EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 19 NOVEMBRE 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous commençons nos travaux par l'examen du rapport pour avis de la mission « Outre-mer ».

M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis de la mission « Outre-mer ». - Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2026, il me revient aujourd'hui de vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer », dont notre commission s'est saisie pour avis. Pour rappel, cette mission comprend les programmes 123 et 138, qui traitent respectivement des conditions de vie et de l'emploi outre-mer.

Dans la continuité de la trajectoire amorcée en 2025, le PLF pour 2026 prévoit une baisse massive des crédits de la mission « Outre-mer », et plus globalement de l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer, puisque, comme vous le savez, les crédits de la mission ne représentent qu'une faible partie - bien qu'en progression - du total des crédits en faveur de ces territoires.

Ainsi, les crédits de la mission « Outre-mer » diminueraient de près de 18 % en autorisations d'engagement (AE) et de 5 % en crédits de paiement (CP), soit, en volume, une perte de 628 millions d'euros et de 153 millions d'euros respectivement.

Il est vrai que cette baisse des crédits intervient dans un contexte particulier, marqué par l'impératif de réduction de notre déficit public, qui devrait atteindre 5,4 % du PIB en 2025. Il paraît indispensable de garantir la soutenabilité de la dette publique et donc de réaliser des économies, ce qui implique une diminution des crédits de la quasi-totalité des missions budgétaires, à l'instar de l'année dernière.

Pour autant, je considère que le budget en faveur des outre-mer reste très en deçà de ce qui serait nécessaire pour répondre aux difficultés nombreuses et diverses que connaissent les territoires ultramarins.

Sans prétendre à l'exhaustivité, je fais ici référence au niveau de pauvreté élevé, avec un tiers de la population ultramarine vivant sous le seuil de pauvreté, soit 900 000 personnes ; au taux de chômage toujours bien plus important que dans l'Hexagone - 17 % en Guyane par exemple - ; aux difficultés persistantes d'accès à l'eau potable en Guadeloupe, à Mayotte ou encore dans les îles isolées de la Polynésie française ; ou encore aux écarts de prix importants par rapport à l'Hexagone en raison, notamment, de la dépendance aux importations alimentaires.

Les difficultés observées dans ces territoires se sont en outre amplifiées au cours de l'année 2025, en raison des multiples crises qui ont touché les outre-mer.

Ainsi, la Nouvelle-Calédonie reste profondément marquée par les émeutes de mai 2024, qui ont, par exemple, provoqué une diminution de 13 % du PIB local, qui pèse encore aujourd'hui sur la population et le tissu économique.

Les outre-mer ont également été touchés, au cours de l'année 2025, par des évènements climatiques extrêmes, qui ont laissé les territoires exsangues : je pense, par exemple, au passage des cyclones Chido et Dikeledi à Mayotte ou Garance à La Réunion.

Par ailleurs, la cherté de la vie demeure un problème majeur pour les territoires ultramarins, notamment en Martinique, où l'activité économique est en recul depuis trois trimestres consécutifs, un an après les manifestations.

Dans ce contexte, je juge particulièrement regrettable une telle diminution des crédits de la mission « Outre-mer », qui ne pourra qu'aggraver les difficultés déjà existantes. Si la situation venait à se dégrader davantage, celles-ci pourraient, in fine, coûter beaucoup plus cher à l'État.

J'en viens désormais au détail des crédits de la mission.

Les crédits du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » font l'objet d'un mouvement asymétrique : on constate ainsi une diminution de 21 % en AE, mais une hausse de 22 % en CP. Je précise toutefois que cette hausse des crédits de paiement vise uniquement à limiter le volume de restes à payer, qui devrait atteindre jusqu'à 2,8 milliards d'euros à la fin de l'année, sans parvenir à le compenser pleinement.

Si la maîtrise des engagements s'inscrit dans la nécessaire consolidation budgétaire évoquée précédemment, je ne peux que regretter la diminution des crédits de certains dispositifs, essentiels à la préservation de conditions de vie décentes pour les habitants de nos territoires ultramarins.

Le PLF prévoit d'abord une diminution des AE allouées aux contrats de convergence et de transformation, qui permettent le cofinancement d'opérations visant à réduire les écarts de développement persistants entre les outre-mer et la métropole. Ce choix de limiter les engagements de l'État hypothèque l'atteinte des objectifs contractualisés. En outre, il ressort des auditions que j'ai menées que les hausses de crédits de paiement pour ces mêmes contrats ne suffiront pas à régler les restes à payer, ce qui pose la question de la valeur de la signature et des engagements de l'État.

Est également prévue une baisse des dotations scolaires de Guyane et de Mayotte, et ce, alors même que le nombre d'élèves déscolarisés demeure particulièrement élevé dans ces territoires.

Enfin, les moyens alloués au fonds exceptionnel d'investissement (FEI) diminueraient substantiellement, de plus de 50 %, alors qu'il s'agit d'un outil d'intervention ayant fait la preuve de son efficacité. Ce fonds permet en effet de financer des projets d'ampleur afin de combler l'insuffisance structurelle des infrastructures en outre-mer : réduire ses crédits de moitié, c'est prendre le risque de fragiliser considérablement le développement des territoires ultramarins et se priver d'un levier d'action précieux.

Je déplore également la diminution prévue des AE en faveur de la ligne budgétaire unique, alors que la résorption de l'habitat insalubre, qui concerne 16 % du parc immobilier ultramarin, demeure un objectif prioritaire. À cet égard, le plan logement outre-mer (PLOM) 2024-2027, annoncé en septembre 2022, devrait enfin être signé dans les semaines qui viennent, ce que je tiens à saluer, malgré le paradoxe que constitue la diminution simultanée des AE.

Au-delà de ces baisses de crédits, je tiens toutefois à souligner la hausse bienvenue des crédits de paiement relatifs aux aides à la continuité territoriale, alors que trois nouvelles aides à la mobilité devraient être mises en place dès 2026.

J'en viens désormais au programme 138 « Emploi outre-mer », qui connaît une baisse préoccupante de ses crédits, de l'ordre de 16 %.

Cette baisse s'explique avant tout par la réforme, prévue par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), du dispositif instauré par la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, dite « Lodeom », c'est-à-dire des exonérations de cotisations sociales spécifiques dont bénéficient les entreprises ultramarines des départements et régions d'outre-mer (Drom).

Cette réforme, qui reprend les recommandations formulées par une mission d'évaluation conduite conjointement par l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'inspection générale des finances (IGF) en mai 2025, vise notamment à recentrer les exonérations sur les niveaux de salaire pour lesquels l'effet sur l'emploi est le plus important. Elle pourrait néanmoins conduire à une hausse du coût du travail et à des fermetures d'entreprises déjà fragilisées - d'où son rejet par l'Assemblée nationale, le 7 novembre dernier, lors de l'examen du PLFSS. À la suite de ce rejet, le Gouvernement a d'ailleurs accepté de rediscuter des paramètres de la réforme en début d'année 2026, en concertation avec les élus ultramarins, une discussion que nous suivrons attentivement.

Les autres dispositifs financés par ce programme bénéficient de crédits stables ou croissants. C'est le cas notamment de l'aide à l'insertion et à la qualification professionnelle, dont le service militaire adapté (SMA) constitue le dispositif clef, et qui permet la formation des jeunes Ultramarins éloignés de l'emploi. Cette stabilité des crédits devrait permettre d'offrir un accompagnement plus individualisé aux volontaires du SMA, ainsi que la mise en place de nouvelles compagnies à Mayotte et en Polynésie française sur l'atoll de Hao.

Je regrette néanmoins la diminution de la subvention pour charge de service public allouée à l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), qui conduira à une baisse des effectifs de 10 équivalents temps plein (ETP), alors que l'agence reste un acteur primordial dans la politique d'accès à l'emploi.

Enfin, s'agissant du financement de l'économie, les prêts de développement outre-mer (PDOM) et l'aide au fret connaissent une augmentation opportune, mais relative, des moyens qui leur sont alloués, alors que les défaillances d'entreprises et le chômage suivent des tendances haussières dans les territoires ultramarins.

En conclusion, je ne peux que déplorer la diminution globale des crédits de la mission « Outre-mer » prévue par le PLF pour 2026, qui ne permettra pas d'apporter des solutions suffisamment ambitieuses pour résoudre les difficultés majeures auxquelles font face les territoires ultramarins et qui ralentira le rattrapage des écarts économiques persistants avec l'Hexagone.

Je relève toutefois les engagements pris par le Gouvernement à propos de la réforme du dispositif « Lodeom » à l'Assemblée nationale ou encore de l'évolution du régime d'aide fiscale à l'investissement productif outre-mer, qui devrait faire l'objet d'une étude d'impact, territoire par territoire, avant toute modification.

Néanmoins, je ne peux me satisfaire d'une telle réduction des crédits, alors qu'un engagement fort de la part de l'État apparaît plus que jamais nécessaire pour apporter des solutions durables aux difficultés des territoires ultramarins, touchés par de graves crises en 2025.

C'est pourquoi je vous propose de rendre un avis défavorable à l'adoption de ces crédits. Il nous faudra néanmoins rester vigilants, d'ici à l'examen en séance publique du projet de loi de finances pour 2026, aux éventuelles annonces de la ministre des outre-mer, que nous entendrons cet après-midi.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Au regard de l'emploi du temps de la ministre des outre-mer, il ne nous a pas été possible de l'entendre avant l'examen du rapport pour avis de notre collègue Teva Rohfritsch. Je vous propose, si vous en êtes d'accord, d'engager la discussion générale, mais de réserver l'avis de la commission sur les crédits de la mission « Outre-mer » à l'issue de l'audition de la ministre des outre-mer, qui se déroulera cet après-midi.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Permettez-moi de souligner la qualité de cet avis budgétaire. Des heures pourraient être consacrées à discuter des territoires d'outre-mer ; des territoires isolés, en extrême difficulté, de surcroît frappés par des évènements climatiques.

Certes, nous nous accordons tous sur la nécessité de réaliser des efforts budgétaires, mais en exiger des territoires d'outre-mer serait une double peine. En effet, ils connaissent déjà de nombreux problèmes : en matière d'eau, de sécurité, de scolarité, entre autres. Faire des économies sur leur dos reviendrait à aggraver leur situation.

Aussi, nous attendrons l'audition de la ministre des outre-mer pour donner notre avis sur les crédits de la mission.

Mme Lana Tetuanui. - Je remercie notre collègue pour son excellent rapport pour avis. Distinguons les territoires d'outre-mer ! Les départements et les collectivités du Pacifique présentent des différences. J'ai parfois l'impression qu'on met tout le monde dans le même panier.

Nous sommes à la fin de l'année 2025, pourtant, la question se pose encore : que fait la France de ses outre-mer ? Nous ne pouvons être la variable d'ajustement de tous les écarts budgétaires décidés à Paris.

Il y a quinze jours, au sein de l'assemblée de la Polynésie française, nous avons été traités comme si nous étions encore les danseuses de la République ! Cette semaine, tous nos élus locaux sont présents à Paris pour le congrès des maires. Ils se sont rendus en masse, lundi, à Issy-les-Moulineaux à l'occasion de la rencontre avec les élus d'outre-mer, croyant que notre ministre leur délivrerait un message d'espoir. Celle-ci est repartie au bout d'une heure, en n'ayant presque rien dit ! La frustration de nos élus locaux était grande.

Nous attendrons l'audition de notre ministre, en espérant que nous ne serons pas de nouveau déçus, pour nous prononcer : sauf si un miracle se produit, je voterai contre ! De nos jours, il semble qu'il faille allumer dix cierges à l'église Saint-Sulpice pour obtenir gain de cause.

La commission décide de réserver son avis sur les crédits de la mission « Outre-mer ».

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