II. LA COOPÉRATION FRANÇAISE : L'INDISPENSABLE ÉQUILIBRE ENTRE RÉFORME ET CONTINUITÉ

La politique de la France en Afrique doit s'adapter aux évolutions du contexte international. La réforme de la coopération dont les principes avaient été adoptés par le précédent gouvernement répond à cette nécessité. Elle engage au delà d'une simple réorganisation administrative -d'ailleurs devenue indispensable- une nouvelle approche de notre diplomatie sur le continent.

Le nouveau cadre institutionnel se met progressivement en place, mais les grandes orientations politiques n'ont pas toutes été arrêtées. Il revient donc au Parlement, à ce moment décisif de la réforme à laquelle il a été fort peu associé, de réfléchir sur les voies à suivre et de faire entendre sa position.

A. LA RÉFORME ET SES INCERTITUDES

1. Une profonde modification des structures

La réforme de la coopération adoptée par le Conseil des ministres du 4 février 1998 revêt principalement une dimension institutionnelle.

a) Le regroupement des services du ministère des Affaires étrangères et du secrétariat d'Etat à la Coopération.

Cette évolution représente le volet le plus spectaculaire de la réforme. Elle se traduit par la disparition du secrétariat d'Etat à la Coopération et à la fusion de la direction du développement et du service de la coordination géographique de la Rue Monsieur et de la direction générale des Relations culturelles, scientifiques et techniques du Quai d'Orsay au sein d'une nouvelle direction générale de la coopération internationale et du développement .

Un arrêté déterminera précisément les attributions de cette direction dont la mise en place interviendra en janvier 1999. Il faut ici se féliciter que la logique de la réforme ait été conduite à son terme et qu'une réelle intégration ait été préférée à une juxtaposition des services existant au sein d'un même ministère.

La réforme de la coopération aura aussi pour conséquence une nouvelle configuration de notre représentation à l'étranger. En effet, les 31 missions de coopération et d'action culturelle seront progressivement transformées en services au sein des ambassades sans, d'ailleurs, que leurs attributions soient modifiées en substance. Elles continueront à assurer le suivi général du programme de coopération dans leur pays de résidence ainsi que la gestion directe des opérations de coopération administrative et institutionnelle.

Toutefois, la mise en place de la réforme soulève un certain nombre de questions relatives à la gestion locale des crédits (fonctionnement de la cellule comptable unique et régularisation de la situation des ordonnateurs secondaires délégués) ainsi qu'à l'assimilation des personnels actuellement placés sous des régimes très divers (titulaires de la coopération, détachés et contractuels) ou du réseau culturel.

La coordination nécessaire à la mise en oeuvre de la refonte du dispositif de notre coopération incombe à une mission de pilotage 4( * ) . Le calendrier, quant à lui, fait apparaître trois dates clefs :

- en juin 1998 , la réunion des comités techniques paritaires appelés à donner leur avis sur le décret et les arrêtés déterminant la nouvelle structure au sein du ministère des Affaires étrangères et les grandes orientations de la réforme en matière de gestion des personnels et des statuts ;

- en septembre-octobre 1998 , la mise en place de la nouvelle administration de gestion du ministère (héritière de la direction générale de l'administration du Quai d'Orsay et la direction de l'administration générale de la Rue Monsieur) et présentation au Parlement d'un budget unique ;

- enfin, en janvier 1999 , mise en place de la future direction générale de la coopération internationale et du développement.

b) La création de nouvelles instances

. La création d'un Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID)

Cette nouvelle instance créée par décret du 4 février 1998, prend la suite du Comité interministériel d'aide au développement (CIAD) . elle est présidée par le Premier ministre ; son secrétariat sera assuré conjointement par le ministre des Affaires étrangères et par le ministre de l'Economie et des Finances 5( * )

Le CICID s'est vu assigner quatre missions :

- la détermination de la zone de solidarité prioritaire (pays vers lesquels sera concentrée l'aide au développement bilatérale) ;

- la définition des principes et des modalités de la coopération internationale ;

- le contrôle de la cohérence des priorités géographiques et sectorielles des diverses composantes de la coopération ;

- le suivi et l'évaluation de la conformité aux objectifs de la politique d'aide française.

A cette fin, le CICID, en liaison avec le Comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger (CIMEE) réunira toutes les informations relatives au volume, à la nature, à l'utilisation et à la répartition géographique des moyens de l'aide publique au développement. Un rapport annuel rendra compte de ce travail d'analyse et d'évaluation.

Le CICID devrait tenir sa première réunion en novembre 1998 et définir à cette occasion les contours de la zone de solidarité prioritaire.

. L'Agence française de développement, principal opérateur des projets et des programmes d'aide au développement

Outre le changement de désignation 6( * ) -de "caisse" en "agence"- d'ailleurs peu opportun, la principale modification relative à l'AFD concerne l'élargissement de ses compétences aux infrastructures sociales (santé, éducation) dont la responsabilité revenait, en principe, sous le régime antérieur, au secrétariat d'Etat à la Coopération. L'Agence demeure par ailleurs l'opérateur de référence pour le développement économique, les infrastructures économiques, le transport, l'environnement et le soutien privé. Les moyens budgétaires de l'Agence nécessaires à l'exercice de ses nouvelles compétences seront inscrits au budget du ministère des Affaires étrangères et mis en place selon une procédure de programmation et de délégation annuelle.

Le ministère des Affaires étrangères -et en son sein la future direction générale de la Coopération internationale et du Développement- assumeront, à l'instar de l'ancien secrétariat d'Etat à la Coopération, la gestion directe des opérations relevant des secteurs institutionnels et de souveraineté (justice, Etat de droit, administration économique, défense, police ...) ainsi que les actions de développement culturel, scientifique et technique.

L'AFD conserve par ailleurs son statut d'établissement public et d'institution financière spécialisée soumise à la loi bancaire de 1974, défini par le décret 92-1176 du 30 octobre 1992.

L'Agence aura pour champ d'intervention la zone de solidarité prioritaire, éventuellement élargie au cas par cas par le CICID.

. La contractualisation des relations avec les pays de la zone de solidarité prioritaire

Un "accord de partenariat pour le développement" conclu avec chaque pays de la zone de solidarité prioritaire précisera dans un cadre pluriannuel les différents types de coopération définis d'un commun accord : développement, coopération militaire mais aussi maîtrise des flux migratoires.

La programmation financière par projet continuera, quant à elle, de s'inscrire dans un cadre annuel.

Deux accords-cadre de partenariat ont d'ores et déjà été signés en 1998 avec le Mali et la Mauritanie.

. La création d'un Haut Conseil de la coopération internationale

Le Haut Conseil de la coopération internationale qui sera créé auprès du Premier ministre aura pour vocation de rechercher, en matière de coopération internationale, une meilleure articulation entre l'action des pouvoirs publics et celle de la société civile.

A cette fin, le Haut Conseil émettra des avis et formulera des recommandations sur la politique de coopération. Il remettra, chaque année, un rapport au Premier ministre.

Le Haut Conseil devrait comprendre 60 membres, nommés pour une durée de trois ans, renouvelable une fois, par le Premier ministre qui désignera le président du Haut Conseil. Les 60 membres devraient se répartir de la manière suivante :

- 5 personnes nommément désignées appartenant au Conseil économique et social et à l'association des présidents des conseils généraux et à l'association des maires de France.

- 40 personnes nommément désignées appartenant :

- aux organisations ayant pour activité principale la solidarité internationale ;

- aux collectifs d'organisations de migrants, chargées de leur intégration en France, en liaison avec leur pays d'origine ;

- aux confédérations syndicales de salariés ;

- aux groupements d'employeurs ;

- aux organismes mutualistes relevant du code de la mutualité et aux fédérations de mutuelles, de coopératives et d'entreprises de l'économie sociale ;

- 15 personnalités choisies en raison de leur autorité dans le domaine de l'aide au développement et de la coopération.

Des représentants de l'administration ainsi que le directeur de l'Agence française de développement, le secrétaire général de la commission nationale de la coopération décentralisée et le secrétaire général de la commission nationale consultative des droits de l'homme participeraient également, avec voix consultative, aux travaux du Haut Conseil.

Ce Haut Conseil peut jouer un rôle utile s'il ne constitue pas une instance supplémentaire vouée à se réunir de façon épisodique et à adopter des recommandations davantage inspirées par des considérations très générales que par l'étude des situations dans leur réalité et leur diversité.

Les parlementaires pourraient précisément faire valoir leur expérience acquise à l'occasion de nombreuses visites dans les pays en développement . Il est donc pour le moins surprenant que leur présence n'ait pas été prévue à ce stade dans cette instance.

Un tel "oubli" paraît incompréhensible et devra être réparé dans le décret instituant le Haut Conseil.

2. De nombreuses interrogations

Que la réforme réponde à un besoin réel ne laisse guère de doute. Elle soulève toutefois plusieurs incertitudes.

La première est d'ordre budgétaire : la coopération bénéficiera-t-elle d'un effort budgétaire à la mesure des ambitions affichées ? L'examen du projet de loi de finances pour 1999 permettra, dans la dernière partie, d'apporter les éléments de réponse nécessaires.

a) La difficile mise en place d'un cadre interministériel

La seconde interrogation tient à la capacité conférée à notre politique de coopération d'avoir une véritable dimension interministérielle. La mise en place d'un cadre institutionnel comme le CICID ne saurait tenir lieu de substitut à une volonté politique défaillante. A cet égard, l'expérience du Comité interministériel d'aide au développement (CIAD) créé par le gouvernement de M. Alain Juppé s'est révélée décevante.

L'expérience du CIAD s'était révélée décevante. Certes, le premier CIAD s'était réuni le 20 juin 1996 pour examiner dans la perspective du G7 à Lyon la part de la France dans l'APD et la répartition de cette aide entre les PMA, les pays émergents et les pays intermédiaires. Il avait par ailleurs confirmé la mise en place d'un groupe d'évaluation sur l'efficacité de l'aide et confirmé les conditions d'intervention des concours budgétaires aux pays africains (accord préalable avec le FMI et la Banque mondiale). Toutefois, une seconde réunion du CIAD, chargée d'étudier les critères d'allocation de l'APD, de l'aide alimentaire et de l'avenir de la convention de Lomé, programmée fin 1996, repoussée début 1997, n'a finalement jamais eu lieu.

Les efforts entrepris pour favoriser une meilleure concertation des administrations intéressées pour l'aide au développement se heurtent aux résistances du ministère de l'Economie et des Finances, principal gestionnaire de l'aide publique au développement, et gardien jaloux des prérogatives qui lui sont conférées dans le domaine de la dette. Or la présente réforme de la coopération n'affecte en rien les attributions de Bercy. Il est clair toutefois que notre politique en matière de prêts ne saurait être séparée des priorités diplomatique dont la définition incombe, sous l'autorité du Président de la République et du Premier ministre, au ministre des Affaires étrangères .

Le CICID permettra-t-il de bousculer les habitudes ? Seule l'expérience permettra d'en juger. Votre rapporteur ne peut toutefois se départir en la matière d'un certain scepticisme.

b) Les contours indécis de la "zone de solidarité prioritaire"

La troisième interrogation porte sur les contours de la zone de solidarité prioritaire . En principe, cette notion couvre les pays les moins développés et qui n'ont pas facilement accès au marché de capitaux. La référence aux "pays du champ", moribonde depuis l'ouverture de la coopération aux 34 pays de la zone Afrique, Caraïbes, Pacifique disparaît bel et bien. Certes, au cours des deux dernières années, les priorités de l'aide publique française telles qu'elles ressortent de la répartition des crédits du Fonds d'aide et de coopération (FAC) n'ont guère connu de profondes modifications : les pays d'Afrique francophone demeurent et de loin, privilégiés.

En outre, le ministre délégué à la Coopération a souligné l'attention qui continuerait de s'attacher au sein de la zone de solidarité prioritaire aux pays d'Afrique "en raison des liens historiques et politiques" traditionnels, aux autres pays de la zone ACP afin d'assurer une bonne coordination avec l'aide européenne et enfin, aux pays francophone. Enfin, les frontières de cette zone pourront bouger, comme l'a déclaré le Premier ministre "année après année" au vu de l'évolution économique et du développement des pays concernés ...

Ces indications ne fixent guère de conditions vraiment limitatives à notre politique de coopération. Selon le critère du montant du PNB rapporté au nombre d'habitants, le monde compte 60 pays "relativement pauvres" -revenu compris entre 500 et 2 000 dollars- et 45 pays très pauvres -revenu inférieur à 500 dollars. La France a-t-elle vocation à aider tous ces pays ?

Sans doute l'élargissement du "champ" de la coopération -en particulier aux pays d'Afrique anglophone- répond aux évolutions nécessaires. Toutefois, la notion bien imprécise de zone de solidarité prioritaire présente un double risque d'éparpillement de l'aide sur un nombre trop important de pays et de banalisation de l'Afrique au sein du monde en développement.

De telles perspectives sont contenues en germe dans la réforme. Car au delà même de la notion de "ZSP", l'aspect institutionnel de la réforme , avec la fusion des administrations, affectera sans doute la hiérarchie des priorités dans le domaine de l'aide au développement.

Les inquiétudes se cristallisent dès aujourd'hui sur notre coopération militaire après la fusion de la mission militaire de coopération (rattachée à l'ancien secrétariat d'Etat à la Coopération) et de la sous-direction de l'aide militaire (relevant de la direction des affaires stratégiques, de sécurité et de désarmement du ministère des Affaires étrangères) au sein d'une nouvelle direction créée au ministère des Affaires étrangères, la direction de la coopération militaire et de défense . Cette direction agira en étroite coordination avec le ministère de la Défense, principal pourvoyeur des moyens nécessaires à la coopération dans ce domaine, et la direction générale de la coopération internationale et du développement pour la mise en oeuvre des programmes et leur évaluation. Une approche différenciée en fonction de la situation de nos partenaires pourra-t-elle être vraiment maintenue, alors même que l'organisation de la direction repose sur une spécialisation par fonction entre la sous-direction chargée de la coopération militaire et celle chargée de la coopération de la défense 7( * ) ?

*

Au moment même où l'Afrique connaît une croissance supérieure à celle des autres continents, où l'aide française apportée avec constance commence à porter ses fruits, ce continent doit rester au coeur de nos préoccupations. L'adaptation nécessaire de notre aide ne doit pas conduire à un affaiblissement de nos priorités mais, au contraire, à la formulation claire de choix. C'est précisément tout l'enjeu de la réforme qui doit permettre aux responsables politiques de faire prévaloir leurs choix dans des domaines où, faute d'orientation précise, la décision est trop souvent revenue aux seules administrations.

c) Les conséquences pour les personnels

Quatrième préoccupation d'importance, le sort réservé au personnel . En effet, le regroupement des administrations se traduira par d'importants mouvements d'effectifs. Le ministre des Affaires étrangères s'est engagé sur la possibilité pour chaque agent de connaître dès le début de l'automne, au terme d'un processus d'appel à candidature et de fiches de postes, les fonctions qui lui seront proposées au sein de la nouvelle direction générale.

La concertation continue avec les personnels, indispensable, incombe à la mission de pilotage.

Au delà de ces changements d'affectations, se pose la question de l'assimilation des personnels de l'administration de la Coopération tant à Paris qu'à l'étranger aux personnels diplomatiques. Las grande diversité de leurs statuts (titulaires de la Coopération, détachés et contractuels) avait jusqu'à présent représenté un frein réel aux projets de réforme de la coopération. Le ministre des Affaires étrangères, lors de la réunion des membres des comités techniques paritaires en juin dernier, a fixé une double orientation :

- intégration "à délais rapprochés" des corps d'encadrement supérieur de la Coopération et des Affaires étrangères (intégration des administrateurs civils de la Coopération dans le corps des secrétaires, conseillers des Affaires étrangères et ministres plénipotentiaires) ;

- éventuelle création d'un corps unique regroupant les secrétaires adjoints des Affaires étrangères et des attachés d'administration du Quai d'Orsay et de la Rue Monsieur (et amélioration parallèle du pyramidage et du tour extérieur, afin de conférer plus de fluidité au déroulement des carrières).

Dans l'attente de la fusion des corps, les personnels de la coopération continuent à être identifiés dans la grille des emplois inscrits au budget des Affaires étrangères et à faire l'objet d'une gestion distincte dans le cadre de commission administratives paritaires séparées. Une sous-direction a été instituée au sein de la direction des relations humaines du Quai d'Orsay afin d'assurer à titre transitoire, la gestion statutaire et le suivi de ces agents jusqu'au 31 décembre 2000.

La mise en oeuvre pratique de ces mesures et l'examen de l'ensemble des conséquences qu'elles emportent, notamment en matière indemnitaire, représente un immense chantier administratif et recèle encore bien des incertitudes. Dans ce domaine, aussi, la plus grande vigilance s'impose.

B. LES INDISPENSABLES CONTINUITÉS

Pour votre rapporteur, la réforme de la coopération doit préserver trois éléments déterminants de notre influence en Afrique : la zone franc, la coopération militaire, la présence économique française sur le continent.

1. La zone franc

a) Le maintien d'une coopération privilégiée

La pérennité de la zone franc représente l'un des gages les plus sûrs de la force du lien franco-africain. La coopération monétaire repose, rappelons-le, sur trois principes :

- L'existence d'un institut monétaire commun pour chacune des deux sous-zones (la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale -CEMAC- et l'Union économique et monétaire ouest-africaine -UEMOA-) chargé de centraliser les réserves en devises ;

- le maintien d'une parité fixe en franc français ;

- l'assurance d'une garantie de convertibilité illimitée des monnaies émises par les différents instituts d'émission de la zone franc ; la libre convertibilité de la monnaie de chaque sous-zone est assurée par le compte d'opération ouvert auprès du Trésor français par chaque banque centrale de la zone et sur lequel les banques centrales ont un droit de tirage illimité en cas d'épuisement de leurs réserves en devises (en contrepartie de ce droit de tirage, les banques centrales doivent déposer sur le compte d'opération au moins 65 % de leurs avoirs extérieurs en devises).

La mise en place de l'Union économique et monétaire (définition d'une parité fixe entre le franc et l'euro au 1er janvier 1999, disparition du franc français en tant que tel en 2002) a suscité chez nos partenaires africains une double préoccupation : d'une part, la coopération monétaire entre la France et les pays de la zone franc pourrait-elle être maintenue alors que notre politique monétaire s'inscrirait désormais dans un cadre européen ? D'autre part, dans l'hypothèse même où cette inquiétude serait levée, la définition d'une parité fixe entre le franc et l'euro ne provoquerait-elle pas une dévaluation du franc CFA ?

Des rumeurs insistantes de dévaluation s'étaient ainsi répandues sur le continent au cours du premier semestre de cette année.

Aujourd'hui, cependant, la France a obtenu de ses partenaires européens des engagements de nature à rassurer nos amis africains.

Conformément aux arguments défendus par notre gouvernement 8( * ) , un accord politique intervenu au Conseil des ministres de l'économie et des finances de l'Union européenne le 6 juillet dernier a reconnu d'une part la possibilité, pour la zone franc, de continuer à fonctionner indépendamment de l'Union européenne (pour autant que les accords liés à la zone franc demeurent dans leur état actuel) et, d'autre part, la liberté laissée à la France et aux pays africains de maintenir la parité actuelle du franc CFA aussi longtemps qu'ils le jugent nécessaire.

La modification des accords de la zone franc requerra dans deux cas seulement une décision préalable du Conseil de l'Union : l'admission d'un nouvel Etat, la modification de la nature même de l'accord (par exemple une remise en cause du principe de garantie de la convertibilité à taux fixe).

En conséquence, la coopération se poursuivra entre la France et les pays de la zone franc ; le franc CFA subsistera en l'état et sa convertibilité demeurera garantie par le Trésor français.

Par ailleurs, les autorités françaises ont assuré à plusieurs reprises que le passage à l'euro n'aurait aucune modification de parité du franc CFA. Trois arguments de fond plaident en effet dans ce sens : les économies africaines auraient conservé de 20 à 30 % des gains de compétitivité permis par la dévaluation de 50 % du franc CFA, l'inflation demeure maîtrisée, la croissance se maintient autour de 5 % par an dans la plupart des pays de la zone.

Dès lors, la parité entre le franc CFA et l'euro devrait se déduire automatiquement de la parité fixée au 1er janvier 1999 entre le franc français et l'euro.

b) Les risques pour l'avenir

A moyen terme, les perspectives paraissent toutefois plus incertaines. Les conséquences de la crise asiatique pourraient provoquer un ralentissement de la croissance africaine et une dégradation de la compétitivité des économies de la zone franc -confrontées aux dévaluations des devises asiatiques-. Le risque d'une surévaluation du franc CFA ne saurait être écarté pour 1999.

Au delà, la divergence croissante entre les économies des deux unions monétaires réunies dans la zone franc représentent aussi un facteur de fragilité pour la pérennité de la zone franc.

Si aucune évolution du régime de change ne peut évidemment être écartée pour les années à venir, la garantie de la convertibilité doit rester un principe essentiel de notre coopération. En effet elle assure la crédibilité du franc CFA (et sa stabilité, en particulier lors des crises financières), elle justifie surtout la participation de la France à la gestion des politiques monétaires des pays partenaires africains et partant, le maintien des liens privilégiés qui nous unissent.

2. La coopération militaire

Aussi nécessaire soit-il, le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, orientation majeure de notre coopération au cours des dernières années, ne portera ses fruits que dans la longue durée. A proche échéance, la crédibilité de notre coopération repose avant tout sur les accords de défense et sur une présence significative sur le terrain. L'adaptation certes nécessaire de notre dispositif militaire ne doit pas avoir pour conséquence, de ce point de vue, d'affaiblir la confiance dont nous bénéficions sur le continent.

a) Le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix

Longtemps thème d'une rhétorique sans grands effets, le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix a connu un élan incontestable au cours de la période récente.

En premier lieu, il s'inscrit désormais dans une démarche multilatérale associant la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Ces trois pays sont convenus en mai 1997 de promouvoir un cadre institutionnel ouvert à tous les pays intéressés et destiné à coordonner, sous l'égide des Nations unies et de l'Organisation de l'Unité africaine, les efforts de la communauté internationale en faveur du renforcement des capacités africaines de maintien de la paix en Afrique. Ainsi le dispositif s'articule-t-il autour de deux groupes :

- un groupe ouvert à tous les Etats intéressés assure l'échange des informations et met en regard les offres et les demandes ; le secrétariat en est assuré par le département des opérations de maintien de la paix des Nations unies (la première réunion de ce groupe s'est tenue à New York le 5 décembre 1997, à l'initiative du secrétariat des Nations unies, en présence d'une centaine de délégations) ;

- des groupes ad hoc limités à quelques pays et formés de manière ponctuelle pour organiser un exercice multilatéral de maintien de la paix, équiper un bataillon ou créer un centre régional de formation au maintien de la paix. Certains de ces groupes, les plus actifs sans doute, prendront une dimension régionale.

En second lieu, la France a, pour sa part, clairement marqué une priorité pour le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix en consacrant à ce domaine près de 20 % des crédits dévolus à la coopération militaire. Le programme RECAMP (renforcement des capacités africaines de maintien de la paix), pendant du projet américain ACRI ("African crisis response initiative" -quelque 15 millions de dollars en 1998 principalement consacrés à la formation au maintien de la paix de 8 bataillons dans 7 pays africains) s'inscrit dans le cadre de l'accord de mai dernier.

Il recouvre trois types d'initiatives :

- le prépositionnement à Dakar, en janvier 1998, du matériel nécessaire à l'équipement d'un bataillon africain de maintien de la paix (ce matériel, stocké au sein des forces françaises, n'est pas réservé à l'usage exclusif de l'armée sénégalaise mais peut bénéficier à tous les pays de la sous-région à l'occasion d'un exercice ou d'une opération de maintien de la paix) ;

- le déroulement, à la fin du mois de février, de l'exercice franco-africain de maintien de la paix "Guidimakha 98 " rassemblant près de 3 000 soldats africains et 500 militaires français à la frontière du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie ;

- la création, en octobre 1998, en Côte d'Ivoire à 20 kilomètres de Yamoussoukro d'un centre de formation au maintien de la paix qui a aussi vocation à s'ouvrir aux pays anglophones.

Le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix apparaît comme un champ privilégié d'une coopération multilatérale dont toutes les possibilités n'ont d'ailleurs pas été encore utilisées. Ainsi, au delà même de la concertation au sein des groupes réunis sous l'égide des Nations unies, la coopération pourrait porter sur des initiatives concrètes telles que les exercices communs dont le coût justifierait un financement conjoint de plusieurs bailleurs de fonds . Une telle possibilité devrait être mise à l'étude dans la perspective des exercices multinationaux planifiés par la France tous les deux ans :

- un exercice en l'an 2000 en Afrique centrale qui pourrait regrouper les pays volontaires membres du comité consultatif permanent des Nations unies pour les questions de sécurité en Afrique centrale 9( * ) (la crise dans cette région pourrait remettre en cause le montage de cette opération) ;

- un exercice en 2002 en Afrique de l'Est qui se déroulerait à Djibouti  ;

- un nouvel exercice, à l'horizon 2000, en Afrique de l'Ouest.

Toutefois, la mise en oeuvre d'initiatives multilatérales rencontre de nombreux obstacles. Ainsi, la création d'une force d'une Mission des Nations unies en République centrafricaine (MINURCA) -première opération de ce type en Afrique depuis cinq ans s'est avérée très délicate. Souvenir de l'échec enregistré en Somalie ? Coût financier de l'entreprise ? Le Congrès américain a en tout cas manifesté de nombreuses objections. Le gouvernement américain est finalement passé outre ces réticences, à condition que le mandat de la MINURCA ne dépasse pas trois mois et soit limité dans son objet ("sécuriser" la capitale, superviser le stockage d'armes dans le cadre de l'opération de désarmement). Cependant, le Conseil de sécurité des Nations unies a finalement, en octobre dernier, décidé de prolonger le mandat de la MINURCA 10( * ) jusqu'au 28 février 1999 afin de superviser l'organisation des élections législatives (prévues pour les 22 novembre et 13 décembre 1998) : transport et sécurité du matériel électoral dans les provinces ainsi qu'appui à la mission d'observation internationale.

b) L'importance de la présence militaire française

Ces difficultés et l'instabilité récurrente de certains Etats, en particulier en Afrique centrale, soulignent l'importance d'une présence militaire française. Votre rapporteur, sans nier la nécessité d'adapter notre dispositif en Afrique, en liaison avec la réforme des armées, ne peut que manifester une certaine préoccupation quant au maintien de nos capacités opérationnelles sur le continent. En effet, les restructurations se traduiront par une baisse des effectifs déployés (de 8 000 à 5 600 hommes à l'horizon 2000) et par une importante modification du ratio permanents/tournants (diminution de la part des militaires envoyés pour un séjour de longue durée au profit de compagnies "tournantes", relevées tous les quatre mois). En outre, le dispositif a été resserré autour de cinq bases au sein de trois groupements de forces (groupement Est -Djibouti- groupement Centre -Tchad, Gabon- groupement Ouest -Sénégal, Côte d'Ivoire).

En particulier, le départ de Centrafrique, des éléments français prépositionnés, n'a peut-être pas suffisamment tenu compte des enjeux stratégiques d'une présence militaire française dans ce pays.

3. Renforcer la présence française en Afrique

Notre influence en Afrique repose principalement sur cette communauté de Français -chefs d'entreprise, salariés du secteur privé, coopérants et leurs familles- qui oeuvre au quotidien et parfois dans des conditions très difficiles au développement économique et à la pérennité de la solidarité entre la France et l'Afrique. C'est pourquoi il convient de donner à ces Français les moyens d'exercer leur activité dans les meilleures conditions.

a) La nécessaire mise en place d'un socle de garanties pour nos ressortissants

A ce titre, il apparaît d'abord indispensable, comme votre rapporteur a déjà eu l'occasion de le rappeler à de nombreuses reprises, de donner un socle de garanties pour les travailleurs français en Afrique afin d'assurer une réelle protection des personnes et des biens. Il est également nécessaire de veiller au versement des pensions de retraite.

En effet, nos compatriotes bénéficiaires de droits acquis auprès des régimes locaux d'assurance vieillesse ont été gravement affectés, on le sait, par la réduction par moitié de leurs pensions à la suite de la dévaluation du franc CFA en 1994. Une mission tripartite dirigée par l'Inspection générale des affaires sociales, menée avec les services du ministère des affaires étrangères et de la coopération, a conclu que la France ne pouvait pas se substituer à des Etats souverains pour garantir la valeur des prestations servies par leurs régimes de sécurité sociale et libellées dans leur monnaie nationale. Elle n'a pas pris suffisamment en compte la part prise par la France dans la décision de dévaluer. Toutefois, à la suite de cette mission, le gouvernement français a accepté de réexaminer sans tenir compte de la date limite, certains dossiers de demandes d'aide exceptionnelle au titre du dispositif de soutien mis en place en 1994 (aide plafonnée et sous condition de ressources -60 000 F pour une personne seule, 90 000 F pour un couple).

Cette disposition n'est pas suffisante et n'est pas à la mesure des difficultés rencontrées par une grande partie des Français touchés par la dévaluation. Elle doit ainsi faire l'objet d'un complet rééxamen.

Reste le problème du versement souvent aléatoire des pensions de retraite par les caisses de retraite africaines confrontées à de graves difficultés financières. Sur ce chapitre, la mission tripartite a formulé plusieurs recommandations intéressantes : centralisation et suivi systématique par le centre de sécurité sociale des travailleurs migrants des dossiers des personnes rencontrant des difficultés, évocation systématique de cette question lors des rencontres bilatérales ou multilatérales entre le gouvernement français et ses homologues africains, présentation des propositions concrètes d'aide, dans le cadre de la politique de coopération, au fonctionnement des caisses de retraite en complément de l'action déjà menée par la conférence interafricaine des institutions de prévoyance sociale (CIPRES) en matière de contrôle de gestion et d'assistance technique.

Par ailleurs une circulaire prise sous responsabilité de la direction de la sécurité sociale donnera pour instruction aux caisses de sécurité sociale de liquider de façon autonome et sans délai, même de façon provisoire, les droits à pension française des personnes ayant accompli une carrière mixte sur le territoire national et dans un Etat lié à la France par une convention bilatérale de coordination. De la sorte, les retards ou la carence des institutions étrangères ne devraient pas se traduire également par des retards dans la liquidation des droits du côté français. En outre, le gouvernement s'est engagé à étudier, dans la même perspective, les moyens de faciliter la preuve de leurs activités en Afrique pour les personnes ayant cotisé à des caisses locales en vue d'améliorer la prise en compte de ces périodes pour le calcul des pensions françaises. Enfin, les modalités de coordination contenues dans certaines des conventions évoquées pourraient faire l'objet d'une révision en accord avec l'Etat partenaire s'il s'avère que des aménagements techniques permettent de régler certaines difficultés.

Ces orientations positives doivent encore se concrétiser. Votre rapporteur, pour sa part, continuera d'y apporter une attention particulièrement vigilante.

Mais ces mesures n'apparaissent pas encore suffisantes. Il est donc nécessaire de mettre au point un mécanisme permettant de précompter sur l'aide budgétaire versée à certains de nos partenaires le montant représentatif des sommes dues aux retraités français par les caisses de retraite défaillantes et de le leur verser directement.

L'expatriation, il ne faut jamais l'oublier, demeure, en particulier pour tous les travailleurs indépendants, un choix risqué mais aussi un choix coûteux. Elle conduit à renoncer à de nombreux avantages, notamment la gratuité de l'enseignement et une protection nationale généreuse.

Comment encourager nos compatriotes à s'expatrier, comme le demandent avec insistance tous les gouvernements successifs si on ne prend pas les mesures concrètes nécessaires ?

b) Une action plus résolue en faveur des PME et l'indispensable remise en cause des blocages administratifs

Au-delà des garanties indispensables à l'expatriation, il devient indispensable de procurer aux petites et moyennes entreprises les incitations nécessaires pour investir à l'étranger. Un mécanisme de bonification d'intérêts apparaîtrait particulièrement opportun pour les entreprises, qui, à l'instar des sociétés françaises établies au Congo-Brazzaville, participent par leur activité à la reconstruction économique d'un pays.

Or l'Agence française de développement qui met en oeuvre une palette d'instruments financiers diversifiée dans les pays africains ne dispose pas réellement d'un mécanisme spécifique en faveur des PME. L'Agence réalise d'importants excédents chaque année. Pourquoi ne pas utiliser ces ressources, aujourd'hui mises en réserve conformément au statut de l'Agence, au service du développement des PME dans les pays de la "zone de solidarité prioritaire" ? Une telle situation permettrait, selon votre rapporteur, de combler une grave lacune dans notre politique de coopération.

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