EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du jeudi 18 octobre 2001, la commission, présidée par M. Alain Lambert, président, a procédé à l'examen des crédits de la fonction publique et de la réforme de l'Etat , sur le rapport de M. Gérard Braun, rapporteur spécial .

M. Gérard Braun, rapporteur spécial, a expliqué que l'examen des crédits de la fonction publique appelait deux analyses distinctes :

- la première est juridique et porte sur la présentation des crédits du ministère chargé de la gestion de la fonction publique, qui sont individualisés dans le budget des services généraux du Premier ministre au sein de l'agrégat « fonction publique ». Ces crédits s'élèvent à 216,92 millions d'euros en 2002, soit un niveau stable par rapport à 2001 ;

- la seconde analyse est économique et concerne l'ensemble des charges de personnel de l'Etat, c'est-à-dire les crédits de rémunération, les charges sociales et les pensions, qui s'établissent à 112,5 milliards d'euros en 2002, soit 43,3 % des dépenses du budget général, après 42,2 % en 2001.

S'attachant à examiner les charges de personnel de l'Etat, il a indiqué que les dépenses de fonction publique « stricto sensu » s'élevaient à environ 109 milliards d'euros, soit une progression de 4,6 %, c'est-à-dire 4,8 milliards d'euros de plus que l'année dernière, alors que les dépenses du budget général doivent progresser de 2 % en 2002. Il a rappelé que la fonction publique de l'Etat « induisait » des dépenses qui vont bien au-delà des seules charges liées aux fonctionnaires. Hors modifications de périmètre, ces dépenses induites étaient, en 2000, de 115,10 milliards d'euros, soit une progression à champ constant de 3 % par rapport à l'année précédente.

M. Gérard Braun, rapporteur spécial , a ensuite fait part des trois observations que lui inspiraient les dotations allouées à la fonction publique et à la réforme de l'Etat pour 2002, en tentant de présenter le bilan de l'action du gouvernement au cours de la législature.

Il a d'abord constaté que la fonction publique avait été la première priorité du gouvernement tout au long de la législature. Depuis 1997, le nombre de fonctionnaires a considérablement augmenté, près de 28.000 nouveaux emplois budgétaires ayant été créés. Ce chiffre montre bien ce qu'il faut penser des souhaits, un temps exprimés, du Premier ministre de voir « geler » l'emploi public. Ces créations massives d'emplois publics ont repris l'année dernière et s'amplifient en 2002, puisque le présent projet de loi de finances prévoit la création de 15.892 emplois supplémentaires, dont 14.611 au sein des services de l'Etat, et 1.281 dans les établissements publics. Une fois encore, le ministère de l'éducation nationale bénéficie de la majorité de ces créations d'emplois, soit plus de 7.700, alors que le nombre des élèves et des étudiants continue de diminuer. Le rapporteur spécial a regretté que, comme d'habitude, le gouvernement préférait différer la réflexion qu'il convient pourtant d'engager d'urgence sur la façon d'adapter le format de l'Etat suite aux départs à la retraite très nombreux de fonctionnaires au cours des prochaines années. Il a précisé qu'étaient également prévues un certain nombre de mesures destinées à « remettre en ordre » les personnels de l'Etat, notamment au titre de la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique et de la régularisation de surnombres. Au total, ce sont donc plus de 29.000 emplois budgétaires supplémentaires qui sont créés par le projet de loi de finances pour 2002, après plus de 20.800 en 2001.

M. Gérard Braun, rapporteur spécial , s'est inquiété de ce que la question du devenir des emplois-jeunes n'était en rien réglée, en dépit du « battage » médiatique orchestré à la fin du printemps par le gouvernement sur le plan de « consolidation » de son dispositif. Il a relevé que le gouvernement avait régulièrement modifié ses objectifs en matière d'emplois-jeunes, ayant cru un moment atteindre fin 2000, au lieu de la fin 2002, la création de 350.000 de ces emplois. En outre, son objectif a changé de nature, puisqu'il ne s'agit plus de le mesurer en stock mais en flux. Au 30 juin dernier, il y avait 328.000 jeunes embauchés dans ce dispositif, alors que le gouvernement note que ledit dispositif vise à « porter à 360.000 à la fin 2002, le nombre des jeunes qui auront bénéficié du programme depuis sa création ». L'ambiguïté de ces différentes formulations aboutit à ne plus savoir si les chiffres fournis doivent être compris en stock ou en flux ! Il a considéré que, si les emplois étaient consolidés, les dépenses seraient aussi pérennisées : bien que, pour la première fois, les dotations allouées aux emplois-jeunes diminuent, de 3,6 %, soit 3,23 milliards d'euros, il a noté que le chapitre budgétaire concerné faisait l'objet d'une importante surdotation, puis d'une régulation non moins importante en cours d'année. En tout état de cause, il reste impossible de savoir ce que deviendront les jeunes ainsi embauchés, ce qui ne manque pas de susciter leur inquiétude, comme l'a montré la récente manifestation des aides-éducateurs.

Le rapporteur spécial a observé que, sur le plan budgétaire également, la fonction publique avait été la véritable priorité du gouvernement depuis 1997. D'une part, les rémunérations publiques sont de plus en plus coûteuses. Le coût de l'accord salarial du 10 février 1998 s'est établi à 6,30 milliards d'euros dans l'ensemble des trois fonctions publiques sur la période 1998-2000. L'échec des négociations salariales visant à couvrir la période suivante a conduit le gouvernement à prendre des mesures unilatérales, dont le coût, pour la seule fonction publique d'Etat s'élève à près de 3 milliards d'euros et à 5,20 milliards d'euros pour les trois fonctions publiques. Par ailleurs, afin de maintenir le pouvoir d'achat des fonctionnaires, compte tenu d'une inflation plus importante que prévu, le ministre a annoncé un « coup de pouce » supplémentaire de 0,4 % au 1 er mars prochain, pour un coût de 445 millions d'euros. D'autre part, il semble que le budget général ne va plus servir qu'à assurer la rémunération des fonctionnaires. La part croissante des dépenses de personnel accentue en effet la rigidité du budget de l'Etat, d'autant plus que cette croissance est largement automatique. Les dépenses liées à la fonction publique ont augmenté d'environ 16 % depuis le début de la législature, et représentent plus de 70 % de la progression des dépenses au titre des 10 premiers postes du budget général, soit, depuis 1997, 15 milliards d'euros sur 21 milliards.

M. Gérard Braun, rapporteur spécial , a déploré que les 35 heures dans la fonction publique deviennent un piège dans lequel le gouvernement s'est cependant lui-même enfermé. Ayant affirmé à plusieurs reprises, notamment au Sénat l'année dernière, que la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat serait réalisée à effectifs constants, le gouvernement se trouve aujourd'hui confronté à d'extrêmes difficultés pour négocier le passage aux 35 heures. Les négociations engagées sont particulièrement longues et laborieuses, et donnent lieu à de multiples conflits sociaux. Pour sortir de ces difficultés, le gouvernement se voit dès lors contraint de s'affranchir de la règle qu'il a lui-même édictée, au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie en particulier, et de créer des emplois, malgré tout. Il a ainsi annoncé la création de 45.000 emplois nouveaux dans la fonction publique hospitalière, sans compter que les personnels hospitaliers de nuit vont progressivement passer à une semaine de travail de 32 heures 30, les syndicats allant probablement prendre ce cas en exemple pour en demander la généralisation à l'ensemble des fonctionnaires soumis à des sujétions professionnelles particulières.

M. Gérard Braun, rapporteur spécial , a ensuite exprimé sa déception de voir qu'aucune réforme structurelle n'avait été engagée dans la fonction publique depuis le début de la législature. Le dossier des retraites publiques constitue le cas le plus emblématique, mais aussi le plus dramatique, de l'immobilisme du gouvernement. Il a rappelé que l'explosion du coût des pensions de la fonction publique était d'ores et déjà programmée, et a indiqué que le Conseil d'orientation des retraites, créé en juillet 2000 pour « gagner du temps », avait fait le même constat, notant en outre que les disparités entre les retraites publiques et privées allaient s'accroître en l'absence de modification législative, et exprimant son souhait, comme le rapporteur spécial le fait depuis plusieurs années, de procéder à un alignement de la durée de cotisation des fonctionnaires, aujourd'hui de 37,5 années, sur le droit commun applicable aux salariés du secteur privé, soit 40 ans. Il a ajouté que le gouvernement n'avait quasiment rien fait non plus en matière de gestion des ressources humaines dans la fonction publique. Les conclusions du premier rapport public particulier de la Cour des comptes, publié en janvier 2000, ont malheureusement été confirmées par le deuxième, datant d'avril dernier : l'Etat est un employeur accablant. De surcroît, la Cour des comptes note que les mesures prises par le gouvernement à la suite de ses premières enquêtes « ne concernent que quelques ministères et sont de portée limitée ».

Enfin, M. Gérard Braun, rapporteur spécial , abordant la question de la réforme de l'Etat depuis 1997, a dû constater que celui-ci n'avait fait l'objet que de simples « réformettes ». Se contentant d'affichage, notamment au travers d'un nombre impressionnant de circulaires particulièrement complexes, le gouvernement se limite dans les faits à un ensemble de micro-décisions, sans projet d'ensemble. Il a ironisé sur la suppression de la fiche individuelle d'état civil et sur celle de la certification conforme de copies de documents, le gouvernement croyant ainsi avoir réformé l'Etat ! Il a estimé, au contraire, que ces décisions en disaient long sur l'archaïsme de notre administration, et qu'elles paraissaient peu ambitieuses au regard des réformes, parfois profondes, entreprises par les principaux pays développés, dont la France ferait bien de tirer quelques enseignements. Il a également noté que les instruments dont notre pays s'était doté pour impulser la réforme de l'Etat manquaient bien souvent d'ambition, à l'exemple du fonds pour la réforme de l'Etat qui se contente de saupoudrer des crédits sur l'ensemble du territoire afin de cofinancer des opérations qui ont un lien pour le moins ténu avec la réforme de l'Etat. Il a considéré que le gouvernement ferait mieux de s'attacher à véritablement améliorer la qualité des services publics, le rapport annuel de l'Inspection générale des affaires sociales, par exemple, consacré aux liens entre les institutions sociales et leurs usagers, ayant montré qu'il restait de très amples efforts à fournir pour améliorer la qualité de l'accueil et du service rendu.

Il a conclu en rappelant que « le préalable à la réforme de l'Etat », c'est-à-dire la réforme de l'ordonnance organique de 1959, était, elle, en revanche, une initiative du Parlement, qui avait voté la loi du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, qui permettra de réformer le cadre de la gestion publique pour l'orienter vers les résultats et la recherche de l'efficacité, et de renforcer la transparence des informations budgétaires et la portée de l'autorisation parlementaire.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Alain Lambert, président, a noté qu'en matière de fonction publique, qui est visiblement sa principale priorité, le Gouvernement avait atteint son objectif au cours de la présente législature au regard des masses budgétaires en jeu. Rappelant que le rapporteur spécial avait effectué au cours de l'année un contrôle du fonds pour la réforme de l'Etat, il lui a demandé si le projet de loi de finances pour 2002 tirait les conséquences de ses conclusions.

M. Maurice Blin s'est dit frappé par la « répétition du mal », le Gouvernement restant sourd aux recommandations du Sénat comme à celles de la Cour des comptes en matière de fonction publique. Il a noté que la France était un pays sur-administré, ce qui entraînait des incidences économiques lourdes et des effets sociaux également importants. Il a pourtant relevé que beaucoup de nos voisins avaient réduit le nombre de leurs fonctionnaires et pratiqué le redéploiement des effectifs. A cet égard, il a reconnu ne pas comprendre le refus du Gouvernement de supprimer la redevance audiovisuelle, qui semble uniquement motivé par le fait qu'il faudrait reclasser les 1 400 fonctionnaires affectés au recouvrement de cette taxe. Il s'est enquis de la surdotation en effectifs des administrations centrales par rapport aux services déconcentrés de l'Etat. Enfin, il a souhaité connaître le coût engendré par le passage aux 35 heures dans la fonction publique.

M. Alain Joyandet a noté le paradoxe de nouvelles créations d'emplois au ministère de l'éducation nationale alors que les effectifs des élèves et des étudiants diminuaient régulièrement. Il a également voulu savoir le nombre de fonctionnaires mis à disposition d'autres administrations.

M. Gérard Braun, rapporteur spécial , a rappelé que la France comptait 9,5 fonctionnaires pour 100 habitants, contre 6 pour 100 habitants en Europe, alors que l'administration française n'est pas manifestement plus efficace. Il a indiqué que les crédits du fonds pour la réforme de l'Etat diminueraient en 2002, passant de 16,6 à 13,7 millions d'euros, ce qui prouve l'utilité toute relative de ce fonds, d'autant plus que le Gouvernement continue d'afficher la réforme de l'Etat parmi ses priorités. Il a estimé que, selon lui, la réforme de l'Etat nécessitait une volonté politique, un dialogue social approfondi mais aussi le recours à l'opinion publique. Il a rappelé que le projet de réforme de l'administration fiscale, présenté en son temps par M. Christian Sautter, prévoyait de redéployer les effectifs de certaines directions au bénéfice d'autres directions, en contact direct avec les usagers. L'abandon de cette réforme a également signifié le renoncement à cette option. S'agissant des effectifs des administrations centrales, il n'existe pas de règle générale, l'éducation nationale ayant depuis quelques années sensiblement réduit le nombre de fonctionnaires centraux, tandis que le ministère de l'emploi et de la solidarité a connu un mouvement inverse. Rappelant les propos du ministre de la fonction publique, il a indiqué que, en théorie, la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat ne devrait rien coûter puisqu'elle devait être réalisée à effectifs constants. Compte tenu des extrêmes difficultés que rencontre le Gouvernement au cours des négociations en vue du passage aux 35 heures, le rapporteur spécial a toutefois mis en doute la neutralité budgétaire des 35 heures dans la fonction publique. Il a indiqué que, depuis 1997, le nombre des fonctionnaires du ministère de l'équipement avait globalement diminué, mais que le présent projet de loi de finances prévoyait paradoxalement la création de 280 nouveaux emplois budgétaires dans ce ministère. L'augmentation continue des personnels enseignants de l'éducation nationale est motivée, selon le Gouvernement, par l'amélioration des taux d'encadrement des élèves et des étudiants, mais il a rappelé que ces personnels étaient globalement très mal gérés et qu'il existait donc une marge de manoeuvre à utiliser pour ne plus augmenter ces effectifs. Enfin, il a précisé que, fin 1998, 5 400 agents étaient mis à disposition d'autres administrations, la moitié dans les services de l'Etat et les établissements publics administratifs et un tiers auprès d'organismes associatifs assurant une mission d'intérêt général.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de réserver sa position sur les crédits inscrits à l'agrégat « fonction publique », jusqu'à l'examen du rapport consacré aux crédits des services généraux du Premier ministre.

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