- L'ESSENTIEL
- EXAMEN EN COMMISSION
- COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE
M. GÉRALD DARMANIN, GARDE DES SCEAUX,
MINISTRE DE LA JUSTICE
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- DÉPLACEMENT
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N° 145 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026 |
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Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025 |
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AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1) |
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TOME VIII PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE |
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Par Mme Laurence HARRIBEY, Sénatrice |
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(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Laurence Harribey, Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, Lauriane Josende, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. Jean-Baptiste Blanc, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Thani Mohamed Soilihi, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Anne-Sophie Patru, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel. |
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Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180 Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
« Je partage la grande détresse des agents de la protection judiciaire de la jeunesse, qui rencontrent des difficultés à exercer leur métier face à une jeunesse à la fois plus violente et plus souvent victime, malgré un manque de moyens et de reconnaissance. Sans doute est-ce celle des administrations dont j'ai la charge qui est le plus en difficulté » : le constat alarmant dressé par le ministre de la justice Gérald Darmanin, au cours de son audition par la commission des lois sur le projet de loi de finances (PLF) pour 20261(*), révèle la gravité de la situation de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
La PJJ est, en effet, le parent pauvre de la mission « Justice » : elle en concentre moins de 10 % des effectifs et des crédits. Les régulations budgétaires intervenues au cours de l'année 2025 lui ont été défavorables : elle a ainsi subi une annulation de crédits à hauteur de 26 M€, montant qui excède largement l'abondement de 10 M€ obtenu au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 20252(*). Par ailleurs, et en dépit de la notable progression des crédits alloués à la mission « Justice » par le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, les fonds affectés au programme 182 consacré à la PJJ stagnent (1 167 M€ en AE, en baisse de 0,26 %, et 1 160 M€ en CP, en hausse de 0,77 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2025). Plus encore, malgré l'augmentation continue du nombre de mesures prononcées par les magistrats, les crédits sont en diminution pour l'action n° 1 « Mise en oeuvre des décisions judiciaires », alors même que celle-ci concerne le coeur de métier de la PJJ : elle permet, au quotidien, la gestion de plus de 600 entités (services milieu ouvert et structures de milieu fermé3(*)) qui assurent l'effectivité des sanctions civiles ou pénales prononcées à l'égard des mineurs délinquants.
Cette stagnation des crédits a de quoi surprendre au vu de la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui la PJJ. Le non-renouvellement brutal de plusieurs centaines de contrats d'éducateurs à l'été 2024 a provoqué une crise profonde à l'issue de laquelle la PJJ demeure en quête de sens, ce dont témoignent les rapports établis au cours de l'année 2025 par l'Inspection générale de la justice (IGJ) sur la prise en charge des mineurs délinquants. Outre une mission d'évaluation lancée à la suite de l'agression ayant mené à la mort du jeune Elias à Paris en janvier 2025, ce sont ainsi deux rapports sur l'amélioration de la justice des mineurs et un rapport thématique sur les centres éducatifs fermés qui ont été rendus publics au cours de l'année écoulée. Ce niveau inhabituel d'activité dans un domaine traditionnellement peu investi par les corps d'inspection révèle, à l'évidence, l'état dégradé de la PJJ et l'existence de doutes sur le bon dimensionnement de ses moyens comme sur la pertinence des outils dont elle dispose actuellement.
C'est dans ce contexte - et, comme pour le PLF 2025, nonobstant la transmission très tardive par le ministère de la justice de ses réponses au questionnaire budgétaire de la rapporteure - que le présent rapport s'attache à faire le point sur trois enjeux structurants :
- l'inquiétante détérioration du climat social au sein de la PJJ ;
- l'insuffisante diversité des parcours offerts aux mineurs délinquants, qui fait obstacle à l'individualisation de leur prise en charge et, partant, à leur réinsertion ;
- la persistance de défaillances dans l'évaluation de l'efficacité de la PJJ, faute d'outils et d'indicateurs adaptés.
Malgré les difficultés parfois graves dont le présent rapport se fait l'écho, il n'est pas apparu opportun de remettre en cause les progrès que permettra le PLF pour 2026 pour la PJJ (et, en particulier, la création de 70 postes supplémentaires). C'est pourquoi, au terme de l'examen du présent rapport pour avis et sur la proposition de la rapporteure, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme.
I. UN MANQUE DE TRANSPARENCE DE L'ADMINISTRATION CENTRALE QUI CONTRIBUE À L'INQUIÉTANTE DÉGRADATION DU CLIMAT SOCIAL
Les rapports pour avis de la commission des lois sur la PJJ mettent en évidence, depuis plusieurs années, des difficultés dans la conduite du dialogue social et l'inquiétante progression d'un sentiment de délaissement parmi les agents du secteur public comme chez les associations du secteur habilité. Loin de se résorber, ces phénomènes semblent avoir connu une nette aggravation depuis plusieurs mois en raison, notamment, d'un préoccupant manque de transparence de la part de l'administration centrale.
A. DES CRÉATIONS D'EFFECTIFS EN TROMPE-L'oeIL : POSTES GLISSANTS, TERRAIN MINÉ ?
La rapporteure soulignait, lors de son avis de novembre 2024 sur les crédits affectés à la PJJ pour 20254(*), qu'il appartenait à l'administration de « cesser la rétention d'informations qu'elle sembl[ait] pratiquer et [de] communiquer les statistiques [sur les moyens humains] dont elle dispose aux organisations représentatives » : force est de constater que ce message n'a pas été entendu.
À l'occasion d'une table ronde, les organisations syndicales de la PJJ ont en effet indiqué à la rapporteure que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) persistait dans son refus d'apporter des éclaircissements quant au « fléchage » des postes créés par le législateur à l'occasion des lois de finances successives, nourrissant la lancinante défiance des personnels. Cette défiance n'est pas dénuée de cause, étant souligné que, là encore à rebours des préconisations formulées par la commission des lois depuis plusieurs années5(*), les effectifs nouveaux sont orientés vers des fonctions administratives davantage que vers des missions en contact direct avec les mineurs délinquants.
Ce constat est accrédité par un récent rapport de l'IGJ sur la lutte contre la délinquance des mineurs6(*), aux termes duquel :
- les créations de postes restent inférieures aux besoins, au détriment notamment du milieu ouvert, particulièrement défavorisé dans l'affectation des effectifs. Les 3 775 mesures de milieu ouvert en attente, conjuguées aux nécessités d'un renforcement du suivi en sortie de placements, conduisent ainsi, selon l'inspection, à un besoin à hauteur de « 322 équivalents temps plein en renfort d'éducateurs, hors nouveaux centres éducatifs fermés et établissements pénitentiaires pour mineurs ». Ce constat a été que confirmé par les échanges entre la rapporteure et la DPJJ : cette dernière indique que le nombre de mesures mises en oeuvre par les services de milieu ouvert avait augmenté de 19,7 % entre 2018 et 2024 (de 115 685 mesures en 2018 à 138 468 en 2024) alors même que les effectifs ont légèrement diminué au cours de la décennie écoulée7(*) ;
- outre qu'elle ne dispose pas de moyens à la hauteur de ses besoins, ce qui constitue en soi une lourde difficulté, la DPJJ n'assure pas une répartition rationnelle des effectifs nouveaux. Comme l'avait relevé la rapporteure en 2024, les postes créés8(*) sont fléchés à l'excès vers des missions « support ». L'IGJ a ainsi constaté « une accumulation des supports en soutien des métiers : conseiller technique placement, correspondant insertion, energy manager, référent laïcité et désormais conseiller prévention narcotrafic » : au-delà du fait que l'utilité de ces postes n'apparaît pas toujours avec clarté à la lecture de leur intitulé, ils s'ajoutent à des missions existantes de coordination dans les directions territoriales, incitant l'inspection à « invite[r] la DPJJ à s'interroger sur [d']éventuels doublons ». Plus largement, ce sont toutes les fonctions de « terrain » qui paraissent laissées de côté. Alors qu'environ 600 ETPT auront été créés au sein de la PJJ entre 2020 et 2026, ce qui représente un effort réel et substantiel, les éléments transmis par le ministère attestent d'évolutions tout aussi divergentes qu'incohérentes selon la nature des missions : la forte croissance des postes s'est en effet concentrée sur les fonctions d'encadrement (+ 771 ETPT), tandis que les effectifs dans les métiers du social, de l'insertion et de l'éducatif diminuaient (- 53 ETPT). De tels choix de gestion ont de quoi surprendre dans une période où les ressources manquent sur le terrain ;
- au-delà, la DPJJ semble gérer ses moyens humains sans tenir compte ni de facteurs prospectifs, ni de l'existence de fonctions exercées en concours avec d'autres administrations (par exemple, pour le suivi des mineurs délinquants devenus majeurs, parfois mis en oeuvre en doublon avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation) : dans une formule éloquente, l'IGJ appelle ainsi l'administration centrale à une « indispensable introspection de l'architecture de ses emplois ».
La rapporteure ne peut que s'associer à ces conclusions et inciter, une nouvelle fois, la DPJJ à une réorientation des postes nouveaux vers les fonctions de « terrain », seule solution pour permettre enfin un exercice serein par les éducateurs de missions de plus en plus lourdes et de plus en plus exigeantes. Elle se félicite que Thomas Lesueur, directeur de la PJJ, ait annoncé au cours de son audition vouloir non seulement réorienter les 70 postes qui seront créés en 2026 vers les services de milieu ouvert, mais aussi examiner dès que possible les possibilités de redéployer certains postes techniques vers le terrain : elle ne peut qu'appeler à la poursuite de tels efforts en 2026 et, pour les années suivantes, à un fléchage ab initio des moyens humains au plus près des mineurs suivis.
B. L'INQUIÉTANT SENTIMENT DE DÉLAISSEMENT DES AGENTS ET DES ASSOCIATIONS
Sans surprise, la situation dégradée de la PJJ a des conséquences directes sur le climat social. Dans le secteur public comme dans le secteur associatif habilité (SAH), le désespoir des personnels est alarmant. L'insuffisance des moyens matériels et humains est à l'évidence au coeur de cette crise profonde et, désormais, patente ; mais à ces facteurs, déjà commentés, s'ajoutent des difficultés spécifiques à chaque secteur.
S'agissant du secteur public, les agents ont le sentiment de n'être ni associés sur les réflexions en cours, ni même véritablement consultés sur les réformes menées par leur administration. En témoigne notamment la tardiveté de l'évaluation de l'impact du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) sur les missions de milieu ouvert, pourtant réclamée de longue date par les personnels. Les résultats de cette évaluation, menée sous l'appellation « Repenser le milieu ouvert », n'ont pas donné lieu à des avancées tangibles : tout au plus cette initiative est-elle venue confirmer l'« accroissement de la charge de travail des professionnels en milieu ouvert »9(*), sans que le ministère aille au-delà de l'annonce d'un « travail », dont la nature n'est pas précisée, en 2026.
La profondeur de la crise du secteur public est également attestée par les difficultés rencontrées en matière de recrutement. Les postes d'éducateurs offerts au concours, dont le volume est pourtant relativement stable (autour de 130 à 150 postes par an), ne peuvent plus être pourvus depuis 2023, faute de candidats : selon l'école nationale de la PJJ (ENPJJ), seuls 101 postes sur 150 ont pu être pourvus en 2023, et 111 sur 157 en 2024.
S'agissant du SAH, d'autres difficultés sont apparues ou se sont aggravées au cours de l'année 2025.
La première tient à l'absence de prise en compte du secteur dans les réflexions structurantes menées par la DPJJ. C'est ainsi, à titre d'illustration, que les fédérations associatives n'ont pas été associées à l'initiative précitée « Repenser le milieu ouvert » alors même qu'au 1er juillet 2025, le SAH assurait la gestion de 102 services territoriaux éducatifs de milieu ouvert, eux-mêmes en charge d'environ 400 établissements et structures sur l'ensemble du territoire. Le SAH n'est pas davantage entendu en matière de ressources humaines, y compris lorsque ses demandes visent à limiter des surcoûts évitables et à éviter les ruptures de suivi : en témoigne le refus de l'administration de prévoir des crédits dédiés à la création de « pôles de remplacement » visant à pallier l'absence momentanée des éducateurs pour privilégier le recours à l'intérim, désormais intégré au budget primitif comme une dépense prévisible.
La seconde difficulté concerne la déclinaison territoriale de la charte d'engagements mutuels qui lie le SAH à la PJJ et constitue le document de référence grâce auquel doit être assurée la complémentarité entre les associations et le secteur public. Les auditions de la rapporteure ont montré qu'en dépit de la qualité du dialogue mené à l'échelle nationale, les relations entre les secteurs dans certaines directions interrégionales (DIR) étaient empreintes de défiance et de rivalité, au préjudice des mineurs suivis. Les associations entendues ont ainsi donné des exemples d'ordonnances non transmises dans les temps, de rendez-vous communs non tenus ou inexistants, ou encore de blocages institutionnels au niveau des services ou des directions territoriales. De manière préoccupante, il apparaît que les services de plusieurs DIR ont pu reprocher à des associations d'avoir émis des signalements auprès de leur fédération, ces alertes ayant ensuite été transmises à la DPJJ : une telle situation ne saurait se justifier.
Enfin, et même si ces chiffres doivent être pris avec prudence tant les coûts de prise en charge peuvent varier en fonction de la nature de mesure mise en oeuvre et du profil des mineurs délinquants, une comparaison sur dix ans fait apparaître un traitement financier divergent entre le SAH et le service public, au détriment du premier : non seulement le ratio entre les crédits alloués et le nombre de jeunes suivis montre que les montants accordés au service public sont structurellement plus importants que pour le SAH, mais surtout la différence entre les ratios se creuse de manière préoccupante depuis trois ans.
La rapporteure appelle le ministère à analyser ces chiffres pour mettre au jour les éventuels facteurs objectifs qui expliquent cette divergence et, dans un second temps, à examiner les voies et moyens d'une réévaluation à la hausse des crédits accordés au SAH.
La crise de la PJJ est, enfin, aggravée dans les deux secteurs par un facteur commun : l'insuffisance des moyens, qui n'ont pas augmenté à due concurrence des besoins, n'a pas été compensée par un assouplissement de la prise en charge des mineurs délinquants. En particulier :
- la priorité n'a pas été donnée au développement des solutions de placement les moins onéreuses, venant « tasser » les moyens au profit des centres éducatifs fermés : ce point fera l'objet de développements dédiés10(*) ;
- l'action des éducateurs n'a pas été modulée en fonction des profils des mineurs : c'est ainsi que, comme le relève l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, l'obligation faite aux éducateurs de conduire des mesures d'investigation pour évaluer la situation de tous les mineurs délinquants doit s'accompagner soit de moyens complémentaires pour permettre aux agents de faire face aux flux, soit de consignes claires les autorisant à adapter l'intensité des investigations aux facteurs de risque que présente chaque mineur ;
- enfin et surtout, la « rénovation des pratiques professionnelles des éducateurs », sur laquelle le ministère annonce que des réflexions sont en cours pour la troisième année consécutive sans avancer aucune piste concrète en la matière, demeure à l'état gazeux11(*). Or, et comme le relevait la rapporteure dans son précédent avis budgétaire, aucune solution pérenne à la crise de la PJJ ne pourra être trouvée sans simplification du travail des éducateurs et sans efforts des magistrats pour tenir compte des contraintes induites par le nouveau code pour la PJJ, par exemple en regroupant plus fréquemment les dossiers pour concentrer dans le temps la présence des éducateurs dans les juridictions.
II. L'INSUFFISANTE DIVERSIFICATION DES PARCOURS, OBSTACLE À UNE PRISE EN CHARGE ADAPTÉE DES MINEURS DÉLINQUANTS
Comme l'ont démontré les récents travaux de la commission des lois sur l'exécution des peines12(*), l'individualisation des parcours de peine est au coeur de l'efficacité de la lutte contre la récidive. Cet objectif n'est, de toute évidence, pas atteint pour les mineurs délinquants, soumis à des sanctions de plus en plus standardisées.
Dans un contexte où le nombre de places dans les structures de placement est largement insuffisant, ainsi que l'ont relevé non seulement les représentants des magistrats et des éducateurs mais aussi l'administration centrale elle-même, la nécessaire augmentation des capacités d'accueil des mineurs suppose que soit conduite une réflexion sur la diversification des prises en charge.
A. L'EFFET (PERSISTANT) D'ÉVICTION DES CEF SUR LES AUTRES FORMES DE PLACEMENT
De longue date et dans des cadres variés, la commission des lois a documenté l'effet d'éviction exercé par les centres éducatifs fermés (CEF) sur les autres formes de placement : théoriquement réservés aux mineurs multi-délinquants ou ayant commis des infractions d'une particulière gravité, les 57 centres existants (19 gérés par le secteur public et 38 par le SAH) sont en effet devenus une solution de placement par défaut.
Les travaux menés par la rapporteure montrent que ce phénomène s'inscrit désormais dans le temps long et que l'augmentation du nombre de places en CEF a de facto cannibalisé les autres offres de placement. Ce constat est désormais consensuel, l'IGJ elle-même pointant, dans son rapport sur la lutte contre la délinquance des mineurs, que « les créations de places en centre éducatif fermé sur la période 2010-2024 (+ 117) n'ont pas compensé la disparition des places en hébergement collectif (-238), qui font défaut aujourd'hui ». Cette insuffisance fait de la recherche d'un lieu d'accueil un véritable « parcours du combattant » pour les magistrats. De la même manière, les fédérations du Uniopss et Citoyens & justice ont mis en évidence, dans le SAH, une baisse du nombre des journées en établissements disposant d'une habilitation conjointe de la PJJ et de l'aide sociale à l'enfance (ASE) à due concurrence de l'augmentation des journées de placement en CEF (+ 7 307 journées dans les CEF et - 7 914 journées dans les établissements conjoints entre 2023 et 2024)13(*).
Cet effet d'éviction ne serait pas critiquable s'il s'opérait au profit des mineurs délinquants, grâce à une prise en charge plus « contenante » et donc plus efficace ; il faut cependant craindre qu'il se produise au détriment de leur réinsertion. Selon des statistiques rappelées par la mission d'information du Sénat sur l'exécution des peines14(*), les placements en CEF sont un facteur qui aggrave le risque de récidive dès lors que leur durée est inférieure à quatre mois. Or, on observe une baisse continue de la durée moyenne de placement depuis plusieurs années : au premier semestre 2025, cette durée s'établit à 3,8 mois, passant sous le « seuil » de prévention de la récidive ; en 2024, près de la moitié des placements ont même duré moins de trois mois.
Les éléments recueillis par la rapporteure démontrent, par ailleurs, que la DPJJ ne dispose pas des moyens techniques requis pour analyser le profil des mineurs placés en CEF. L'administration indique ainsi que la nature de l'affaire ayant justifié le placement n'est « pas renseignée dans trois quarts des cas » et qu'il est impossible, en l'état des applicatifs informatiques, d'isoler la proportion de mineurs primo-délinquants.
Ce diagnostic est largement partagé. La Cour des comptes a rendu public, en 2023, un rapport sévère sur les CEF et leur fonctionnement15(*). Non moins rigoureux est le rapport publié en 2025 par la mission thématique de l'IGJ consacrée à ces centres16(*), qui pointe de réelles lacunes en matière de ressources humaines (recours fréquent et non encadré à l'intérim du fait d'un fort taux d'absentéisme des agents), une sous-évaluation de la charge de travail des éducateurs et, surtout, l'existence de défaillances dans le suivi, notamment scolaire et médical, des mineurs placés.
Malgré le bilan a minima mitigé des CEF, et en dépit de l'absence d'évaluation préalable de l'offre existante de placements et des besoins réels de chaque territoire, le PLF pour 2026 prévoit de poursuivre le plan de construction de 22 nouveaux CEF, lancé en 2019 et depuis lors confronté à de lourdes difficultés financières et opérationnelles.
Point d'étape sur le programme de construction de nouveaux CEF
À la fin de l'année 2025, sept établissements seront déjà livrés et en fonctionnement, deux dans le SP, à Bergerac (24) et Rochefort (17) et 5 dans le secteur associatif habilité (SAH) à Épernay (51), Saint Nazaire (44), Montsinéry-Tonnegrande (973), Le Vernet (09) et Aiglun (04).
Un CEF associatif sera livré et entrera en fonctionnement au premier trimestre à Amillis (77).
Le chantier de construction d'un CEF associatif à Bléré (37), démarré en août 2025, se poursuivra en vue d'une livraison en 2027.
Quatre nouveaux établissements entreront en construction en 2026, à Liancourt (60) et à Lure (70) pour le SP et à Varennes-le-Grand (71) et Villeneuve-Loubet (06) pour le secteur associatif.
Enfin, un dernier projet de CEF associatif à Bellengreville (14) fait actuellement l'objet de discussions et d'études en vue de déposer une nouvelle demande de permis de construire répondant aux exigences de l'Architecte des Bâtiments de France (ABF). Un démarrage du chantier au second semestre 2026 est envisageable.
À ce jour, les prospections foncières se poursuivent pour les autres projets de CEF. [...]
Pour les projets en cours, précédemment mentionnés et actuellement en phase d'étude de conception, la DPJJ dispose d'ores et déjà d'une visibilité sur les coûts des emprises (acquisitions et contraintes d'aménagement) et a fixé un objectif de coût plafond à 7 M€.
Source : ministère de la justice.
Ce plan pourrait toutefois être remis en question, le Gouvernement paraissant avoir pris conscience qu'il est périlleux de construire de nouveaux CEF tant que les problèmes de fonctionnement des centres existants n'auront pas été résolus et, plus largement, tant que l'intérêt pour les mineurs délinquants de tels centres ne sera pas solidement établi. Au cours de son audition, le ministre de la justice Gérald Darmanin s'est ainsi déclaré « dubitatif » sur ces centres, affirmant que « la politique des CEF est peu efficace alors qu'elle reçoit beaucoup de moyens » et qu'il serait « favorable [à un] amendement [...] imposant un moratoire sur les CEF » si un tel amendement était déposé.
La rapporteure ne peut que se réjouir de cette prise de conscience, qui ne saurait manquer de se traduire en 2027 au plus tard par un redimensionnement du « plan CEF » ; elle appelle à un redéploiement des moyens financiers ainsi libérés, à court ou à moyen terme, vers l'augmentation du nombre de postes d'éducateurs sur le terrain.
B. LES LACUNES DANS LA DIVERSIFICATION DES PRISES EN CHARGE DES MINEURS DÉLINQUANTS
L'enjeu des CEF - qui ne concernent que 2,2 % de l'activité globale de la PJJ, selon l'IGJ - n'est cependant que la partie émergée de l'iceberg : plus structurelle est la question de la diversification des solutions de prise en charge des mineurs délinquants.
L'année 2025 et les projections permises par le PLF pour 2026 confirment la tendance, observée depuis plusieurs années, au « tassement » des formes de sanction. Alors que certaines solutions, qui ne conviennent pourtant pas à tous les profils, tendent à se généraliser (CEF et centres éducatifs renforcés - CER), les prises en charge les plus innovantes ou les plus ambitieuses subissent à l'inverse une diminution des crédits qui leur sont consacrés.
Cette évolution va à l'encontre des principes directeurs du code de la justice pénale des mineurs et de l'intention exprimée par le législateur lors de l'adoption de celui-ci. Elle se traduira en particulier, en 2026, par la baisse des places disponibles en médiation et en réparation pénale, et notamment par la fermeture de trois établissements de réparation pénale à Orléans, Poitiers et Boé, « du fait d'une chute d'activité constatée depuis plusieurs années », selon le projet annuel de performance, cette chute étant elle-même liée à un faible taux de prescription des mesures de réparation par les magistrats.
Pour le SAH, la prévision de charges pour 2026 marque une baisse nette des mesures prévues en réparation pénale et en médiation (7 920 mesures, contre 8 614 en 2025). Sur le temps long, la diminution présente un caractère massif : alors que les crédits consacrés à la réparation et à la médiation représentaient plus de 10 % des fonds alloués au SAH par la loi de finances initiale pour 2021, leur poids s'est trouvé divisé par trois depuis lors (3,4 % en 2025 et 3,2 % prévus pour 2026)17(*).
La rapporteure déplore cette situation, l'utilité de la réparation pénale pour les mineurs n'étant plus à démontrer, comme elle l'a constaté à l'occasion d'un déplacement à Saint-Denis en avril 2025.
La réparation pénale pour les
mineurs :
l'exemple de l'association Jean-Coxtet de
Saint-Denis
L'association Jean-Coxtet concentre ses activités en Île-de-France, où elle compte 36 établissements. Ses responsables ont indiqué rencontrer des problèmes considérables de recrutement et de « fidélisation » des équipes, notamment en raison d'une rémunération encadrée par convention et qui ne permet pas de faire face au coût de la vie en région parisienne.
S'agissant de la réparation pénale, la mesure suit un parcours précis, sur une période totale de trois à quatre mois :
- une première rencontre avec le mineur et un responsable légal permet d'identifier le profil, le contexte familial, l'acte commis par le jeune ;
- deux à trois entretiens individuels sont menés pour élaborer le projet de réparation afin de définir l'activité ou l'atelier qui sera réalisé ;
- l'activité de réparation est mise en oeuvre, en interne ou par le biais de tiers extérieurs (via des partenariats avec des associations, collectivités, etc.) ;
- un bilan est établi avec le responsable légal, puis un rapport est rédigé à destination du délégué au procureur (en cas d'alternatives aux poursuites) ou du juge des enfants (en cas de poursuites).
Pour ce qui concerne la mise en oeuvre des mesures de réparation, plusieurs difficultés ont été soulevées par les éducateurs et l'équipe encadrante :
- la brièveté du délai imparti : une période de trois à quatre mois ne peut être efficace qu'en cas d'accroche éducative rapide, alors même qu'il faut parfois plusieurs mois pour édifier un lien de confiance entre l'éducateur et le mineur ;
- la grande difficulté à trouver des partenariats, notamment depuis la pandémie de covid-19 mais aussi, plus récemment, sous l'effet d'une évolution de l'image du mineur délinquant qui effraie les entités extérieures ;
- un trop grand nombre de jeunes par encadrant (30 jeunes par éducateur en moyenne) ;
- des difficultés d'évaluation du dispositif en l'absence de visibilité sur le devenir des mineurs suivis après l'accomplissement de la mesure de réparation.
Source : commission des lois.
La PJJ souffre également de l'absence de « filières » permettant d'adapter la prise en charge au profil des mineurs ayant commis des infractions lourdes : tel est en particulier le cas pour les mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel (MAICS) et pour ceux qui sont impliqués dans des réseaux de narcotrafic, ces deux thèmes ayant fait l'objet de travaux sénatoriaux spécifiques18(*).
Les mineurs auteurs de violences sexuelles, tout d'abord, incarnent un enjeu majeur de politique pénale au vu de leur nombre sans cesse croissant : comme le rappelait la Haute assemblée dans le rapport (précité) de sa mission commune de contrôle sur la prévention de la récidive du viol, environ 25 % des personnes mises en cause pour des infractions sexuelles en 2023 étaient des mineurs, attestant d'une surreprésentation des plus jeunes dans cette forme de délinquance. Ce constat est appuyé par l'IGJ qui, dans son rapport sur la lutte contre la délinquance des mineurs, souligne que « 50,3 % des mineurs mis en cause, sur les quatre premiers mois de 2025, le sont pour des affaires de violences sexuelles, leur nombre est en constante augmentation depuis 2016 ».
La mission du Sénat et l'inspection convergent, de même, pour observer qu'aucune prise en charge adaptée n'est offerte à ces mineurs, en dépit du risque réel de récidive ou de réitération de l'infraction en l'absence de suivi médical pertinent. L'IGJ note ainsi, face à la « massification » des infractions sexuelles commises par des mineurs, que « les réponses spécifiques restent insuffisantes face à l'ampleur de la problématique » : elle recommande dès lors « une prise en charge collective éducative et thérapeutique pour les mineurs auteurs de violences sexuelles », celle-ci faisant aujourd'hui défaut dans les structures où sont généralement placés ou incarcérés les MAICS.
La DPJJ prévoit de « publier début 2026 un guide de prise en charge des mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel afin d'apporter aux professionnels de terrain du SP et du SAH des éléments de connaissance relatifs aux problématiques de ce public et de proposer des modalités de prise en charge et des outils adaptés ». La rapporteure se réjouit de cette première étape. Nécessaire mais non suffisante, cette initiative doit s'accompagner de directives claires et de moyens suffisants pour accompagner les MAICS vers le soin.
Selon la DPJJ, les infractions liées aux stupéfiants étaient en 2024 le deuxième motif de prise en charge des mineurs, derrière les violences. Or, le bilan n'est pas meilleur en matière de narcotrafic et, plus globalement, de criminalité organisée.
Le projet annuel de performances du programme 182 pour 2026 présente, certes, comme premier objectif stratégique de la PJJ la « prioris[ation de] la lutte contre la criminalité organisée et l'emprise des réseaux sur les mineurs » ; cependant, les seules actions citées sont l'organisation d'un colloque à Marseille en juin 2025 ayant abouti à la signature d'un protocole « visant à renforcer la coordination judiciaire et éducative face au développement des recrutements de jeunes vulnérables via les réseaux sociaux ». Pour importante que ce soit la lutte contre l'ubérisation de l'embauche des « petites mains », ce protocole ne saurait constituer à lui seul une politique publique.
Au-delà des éléments qui figurent dans le projet annuel de performances, la rapporteure a recueilli au cours de ses auditions plusieurs informations :
- des CEF ressources « trafic de stupéfiants » vont être identifiés dans chaque DIR afin d'assurer l'éloignement des mineurs les plus impliqués, de les mettre à l'abri des pressions exercées par les réseaux et de garantir une « contenance éducative » renforcée. Des équipes dédiées seront formées à compter de janvier 2026 et apporteront un appui technique aux autres structures ;
- une recherche nationale est en cours pour mieux comprendre les profils et caractéristiques des jeunes concernés, l'évolution du phénomène et ses impacts sur les prises en charge ;
- des expérimentations sont en cours sur des mesures de réparation innovantes destinées aux « guetteurs », notamment à Marseille, et sur un protocole judiciaire et éducatif visant à améliorer la coordination entre les parquets et les services éducatifs pour les jeunes poursuivis dans des territoires éloignés de leur lieu de domiciliation (ce qui est notamment le cas pour les « jobbeurs » recrutés par le biais des réseaux sociaux).
Opportunes, ces initiatives doivent être renforcées et amplifiées afin d'éviter que les mineurs suivis par la PJJ, particulièrement vulnérables, ne soient recrutés ou repris par les réseaux de narcotrafic. L'identification de quelques CEF dans chacune des neuf directions interrégionales risque, en effet, de ne pas être à la hauteur des enjeux, étant rappelé que les centres ont une capacité de douze places et que le nombre de mineurs impliqués dans les trafics est tout aussi important en « stock » qu'en « flux ». La rapporteure appelle ainsi à une sensibilisation de tous les éducateurs19(*) aux caractéristiques des réseaux de criminalité organisée : une telle formation serait à l'évidence d'une grande utilité, la mise en oeuvre de solutions ponctuelles (CEF « fléchés », recrutement de conseillers techniques « narcotrafic » dans les directions territoriales...) n'étant pas susceptible de combler les immenses besoins qui s'expriment sur le terrain.
C. DES FAILLES DANS LE SUIVI DES MINEURS INCARCÉRÉS
Les récents travaux de la commission des lois sur l'exécution des peines, déjà évoqués, ont permis une étude détaillée de la situation des quartiers « mineurs » (QM) et des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Ici encore, sans qu'il soit question de reprendre dans leur intégralité les conclusions de ces réflexions, l'examen du budget permet de mesurer les progrès à accomplir.
La DPJJ et la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) reconnaissent, en effet, qu'il est indispensable d'aller vers « une harmonisation des pratiques, quel que soit le type d'établissement pénitentiaire, ainsi qu'une même qualité de prise en charge, structurante et individualisée, pour chaque mineur détenu ». La DPJJ annonce également « un travail avec les juridictions autour des schémas d'orientation [...] afin de repenser les critères d'orientation des mineurs vers les lieux de détention et mieux tenir compte de l'évolution des profils des mineurs incarcérés (selon leur âge, leurs problématiques, la nature et la gravité des infractions reprochées, leur appartenance éventuelle à des réseaux...) ».
Pour intéressantes qu'elles soient, ces pistes ne sont pas encore de nature à assurer une équité de traitement entre les mineurs incarcérés en EPM et ceux qui sont affectés en QM. Elles ne peuvent pas davantage garantir une prise en charge suffisante des mineurs incarcérés en matière d'éducation, de formation et, le cas échéant, d'accès aux soins.
Quelques progrès notables peuvent, cependant, être entrevus. L'efficacité de la prise en charge des mineurs en QM comme en EPM repose essentiellement, de l'aveu général des professionnels, sur qualité des relations entre l'administration pénitentiaire et la PJJ - ou, pour le formuler autrement, sur la complémentarité et sur la robustesse du binôme surveillant / éducateur. Des défaillances fortes, au demeurant reconnues par la direction de la PJJ comme par la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) mettent à mal l'efficacité de ce binôme dans nombre d'EPM ou de QM. Pour faire face à cette difficulté, des efforts sont prévus au stade de la formation : les représentants de l'ENPJJ ont ainsi indiqué à la rapporteure que la formation des surveillants et des éducateurs affectés dans ces structures connaîtrait une forte évolution en 2026. Non seulement cette formation sera « déployée obligatoirement pour les personnels nouvellement nommés en EPM et étendue à ceux nouvellement nommés en QM », mais surtout elle sera « assortie d'un stage obligatoire de 3 jours au sein d'une structure de l'autre direction dont l'objectif est la connaissance des publics et des missions » : on ne peut que saluer cette initiative.
III. UNE ÉVALUATION DE L'EFFICACITÉ DE LA PJJ TOUJOURS DÉFAILLANTE
La rapporteure commente depuis plusieurs années l'avancée du déploiement du logiciel informatique PARCOURS, supposé permettre à terme le suivi de l'ensemble des mineurs délinquants - ce qui implique que ce suivi est, à date, techniquement impossible. Le présent rapport pour avis est l'occasion d'élargir le raisonnement pour étudier plus largement la qualité des indicateurs dédiés à l'évaluation de la performance de la PJJ.
A. DES INDICATEURS CHIFFRÉS COMPROMIS PAR DES SYSTÈMES D'INFORMATION OBSOLÈTES
Les indicateurs rattachés au programme 182 sont les suivants :
- les délais moyens de prise en charge des mineurs, par catégorie de mesure ;
- le nombre de jeunes insérés (donc scolarisés, en situation d'emploi ou intégrés à un dispositif d'insertion) ;
- la durée de placement, l'objectif étant de dépasser en CEF et en unité éducative d'hébergement collectif (UEHC) un seuil en deçà duquel la mesure est considérée comme inefficace (trois mois) ;
- la proportion de jeunes en détention provisoire parmi les mineurs détenus, dans un contexte où les prévenus constituent structurellement une large majorité (62 % en 2025) des jeunes incarcérés ;
- le taux d'occupation et de prescription par les magistrats des établissements de placement, par type (CER, CEF, UEHC) et, le cas échéant, par secteur (public ou SAH).
Comme la plupart des indicateurs figurant dans les projets annuels de performance des divers programmes du budget général de l'État, ces indicateurs sont strictement quantitatifs : il s'agit d'une formule relativement classique qui répond aux « canons » de l'exercice.
Les indicateurs de la PJJ présentent toutefois plusieurs particularités.
D'une part, ils sont pour certains construits de manière contestable, ce qui peut tenir :
- à des hypothèses méthodologiques discutables : ainsi de la durée de placement, qui met en avant un plancher de trois mois malgré des études (déjà citées) qui, pour les CEF, incitent plutôt à retenir le seuil de quatre mois et qui, pour les UEHC, ne semblent pas indiquer l'existence d'une durée particulière en deçà de laquelle la pertinence du placement serait limitée ou obérée ;
- à des variations inexpliquées de périmètre. On peut ainsi s'étonner que le taux d'occupation et de prescription tienne compte de l'ensemble des CEF et des CER, publics comme associatifs, tandis que, pour les UEHC et les établissements de placement éducatif (EPE), seules les structures publiques sont intégrées au calcul, sans que ce choix fasse l'objet de justifications particulières.
D'autre part, l'exactitude des chiffres qui nourrissent les indicateurs de performance est âprement contestée par les personnels de terrain. À titre d'exemple, plusieurs personnes entendues par la rapporteure ont mis en doute les délais annoncés en matière de prise en charge des mesures judiciaires d'investigation éducatives (MJIE) civiles, jugeant que ceux-ci étaient largement sous-évalués au vu de l'état de saturation des services compétents dans plusieurs directions interrégionales. Le ministère, quant à lui, fait référence à plusieurs reprises dans le PAP à des difficultés de saisie ou des « biais » d'enregistrement » dans PARCOURS qui viendraient, selon lui, fausser les statistiques - mais dans un sens inverse de celui qui est évoqué par les associations et les organisations syndicales...
Quelle que soit la nature (à la hausse ou à la baisse) des déformations statistiques provoquées par PARCOURS, celles-ci sont unanimement constatées, conduisant à une certaine prudence dans l'analyse des chiffres cités dans le PAP. L'IGJ a, pour sa part, relevé20(*) « une sous-utilisation du logiciel par les éducateurs, en raison notamment des évolutions permanentes de l'applicatif rendant complexe son usage » : l'inspection estime ainsi que, « en raison des retards accumulés dans le développement et le déploiement de PARCOURS, les données que l'on peut extraire de son infocentre `InfoDPJJ' sont actuellement de qualité très moyenne ».
Rappelons que PARCOURS, dont une première version avait été déployée en 2021, connaît depuis lors des défaillances nombreuses ayant conduit la rapporteure à évoquer en novembre 2024 un véritable « naufrage », le projet ayant largement dérapé aux plans financier et calendaire. Il présente, sur le fond, des résultats extrêmement décevants.
Le chemin de croix du logiciel PARCOURS :
arrêt momentané en station
Interrogé sur l'état d'avancement du déploiement de PARCOURS, le ministère de la justice a transmis les éléments suivants à la rapporteure :
- les développements informatiques qui correspondent au lot n° 2 du projet PARCOURS visent à dématérialiser le dossier du mineur, mais aussi les écrits professionnels (recueil de renseignements socio-éducatifs, dossier individuel de prise en charge et projet conjoint de prise en charge), l'enregistrement des parcours scolaires et d'insertion (y compris avec le dispositif armée/justice), des parcours en procédure civile à l'aide sociale à l'enfance, des données relatives à la santé et des évènements marquants durant la prise en charge (familial, social, judiciaire, associatif, civique et scolaire). Ils doivent permettre de simplifier le travail des personnels grâce à un espace de notes personnelles, des notifications automatiques, des échéances et un workflow de signature et de validation hiérarchique des écrits. Néanmoins, la rapporteure a appris au cours de ses auditions (ces éléments ne figuraient pas dans la réponse écrite du ministère à son questionnaire budgétaire) que le lot n° 2 avait été mis à l'arrêt au cours de l'année 2025 pour permettre un audit de la direction du numérique (DiNum). La mise en service du lot n° 2 est, à ce jour, prévue pour la fin 2026 ;
- maintes fois annoncée, sans cesse reportée, l'ouverture du logiciel au SAH n'est toujours pas opérationnelle et le ministère estime désormais qu'elle n'aura pas lieu avant le dernier trimestre de 2027 ;
- d'autres fonctionnalités seront mises en service « début 2028 » : interconnexion avec Cassiopée et Genesis, solution « nomade » d'utilisation, rappels de rendez-vous par SMS pour les mineurs suivis...
L'équipe en charge de la supervision du déploiement de PARCOURS a été étoffée au cours de l'année écoulée. Le ministère indique que « la DPJJ mobilise une équipe projet PARCOURS en administration centrale (mission applications métier à la SDMPJE et bureau des systèmes d'information et du contrôle de gestion à la SDPOM) et des renforts métier pérennes ou ponctuels. Le recrutement d'un directeur de projet est en cours », tandis que « la DiNum mobilise quant à elle à temps plein un chef de projet, un Business analyst, des équipes de développement (titulaires d'un marché public de réalisation), une équipe d'intégration et des ressources transverses partagées par plusieurs projets (architectes solution, technique et fonctionnel, chef de projet tests, ressources de tests techniques, de tests de performances, d'audit de code) ».
Malgré ces efforts, le projet reste fragile. Comme évoqué supra, PARCOURS a fait l'objet d'une analyse approfondie de la DiNum ; celle-ci a donné un avis favorable à la poursuite du projet et émis des recommandations pour sécuriser sa feuille de route. La DPJJ considère qu'il s'agit là d'une « dernière chance », le projet pouvant être abandonné si la relance du lot n° 2 ne donnait pas satisfaction.
Source : commission des lois.
Le coût de PARCOURS atteint fin 2025 la somme pharaonique de 23 M€, étant rappelé que le deuxième lot n'a pas encore été livré et que ce total n'est que provisoire, puisqu'un troisième lot doit encore être conçu et mis en service.
La rapporteure ne peut que réitérer ses précédentes recommandations et demander que la gestion de PARCOURS soit à l'avenir suivie par le secrétariat général du ministère de la justice, probablement mieux armé que la DPJJ pour assumer cette mission, comme semble l'avoir reconnu le ministre lui-même au cours de son audition budgétaire21(*).
PARCOURS n'est pas le seul applicatif à générer des difficultés. Les juges des enfants ont pointé, auprès de la rapporteure, les lacunes du logiciel Cassiopée, dont le fonctionnement n'est pas adapté aux spécificités de la justice des mineurs. Dans le même temps, et sans que cet ajout semble procéder d'une logique de simplification au vu des interconnexions qui seront requises à terme avec les autres systèmes d'information du ministère de la justice, est annoncé le déploiement à brève échéance d'un nouveau logiciel, Oasis (outil d'analyse et de suivi des incidents signalés), qui permettra d'enregistrer les incidents recensés par le secteur public comme par le SAH, l'outil ayant vocation à être ouvert simultanément aux deux secteurs. Si on ne peut, sur le fond, que se réjouir de l'émergence de ce nouvel outil, on ne saurait dissimuler une forme de circonspection face à l'arrivée d'un tel logiciel alors que le suivi statistique des mineurs n'est toujours pas assuré.
B. ÉVALUATION IMPOSSIBLE, TRANSPARENCE INTROUVABLE
Par-delà les lacunes des indicateurs quantitatifs, la rapporteure constate que le programme 182 ne dispose pas, contrairement à d'autres programmes, d'indicateurs chiffrés permettant de rendre compte de l'efficacité qualitative de la PJJ22(*) - donc, en l'espèce, du contenu des prises en charge et de leur effectivité pour la prévention de la récidive des mineurs.
L'insuffisance des outils informatiques joue un rôle majeur dans cette lacune ; cependant, la rapporteure déplore que les développements littéraires présentés dans le projet annuel de performance tendent à devenir un exercice standardisé, dénué de toute valeur ajoutée - voire, sur certains aspects, un recueil de formules trompeuses. Les explications avancées dans le PAP ne permettent pas de comprendre le stade d'avancement de certains projets, à l'instar du « nouveau modèle d'établissement » en matière de placement évoqué depuis plusieurs années sans que la nature de l'innovation ainsi portée soit précisée.
Plus préoccupante encore est la stabilité des rédactions en matière de réinsertion des mineurs, dont le laconisme confine au dédain envers le lecteur : le projet annuel de performance reprend, en effet, les exactes mêmes formules depuis trois exercices budgétaires, seule ayant été supprimée la référence aux Jeux olympiques et paralympiques 2024 après leur tenue23(*). Cette méthode n'est pas de nature à rassurer le Parlement sur la nature des actions mises en oeuvre pour garantir l'insertion des mineurs suivis, notamment en ce qui concerne le contenu des partenariats « dynamiques » vantés par la DPJJ : les précisions demandées par la rapporteure ont fait apparaître que le principal partenariat mis en avant, à savoir « le partenariat interministériel Justice/Armées/FSI (ouverture de parcours militaires aux jeunes) » n'avait concerné que 400 mineurs environ, dont la grande majorité n'a bénéficié que d'actions ponctuelles (stages de découverte, sessions de la journée de défense et de citoyenneté - au demeurant obligatoires -, « activités physiques et sportives, sensibilisation citoyenne et mémorielle, découverte du monde militaire », etc.) : au total, ce sont à peine plus cent mineurs qui ont été pris en charge de manière pérenne par le biais d'une initiation militaire (PIM, 42 jeunes), d'un module « armée-nation » (66 jeunes) ou d'une orientation en EPIDE (6 jeunes). La rapporteure ne peut que déplorer la faiblesse de cet effectif au vu de la richesse qu'un tel partenariat peut recéler et de l'importance des leviers dont disposent les Armées pour offrir aux mineurs une alternative positive à la délinquance.
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Bien qu'il mette en lumière des dysfonctionnements, et même dans certains cas de lourdes défaillances en exécution, le présent rapport montre que des efforts sont consentis pour augmenter les moyens dévolus à la PJJ dès 2026 et, surtout, pour rationaliser à l'avenir l'emploi de ses ressources matérielles et humaines. En témoigne la vision renouvelée du ministère de la justice sur :
- le programme de construction de nouveaux CEF, visiblement promis à un moratoire ;
- la répartition des effectifs, avec une promesse de redéploiement vers le terrain ;
- la mise en service du logiciel PARCOURS, dont la supervision semble avoir fait l'objet d'une salutaire reprise en main.
Ces trois éléments militent pour une approche constructive des crédits du programme 182, car malgré la « détresse » de la PJJ, rappelée par le ministre de la justice lui-même24(*), les travaux de la rapporteure attestent de l'existence de signaux encourageants.
C'est pourquoi la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » inscrits au projet de loi de finances pour 2026.
EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen de l'avis de notre collègue Laurence Harribey sur le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) de la mission « Justice »
Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis du programme « Protection judiciaire de la jeunesse ». - Louis Vogel a indiqué lors de l'examen du précédent avis qu'il ne fallait pas désespérer, car notre travail a parfois un impact concret sur le Gouvernement. Notre garde des sceaux vient justement de faire une déclaration qui fait écho à ce que je vais proposer dans mon rapport ; j'y reviendrai.
La vigilance est plus que jamais de mise pour la protection judiciaire de la jeunesse, dont le ministre de la justice a souligné la « détresse » lors de son audition devant notre commission. Le programme « PJJ » peut être considéré comme le parent pauvre de la mission « Justice ». En effet, ses moyens stagnent et seuls 70 postes seront créés en 2026, ce qui est sans commune mesure avec l'évolution à la hausse des moyens dédiés aux autres programmes.
L'avis que je présente reflète cette situation. Cependant, tout en observant l'évidente dégradation des conditions dans lesquelles les mineurs délinquants sont pris en charge, j'ai pu constater qu'il y avait des raisons d'espérer une amélioration dans un avenir proche.
En premier lieu, je voudrais évoquer le climat social de la PJJ, qui est devenu très préoccupant. Les années précédentes, j'avais perçu de la colère chez les personnels du secteur public comme du secteur associatif. Aujourd'hui, ils sont en proie à un profond sentiment d'abattement, qui n'est pas dénué de fondement. Il provient notamment du manque de transparence de l'administration, puisque la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) refuse de transmettre des éléments factuels de base aux syndicats et aux fédérations associatives. Ce sentiment d'abattement découle aussi et surtout d'une tendance délétère en matière de ressources humaines, puisque les postes créés ont été orientés vers les fonctions de support, au détriment des missions exercées au contact des mineurs.
Pour le seul milieu ouvert, l'inspection générale de la justice (IGJ) estime qu'il manque 322 postes, ce qui est considérable. Plus largement, alors que 600 postes ont été créés au sein de la PJJ depuis 2020, les effectifs des métiers du social, de l'insertion et de l'éducatif ont baissé de 53 équivalents temps plein travaillé (ETPT).
Cette situation est intenable et est de nature à créer une réelle souffrance chez les personnels de la PJJ. Toutefois, il y a des motifs d'optimisme. Ainsi, le nouveau directeur de la PJJ s'est engagé à affecter les 70 postes créés en 2026 au milieu ouvert et à examiner dans l'avenir un redéploiement de certains postes de conseillers techniques vers des missions de terrain, ce que demandent les organisations professionnelles.
En deuxième lieu, je souhaiterais mettre l'accent sur l'insuffisante diversification des parcours offerts aux mineurs délinquants. Nous avions déjà abordé ce sujet dans le cadre de notre mission d'information sur l'exécution des peines et je serai donc brève.
Premièrement, l'année 2025 confirme que les centres éducatifs fermés (CEF) ont un effet d'éviction au détriment des autres formes de placement. Ils ont été pensés pour une catégorie de jeunes délinquants ayant commis des faits plutôt graves et sont devenus une solution de placement par défaut, y compris pour les primo-délinquants. Entre 2023 et 2024, le nombre de journées de placement dans les établissements gérés conjointement par la PJJ et l'aide sociale à l'enfance (ASE) a drastiquement chuté puisqu'on compte près de 8 000 journées de moins, tandis que le nombre de journées passées en CEF augmentait de 7 300. Cette évolution ne se fait pas au profit des mineurs délinquants, puisque les placements en CEF ne sont efficaces que s'ils durent au moins quatre mois, à défaut de quoi ils favorisent la récidive. Or, au premier semestre 2025, la durée moyenne de placement s'établissait à 3,8 mois.
Là encore, l'avenir pourrait laisser espérer des améliorations, et j'en viens à la récente annonce du ministre de la justice, qui semble avoir compris notre message. En effet, après s'être dit « dubitatif » sur leur intérêt lors de son audition, il vient d'annoncer la fermeture des CEF et leur transformation en unités judiciaires à priorité éducative. Cette mesure, qui constitue une bonne nouvelle, prend en considération un certain nombre de rapports, dont ceux de la Cour des comptes, sur lesquels nous nous étions appuyés. Notre travail porte ses fruits et nous semblons nous diriger vers une adaptation des solutions en fonction du profil du mineur délinquant. À cet égard, il ne faut pas se leurrer : si la délinquance des mineurs n'augmente pas, les faits commis connaissent une aggravation et leurs auteurs sont de plus en plus jeunes. Cela ne signifie pas que la justice est laxiste, mais qu'il faut adapter nos outils et développer des approches spécifiques, notamment pour les petites mains du narcotrafic et les infractions à caractère sexuel. Il s'agit de mettre en place des solutions différenciées et des établissements dédiés, un peu comme ce que Louis Vogel a décrit pour les majeurs.
En troisième et dernier lieu, je m'intéresserai à l'évaluation de la performance de la PJJ. En France, nous sommes forts pour bâtir des politiques publiques, mais quasiment nuls pour les évaluer. J'ai beaucoup travaillé avec les Canadiens et nous avons de quoi apprendre en la matière, avant d'inventer des dispositifs nouveaux.
Le projet annuel de performances est marqué par une carence en indicateurs qualitatifs. Pire encore, les explications y sont standardisées. Certaines se répètent d'une année sur l'autre avec une déplaisante régularité, y compris sur certains sujets, pour lesquels les mêmes formules sont reprises pour la troisième année consécutive. J'appelle solennellement le ministère à rectifier le tir. En effet, non seulement les éléments sont imprécis, mais certaines formulations sont carrément trompeuses. Ainsi, on ne fait pas oeuvre de transparence lorsqu'on vante le « dynamisme » du partenariat entre la PJJ et les armées qui, en 2025, a concerné à peine plus de 100 jeunes sur les 150 000 mineurs suivis.
De plus, les indicateurs quantitatifs ne sont pas fiables, en raison notamment des difficultés rencontrées lors de la mise en place du système d'information Parcours. J'ai déjà fait référence l'an dernier au naufrage annoncé de ce déploiement. Les statistiques qu'il produit sont partielles et incorrectes. De plus, son coût atteint désormais la somme pharaonique de 23 millions d'euros alors que nous n'avons accompli que la moitié du processus et que les étapes les plus sensibles restent à venir.
Ce projet doit être suivi non par la DPJJ, mais par le secrétariat général du ministère, qui paraît mieux armé pour remettre le chantier sur les rails. Il me semble que le ministre en convient, puisque cette évolution est cohérente avec la réorganisation du ministère de la justice annoncée lors de son audition. Je me réjouis qu'un audit sur la mise en place de Parcours ait pu être mené par la direction interministérielle du numérique (Dinum) en 2025, qui a émis un avis favorable à la poursuite du projet, en préconisant une supervision renforcée. La DPJJ estime qu'il s'agit là d'une opération de la dernière chance.
Le manque de moyens disponibles sur le terrain nourrit une crise profonde et silencieuse. Les personnels de la PJJ souffrent.
Néanmoins, une prise de conscience se dessine au sein du ministère. Une autre approche émerge, et on le sent autant sur la question de la PJJ que sur celle de l'administration pénitentiaire. Compte tenu de ces perspectives d'avenir, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme. Cependant, je réitère cette mise en garde : la PJJ demeure le parent pauvre de la mission, ce que nous ne pouvons pas nous permettre ; derrière la délinquance des mineurs, il y a la délinquance des majeurs.
Mme Agnès Canayer. - D'abord, je voudrais évoquer la formation des personnels de la PJJ. Ces métiers connaissent des problèmes d'attractivité, souvent parce qu'il y a un décalage entre les formations théoriques et l'expérience quotidienne sur le terrain. La formation pour devenir éducateur compte 170 heures de cours sur la conduite des projets. Ainsi, les éducateurs sont davantage formés à coordonner les projets qu'à accompagner les mineurs.
Ensuite, on constate un problème de coordination entre les actions menées par les éducateurs de la PJJ et ceux de l'ASE. 10 % des jeunes sont accompagnés par les deux, cumulant des vulnérabilités liées à leur environnement familial et à la délinquance. Souvent, faute de temps et de moyens, l'accompagnement est davantage bricolé que coordonné. Nous avons du mal à offrir à ces enfants une véritable seconde chance.
M. Christophe Chaillou. - La PJJ est le parent pauvre de la mission « Justice » et un malaise profond est exprimé par les salariés, les associations et tous ceux qui traitent de cette réponse éducative essentielle, qui manque de moyens. Le climat social se dégrade et une forte crise d'attractivité sévit. Je rejoins Mme Canayer : le problème de la formation des personnels participe largement de cette crise.
Des moyens sont accordés et il faut saluer le fait que les nouveaux postes seront davantage dirigés vers l'action sociale que vers l'encadrement. Cependant, ces moyens restent largement insuffisants par rapport aux besoins et à la nécessité de diversifier les parcours. Aujourd'hui, la prise en charge de certains de ces jeunes n'est pas adaptée aux profils, qui sont de plus en plus complexes et violents. Je songe notamment aux mineurs auteurs d'infractions sexuelles.
La PJJ s'est longtemps cantonnée à une réponse pénale. Pourtant, ses priorités doivent être la prévention, la réinsertion, l'assurance d'un suivi individualisé et le renforcement des partenariats territoriaux. Au regard de ces priorités, l'allocation de nouveaux crédits, à la construction des CEF semblait inadaptée. L'annonce du ministre vient modifier ce constat. Cependant, il faut rester prudents en la matière puisqu'un certain nombre de projets ont déjà été engagés. Il faut saluer le pragmatisme du ministre, qui cherche à répondre aux difficultés et à certaines questions que nous lui avions posées, mais je resterai vigilant.
Compte tenu des difficultés du secteur et de l'absence de moyens adaptés, nous nous abstiendrons.
M. Guy Benarroche. - Je remercie la rapporteure d'avoir souligné deux éléments importants : la justice n'est pas laxiste et il n'y a pas plus de délinquance aujourd'hui qu'avant, même si celle-ci concerne des gens plus jeunes et qu'elle est plus violente. J'aimerais que tout le monde en tienne compte lors de l'étude de certaines propositions de loi, qui remettent en cause ces deux constats de base que tout le monde ici accepte.
À Marseille, j'ai visité l'établissement pénitentiaire pour mineurs et le CEF. D'abord, le taux de récidive est supérieur à 80 %, ce qui montre la faillite totale de ces deux solutions. Ensuite, concernant l'établissement pénitentiaire, plus de 85 % des mineurs étaient présents pour un motif lié au narcotrafic, ce qui doit représenter un élément essentiel de la réflexion à mener sur l'évolution des conditions de détention des mineurs condamnés.
Aucune solution ne sera trouvée si l'on ne s'attaque pas en amont à ce qui précède la commission de l'acte ayant entraîné la condamnation. Un travail de prévention, de réinsertion et de reconstruction doit être mené par l'ASE et la PJJ sur le terrain, où l'emprise du narcotrafic est suffisamment importante pour qu'un certain nombre de gens vulnérables et précaires, en particulier des mineurs, soient susceptibles d'entrer dans ces réseaux. Si des actions ne sont pas entreprises dans ces quartiers et ces lieux délaissés de nos villes et nos campagnes, nous n'y arriverons pas.
Enfin, d'autres solutions existent. Qu'en est-il des unités éducatives d'hébergement diversifié, des centres éducatifs renforcés et des unités éducatives d'hébergement collectif ? Certaines de ces structures ont-elles un bilan positif ?
M. Hussein Bourgi. - Permettez-moi de faire un pas de côté en témoignant du malaise persistant ressenti depuis plusieurs années par les autres acteurs de la chaîne judiciaire : les agents pénitentiaires, les agents du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) et les agents de la PJJ, trois métiers qui connaissent aujourd'hui une crise des vocations.
La semaine dernière, j'ai assisté à un conseil de juridiction au tribunal judiciaire de Montpellier et j'ai pu alors échanger avec les agents de la PJJ : ils sont tous en quête de sens, éprouvant un sentiment d'échec. L'augmentation de la récidive, de la délinquance, de l'insécurité conduisent ces agents, aussi admirables et engagés soient-ils, à douter d'eux-mêmes, un sentiment aggravé par la pression médiatique et politique quand un couac survient. Les interlocuteurs que j'ai rencontrés ont parfois le sentiment de faire de l'abattage et de la paperasse. Il importe de fixer des priorités dans la formation des agents, pour qu'ils sachent adapter leur prise en charge à la gravité du profil délinquant du mineur.
Se pose là la question des moyens alloués à la PJJ ; les fonctions support en consomment beaucoup. Or les agents qui ont des missions opérationnelles, y compris sur le terrain, ou d'accompagnement ont parfois le sentiment d'être livrés à eux-mêmes. Ils demandent des formations supplémentaires et auraient parfois besoin de travailler davantage en équipe.
Au final, il importe d'engager une véritable réflexion de fond sur les métiers de la justice dans toute leur diversité. N'oublions pas les maillons essentiels de la chaîne pénale. Cette question pourrait faire l'objet d'une mission d'information.
Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis. - Je vous remercie de vos réflexions.
Se pose effectivement un véritable problème d'attractivité ; les promotions de l'école nationale de protection judiciaire de la jeunesse ne sont pas complètes ; qui plus est, certains élèves abandonnent en cours de scolarité.
Je note de véritables progrès quant au contenu de la formation, avec des mises en situation plutôt qu'une formation théorique. J'en conviens, le retard est tel qu'il reste toutefois encore beaucoup à faire. J'ajoute qu'il faut renforcer la formation continue : elle est également importante, voire, parfois, plus importante, car les professionnels peuvent poser des questions pratiques auxquelles ils sont confrontés.
Je rebondis sur la question soulevée par Mme Canayer, que je n'ai pas abordée ici, mais sur laquelle j'attire l'attention dans mon rapport, à savoir celle des contractuels et des intérimaires, auxquels on recourt pour pallier les défaillances. L'émergence de sociétés d'intérim dans ce secteur est surprenante. Or un surveillant de supermarché et un surveillant intervenant dans un centre éducatif sont deux professions qui n'ont rien à voir !
Oui, la réponse pénale n'est pas la seule réponse, et ce point est, me semble-t-il, bien pris en compte. C'est l'articulation entre les différents métiers qui est défaillante, bien plus que la prise en compte des différents parcours des mineurs délinquants. Il est évident que les alternatives en milieu ouvert notamment ne sont pas assez nombreuses. Comme vous l'avez tous souligné, nous déplorons le manque de coordination entre la PJJ et l'ASE. J'ai vraiment le sentiment d'un travail en silo. Par exemple, j'ai constaté que des éducateurs en centres éducatifs renforcés ne savaient rien du parcours du jeune dont ils s'étaient occupés pendant plusieurs mois. Je pointe la défaillance du logiciel Parcours. Se pose encore ici un problème d'évaluation des politiques publiques.
Monsieur Benarroche, l'inspection générale de la justice a diligenté une mission d'évaluation des CEF. Là encore, nous manquons d'éléments concrets. Je retiens la proposition d'Hussein Bourgi, que j'avais moi-même formulée auprès de notre présidente, de poursuivre notre réflexion sur l'évaluation de ces politiques publiques. L'abandon des CEF témoigne d'une prise de conscience quant à leur efficacité. Nos rapports, ceux de la Cour des comptes et de l'inspection générale de la justice concourent à poser les questions pour nourrir le débat.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice ».
COMPTE-RENDU DE L'AUDITION
DE
M. GÉRALD DARMANIN, GARDE DES SCEAUX,
MINISTRE DE LA
JUSTICE
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous poursuivons nos auditions budgétaires en recevant le garde des sceaux, dans le cadre de l'examen des crédits de la mission « Justice ».
Cette mission, monsieur le garde des sceaux, fait figure de mission préservée au sein du projet de loi de finances., dans la mesure où les crédits demandés sont en augmentation par rapport à 2025, de façon à atteindre un total proche de l'objectif de 10,7 milliards d'euros hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « pensions » fixé par la loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ).
Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, nous ne pouvons que nous en féliciter, d'autant plus - je suis certaine, monsieur le garde des sceaux, que vous ne me démentirez pas sur ce point - que les enjeux qui sont devant nous sont de taille.
L'année 2026, dans la continuité de l'année 2025, doit être celle de la montée en puissance de nos moyens de lutte contre la criminalité organisée. Après la création des nouveaux quartiers pénitentiaires de lutte contre la criminalité organisée (QLCO), 2026 sera l'année d'institution du parquet national anti-criminalité organisée, le Pnaco.
Cette audition est ainsi l'occasion d'évoquer les incidences budgétaires de la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, et plus généralement de faire le point sur son application. Il est inutile de vous rappeler combien notre commission est attentive à la bonne mise en oeuvre de cette loi.
L'année 2026 devrait également conduire le Parlement à être saisi d'une importante réforme portant sur l'utilisation dans les enquêtes pénales des données de connexion, en vue d'assurer la conformité du droit français aux règles européennes. Notre commission s'intéresse particulièrement à ce sujet, auquel elle a consacré un rapport d'information en 2023 ; j'espère que vous pourrez nous indiquer les projets du Gouvernement sur ce terrain, étant souligné que le contrôle préalable que nous devons mettre en place suppose, lui aussi, des moyens matériels et humains complémentaires.
Je vais vous laisser la parole, monsieur le garde des sceaux, pour nous présenter les grandes lignes du budget proposé pour l'année 2026. Je la donnerai ensuite à nos rapporteurs pour avis ainsi qu'au rapporteur spécial de la commission des finances, Antoine Lefèvre, qui vous demanderont certainement de nous apporter des précisions sur les différents programmes de la mission. Ensuite, l'ensemble des collègues pourront intervenir.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je suis très heureux de vous présenter aujourd'hui les crédits du ministère de la justice, d'autant que je n'ai pu le faire à l'Assemblée nationale. Je me réjouis de constater que la haute assemblée s'intéresse à cette mission.
Le premier message que je souhaite adresser à votre commission - vous l'avez vous-même souligné, madame la présidente - concerne le respect, à l'euro près, de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, adoptée par le Sénat dans des conditions budgétaires et politiques très différentes de celles qui prévalent aujourd'hui. Le ministère des armées et celui de la justice sont les deux seuls ministères intégralement protégés par les engagements adoptés par le Parlement.
Cela n'était pas gagné d'avance : le projet de loi de finances pour 2025, déposé avant mon arrivée à la Chancellerie, ne respectait ni les crédits ni les emplois décidés par le Parlement et beaucoup pensaient encore il y a quelques mois que 2026 serait une année blanche budgétaire, notamment pour les projets immobiliers de la justice, pénitentiaires ou judiciaires, comme pour les créations d'équivalents temps plein (ETP). La lettre de cadrage du Premier ministre d'alors ne comportait d'ailleurs aucune référence à la LOPJ, ce qui n'était pas de bon augure.
Toutefois, le choix fait par François Bayrou puis confirmé par Sébastien Lecornu, que je remercie, traduit la volonté du Gouvernement de soutenir résolument nos armées et notre justice, qui a bien besoin de moyens. Ainsi, le ministère de la justice disposera en 2026, si le Parlement adopte ce budget, de 10,7 milliards d'euros de crédits de paiement, hors pensions, soit 266 millions d'euros de plus qu'en 2025.
En outre, alors que 3 000 ETP sont supprimés dans l'ensemble de la fonction publique de l'État, nous en créons 1 600, soit la plus forte progression de tous les champs de l'action publique. Ces emplois et crédits nouveaux sont très importants pour notre justice. Je précise que ces 1 600 emplois ne sont pas des postes virtuels, ce sont des effectifs bien réels, il s'agit bien de créations nettes, après la compensation intégrale des départs en retraite. Ces 1 600 emplois se composent de 855 emplois dans l'administration pénitentiaire, de 660 emplois dans les juridictions, ce qui inclut les magistrats - nous respectons ainsi, au magistrat près, la promesse faite par Éric Dupond-Moretti il y a trois ans à Annecy concernant le nombre de créations de postes -, et de 70 postes supplémentaires pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ces créations constituent un effort inédit pour le ministère de la justice.
Ce renforcement s'accompagne d'un enjeu majeur en matière de ressources humaines, avec la mise en application de tous les accords signés en 2023, 2024 et 2025 - notamment le protocole d'Incarville pour le personnel pénitentiaire -, portant sur la création d'un troisième grade, sur les directeurs de greffe et le personnel administratif et technique. Le personnel bénéficiera ainsi des avancées prévues par la loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, que vous avez adoptée.
Mon deuxième message, après le respect intégral de la loi de programmation, concerne la culture de la responsabilité budgétaire que doit développer le ministère de la justice. Ce n'est pas son fort, depuis de nombreuses années, pour diverses raisons, peut-être d'abord en raison d'une confusion entre l'indépendance de l'utilisation des moyens et l'indépendance de la magistrature, laquelle, s'il faut la chérir, concerne l'acte juridictionnel et non la gestion des moyens du service public de la justice.
Le ministère doit rendre des comptes, conformément aux règles de l'État de droit : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit bien que chaque citoyen peut demander des comptes à son administration et ce principe s'applique particulièrement au ministère de la justice, compte tenu des moyens considérables mis à sa disposition pour réduire les délais de jugement, améliorer l'efficacité de ses outils informatiques et accueillir les justiciables, les victimes et les professions juridiques. Nous devons donc instaurer une véritable culture de la responsabilité budgétaire et assumer d'employer le terme de performance, qui se justifie pleinement s'agissant d'argent public.
Jamais encore un garde des sceaux n'avait fixé des objectifs de gestion chiffrés à ses chefs de cour. Je l'ai fait, via une circulaire adressée aux chefs de siège et de parquet, afin d'améliorer la gestion des cours d'appel et des tribunaux. J'ai également organisé, place Vendôme, une réunion commune avec la ministre des comptes publics, ses chefs de programme budgétaire et les chefs de cour et de juridiction. Enfin, une lettre a été personnellement adressée à chacun de ces derniers pour connaître leurs délais de jugement, leurs frais de justice, ainsi que leur taux d'absentéisme.
En outre, je leur ai fixé un objectif de 100 millions d'euros de recettes supplémentaires, car la justice rapporte aussi. Cela rapporte d'abord grâce à l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), et je salue d'ailleurs les auteurs d'amendements relatifs à cette agence sur le projet de loi contre les fraudes sociales et fiscales. Toutefois, bien qu'elle accomplisse un travail important, elle pourrait recouvrer encore davantage : l'écart entre saisies et confiscations demeure trop important. Ensuite, les autres recettes perçues par le ministère pourraient aussi être plus importantes, notamment les amendes civiles ou pénales, insuffisamment prononcées et mal recouvrées.
Pour accroître ces recettes, et permettre ainsi d'alléger les charges affectées au ministère de la justice par le budget de l'État, plusieurs leviers sont possibles :
- d'abord, nous proposons l'introduction d'un droit de timbre modeste - 50 euros -qui ne s'appliquerait pas aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle ; ce droit de timbre existait jusqu'en 2013, avant d'être supprimé par Mme Taubira, mais il était alors versé au budget général de l'État ; nous proposons qu'il alimente directement le budget de l'aide juridictionnelle ;
- ensuite, nous envisageons d'accroître le recours aux commissaires de justice pour recouvrer plus efficacement les amendes pénales et civiles ; un article du projet de loi de finances traduit ainsi un accord passé avec la direction générale des finances publiques (DGFiP), afin que le produit des amendes soit recouvré non plus par les services des impôts mais par des huissiers rémunérés à cette fin ;
- nous souhaitons également relancer les ventes avant jugement ; celles-ci ont progressé de 47 % en un an, à la suite des instructions que j'ai données à l'Agrasc, mais on pourrait faire davantage ;
- enfin, on pourrait développer le recours aux jours-amendes, dont l'existence dans le code pénal et le code de procédure pénale est embryonnaire ; c'est l'objet du projet de loi pour une sanction utile, rapide et effective (Sure) que je présenterai au conseil des ministres en janvier prochain.
Mon troisième message concerne la rigueur comme levier d'efficacité. Nous devons mieux gérer l'argent public.
Pour la première fois, les frais de justice, qui explosaient, sont stabilisés en 2025 sous le niveau de l'inflation, avec une progression de 0,3 %, contre 10 % par an auparavant. Les chefs de cour et de juridiction ont oeuvré, en lien avec les services du ministre de l'intérieur qui vient de nous quitter, à la maîtrise de ces dépenses, notamment grâce à la plateforme nationale des interceptions judiciaires, qui permet d'éviter le recours à des prestataires privés bien plus coûteux. Nous avons ainsi pu enregistrer une économie de 30 millions d'euros cette année et nous espérons atteindre 45 millions à 50 millions d'euros en 2026.
La rigueur de la gestion passe par d'autres leviers, sans que l'indépendance de la justice soit jamais remise en cause. C'est le cas par exemple des véhicules placés en fourrière judiciaire ; nous avons actuellement en stock des milliers de véhicules - voitures, motos, quads, camions - saisis par les services d'enquête. Or, il ne s'agit pas toujours de la voiture de Jacques Mesrine, si bien qu'il n'est pas nécessaire de conserver ces véhicules cinq ou six ans jusqu'au jugement. L'an dernier, les fourrières comptaient encore 32 500 véhicules immobilisés, pour un coût annuel de 60 millions d'euros. En moins d'un an, nous avons réduit ce nombre à moins de 29 000, ce qui correspond à une baisse de 8 % des stocks, et avons obtenu une économie de 40 millions d'euros. Il faut poursuivre cet effort. J'affecterai des greffiers dans chaque cour d'appel pour mieux gérer ces fourrières, symboles d'une mauvaise gestion.
De la même manière, nous pourrions optimiser la gestion des objets déposés dans les tribunaux, comme les montres, les sacs et autres effets saisis ou confisqués. Beaucoup pourraient être vendus ou donnés à des associations, afin de réduire les coûts de gardiennage.
Grâce à la dématérialisation désormais complète des procédures correctionnelles, nous avons franchi un cap. Lorsque j'ai été nommé pour la première fois à la Chancellerie - j'ai été nommé trois fois garde des sceaux cette année, j'espère que la troisième sera la dernière ! -la première question que nous avions évoquée était celle du retard numérique du ministère de la justice ; on en était à la préhistoire, si j'ose dire. J'y ai consacré beaucoup d'énergie et de moyens. Ainsi, la procédure pénale numérique (PPN) est déployée sur l'ensemble du territoire national depuis plusieurs semaines ; c'est très positif. Il reste à mener à bien le projet Portalis, équivalent civil de la PPN.
J'annoncerai, le 2 décembre prochain, à l'occasion du vingtième anniversaire du secrétariat général du ministère, une réorganisation structurelle portant sur l'immobilier et le numérique au sein de mes services, parce que trop de gens s'occupent de trop de choses et qu'il n'existe pas de direction du numérique telle qu'il en existe dans les autres administrations. Ce chantier s'impose, surtout avec l'arrivée de l'intelligence artificielle.
Autre enjeu majeur pour la bonne gestion : la construction des palais de justice et des établissements pénitentiaires. Le plan « 15 000 places » n'a pas été tenu, pour diverses raisons, mais il connaît désormais une accélération, avec la construction de plus de 5 000 places en dix-huit mois. Nous aurons ouvert en 2025 quatre établissements pénitentiaires non prévus initialement, dont le nouveau bâtiment dit « Baumettes 3 », à Marseille, dans quinze jours.
J'ai également proposé la nomination d'un nouveau directeur pour l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij), en la personne de Benoist Apparu, ancien ministre du logement, ancien promoteur immobilier et maire, qui mettra son expérience au service d'une vision pragmatique de la construction des prisons et des palais de justice. Il nous faut encore bâtir le palais de justice de Bobigny, celui de Marseille, celui de Cusset, et d'autres encore, et de nombreuses prisons doivent être rénovées. Nous devons mener une véritable révolution au sein du ministère pour que les constructions soient plus rapides et moins chères.
Par ailleurs, nous consacrons de nouveaux moyens budgétaires à une nouvelle stratégie pénitentiaire. Dans trois semaines, un décret important instaurera la première direction générale du ministère, la direction générale de l'administration pénitentiaire. Il y aura ainsi une structuration en deux pôles, insertion et probation d'une part, administration pénitentiaire d'autre part, afin de donner du muscle à une administration centrale qui en manque beaucoup.
En outre, a lieu aujourd'hui même l'ouverture de notre seconde prison de haute sécurité, celle de Condé-sur-Sarthe, permise par loi du 13 juin 2025 dite « Narcotrafic » ; le Parlement se réjouira de constater que l'on a su mettre en oeuvre très rapidement cette stratégie pénitentiaire, qui fonctionne, puisque pas un drone, pas une clef USB, pas un téléphone n'ont pénétré au sein de la prison de Vendin-le-Vieil. De plus, tous les recours engagés contre l'État - soixante-six au total - ont été gagnés par l'État, grâce à la solidité du travail parlementaire que nous avions accompli ensemble.
Nous poursuivons également les rénovations de maisons d'arrêt particulièrement poreuses : la Santé, Arras, Douai, Corbas, Nanterre, etc. Je remercie d'ailleurs le Premier ministre d'avoir débloqué 30 millions d'euros dans les crédits de 2025, pour ce plan de renforcement. Les appels d'offres et les bons de commande sont lancés aujourd'hui.
Un projet de loi sur la justice pénale sera présenté, je le disais, en janvier prochain au conseil des ministres.
Parallèlement, d'importantes réformes civiles avancent, notamment sur la justice amiable, afin de désengorger une partie de nos tribunaux : désormais, 50 % des affaires passent par la conciliation et l'accord amiable entre les parties.
Je souhaite également réformer la justice économique, en particulier prud'homale, confrontée à des délais insupportables : jusqu'à six ans, appel compris, dans certains ressorts. Pour un chef de PME ou un salarié, attendre six ans une décision crée une insécurité juridique et financière inacceptable. S'ajoute à cela une grande incertitude, puisque 50 % des décisions prud'homales sont infirmées en appel, contre seulement 13 % dans l'ensemble du contentieux civil. Cette situation nuit à la confiance économique que nous voulons tous restaurer.
Je travaille également à la refonte de l'école nationale de la magistrature (ENM), dont la préfiguration est engagée. Cette réforme, de nature réglementaire, sera finalisée d'ici à la fin du premier trimestre 2026 pour entrer en vigueur à la rentrée suivante. Nos autres écoles sont concernées : l'école nationale d'administration pénitentiaire (Enap), l'école nationale des greffes et l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse.
En somme, madame la présidente, vous recevez aujourd'hui un ministre qui, s'il n'est pas totalement satisfait de son budget, car il faudrait bien plus pour atteindre le niveau des standards européens, notamment de l'Allemagne, mieux dotée en magistrats, greffiers et agents pénitentiaires - les nôtres sont confrontés à la surpopulation carcérale, à la présence croissante de personnes souffrant de troubles psychiatriques et à un taux d'illettrisme dépassant 40 % -, ne peut pas se plaindre des arbitrages rendus.
D'ailleurs, lors de la réunion du président de la République avec le conseil supérieur de la magistrature, lundi dernier, j'ai constaté un fait inédit : pour la première fois, les propos introductifs et les questions du Conseil portaient non pas sur les moyens, mais sur d'autres sujets essentiels, notamment la défense de l'État de droit, que nous devons conforter, notamment en protégeant nos magistrats, victimes d'attaques personnelles, parfois d'origine étrangère. Je pense en particulier au juge Nicolas Guillou, membre de la cour pénale internationale (CPI), visé par un executive order de M. Trump. Bien sûr, nous avons besoin de moyens, mais la voix de la France, celle d'une justice indépendante, demeure une richesse inestimable qu'il nous faut préserver.
Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis de la mission « Justice » sur les programmes 166 « Justice judiciaire », 101 « Accès au droit et à la justice », 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et 335 « Conseil supérieur de la magistrature ». - Monsieur le garde des sceaux, je souhaite vous interroger sur deux thèmes que vous avez évoqués sans les développer : l'immobilier judiciaire et l'intelligence artificielle générative.
Tout d'abord, l'immobilier a souvent servi, avec le numérique, de variable d'ajustement budgétaire compte tenu des contraintes qui pèsent sur la Chancellerie. Nous le déplorons évidemment, mais nous craignons surtout que cette politique cruciale fasse l'objet d'un pilotage incertain. Vos services ont à cet égard été assez rassurants quant à la poursuite des chantiers qui doivent être livrés l'an prochain, qu'il s'agisse de Lille, de l'île de la Cité ou de Saint-Martin. Nous aimerions obtenir de votre part des précisions, notamment sur la participation que vous sollicitez auprès des collectivités territoriales pour financer certaines opérations.
Au-delà, nous constatons à chaque exercice budgétaire le mécontentement du personnel de votre ministère et des avocats quant à la conception même de ces différents projets immobiliers. Comment envisagez-vous d'améliorer la conception des projets à venir, qui conditionne largement leur qualité d'exécution ?
Ensuite, parmi les chantiers récemment lancés par votre ministère figure celui de l'intelligence artificielle générative, qui intéresse particulièrement le Sénat. Lorsque nos collègues Christophe-André Frassa et Marie-Pierre de La Gontrie ont présenté leur rapport d'information sur l'intelligence artificielle et les métiers du droit, il y a à peu près un an, vos services commençaient tout juste à identifier les cas d'usage potentiels de l'intelligence artificielle générative pour la Chancellerie, tandis que les cabinets d'avocats utilisaient déjà cette technologie. Quelles utilisations entendez-vous faire de l'intelligence artificielle générative et quand ces outils seront-ils disponibles pour vos agents ?
Outre ces cas d'application propres à la Chancellerie, cette technologie repose notamment sur l'exploitation des décisions de justice diffusées en données ouvertes. Quel est donc votre avis sur l'anonymisation des magistrats et greffiers concernés, qui semblent inquiets à ce sujet ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis de la mission « Justice » sur les programmes 166 « Justice judiciaire », 101 « Accès au droit et à la justice », 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et 335 « Conseil supérieur de la magistrature ». - Vous connaissez l'intérêt que le Sénat porte à la politique numérique de la Chancellerie. Ce sujet irrite singulièrement le personnel de votre ministère, alors que des crédits importants lui sont pourtant alloués depuis plusieurs exercices budgétaires.
On nous a parlé cette année de deux logiciels cruciaux, Portalis et Prisme, en cours de déploiement, et de mises à jour significatives de l'application Cassiopée. Sur ces sujets, je dois l'avouer, vos services se sont montrés rassurants et c'est la première fois en cinq ans que j'ai eu face à moi quelqu'un qui comprenait mes questions et dont je comprenais les réponses... Le chantier est pris à bras-le-corps et j'espère être là l'année prochaine pour voir si, effectivement, il y a eu une évolution.
Toutefois, dans les juridictions, on nous signale les problèmes de fiabilité de Prisme et de Cassiopée ; un greffier à Lyon nous a ainsi montré que la peine complémentaire d'un condamné apparaissait bien à l'écran, mais ne figurait pas sur le document une fois imprimé. Comment entendez-vous remédier à ces difficultés ?
Ensuite, vous l'avez dit, les cibles de la LOPJ sont encore loin des standards européens. Quel regard portez-vous sur cette loi ? Certes, on respecte sa trajectoire, mais sera-t-elle suffisante ? J'étais, avec Agnès Canayer, rapporteure sur ce texte, et nous avons d'emblée pensé que la trajectoire sur cinq ans devrait être prolongée. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, vous connaissez mon engagement contre les violences intrafamiliales, qui sont systémiques ; on ne pourra pas les éliminer sans prendre en charge les victimes, mais aussi les auteurs. Les centres de prise en charge ne relèvent pas de cette mission ; selon moi, ils y auraient pourtant plus leur place que dans le petit programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ». Toutefois, ma question porte moins sur l'aspect budgétaire que sur l'efficacité de nos politiques publiques. Le niveau d'efficacité de ces centres de prise en charge est très variable. Dans un contexte où l'argent public est compté, il serait intéressant d'évaluer cette politique publique, afin de savoir qui doit être aidé et ce qui doit être dupliqué. Menez-vous une telle évaluation ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Justice ». - Je vous remercie, madame la présidente, mes chers collègues, de m'avoir convié à cette audition en tant que rapporteur spécial sur la mission « Justice ».
Ce projet de loi de finances est le douzième sur lequel je suis chargé du rapport spécial sur cette mission « Justice », ayant pris mes fonctions lors de l'examen du PLF 2015. Depuis lors, les crédits de la mission ont augmenté de 37 % en autorisations d'engagement et de 64 % en crédits de paiement.
Au cours de ces douze années, six gardes des sceaux de bords différents se sont succédé, avec des visions parfois éloignées, mais tous animés par la volonté de doter l'autorité judiciaire des moyens correspondant à la noblesse de sa mission. J'ai eu plaisir à travailler avec chacun d'eux.
Monsieur le garde des sceaux, je dois souligner votre volontarisme et votre ténacité. Vos précédentes expériences de ministre de l'action et des comptes publics puis de l'intérieur vous dotent certainement d'une vision périphérique de l'action judiciaire. Depuis votre installation place Vendôme, j'ai le sentiment que les choses bougent et semblent aller dans le bon sens.
J'ai publié en octobre 2023 un rapport sur le plan de construction des 15 000 places de prison et la dramatique question de la surpopulation carcérale soulevait quelques interrogations majeures. Or, la teneur innovante et volontariste de vos premières décisions en matière pénitentiaire témoigne d'une véritable vision pour la justice de demain, et je m'en félicite. Les quartiers de haute sécurité de Vendin-le-Vieil et de Condé-sur-Sarthe récemment ouverts aux détenus les plus dangereux, les projets de prison modulaire ou encore la récente nomination de Benoist Apparu à la tête de l'Apij constituent autant de signaux encourageants pour une politique carcérale marquée par des enjeux de respect des droits de l'homme. Ces mesures démontrent une volonté concrète d'augmenter les places de prison.
Je me félicite également que le Gouvernement ait choisi de reprendre à son compte, dans ce PLF, plusieurs propositions que j'ai formulées dans mon récent rapport sur les frais de justice et les frais d'enquête, notamment, à l'article 30 du texte, la réintroduction d'un droit de timbre pour chaque introduction d'instance, mais aussi le recouvrement, à l'article 46, de certains frais d'enquête pénale auprès des personnes condamnées. Ces nouvelles recettes permettront de combler la légère sous-exécution de la LOPJ 2023-2027.
J'ai trois questions à vous adresser.
À côté de la réintroduction d'une contribution forfaitaire de 50 euros pour chaque introduction d'instance, avez-vous également des projets pour la contribution de 225 euros due pour toute procédure en appel, qui existe mais doit se terminer le 31 décembre 2026 ? Son produit est actuellement affecté à l'indemnisation des anciens avoués auprès des cours d'appel, dont les fonctions ont été supprimées en 2011.
Le recouvrement des frais d'enquête par les personnes condamnées dépendra de la mise en place de systèmes informatiques et de procédures de recouvrement. Quelles solutions doivent être mises en oeuvre de façon prioritaire pour améliorer le taux de recouvrement, notamment des amendes pénales et des frais de justice ?
Sous réserve des résultats de la prochaine élection présidentielle, quelles priorités devraient, selon vous, être mises à l'agenda de la prochaine loi de programmation pour la justice, qui devra être examinée par le Parlement courant 2027 ? Quels devraient en être les grands contours et la trajectoire actuellement observée par la mission « Justice » sera-t-elle poursuivie ?
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis de la mission « Justice » sur le programme 107 « Administration pénitentiaire ». - Je souhaite pour ma part évoquer les enjeux liés à la surpopulation carcérale. Depuis votre entrée en fonctions, vous vous êtes attaqué, monsieur le garde des sceaux, à ce problème ; il était temps.
Ma question aura trois volets.
Premièrement, le budget pour 2026 comporte un programme d'investissement pour créer de nouvelles places dans des prisons dites« modulaires ». Pourriez-vous nous détailler les raisons qui vous ont conduit à revoir certaines opérations du plan « 15 000 places » au profit de ces nouveaux programmes ? Pourriez-vous nous préciser le coût estimé de ces prisons modulaires ainsi que le calendrier de déploiement de ce nouveau plan ?
Deuxièmement, en ce qui concerne le plan « 15 000 places », de nombreux projets prêts à être mis en oeuvre sont bloqués faute de crédits. Envisagez-vous de prendre des mesures pour les débloquer ?
Troisièmement, la surpopulation carcérale ne peut pas se limiter à des mesures bâtimentaires, il faut changer la politique pénale. Un très intéressant rapport d'information de la commission des lois sur l'exécution des peines, rédigé par Dominique Vérien, Elsa Schalck et Laurence Harribey, propose de réintroduire les très courtes peines, de moins d'un mois, dont l'effet désocialisant serait moindre. En mai dernier, vous nous aviez indiqué ne pas disposer de structure adéquate pour recevoir des détenus sur de telles durées. Les quartiers pour courtes peines ne pourraient-ils pas remplir cette fonction ?
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je me permets de vous poser la question que Laurence Harribey, rapporteure pour avis du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », qui ne peut malheureusement être présente aujourd'hui aurait voulu vous poser.
Elle porte sur les centres éducatifs fermés. Un programme de construction de vingt-deux centres est prévu. La commission des lois émet des réserves depuis plusieurs années sur ce dispositif et un rapport de l'inspection générale de la justice pointe cette année de réelles lacunes dans le fonctionnement des centres existants. Quelles mesures seront mises en oeuvre pour garantir que les nouveaux centres répondent à un besoin avéré et que leur implantation s'appuie sur une cartographie rationnelle, ainsi que pour garantir une durée effective de placement de six mois, condition sine qua non de l'efficacité de ces centres ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Je commencerai par les questions immobilières.
En premier lieu, le problème du ministère de la justice est qu'il possède un parc immobilier important, réparti sur tout le territoire, constitué à la fois de grands paquebots, comme le tribunal de Paris ou la prison de Fresnes, et de très petits sites, tels que les centres éducatifs fermés, sans disposer pour autant d'une direction de l'immobilier ni - c'était d'ailleurs un défaut du ministère, qui explique sans doute ses difficultés, indépendamment du manque de moyens - d'un plan pluriannuel d'investissement.
Quand on gère une collectivité locale, on sait qu'il faut un programme d'investissement. Cela ne signifie pas que tout est budgétisé, mais il faut au moins évaluer ce dont on a besoin en autorisations d'engagement et ne pas changer de plan constamment ; on doit avoir une vision de son investissement liée à l'augmentation de sa population et à son plan local d'urbanisme.
Cette question est mal traitée au ministère de la justice ; c'est pourquoi je mets en place depuis un an un plan pluriannuel qui doit porter sur cinq, six ou sept ans, puisqu'il fallait jusqu'à présent sept ans pour construire une prison. D'ailleurs, ces changements de programme et de destination des projets expliquent entre 15 % et 20 % de l'augmentation du coût des projets immobiliers. Nous n'avons déjà pas beaucoup d'argent, les projets coûtent déjà très cher, donc, si, en plus, chaque ministre qui arrive change le modèle alors que l'architecte a été choisi ou que les appels d'offres sont lancés, le coût final est beaucoup plus élevé.
En deuxième lieu, comme pour le numérique, il n'y a pas de pilotage unique de l'immobilier au sein du ministère de la justice. La direction des services judiciaires (DSJ) s'occupe d'immobilier, mais l'Apij et la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) aussi. Par conséquent, lorsque je veux parler d'immobilier, je suis parfois obligé d'avoir trois ou quatre directeurs en face de moi. Ce matin encore, le président du tribunal d'Alençon me disait que la porte d'entrée de son tribunal ne fermait pas bien et qu'il avait de nombreux menus travaux à faire pour sécuriser ses locaux lors des extractions de détenus dangereux ; et il n'était pas évident, sur le moment, de savoir quel service ministériel était compétent pour commander les travaux, alors même que les études ont déjà été réalisées. Cela ne va pas... Je vais donc faire en sorte qu'une administration unique pilote l'immobilier, cela changera beaucoup de choses.
En troisième lieu, l'administration pénitentiaire dispose de bâtiments conçus en fonction du statut juridique du détenu et non de sa dangerosité. C'est absurde. Nous avons ainsi les maisons d'arrêt, pour les personnes condamnées à moins de deux ans de détention, à peu près identiques partout et qui sont surpeuplées, et les établissements pour peine, dont le taux d'occupation est de 97 %.
Or gérer des détenus, ce n'est pas gérer leur statut juridique ; ce qui compte, c'est leur dangerosité, leurs addictions, leur capacité de réinsertion, leurs difficultés, leur état psychiatrique, le fait qu'ils aient ou non vocation à rester sur le territoire national à l'issue de leur peine. Aussi, j'essaie de mettre en place depuis un an la catégorisation des détenus en fonction de leur dangerosité : les plus dangereux iront dans des prisons de haute sécurité, très carcérales, et les autres, qui n'ont pas les mêmes moyens de corruption ou d'évasion, auront besoin de moins de sécurité et iront dans des établissements moins carcéraux.
Aujourd'hui, quelle que soit la prison, le coût de la place est de 500 000 euros, mais toutes les prisons n'ont pas besoin de miradors. Par exemple, sur les 86 000 détenus de France, 16 000 sont en prison pour des délits routiers n'ayant pas entraîné de blessure ou de mort. Ces détenus n'ont pas vocation à être dans le même établissement que, disons, Mohamed Amra. Cela nuit au bon travail des agents pénitentiaires, à leur formation, mais aussi à la réinsertion et au suivi des addictions des détenus. La politique pénitentiaire que je porte vise donc la catégorisation des détenus, comme le font nos amis britanniques et allemands, ce qui permet de catégoriser les prisons.
Cela explique la construction des prisons de haute sécurité pour les détenus les plus dangereux. Quant aux détenus qui ne sont pas dangereux pour l'extérieur, car ils n'appartiennent pas à un réseau corruptif, ne commandent pas un point de deal et ne font pas partie d'une organisation terroriste, ils peuvent correspondre au profil des prisons modulaires.
La prison modulaire n'est pas une prison en kit, elle est bien en béton. Elle présente deux grands avantages. D'abord, elle est petite, elle ne compte que 100 à 150 places, contrairement à une maison d'arrêt, qui en compte 600 à 800, ce qui est très dur à faire accepter dans les territoires. Au total, 3 000 places seraient créées, pour 550 millions d'euros. Ensuite, elle est fabriquée en usine avant d'être assemblée, ce qui fait gagner deux ans sur les sept années de construction. Comme il n'y a besoin ni de miradors, ni de douves, ni de très hauts murs d'enceinte, le coût de la place baisse, de 500 000 euros à 200 000 euros, et ce, grâce à la catégorisation des détenus.
De son côté, la construction de la prison de haute sécurité de Saint-Laurent-du-Maroni durera quatre ans, parce qu'elle nécessite plus de « carcéralité ».
S'agissant des cités judiciaires, à ce jour, neuf projets dont été présélectionnés. À Marseille, le projet, d'un montant de 360 millions d'euros, regroupera cinq services actuellement répartis dans cinq endroits différents de la ville, ce qui pose des problèmes de lisibilité, de sécurité et d'accès. Le pôle correctionnel du tribunal de Marseille est vétuste ; la pluie coule à l'intérieur.
Le coût de la construction de la cité judiciaire de Bobigny s'élèvera à plus de 300 millions d'euros. À Meaux, le projet est évalué à 60 millions d'euros ; à Cusset, à 35 millions d'euros ; à Bonneville, à 20 millions d'euros ; à Chartres, à 50 millions d'euros ; à Dieppe, à 10 millions d'euros ; à Mâcon, à 10 millions d'euros ; à Valence, à 4 millions d'euros.
Le nouveau tribunal de Lille est un exemple typique de dysfonctionnement du ministère de la justice. On y a construit un nouveau tribunal, mais il est trop petit, il faudrait en construire un autre pour le pôle civil ! Évidemment, nous allons plutôt louer des locaux, mais c'est une démonstration de mauvaise organisation.
M. Vogel a tout à fait raison. Certains projets de prison n'attendent plus que la signature de la direction du budget. Tout est prêt, sauf l'argent. Quatre prisons sont ainsi en attente, la plus symbolique étant celle d'Angers. Pour l'instant, au conseil d'administration de l'Apij, la direction du budget refuse de signer. Nous menons une discussion en lien avec le Premier ministre, afin de débloquer ces projets.
En outre, certaines prisons ne sont pas construites en raison du refus des élus, comme à Magnanville dans les Yvelines, ou dans le Val-de-Marne. Pourtant, l'Île-de-France est la région où la surpopulation carcérale est la plus élevée. D'autres projets sont par ailleurs freinés par des recours, qui entraînent des difficultés juridiques, comme à Muret.
Bref, plusieurs raisons expliquent que des prisons ne sortent pas de terre.
Toutefois, cet été, nous avons inauguré celles de Villenauxe, de Nîmes et des Baumettes 3, soit 1 500 places créées en une année, alors que tout était bloqué depuis de nombreux mois.
Pour avoir été maire moi-même, je sais que, si quelqu'un vient demander de l'argent à une collectivité territoriale pour implanter une entreprise qui crée 400 ou 500 emplois, les élus sont prêts à participer ! Depuis neuf ans que je suis ministre, je décentralise l'État. Je suis celui qui a le plus oeuvré en faveur de l'aménagement du territoire, tant au ministère des comptes publics qu'au ministère de l'intérieur. Beaucoup d'entre vous ont obtenu l'implantation de sites de la direction générale des finances publiques qui étaient auparavant à Paris. À chaque fois, les collectivités territoriales m'ont accompagné, par la mise à disposition de places en crèche ou de logements, ou par des financements en espèces sonnantes et trébuchantes. Le ministère de la justice est le seul qui ne demandait aucune participation des collectivités territoriales. Cette participation peut revêtir des formes très diverses. Ainsi, le maire de Meaux paie l'intégralité des aménagements et parkings liés au futur tribunal. À Cusset, la municipalité vend le terrain pour un euro symbolique. À Marseille, les collectivités territoriales - métropole, région, ville - participent à hauteur de 20 % des 360 millions d'euros.
Que les collectivités territoriales participent, toutes strates confondues, à 10 % du montant d'un projet ne me paraît pas déraisonnable. L'argent ainsi économisé par le ministère pourra financer tous les projets en attente. Vous êtes nombreux à me demander le réaménagement de vos prisons ou de vos palais de justice. Cette participation des collectivités territoriales n'est pas obligatoire, mais fortement incitée. Elle est le fait de tous, sans préférence politique. Ainsi, la mairie communiste de Dieppe a été la première à me répondre favorablement tandis que des élus du bloc central s'y refusent. En conséquence, Dieppe a été priorisée.
J'ai peu de moyens à ma disposition, mais si les parlementaires souhaitent augmenter les crédits du ministère de la justice, je ne m'y opposerai pas dans le débat parlementaire.
J'en viens à l'intelligence artificielle. Il est compliqué de parler de ce sujet à des agents quand leurs logiciels actuels sont si lents. Je pense notamment au logiciel TUTI, relatif aux tutelles, qui prend 30 secondes à se charger chaque fois que le greffier change de page.
Je remercie le sénateur Lefèvre d'avoir rappelé mon expérience. En effet, j'ai mis en place l'impôt à la source au ministère des comptes publics, avec un certain succès, tout comme la plainte en ligne au ministère de l'intérieur. Depuis un an et demi, 50 % des plaintes sont déposées en ligne alors qu'auparavant, tout le monde se déplaçait au commissariat ou à la gendarmerie. Le permis de conduire est aussi totalement dématérialisé. Le fautif perd ses points directement sur son permis. Il n'est plus possible d'accuser sa grand-mère !
Ces projets numériques doivent être suivis politiquement. Il faut aussi que des directions « métier » s'en occupent, plutôt que de laisser simplement des personnes apporter un logiciel qui, si intéressant soit-il, ne correspond pas aux besoins quotidiens.
Vous ne m'avez pas parlé de la PPN, ce qui prouve que les choses ont progressé dans un continuum entre forces de l'ordre, parquet et siège. Le logiciel Portalis pose encore problème. Je pense raisonnablement que nous verrons le bout du tunnel en 2026. Nous étions mal partis. Je serai moins dur sur le logiciel d'exécution des peines Prisme, expérimenté dans les tribunaux judiciaires de Thionville et de Bordeaux. Nous prenons le temps ; il sera généralisé en 2026 si la conclusion est positive.
Tout cela n'est pas une question d'argent, c'est un problème d'organisation du ministère. Je pense que c'est au secrétariat général de mener les projets numériques. Actuellement, ils le sont un peu par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), un peu par la DSJ. Il faut un copilotage entre les ingénieurs et la direction « métier ». Je vous demande de me faire confiance, au regard des projets numériques que j'ai menés précédemment. C'est toujours très long, surtout quand c'est mal parti, mais nous n'allons pas tarder à voir le bout du tunnel.
Toutes les données de ces logiciels serviront la politique d'intelligence artificielle du ministère de la justice. J'appelle votre attention sur deux éléments très importants relatifs à cet enjeu au ministère de la justice : c'est à la fois une question de souveraineté et d'efficacité.
Face à l'utilisation de l'IA par les notaires, les avocats et les citoyens, on ne peut pas répondre uniquement par la hausse du nombre de greffiers ou de magistrats. Désormais, l'IA est capable de trouver, en quelques instants, une trentaine de motifs de nullité dans un dossier de 600 pages. Nous devons, nous aussi, travailler avec l'IA. L'an dernier, il n'y avait pas d'IA au ministère de la justice. Nous avons confié la première mission à ce sujet au directeur adjoint de l'ENM, qui m'a rendu ses conclusions. Désormais, 15 ETP sont consacrés à ce sujet.
Les magistrats utilisaient tout de même l'IA, de façon sauvage, en transmettant des données relevant du secret de l'instruction ou du secret des affaires à des outils comme ChatGPT, avec des références anglo-saxonnes n'ayant rien à voir avec notre droit napoléonien. L'IA peut servir le fonctionnement classique de la justice, par exemple pour une retranscription immédiate dans le cabinet du juge d'instruction, pour la lecture rapide de pièces afin d'éviter l'absence des signatures nécessaires, pour la synthèse des très nombreux documents d'un dossier volumineux, ou encore pour la rédaction d'un réquisitoire. Elle peut aussi servir l'administration pénitentiaire, pour mieux lutter contre les drones ou mieux sélectionner les repas des détenus.
Nous avons lancé plusieurs appels d'offres. De grandes entreprises françaises d'édition de livres juridiques sont désormais capables d'éditer des logiciels conversationnels, qui répondent à des questions de jurisprudence.
Nous devons bâtir un modèle français qui garantira, dans un cloud français, que le secret de l'instruction et le secret des affaires sont respectés, sans recourir à un serveur américain, israélien ou chinois, qui serait ensuite utilisé contre notre souveraineté. L'extraterritorialité, l'ingérence, voire l'espionnage, peuvent concerner le parquet national financier (PNF) lorsqu'il enquête sur de grands industriels français en concurrence avec de grands industriels américains. Nous devons faire attention à nos données.
L'IA concerne aussi, très concrètement, l'interprétariat. Nous avons tous constaté, en garde à vue ou au tribunal, qu'il fallait attendre l'arrivée du traducteur pour commencer. L'IA pourrait se charger de la traduction instantanée.
J'en viens à la question sur la poursuite de la trajectoire de la LOPJ. Dans la prochaine LOPJ, il faudrait inscrire au moins 5 000 à 6 000 nouveaux magistrats et au moins 3 000 à 4 000 agents pénitentiaires supplémentaires, ce qui inclut les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), en comptant sur les innovations technologiques. J'espère que le Parlement et le Gouvernement y consentiront.
Madame Vérien, nous consacrons beaucoup de moyens à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux mineurs. Sans doute doit-on étudier davantage ce qui se fait ailleurs, notamment en Espagne. Mon anté-prédécesseur s'était opposé aux tribunaux spécialisés. Pour ma part, j'estime la question ouverte. Puisque ce n'est pas une criminalité organisée, il n'est sans doute pas nécessaire de créer un parquet national dédié, mais ce contentieux de masse pourrait être spécialisé. C'est déjà un peu le cas de la cour criminelle, puisque 85 % des affaires traitées sont des viols. Toutefois, les violences faites aux femmes sont plus diverses. Le 25 novembre, journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, Mme Joly-Coz et M. Corbaux me remettront le rapport que je leur ai commandé sur ce sujet. Il en ressortira sans doute des propositions sur lesquelles nous pourrons travailler ensemble.
Dans le projet de loi pour une sanction utile, rapide et effective (Sure), je proposerai la fin de l'obligation d'aménagement de peine, donc, par principe, la possibilité d'effectuer de courtes peines. Il faut aussi utiliser toutes les peines substitutives à la prison ; d'ailleurs, la courte peine n'est pas forcément effectuée en prison. On dénombre encore 1 500 placements extérieurs non occupés, 11 000 bracelets électroniques non utilisés et un nombre de peines de travaux d'intérêt général (Tig) réalisées en baisse alors que l'offre de Tig augmente. Les magistrats ne souhaitent pas la surpopulation carcérale, mais parfois, leur seule façon de s'assurer de l'exécution de la peine qu'ils prononcent est de l'assortir d'un mandat de dépôt. Il faudrait créer une forme de mandat de dépôt des peines substitutives, pour garantir au magistrat que l'administration pénitentiaire les applique, qu'il s'agisse du bracelet électronique, du placement extérieur ou du Tig. Nous en reparlerons lors de l'examen du projet de loi Sure. Je suis favorable à une expérimentation sur les courtes peines, en la ciblant dans des territoires équipés de l'immobilier adapté.
Nous reparlerons des 225 euros des avoués avec les avocats, monsieur Lefèvre. Je suis favorable à ce que cet argent aille à l'aide juridictionnelle.
J'ai moi-même déclaré que j'étais désormais dubitatif sur les centres éducatifs fermés. J'ai commandé un rapport d'inspection qui indique que peu d'enfants sont concernés, sur le nombre de mineurs délinquants, et que les CEF sont plus efficaces lorsqu'ils sont gérés par des associations que lorsqu'ils le sont par l'État lui-même. Le nouveau directeur de la PJJ, M. Lesueur, travaille à une proposition. Il pourrait s'agir d'y mettre fin et d'aller vers d'autres dispositifs, avec l'armée ou l'éducation nationale. Les enfants en CEF ont paradoxalement moins d'heures de cours que les autres - huit heures hebdomadaires en moyenne -, alors qu'ils en ont davantage besoin. Faute de statut spécifique de professeur en CEF, l'enfant doit attendre plusieurs mois avant d'en avoir un. La politique des CEF est peu efficace alors qu'elle reçoit beaucoup de moyens.
M. Guy Benarroche. - Nous accueillons tous favorablement l'augmentation du budget de la justice dans ce PLF, tout en étant conscients que c'est un rattrapage progressif, pour une fonction régalienne laissée trop longtemps à l'abandon. Il faut renforcer tous les corps de métier, qui sont en sous-effectif. Trop peu d'ajustements sont réalisés après évaluation et, de plus, les mécanismes d'évaluation sont trop superficiels ou trop imprécis. On a parfois du mal à s'assurer du bon emploi de nos ressources, sauf à mener des missions parlementaires.
Après mes visites régulières, que l'on peut qualifier, comme vous l'avez fait, monsieur le garde des sceaux, de voyeurisme carcéral, auprès du CEF de Marseille ou de l'établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) La Valentine, je dresse un constat clair : cela coûte cher pour des résultats mitigés. Vous le dites ; nous le disons ; la Cour des comptes et l'Assemblée nationale le disent. En commission, nos collègues députés socialistes ont fait adopter un amendement visant à suspendre le plan de construction des CEF afin d'en réorienter les moyens, en particulier vers la PJJ. Lors de l'examen de cette mesure au Sénat, la défendrez-vous ?
Lors d'une réunion du conseil de juridiction à laquelle j'ai assisté vendredi dernier à Marseille, a été abordée la question de la prise en compte des victimes. En commission, les députés ont adopté un amendement écologiste de soutien aux associations venant en aide aux femmes victimes d'infractions pénales. Quelle est la position du Gouvernement sur cette mesure qui abonde de 2 millions d'euros les crédits de l'aide aux victimes ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Louis Vogel a dressé un constat sur la surpopulation carcérale que nous partageons tous. Monsieur le garde des sceaux, j'ai l'impression que vous faites de la régulation carcérale sans le dire. Vous refusez de prononcer ce terme, pourtant, vous avez organisé des rencontres avec l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale pour éviter que la surpopulation carcérale ne soit intenable pendant l'été dernier. Les parquetiers ont eu le sentiment que le Gouvernement, ne voulant pas assumer cette responsabilité, la leur faisait porter.
La course à la construction est assez vaine. Elle ne réduira pas la surpopulation.
La seule peine considérée comme certaine est la peine de prison avec mandat de dépôt. Pourtant, c'est aux parquetiers de s'assurer de l'exécution de la peine prononcée. Quelque chose ne fonctionne pas. Le pouvoir, quel qu'il soit, doit faire face à la réalité et assumer qu'il faut développer des alternatives : vous le dites vous-même.
Vos propos paraissent donc contradictoires ; je vous encourage à abandonner ce double discours. Cessez de bannir le terme de « régulation carcérale ». Lisez plutôt l'excellente proposition de loi visant à instaurer un mécanisme contraignant de régulation carcérale, que j'ai déposée avec Laurence Harribey.
On a évoqué le retour du droit de timbre en procédure civile - il est bien plus coûteux en appel : 225 euros. Monsieur le garde des sceaux, vous préparez un décret baptisé Rivage qui a vocation à réduire l'accès à la justice, à défaut de pouvoir répondre aux besoins. Vous voulez limiter, voire supprimer, la possibilité de faire appel et rendre la médiation obligatoire dans un nombre accru de procédures, ce qui n'est pas simple, car il faut des médiateurs, qui peuvent être payants. Ce décret traduit un état d'esprit selon lequel, quand on n'arrive pas à faire face au stock, on réduit le flux.
Enfin, je voudrais aborder la question de la suppression, par une décision du Conseil constitutionnel du 29 avril 2025, du droit de visite des parlementaires en prison. Je connais votre réponse, mais je veux vous l'entendre dire devant l'ensemble de mes collègues. Il est nécessaire, avant avril 2026, de réécrire l'article 719 du code de procédure pénale pour que ce droit soit maintenu. Vous m'avez affirmé en privé vouloir vous en assurer dans le projet de loi Sure, mais nous n'en connaissons pas le calendrier d'examen. Une de mes propositions de loi réglant ce problème pourrait être votée rapidement par tous mes collègues.
M. Pierre-Alain Roiron. - L'attractivité de la PJJ est faible. Le taux de vacance des postes d'éducateurs y atteint 7 %. La crise est grave. En moyenne, 20 % des agents qui travaillent à la PJJ sont contractuels. Que prévoyez-vous pour y remédier ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - S'il est défendu au Sénat, j'émettrai un avis favorable sur l'amendement socialiste imposant un moratoire sur les CEF. C'est l'objet même de ma réflexion et de l'inspection que j'ai demandée aux services. Il faudra savoir si ce moratoire inclut les CEF en chantier - je pense à ceux de Chalon-sur-Saône et La Rochelle -, qui doivent pouvoir être livrés.
Il faut des moyens pour la PJJ. Distinguons toutefois les EPM, comme La Valentine, des CEF. Il faut travailler, sur le modèle des établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide) ou des régiments du service militaire adapté (RSMA), entre éducation nationale, armées et ministère de la justice. La PJJ doit être mieux accompagnée et compter moins de contractuels. La réforme de l'école nationale de la PJJ est également un élément important. Je suis favorable au redéploiement des moyens des CEF auprès des agents de la jeunesse de notre ministère. La création actuelle de postes est un bon signe.
Certaines subventions aux associations de victimes relèvent d'autres ministères, dont celui de Mme Bergé. Dans le PLF pour 2026, le seul ministère de la justice consacre 17 millions d'euros aux associations de victimes de violences intrafamiliales, comme en 2025. Ce montant était de 16 millions d'euros l'année précédente. Il n'y a pas de baisse de crédits au ministère de la justice. Il se peut, en revanche, que les crédits aillent à des associations nouvelles.
Madame de La Gontrie, vous affirmez - accusation piquante - que j'aurais un double discours. Je m'étonne de votre changement de point de vue, selon que vous êtes ou non dans la majorité gouvernementale.
La surpopulation carcérale est un drame, tant pour les détenus que pour les agents. On dénombre 6 000 matelas au sol. Je ne m'en satisfais absolument pas. Une partie de cette surpopulation est liée à notre retard collectif dans la construction de prisons. Pendant le quinquennat de François Hollande, aucune construction n'a été décidée et les seuls établissements inaugurés à cette époque sont ceux qui avaient été lancés par son prédécesseur. En revanche, il y a eu 9 000 détenus supplémentaires sous son mandat. Il me semble même que Mme Taubira avait annulé la création de places voulues par ses prédécesseurs.
Ensuite, si le plan « 15 000 » n'a pas été à la hauteur, au moins, l'intention était là.
J'assume de mener la politique pénale du ministère de la justice. C'est même un pouvoir qui m'est garanti. Oui, j'ai donné des orientations ; ce sont les mêmes depuis un an. J'ai demandé aux parquets de requérir des peines de prison ferme dans trois domaines : le narcobanditisme ; les violences faites aux femmes et aux enfants ; les violences contre la République, qu'il s'agisse d'actes homophobes, antisémites, antireligieux ou attentatoires aux élus. Pour le reste, sauf cas individuel apprécié par le parquetier, je demande de ne pas requérir de peine de prison. L'été dernier, j'ai réuni, nationalement et localement, l'ensemble des branches du ministère. Je leur ai dit que je continuais à lire dans la presse locale, en l'occurrence dans La Voix du Nord, que des procureurs de la République requéraient des peines de prison ferme dans d'autres domaines que ceux que j'ai fixés. On me répond : « Fermeté ! ». Je trouve que la fermeté est formidable, mais ce n'est pas ce que j'ai demandé ! On ne peut pas me demander de régulation carcérale alors que l'on n'applique pas mes orientations. Je vous ai déjà parlé des bracelets électroniques et des placements extérieurs disponibles, mais en plus, cet été, la moitié des places de semi-liberté étaient vacantes ! Je me suis permis de dire à tous que je ne prendrais pas de mesure de régulation carcérale pour vider les prisons si les alternatives à l'incarcération n'étaient pas utilisées.
Le nombre de détenus augmente parce que le quantum moyen des peines prononcées par les juges a augmenté. En 1981, quand M. Mitterrand a été élu président de la République, il était de quatre mois. En 1995, à son départ, il était de neuf mois. En 2017, lorsque M. Macron a été élu, il était de onze mois. L'an dernier, il approchait les quatorze mois.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et on dit que la justice est laxiste !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - La justice n'est pas laxiste. Sous la présidence d'Emmanuel Macron, le nombre d'années de prison prononcées par an est passé de 94 000 à 122 000. Mais une peine de prison sur deux n'est jamais effectuée, contre une sur cinq quand M. Mitterrand était président de la République. M. Perben, Mme Dati, Mme Taubira, Mme Belloubet, M. Dupond-Moretti : chacun a renforcé les aménagements de peine. Or, plus ceux-ci étaient rendus obligatoires, plus les magistrats augmentaient les quantums de peine. Je suis très solidaire de mes prédécesseurs, mais l'aménagement de peine obligatoire ne fonctionne pas. Supprimons-le ! Cette obligation va profondément à l'encontre de l'indépendance du magistrat. Le code pénal dispose à la fois que l'auteur de telle ou telle infraction encourt une peine de six mois de prison et que pour une telle peine, nul ne va en prison ! C'est objectivement très difficile à comprendre.
Il ne faut pas réduire le nombre de personnes qui entrent en prison, mais le nombre de jours qu'elles y passent. Beccaria l'a dit : « Ce n'est point par la rigueur des supplices qu'on prévient le plus sûrement les crimes, c'est par la certitude de la punition ».
En revanche, la régulation carcérale, ce n'est pas demander au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge de l'application des peines, de requérir une peine substitutive ou de laisser les gens en prison. La régulation carcérale, c'est ce que l'on a fait, par exemple, pendant la pandémie de covid-19. Cela répondait à des difficultés propres à la crise sanitaire, mais le fait de remettre en liberté un sixième, un cinquième, voire un quart des détenus a-t-il amélioré la situation ? Pas du tout, car il s'agissait de sorties sèches !
La régulation carcérale telle que vous la demandez et telle que l'a proposée le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui est un ami mais dont je ne partage pas les conclusions, n'est rien de moins qu'une sortie sèche ! Or, nous savons tous que les sorties sèches encouragent la récidive.
Je suis bien sûr très favorable à ce que des peines alternatives soient prononcées lorsque le cas s'y prête, qu'il s'agisse de Tig, s'ils sont bien encadrés, du port d'un bracelet électronique si son porteur n'est pas susceptible de frapper sa femme en rentrant chez lui, ou encore d'un placement extérieur si les associations font bien leur travail. La peine de prison ne doit pas être systématique. En revanche, lorsque le juge prononce une peine de prison, celle-ci doit être effectuée sans qu'il soit obligé d'augmenter le quantum de peines pour s'en assurer.
Nous ne sommes pas très loin d'être d'accord, madame de La Gontrie. Nous aurons l'occasion d'en discuter lors de l'examen de la loi Sure. Vous verrez alors que la philosophie que je porte, c'est surtout de redonner de la latitude aux magistrats pour qu'ils fassent baisser le quantum de peine. Je ne proposerai pas de toucher aux infractions du code pénal.
Enfin, je prendrai le temps de vous répondre sur le projet de décret Rivage, car peu de gens parlent de la politique civile, qui est pourtant essentielle pour nos concitoyens. J'ai publié l'été dernier deux décrets très importants consistant à placer l'amiable au premier rang lors d'un procès civil et qui ont été correctement accueillis par la profession d'avocat. La culture française veut qu'il y ait un perdant et un gagnant et donc un procès, alors que tous nos voisins cherchent à trouver un compromis. Cela vaut tant en matière correctionnelle qu'en matière civile.
Du reste, le divorce par consentement mutuel est une forme de règlement amiable que nous avons mis à la disposition des avocats. Peut-on pratiquer des formes de règlements à l'amiable dans d'autres domaines que les affaires familiales ? Sans doute : comme je l'ai mentionné précédemment, 50 % des affaires civiles concernées par les décrets que j'ai pris aboutissent à un accord sans avoir besoin d'être présentées devant le juge. C'est une question non pas de moyens, mais de procédure : comme le dit le dicton populaire, un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès.
Le projet de décret Rivage porte sur un autre sujet. L'un de ses objets est en effet de favoriser l'amiable et la conciliation, mais ce n'est pas le seul. Là encore, ce n'est pas une question de moyens : ce décret concerne 12 500 dossiers par an sur des centaines de milliers d'affaires civiles. Je précise d'ailleurs qu'il doit faire l'objet d'une concertation avec la profession d'avocat et n'a pas encore été envoyé au Conseil d'État.
Actuellement, le droit civil oblige le magistrat en appel à instruire un recours, avec le concours d'un avocat - peut-être est-ce là le problème -, même si l'appel a été déposé hors délai. Tout le monde sait qu'il sera donné tort au requérant in fine, mais on continue malgré tout d'emboliser les cours d'appel. Le projet de décret Rivage prévoit que, dans 12 500 dossiers par an, le magistrat peut refuser un recours s'il est manifestement irrecevable.
Il n'est en aucun cas question de priver le requérant de l'appel en matière civile. D'ailleurs, si je puis me permettre, madame de La Gontrie, le droit d'appel ne figure pas dans le code civil. Il est un droit en matière pénale, mais il n'est qu'une option, certes nécessaire, en matière civile, et non un principe général du droit. Le législateur ne l'a jamais souhaité ainsi.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas dit cela...
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Le périmètre du projet de décret Rivage exclut la quasi-intégralité des contentieux qui ont, si je puis dire, une portée sentimentale. Je pense bien sûr aux affaires familiales, mais aussi, par exemple, aux problèmes avec des locataires dans le domaine de l'immobilier. Il ne concerne que très peu de cas du champ du droit civil.
Prenons l'exemple d'un contentieux qui embolise les tribunaux et représente 30 % des contentieux d'une cour d'appel comme celle de Lyon : le contentieux entre la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et l'État pour savoir si un enfant doit être ou non accompagné par un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH). Si la MDPH dit non et que l'État fait appel, il faut, en moyenne, quatre ans pour qu'un jugement soit prononcé en appel. Autant dire que l'enfant a alors quitté l'établissement où il aurait eu besoin d'un AESH... Voilà le genre de situations un peu absurdes qui mériteraient qu'un appel formulé hors délai ne soit pas examiné.
Ceci étant dit, vous avez parfaitement raison, des interrogations, des doutes ont été formulés que je veux écarter. Nous allons donc nous concerter avec la profession d'avocat, qui a l'impression que les réformes des dernières années n'ont pas donné les résultats qu'avait promis la Chancellerie, notamment les décrets du 3 juillet 2024 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées et du 8 juillet 2025 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile, dits décrets Magicobus. Je suis prêt à en discuter.
Toutefois, entre nous, madame de La Gontrie, la protection du justiciable ne consiste pas à lui promettre qu'il obtiendra un appel s'il prend un avocat, puisque dans 97 % des cas que j'ai évoqués, au moment où le juge statue, il rejette l'appel qui n'a plus de pertinence. Le projet de décret Rivage ne va donc pas révolutionner le monde. Vous me demandez combien de temps il nous fera gagner ; il nous fera gagner l'équivalent de quarante magistrats, ce qui est à la fois beaucoup et peu. Encore une fois, si ce projet de décret n'obtient pas le soutien de la profession d'avocat - notamment pour des raisons compréhensibles de modèle économique, car il est aussi question de cela -, je ne le déposerai pas en l'état.
Oui, je serai favorable à votre proposition de loi visant à garantir le droit de visite des lieux de privation de liberté des parlementaires et des bâtonniers si elle est inscrite à l'ordre du jour du Sénat, mais ce n'est pas moi qui en décide. Si ce n'est pas le cas, je l'intégrerai, en citant bien sûr ses auteurs, au projet de loi Sure.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Chiche !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Cela figure déjà dans le projet de loi.
Du reste, l'article L. 111-1 du code pénitentiaire autorise le garde des sceaux à visiter quand il le souhaite n'importe quel lieu dépendant de son administration, mais j'ai cru comprendre que vous lui refusiez ce droit.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - J'ai eu peur !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Enfin, je partage la grande détresse des agents de la protection judiciaire de la jeunesse, qui rencontrent des difficultés à exercer leur métier face à une jeunesse à la fois plus violente et plus souvent victime, malgré un manque de moyens et de reconnaissance. Sans doute est-ce celle des administrations dont j'ai la charge qui est le plus en difficulté. C'est pourquoi j'ai nommé un nouveau directeur et je prendrai des dispositions très fortes en début d'année prochaine.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, d'avoir bien voulu répondre à nos questions.
Ces débats évoquant de nombreux souvenirs chez les vieux avocats qui siègent dans cette commission, je me permettrai de formuler quelques observations.
Tout d'abord, je rappelle qu'il fut un temps où, lorsque l'on assignait devant le tribunal d'instance - qui n'existe plus -, on assignait aux fins de conciliation, puis de jugement. Je vois d'anciens confrères opiner du chef. Il existe toujours des conciliateurs, devant lesquels le juge renvoie souvent les parties avant de les entendre en vue de trouver un accord à l'amiable. Les procédures à l'amiable ont toujours existé.
Ensuite, si l'appel n'est pas un droit en tant que tel, le double degré de juridiction est un acquis de longue date. Il me semble que c'est à cela qu'il était fait allusion, plutôt qu'à un droit de faire appel à proprement parler.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ)
M. Thomas Lesueur, directeur
M. Hervé Hubert, sous-directeur du pilotage et de l'optimisation des moyens
Direction de l'administration pénitentiaire (DAP)
M. Emmanuel Razous, directeur adjoint
M. François-Marie Tarasconi, chef de département des politiques sociales et des partenariats
Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ)
M. Benoist Apparu, directeur général
École nationale de la PJJ (ENPJJ)
Mme Frédérique Botella, directrice
Mme Cécile Lalumière, directrice de la formation
Mme Agnès Gindt Ducros, directrice de la recherche
M. Matthieu Bouteiller, secrétaire général
Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF)
Mme Muriel Eglin, première vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants, présidente du tribunal pour enfants (tribunal judiciaire de Bobigny)
Table ronde de syndicats
CGT-PJJ
M. Josselin Valdenaire, secrétaire général
M. Yoann Chauvin, membre du bureau national
CFDT Interco Justice
M. Damien Cuquemel, délégué syndical CFDT de la PJJ du Calvados
FO-PJJ
M. Abdelrezeg Labed, responsable d'unité à l'UEHC de Martigues et secrétaire général adjoint des personnels de la PJJ
M. Medjid Mouhoub, éducateur à l'UEHD de Créteil et secrétaire régional adjoint des personnels de la PJJ - Ile de France et Outre-mer
SNPES-PJJ-FSU
M. Marc Hernandez, co-secrétaire national
Mme Christine Sylva, secrétaire régionale, éducatrice en Île-de-France
UNSa-SPJJ
Mme Béatrice Briout, secrétaire générale
Table ronde des associations de protection de l'enfance
Citoyens et justice
Mme Sophie Diehl, responsable du pôle « justice des enfants et des adolescents »
Fédération nationale des services sociaux spécialisés (FN3S)
Mme Corinne Fernet Lucas, première vice-présidente
Convention nationale des associations de protection de l'enfance (CNAPE)
Mme Marlène Viallet, responsable du pôle « justice pénale des mineurs et accompagnement des MNA », avocat honoraire
Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS)
Mme Alexandra Andres, conseillère technique « enfance, famille, jeunesse »
DÉPLACEMENT
LUNDI 28 AVRIL 2025
Association Jean-Coxtet, service de réparation pénale de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)
M. Patrick Beau, président
Mme Camille Degand, directrice du dispositif d'accompagnement éducatif de Saint-Denis et responsable du service de réparation pénale
Mme Laetitia Costa, cheffe de service de la réparation pénale
N., éducatrice
N., éducateur
N., faisant fonction d'éducatrice
N., faisant fonction d'éducatrice
* 1 Le compte rendu de cette audition est consultable en ligne.
* 2 Décret n° 2025-374 du 25 avril 2025 portant annulation de crédits.
* 3 Soit, au 1er juin 2025 et selon le projet annuel de performance pour le programme 182, 233 structures directement gérées par le secteur public et 379 par le secteur associatif habilité.
* 4 Avis n° 150 (2024-2025), tome VIII, déposé le 21 novembre 2024.
* 5 L'avis précité jugeait ainsi « indispensable que les créations ou les redéploiements de postes soient fléchés par priorité vers les fonctions de `terrain', donc sur la filière éducative, plutôt que vers des missions `support' », ce qui n'était déjà qu'insuffisamment le cas.
* 6 Rapport n° 041-25 de la mission d'appui à la DPJJ sur l'amélioration de la justice des mineurs : mieux lutter contre la délinquance (juillet 2025).
* 7 Selon le rapport précité de l'IGJ, ils sont en effet passés de 2 296 en 2015 à 2 260 en 2025.
* 8 Selon le même rapport, « L'augmentation des emplois à la DPJJ a été significative entre 2015 et 2025 (8 329 à 9 234). »
* 9 Projet annuel de performances pour le programme 182, projet de loi de finances pour 2026.
* 10 Voir infra, partie II.
* 11 Le projet annuel de performances (PAP) pour 2026 indique à cet égard qu'« Un bilan de la réforme [i.e. la mise en place du code de la justice pénale des mineurs] a été réalisé en 2023. S'il est globalement positif, une évolution des pratiques professionnelles reste d'actualité ». Le PAP pour 2024 indiquait déjà que les objectifs poursuivis par la réforme « dépend[ai]ent [des] pratiques professionnelles » des éducateurs et que la DPJJ comptait en tirer des conséquences sur l'organisation des services.
* 12 Rapport d'information n° 2 (2025-2026), « L'exécution à la peine » de Laurence Harribey, Elsa Schalck et Dominique Vérien, déposé le 1er octobre 2025.
* 13 Cette situation est, au surplus, défavorable aux finances publiques, étant souligné qu'une journée en CEF associatif coûte 719 euros, contre 215 euros pour une journée de placement en établissement dit « conjoint ».
* 14 Rapport précité.
* 15 Cour des comptes, rapport sur les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs, octobre 2023.
* 16 Inspection générale de la justice, rapport de la mission d'appui relative à l'amélioration de la justice des mineurs : mieux lutter contre la délinquance, juillet 2025.
* 17 Dans le même intervalle, les CEF passaient de 27 à 32 % des crédits du SAH.
* 18 En témoignent les rapports de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France ( n° 588, 2023-2024) et de la mission commune de contrôle sur la prévention de la récidive du viol et des autres agressions sexuelles ( n° 650, 2024-2025), qui comportent tous deux des développements spécifiquement consacrés aux mineurs.
* 19 La DPJJ a annoncé l'organisation de formations portées par l'ENPJJ et ses pôles territoriaux, mais ne semble pas envisager à ce jour d'aller vers la sensibilisation de l'ensemble des personnels au contact des mineurs.
* 20 Rapport précité sur la lutte contre la délinquance des mineurs.
* 21 Gérald Darmanin a en effet déclaré, au cours de l'audition précitée : « Je pense que c'est au secrétariat général de mener les projets numériques. [...] Il faut un copilotage entre les ingénieurs et la direction métier ».
* 22 À l'instar du taux de cassation pour le programme 106 « Justice judiciaire », ou du taux de violence pour 1 000 personnes détenues et du taux de détenus radicalisés ayant suivi un programme de prévention de la radicalisation violente pour le programme 107 « Administration pénitentiaire ».
* 23 Le PAP indique cette année, comme en 2025 et en 2024 : « la réinsertion des mineurs suivis est un des leviers essentiels de la sortie de la délinquance et l'une des missions prioritaires de la PJJ. Un plan d'action national dédié à l'insertion a été formalisé en 2022 pour renforcer les dispositifs existants. La DPJJ s'appuie sur des dispositifs d'insertion propres et sur des partenariats dynamiques, en particulier le partenariat interministériel Justice/Armées/FSI (ouverture de parcours militaires aux jeunes) et l'insertion par la pratique sportive ».
* 24 Voir supra.

