N° 382

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 mai 1999

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, portant création d'une couverture maladie universelle ,

Par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ.) : 1419 , 1518 et T.A. 288 .

Sénat : 338 et 376 (1998-1999).


Assurance maladie maternité.

Mesdames,

Messieurs,

En quelques articles, le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle 1( * ) traite tous les aspects de l'assurance maladie, depuis ses idées les plus généreuses jusqu'aux problèmes les plus techniques de son financement. Il concerne tous les acteurs de la protection sociale : Etat, organismes d'assurance maladie, assureurs, mutuelles, institutions de prévoyance, départements, communes, assurés sociaux, contribuables. Il devrait profiter aux plus démunis et améliorer leur situation. En tout état de cause, il n'est neutre pour personne et se traduira par des transferts financiers importants, des inégalités fortes, des remises en cause profondes de certains principes qui fondaient notre protection sociale depuis 1945.

La couverture maladie universelle est juste quand elle permet d'offrir une protection aux 150 000 personnes qui, aujourd'hui, ne possèdent aucun droit à la santé. Elle doit être financée par la solidarité nationale. L'assurance maladie universelle préparée par le précédent Gouvernement devait ainsi supprimer cette inacceptable exclusion du système de soins.

La création d'une couverture totale et gratuite pour 6 millions de Français ne bénéficiant pas de protection complémentaire doit, quant à elle, se mesurer à l'aune des marges de manoeuvre financières dont dispose notre système de protection sociale. Notre pays possède en effet le double record de la dépense de soins et du niveau des prélèvements fiscaux et sociaux. L'assurance maladie connaît des déficits persistants qu'aucun mécanisme de régulation ne parvient à maîtriser. Il paraît ainsi difficile d'envisager toute dépense supplémentaire hors des indispensables redéploiements au sein d'une enveloppe financière constante allouée à la santé.

Le projet de loi remplace tout d'abord la protection de base qu'offrait le régime de l'assurance personnelle fondé sur le principe de la contributivité et de l'ouverture de droits, par une affiliation automatique sous condition de résidence régulière. Elle devrait permettre de couvrir l'ensemble de la population française par une assurance de base. S'y ajoute une couverture complémentaire assurée, au choix du bénéficiaire, sous condition de ressources, par la CNAMTS ou un organisme de protection complémentaire facultative (assureurs, mutuelles, etc.). Disparaissent donc les mécanismes de prise en charge de cotisations de l'assurance personnelle et l'aide sociale départementale.

Ce système à deux étages présente dans son détail des modalités d'application, de mise en place, de transition qui le rendent extrêmement complexe et donc critiquable. Son financement s'appuie ainsi sur trois piliers : une réallocation de divers transferts financiers actuels sous forme de redistribution de pourcentages de recettes difficilement lisibles et de recentralisation de crédits d'Etat ; une forte augmentation de la participation de l'Etat ; la création d'une taxe nouvelle pesant sur les entreprises ayant une activité protection complémentaire santé. Au bout du compte, son coût reposera sur les générations futures, de contribuables et d'assurés sociaux.

Par ailleurs, la couverture maladie universelle va engendrer des inégalités fortes de situation entre ses bénéficiaires (en dessous des seuils de ressources) et ceux qui en seront exclus, entre assurés sociaux, entre salariés d'une même entreprise, entre régimes de protection sociale, entre départements, entre les assurances et les mutuelles, entre les assurances et mutuelles et l'assurance-maladie. Il risque de susciter une trappe à pauvreté et d'inciter au travail clandestin.

Votre commission des finances a décidé de se saisir pour avis au regard des importantes conséquences financières d'un projet de loi portant sur plus de 18 milliards de francs de dépenses, régimes de base et complémentaire confondus, dont au moins 4,5 milliards seront des dépenses nouvelles pour l'année 2000 et dont tout indique qu'elles iront croissant dans les années à venir. Le chiffrage du projet de loi ne lui est ainsi pas apparu sincère.

Elle a estimé que la création d'une couverture complémentaire gratuite et totale était susceptible de changer la nature même de la sécurité sociale, qu'elle soulevait de vrais problèmes de gestion et qu'elle n'était pas complètement financée.

Laissant à la commission des affaires sociales, saisie au fond, le soin d'apporter au texte du projet de loi les aménagements essentiels qu'il requiert, votre commission des finances a ainsi décidé d'axer sa réflexion autour de trois thèmes : la dynamique du système de financement, ses conséquences pour les collectivités locales et les organismes de protection sociale complémentaire.

I. LA DYNAMIQUE DANGEREUSE DU FINANCEMENT D'UN PROJET LÉGITIME

A. L'EXTENSION DE LA COUVERTURE SOCIALE, INSCRITE DANS L'HISTOIRE DE L'ASSURANCE-MALADIE

1. A la recherche de l'universalité

a) De l'idée de l'universalité à un système différentiel

L'histoire de la protection maladie montre qu'elle est d'abord née du souci de protéger les plus faibles 2( * ) . Les premières initiatives sont, comme pour toute l'histoire de la protection sociale, celles de sociétés mutualistes et d'un patronat ouvert aux questions sociales. L'Etat intervient en 1893, en créant une aide médicale gratuite s'adressant aux nécessiteux et indigents. En 1910 sont énoncés les principes des assurances sociales obligatoires pour les ouvriers et les paysans.

Les idées de l'obligation et de l'universalité inspirent alors les grands débats de l'entre-deux-guerres. L'assurance maladie obligatoire n'est véritablement envisagée en France qu'en 1920, soit 39 ans après l'Allemagne. Le débat naît d'ailleurs d'abord du problème posé par le maintien du régime spécial mis en place en Alsace-Moselle par les Allemands durant leur occupation. S'y ajoutent la question de la dette de la Nation envers les plus de trois millions de blessés de guerre, les veuves et les orphelins et l'inquiétude face à la contestation ouvrière.

Les professions indépendantes, les paysans et les professions libérales s'opposent, ainsi que les syndicats révolutionnaires et le corps médical (malgré l'accord sur un tarif conventionné en 1925, dénoncé en 1927), à l'idée d'assurance maladie obligatoire. Les médecins plaident alors pour le remboursement par les caisses d'un tarif fixé par elle plutôt que l'entente directe au sujet des honoraires. Ils obtiennent gain de cause. Apparaît ainsi le principe du remboursement de base pratiqué encore aujourd'hui : en 1930, le Parlement vote la première assurance maladie remboursant " une part contributive garantie par les caisses " . En même temps que le remboursement de base apparaît donc la nécessité d'un remboursement complémentaire.

Limitée à certaines professions et aux plus pauvres, la protection sociale maladie avant la deuxième guerre mondiale laisse encore de côté la très grande majorité de la population.

b) Le choix trahi de 1945

Les débats sur la mise en place de la Sécurité sociale en 1945 montrent l'intention des concepteurs de mettre en place une protection universelle et unique, selon un modèle beveridgien 3( * ) . Le plan Beveridge de 1942 au Royaume-Uni prévoyait ainsi les deux composantes de l'universalité : la généralité de la couverture et l'uniformité des prestations. Se dégage alors un courant universaliste en matière de protection sociale, attribuant une protection à tout résident selon ses besoins et ressources (conditions absentes du plan de Beveridge). La France fait, elle, le choix d'un courant intermédiaire entre celui-ci et le courant plus professionaliste, où la protection contre le risque s'inscrit dans le cadre du contrat de travail. La première conception se heurtait en effet en 1945 aux réticences de certaines professions et aux idées de démocratie sociale. D'où les principes fondateurs de notre sécurité sociale : universalité, unité, uniformité et gestion paritaire. D'où aussi cependant une organisation ne reflétant pas ces principes, les ordonnances se contentant d'appeler à l'harmonisation et à l'extension des régimes mis en place.

Le choix de 1945 n'est donc pas celui de l'universalité. Demeurent les régimes spéciaux de certaines professions, principalement les administrations de l'Etat, les collectivités locales, les marins, les mineurs, les cheminots, et de certains organismes (Comédie française, Opéra de Paris, Banque de France, Compagnie générale des eaux, EDF-GDF, Crédit foncier de France, clercs de notaire, ports autonomes, chambres de commerce, etc.). Les cadres sont intégrés, mais ils peuvent cotiser à partir d'un plafond de ressources aux régimes particuliers existant avant la guerre et qui donnent naissance à la protection complémentaire. Certaines professions sont exclues, à commencer par les indépendants.

La généralisation qui se met alors en place n'est pas non plus marquée du sceau de l'universalité, puisqu'elle prend la forme de régimes autonomes et non pas d'une intégration dans le régime général. Il faut attendre la loi du 12 juillet 1966 pour que les " non-non " (travailleurs non salariés, non agricoles) bénéficient du régime d'assurance maladie qu'ils avaient toujours refusé : la CANAM est créée.

L'histoire de l'édification de la Sécurité sociale montre donc que passée l'aspiration de 1945 à une protection universelle, la généralisation ne s'est pas faite par l'intégration des régimes et des prestations mais par l'empilement de premiers et l'éclatement des seconds. Cela explique le nombre de personne exclues du système et le souci, à partir de 1972, de revenir à une protection véritablement universelle.

c) Elargissement et approfondissement de la protection depuis les années 1970

Le législateur a conduit depuis la loi du 3 juillet 1972 un effort d'harmonisation des régimes, notamment par le biais de la compensation financière instaurée en 1974. Mais surtout, il s'est penché sur le sort des exclus du système. Ceux exerçant une activité non répertoriée au registre du commerce ou dans les chambres de métiers, les ordres professionnels et les chambres de commerce ainsi que ceux sans activité échappaient en effet à tous les régimes. Il fallait trouver un régime de rattachement, mettre en place des mécanismes de ressources pour compenser l'absence de cotisations des plus démunis et remplacer pour les autres le revenu professionnel par une autre base de cotisation. La loi du 4 juillet 1975 fixait ainsi dans son article premier cet objectif : " un projet de loi prévoyant les conditions d'assujettissement à un régime obligatoire de sécurité sociale de toutes les personnes n'en bénéficiant pas devra être déposé au plus tard le 1 er janvier 1977 " .

La loi du 2 janvier 1978 relative à la généralisation de la sécurité sociale se donne pour ambition d'y répondre. Elle renonce à l'assurance maladie universelle et obligatoire, pour créer un régime de l'assurance personnelle facultative. Les pouvoirs publics prennent en charge les cotisations de ceux ne pouvant les assumer. Ainsi, l'assurance maladie s'est-elle progressivement généralisée en maintenant le principe de l'affiliation professionnelle et de la contribution nécessaire à l'ouverture de droits.

L'objectif d'universalité a donc été approché par la création de l'assurance personnelle. Il n'a cependant pas été complètement atteint, ce qui justifie une nouvelle intervention du législateur.

De l'assurance volontaire à l'assurance personnelle

" L'assurance personnelle trouve son origine dans la faculté d'adhérer volontairement au régime général d'assurance maladie ouverte à certaines catégories d'ayants-droit dès l'ordonnance du 19 octobre 1945. Après l'institution de régimes d'assurance maladie pour les non salariés, ce régime concernait essentiellement des personnes sans activité professionnelle et se caractérisait par un niveau élevé de cotisations, souvent aggravé par l'obligation de rachat des cotisations afférentes aux années antérieures ; dans son principe même, il excluait les personnes les plus défavorisées.

C'est pourtant une formule dérivée de ce système qui fut choisie par la loi du 2 janvier 1978 pour assurer au prix de son élargissement et d'une transformation de ses modalités, la généralisation de la sécurité sociale dont le principe avait été posé par la loi du 4 juillet 1975. Faute d'un régime unique ouvert à tous, et obligatoire pour tous, la transformation de l'assurance volontaire en assurance personnelle crée un régime d'accueil pour des groupes sociaux très divers dont certains disposent de revenus (rentiers titulaires de revenus fonciers, membres de professions diverses telles que voyants, mages, cartomancienne, détectives privés, récupérateurs de ferraille,...) et d'autres relèvent plus ou moins de la solidarité nationale.

La loi du 2 janvier 1978 instituait une relation forte entre l'assurance personnelle, établie en principe, comme l'assurance volontaire à l'origine, sur une base contributive, et l'aide sociale en prévoyant que celle-ci pourrait prendre en charge, en tout ou partie, les cotisations dont les assurés seraient personnellement redevables. "


Source : Cour des Comptes, Rapport annuel au Parlement sur la Sécurité sociale , septembre 1995

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