin d'obtenir une carte pluriannuelle, on voit bien que l'objectif n'est pas de mieux intégrer, mais plutôt de faciliter un tri sur la base de l'acquisition des compétences linguistiques. Le Gouvernement lui-même estime que seul un étranger sur deux sera en mesure d'atteindre le niveau A2.
La formation dématérialisée est une plaisanterie. Il n'est pas sérieux de généraliser la formation à distance asynchrone, avec des modules sur internet. Il ne s'agit même pas d'un service distanciel avec un tutorat, mais de simples modules où l'on se débrouille seul. Cela va augmenter le nombre de personnes maintenues dans une forme de précarité administrative, dans la mesure où celles-ci ne pourront pas accéder aux cartes de séjour pluriannuelles. À cela s'ajoutent les difficultés à se maintenir dans l'emploi ou à acquérir un logement. Par ailleurs, cela alourdit la charge de travail des bureaux des étrangers au sein des préfectures.
Pour toutes ces raisons, nous sommes opposés à l'adoption des crédits de la mission.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je ne peux que regretter que les rapporteurs n'aient pas évoqué l'outre-mer. Or, comment aborder le sujet de l'immigration et de l'asile sans mentionner les territoires ultramarins, notamment Mayotte, qui à elle seule concentre plus de la moitié du nombre de reconduites à la frontière de notre pays, et la Guyane, qui représente la moitié de l'autre moitié ?
Ces vagues migratoires ont des conséquences dans l'Hexagone. Il y a plus d'un an, lorsqu'il a fallu évacuer un camp de migrants à Mayotte, le redéploiement s'est effectué, pour partie, dans les Yvelines. L'immigration à Mayotte a des conséquences également pour La Réunion, avec de nombreux incidents qui émaillent l'actualité. Cela aurait mérité quelques mots.
Nous avons voté des textes d'exception, notamment mes amendements en 2018 visant à limiter les effets de l'acquisition de la nationalité française à Mayotte. Le Parlement s'est empressé de durcir le dispositif, avant même d'avoir étudié les effets de ces dispositions.
Récemment, le directeur général de l'Insee, en mission particulière à Mayotte au lendemain du cyclone, m'indiquait que la natalité était enfin en train de baisser. Cette diminution serait vraisemblablement liée aux dispositions que nous avons adoptées en 2018. Je rappelle qu'aussitôt après leur vote, de nombreux collègues s'étaient empressés, encore une fois, de dire que ces dispositions n'avaient aucun effet, alors qu'il s'agissait simplement d'attendre. Je suggère de mener un travail de suivi de ces textes d'exception.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Notre souci à l'égard Mayotte est réel. Avec mes collègues Olivier Bitz, Agnès Canayer, Audrey Linkenheld, ainsi que Salama Ramia, nous nous sommes rendus sur place en septembre dernier. Un rapport sera publié prochainement.
M. Guy Benarroche. - Ce budget se fonde sur un leurre qui est déjà à l'origine de certains textes examinés au Sénat. Ce leurre consiste à croire qu'en plaçant les migrants dans des situations de plus en plus précaires et en créant des irrégularités administratives, nous allons diminuer le flux migratoire dans notre pays, en Europe et dans l'ensemble du monde. Cela n'a jamais été le cas et cela depuis des millénaires. Le seul résultat auquel nous parvenons est de ne répondre ni aux normes européennes ni aux conditions d'accueil les plus élémentaires. En agissant de la sorte, nous créons des ressentiments et des vulnérabilités supplémentaires.
Le budget se répartit entre le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » et le programme 303 « Immigration et asile ». Il s'avère très déséquilibré, puisque 80 % des crédits concernent le programme 303, qui est dédié à la répression de l'immigration irrégulière ou supposée irrégulière.
L'année 2026 sera marquée par l'entrée en vigueur du pacte européen sur la migration et l'asile. Cela aurait dû motiver des budgets plus importants sur le programme dédié à l'intégration et l'accueil. L'action visant à garantir l'exercice du droit d'asile, qui finance l'ADA, voit ses crédits baisser de 10 % alors qu'on annonce une augmentation de 5 % du nombre de demandes d'asile.
On observe également une réduction du budget consacré au parc d'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés. La transformation de 12 500 places d'Huda en Cada fragilise encore davantage les dispositifs d'accueil. Que deviennent les personnes concernées ? Où vont-elles vivre ? Comment comptons-nous les intégrer et nous occuper de leurs formalités administratives ?
L'intégration par la langue est un exemple frappant. Non seulement les crédits ne sont pas augmentés, mais les formations sont dématérialisées. Comment peut-on demander à des étrangers qui arrivent dans notre pays un certain niveau de langue, alors que nous diminuons les crédits permettant de suivre des cours en présentiel ? Qui peut penser que cela puisse donner un résultat positif ?
De même, chaque fois que nous avons souhaité permettre aux demandeurs d'asile de signer des contrats de travail, on nous a répondu que cela n'était pas possible. Ils se retrouvent dans l'impossibilité de subsister. Que voulez-vous qu'ils fassent pour vivre, sinon se retrouver dans une situation encore plus irrégulière en travaillant au noir ?
Dans mon rapport de la mission sur les juridictions administratives et les juridictions financières, j'ai annoncé que les tribunaux administratifs allaient subir cette année une hausse d'activité supérieure à celles qu'ils subissent déjà depuis des années. L'augmentation oscillait entre 8 % et 10 % par an ; elle va s'élever à 25 %. Une part importante concerne les contentieux administratifs liés aux prises de rendez-vous dans les préfectures. De nombreuses personnes se retrouvent en situation irrégulière, car elles n'ont pas obtenu les rendez-vous aux dates légalement prévues dans les préfectures. Cela aboutit à un encombrement des tribunaux administratifs.
Nous préférons augmenter le nombre des places dans les CRA et les zones d'attente, ce qui n'a jamais permis de résoudre le problème. Avez-vous visité des CRA ? Pour ma part, j'en visite quatre ou cinq par an, et autant de zones d'attente. On s'aperçoit que cela ne permet pas résoudre le problème de l'immigration irrégulière.
Je préfère évoquer la situation des personnes humaines, plutôt que ce rapport qui se félicite de participer à l'effort d'économies.
Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à l'adoption des crédits de la mission.
Mme Audrey Linkenheld. - Je souligne la difficulté d'examiner de manière précise ce budget. On annonce aujourd'hui 85 millions d'euros destinés à préparer l'entrée en vigueur du pacte européen sur la migration et l'asile. Celui-ci doit s'accompagner d'un certain nombre de règlements - et non de directives - actuellement en discussion. À ce sujet, nous portons, avec mon collègue Ronan Le Gleut, une proposition de résolution qui a été débattue en commission des affaires européennes. Si nous ne sommes pas en accord sur l'ensemble des éléments de fond, nous déplorons conjointement que les parlements nationaux soient dessaisis de ces questions. Cela aura des conséquences sur le droit français ainsi que sur le plan budgétaire. Notre proposition de résolution sera peut-être examinée également dans cette commission.
Lors de son audition, j'ai interrogé le ministre de l'intérieur sur un éventuel projet de loi d'application de ce pacte. On nous indique aujourd'hui que cela va coûter 85 millions d'euros, peut-être 150 millions, sans plus d'informations.
M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - En ce qui concerne les craintes exprimées quant à la budgétisation de l'ADA, il faut rappeler qu'il s'agit d'une dépense de guichet. Autrement dit, si les demandes sont plus nombreuses, l'enveloppe sera ajustée afin de correspondre aux besoins. Cela dit, la prévision du Gouvernement semble sincère. La baisse de 47 millions d'euros prévue pour 2025 a été absorbée. Les surcoûts liés au pacte sur la migration et l'asile sont intégrés aux dépenses de l'ADA.
Concernant ce pacte, nous partageons vos interrogations. Le montant de 150 millions d'euros correspond à celui qui a été donné par le Gouvernement à la Commission européenne dans son plan national de mise en oeuvre du pacte. Nous nous interrogeons sur la différence entre ce que le Gouvernement annonçait l'année dernière et les crédits inscrits au budget 2026, qui sont pratiquement moitié moindres. J'imagine que nous aurons des explications en séance.
Concernant la réduction du parc d'hébergement, j'entends vos inquiétudes. L'an dernier, nous étions déjà très inquiets avec la diminution de 6 400 places. On s'aperçoit aujourd'hui que le taux d'hébergement des demandeurs d'asile ne s'est pas dégradé. Cela s'est effectué au prix d'une forte pression sur les acteurs associatifs, dont la gestion a été optimisée. Cette année, on dénombre 1 400 suppressions de places. Sans être certaine de réaliser ces suppressions, l'administration essaie d'optimiser les places existantes. À ce stade, les difficultés que nous pouvions craindre ne se sont pas survenues.
Naturellement, l'outre-mer est au coeur du sujet migratoire. Il s'agit ici de présenter les crédits budgétaires, non de dresser un tableau d'ensemble de la situation migratoire nationale. Je tiens à vous dire que, dans le rapport préparé avec mon collègue David Margueritte, les crédits dédiés aux territoires ultramarins, notamment Mayotte, sont précisés. Certaines des mesures prévues dans la loi de programmation pour la refondation de Mayotte y trouvent une traduction budgétaire. C'est le cas de la création d'une zone d'attente, 46 millions d'euros en AE et 1,5 million d'euros en CP étant inscrits à cet effet, comme de la création des unités de vie familiale pour la rétention des mineurs accompagnés, avec 16,8 millions d'euros en AE et 7,8 millions d'euros en CP.
M. David Margueritte, rapporteur pour avis. - Monsieur Benarroche, nous avons un désaccord de fond. Notre pays a le droit de gérer les flux migratoires, de choisir son immigration et ses procédures. On ne peut pas considérer que passer la frontière est, en soi, un acte de régularisation administrative. Si l'on suit votre raisonnement, l'immigration irrégulière n'existe pas. Sur ce point, j'assume un désaccord radical.
Nous visitons également des CRA. La semaine dernière encore, nous étions à Calais. À l'occasion d'un précédent rapport, je m'étais rendu à Vincennes. La situation des CRA justifie pleinement l'investissement dans les capacités de rétention. Si nous ne sommes pas au rendez-vous de 2027, je me réjouis que nous soyons à celui de 2029, compte tenu de l'effort budgétaire. L'augmentation du nombre de places ne résout pas entièrement le problème, mais constitue un élément de réponse.
Concernant le pacte sur la migration et l'asile, les réponses du ministre n'ont pas été rassurantes. Nous connaissons l'échéance du 12 juin prochain. Sans projet de loi, il y aura une invocabilité directe de certaines dispositions européennes sans que nous ayons pu les transposer ni abroger les dispositions françaises qui leur sont parfois contraires. Si nos interlocuteurs ont indiqué qu'un projet de loi était bien prévu pour le début de l'année prochaine, je vois mal comment nous pourrions l'adopter avant le 12 juin prochain.
Concernant l'Ofpra, le taux de rotation important est lié au métier en tant que tel, répétitif et difficile. Les 48 créations d'ETP ne devraient pas, à elles seules, régler le problème, mais participer à la réduction des délais. Cet objectif de réduction des délais de traitement des demandes d'asile explique en grande partie la baisse du budget prévu pour l'ADA.
M. David Margueritte, rapporteur pour avis. - L'amendement LOIS.1 porte sur la procédure contentieuse à la CNDA, et plus précisément sur les frais irrépétibles. Ces derniers, mis à la charge de l'Ofpra, correspondent aux frais d'avocat payés à l'issue d'un contentieux gagné. Comme le relève la Cour des comptes, ils ont été multipliés par 55 depuis 2016. Afin de limiter l'effet d'aubaine, nous proposons de limiter ces frais au montant de l'aide juridictionnelle pour mettre un terme à cette inflation.
Cet amendement ne remet pas en cause le droit de recours, et permet d'économiser 4 millions d'euros sur le budget de l'Ofpra, et donc de l'État.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cela signifie que, si l'avocat intervient au titre de l'aide juridictionnelle, il est rémunéré au niveau de cette aide. Et si le client ne demande pas l'aide juridictionnelle, l'avocat ne peut pas être payé davantage via les frais irrépétibles ?
Mme Muriel Jourda, présidente. - Qu'il s'agisse des honoraires au titre des frais irrépétibles ou de l'aide juridictionnelle, c'est la même somme ; tel est le sens de cet amendement. L'avocat ne percevra jamais une somme supérieure à celle de l'aide juridictionnelle.
M. David Margueritte, rapporteur pour avis. - Il s'agit effectivement de limiter le montant des frais irrépétibles en proposant un plafond. L'aide juridictionnelle est systématiquement demandée devant la CNDA et, par dérogation, son bénéfice est de plein droit pour les requérants.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - À ce compte, on pourrait plafonner les frais irrépétibles dans toutes les procédures !
M. Guy Benarroche. - La loi du 26 janvier 2024 a prévu la territorialisation de la CNDA. Cinq chambres territoriales sont déjà ouvertes et deux seront actives à partir du mois de janvier prochain. Le problème de ces chambres territorialisées est de trouver des avocats dans leur ressort, car, au-delà de faciliter les échanges, cela permet de diminuer les frais. À mon sens, une telle mesure n'est pas de nature à leur permettre de trouver des avocats sur leur territoire d'implantation.
M. Francis Szpiner. - Soit une personne demande à bénéficier de l'aide juridictionnelle, soit elle choisit un avocat, et celui-ci peut demander les honoraires qu'il souhaite. Mais il ne pourra obtenir en remboursement que le montant des frais irrépétibles plafonnés au titre de l'aide juridictionnelle. Cela permet à l'État de réaliser des économies, sans pénaliser la personne.
L'amendement LOIS.1 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».