N° 128

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 janvier 2003

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à la bioéthique ,

Par M. Francis GIRAUD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Christian Bergelin, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, André Geoffroy, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mmes Valérie Létard, Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 3166 , 3528 et T.A. 763

Sénat : 189 (2001-2002)

Vie, médecine et biologie.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En 1994, après plusieurs années de réflexions, encouragé par les avancées considérables réalisées dans les domaines de la génétique et de la médecine de la reproduction, le Parlement s'est résolu à doter la France d'un cadre législatif. Il s'agit des trois lois de juillet 1994 dites de bioéthique.

Aujourd'hui, l'apport bénéfique de ces premières lois n'est plus guère contesté : le législateur avait défini le droit sans apparaître comme le porte-parole d'aucune partie, qu'elle soit scientifique, philosophique ou religieuse.

Mieux informés, les citoyens s'interrogent sur les questions essentielles qui touchent à la personne humaine, sa dignité, le respect qu'on lui doit, le bien-fondé et la sincérité des exigences de la recherche et de l'industrie.

Les professionnels concernés ont admis, dans leur immense majorité, la nécessité d'une régulation de leur pratique et reviennent aujourd'hui d'eux-mêmes vers le législateur témoignant de leur attente, voire de leur impatience, à ce que la révision alors prévue des lois de bioéthique précise mieux aujourd'hui les limites de leur action.

Dans l'attente de cette révision, les travaux se sont poursuivis et de nombreuses institutions, compétentes dans le domaine du droit ou de l'éthique, se sont interrogées sur les modifications qu'il serait nécessaire d'apporter au corpus juridique voté en 1994.

Le Parlement, pour sa part, n'est pas resté inactif. Plusieurs rapports de l'Office public d'évaluation des choix scientifiques et technologiques rendent compte de cette attention. En vue de l'examen du présent projet de loi, l'Assemblée nationale a conduit une importante mission d'information dont les conclusions ont été rendues publiques à la fin du mois de juin 2001.

Rarement, donc, un tel projet ne fut précédé d'une réflexion préalable aussi complète. Mais c'est in fine avec un retard certain que celui-ci a été déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale le 20 juin 2001.

Ce retard initial de deux ans aurait pu être compensé par une gestion plus dynamique de l'ordre du jour parlementaire mais, l'encombrement de ce dernier et les échéances électorales importantes de l'année 2002 n'ont pas permis que l'ancien gouvernement, non plus que le nouveau, n'inscrive l'examen de ce texte à l'ordre du jour du Sénat avant le 28 janvier prochain.

Transmis par l'Assemblée nationale le 22 janvier 2001 et renvoyé pour examen à la commission des Affaires sociales, le délai laissé avant l'examen du texte a permis à cette dernière de se livrer à un examen approfondi de ses dispositions et à l'ensemble des consultations nécessaires en deux étapes.

Votre rapporteur a, d'une part, procédé de manière précoce à une série d'auditions auxquelles ses collègues étaient invités à se joindre. Votre commission a, d'autre part, lors de deux séances d'auditions publiques, entendu un certain nombre de personnalités qualifiées ainsi que le nouveau ministre en charge de la santé.

Le nouveau Gouvernement a pris la sage décision de ne pas interrompre la procédure législative pour présenter un texte qui serait le sien. En effet, le présent projet comporte beaucoup de mesures consensuelles, ou d'autres qui traversent les clivages partisans. Pour la deuxième fois, le projet de loi relatif à la bioéthique sera examiné à cheval sur deux législatures séparées par une alternance politique. Cette situation, qui fut déjà celle des lois de 1994, n'a porté aucun préjudice à ces dernières.

En sus de l'examen détaillé au sein de ce rapport de l'ensemble de ses dispositions, certains aspects du texte doivent faire l'objet ici d'un bref développement.

Il s'agit en premier lieu des risques du clonage reproductif dont l'actualité récente a démontré qu'il incarnait à lui seul la meilleure illustration des dérives que peuvent engendrer les sciences du vivant. L'indignation quasi générale soulevée par les allégations de certains, qui auraient procédé à la reproduction par clonage d'un être humain, est un encouragement puissant à l'interdiction et à la condamnation de cette pratique.

Mais les dispositions prévues par le présent projet ne valent que pour notre pays. C'est donc à l'échelon européen et mondial qu'il convient d'oeuvrer afin que cette pratique soit proscrite. Lors de son audition par votre commission, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a fait part de sa volonté ferme que soit adopté, au niveau mondial, un corpus juridique contraignant. Les événements récents ne peuvent qu'encourager cette démarche.

Dans son avant-projet de loi, le précédent gouvernement avait envisagé d'autoriser la pratique du clonage à des fins thérapeutiques, arguant des perspectives médicales que celui-ci pourrait ouvrir.

De nombreux avis négatifs, en particulier celui du Conseil d'Etat, l'ont incité à ne pas faire figurer une telle possibilité. L'actualité montre la sagesse d'un tel retrait. Fondé sur une technique identique à celle du clonage reproductif qu'elle banaliserait, le clonage thérapeutique conduirait tôt ou tard quelques scientifiques ayant appris à la maîtriser, à la tentation de devenir des « apprentis sorciers ». Il doit être expressément interdit.

La question de l'embryon est sans nul doute le point le plus délicat abordé par le projet de loi : tel fut-il en 1994, tel reste-t-il aujourd'hui.

Lors de l'examen des premières lois de bioéthique, le législateur avait renoncé à définir son statut juridique, se tenant ainsi prudemment à l'écart d'un débat philosophique et biologique que nul ne saurait prétendre trancher d'autorité. Cette position n'est d'ailleurs pas modifiée par le projet de loi tel que l'a adopté l'Assemblée nationale.

En revanche, à défaut de définir son statut juridique, il est possible et même nécessaire de décider de son sort. En 1994, le législateur avait strictement interdit que des recherches soient menées sur l'embryon, mais avait admis qu'à titre dérogatoire, des études qui ne porteraient pas atteinte à son intégrité soient réalisées. De fait, ces études ont abouti à la possibilité du diagnostic préimplantatoire.

Mais fort peu de choses avaient alors été prévues pour décider du sort des embryons créés dans le cadre d'un projet parental et qui, pour des raisons diverses, n'avaient finalement pu être implantés. Or aujourd'hui, le nombre de ces derniers, qui se chiffre à plusieurs dizaines de milliers, soulève un grave dilemme.

Pour les uns, aucune recherche ou prélèvement ne saurait être admis par respect pour cette « personne humaine potentielle » , telle que définie par le Comité national consultatif d'éthique. Pour d'autres, avec l'assentiment explicite du couple qui a accompli ou renoncé à son projet parental et qui n'a plus de projet pour les embryons restants, il pourrait être envisagé des prélèvements de cellules embryonnaires à des fins de recherche.

Cette dernière, qui se ferait sur des cellules souches embryonnaires et non sur des embryons, n'est sans doute pas conforme au principe de protection de la vie tel qu'il figure dans le code civil. C'est donc la proscription de cette recherche qu'il convient d'inscrire dans nos principes.

Toutefois, peut-on et doit-on fermer à jamais une porte à la recherche sans rien connaître de sa potentialité et de son innocuité ? Le législateur doit, en 2003, conserver la même modestie qu'en 1994, et reconnaître lui-même la possibilité d'une dérogation transitoire et strictement encadrée aux principes fondamentaux qu'il a consacrés, en permettant que des recherches soient menées uniquement sur des embryons qui ne font plus l'objet d'un accord parental après accord des membres du couple.

Ces quelques réflexions sur l'ouverture ou la fermeture de la recherche sur l'embryon doivent nécessairement s'accompagner d'une mise en garde solennelle quant à la présentation qui est faite à nos concitoyens des espoirs que font naître les thérapies cellulaires, qu'elles recourent aux cellules embryonnaires ou aux cellules souches adultes.

De manière quelque peu irresponsable, on a pu prénommer ces dernières « les cellules de l'espoir », accréditant dans l'esprit du public l'espérance de voir surgir à court ou moyen terme des thérapies efficaces en réponse aux nombreuses pathologies contre lesquelles la science reste aujourd'hui impuissante.

Menées de front avec les recherches sur les cellules d'origine embryonnaire, les recherches sur les cellules souches adultes doivent sans nul doute être développées et soutenues, leur utilisation ne posant en effet pas de difficultés éthiques. Mais il doit être clairement affirmé que des années de recherches seront nécessaires avant qu'apparaissent les premiers espoirs thérapeutiques concrets.

La compétition scientifique qu'évoque ce processus invite votre rapporteur à conclure son avant-propos par un mot relatif à la brevetabilité du vivant.

Les quelques années qui séparent le présent projet de loi des lois de 1994 ont été marquées par la formidable course au séquençage du génome humain. Là encore, la science bouscule le droit et le législateur doit s'interroger s'il est possible ou non que des éléments du corps humain, et notamment ses gènes, fassent l'objet d'une quelconque protection intellectuelle.

L'Assemblée nationale a adopté une position de principe forte qui a le mérite de réaffirmer son opposition ferme à la brevetabilité du vivant mais qui prend l'exact contre-pied des dispositions prévues par l'article 5 de la directive européenne relative à la protection des inventions biotechnologiques.

Cette disposition a-t-elle vocation à affirmer un soutien ferme au Gouvernement dans l'optique d'une renégociation de la directive ou appelle-t-elle une rédaction de compromis entre le principe qu'elle défend et les dispositions du droit européen ?

C'est avec une certaine impatience que votre rapporteur attend, dans sa traduction juridique, la proposition médiane évoquée par M. Jean-François Mattei devant votre commission, car c'est au Gouvernement qu'il appartiendra in fine de défendre au niveau européen le contenu de cette rédaction nouvelle.


Rappel des travaux préparatoires des lois bioéthiques de 1994

Loi n° 94-548 du 1 er juillet 1994 relative au traitement de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés

Première lecture

- Assemblée nationale :

Projet de loi n° 2601 ; Rapport de M. Bioulac, au nom de la commission spéciale, n° 2871 ; Discussion les 19, 20 et 23 novembre 1992 et adoption le 25 novembre 1992.

- Sénat :

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, n° 68 (1992-1993) ; Rapport de M. Alex Türk, au nom de la commission des lois, n° 209 (1993-1994) ; Discussion les 13, 14, 17, 18, 19, 20 et 21 janvier 1994 et adoption le 21 janvier 1994.

Deuxième lecture

- Assemblée nationale :

Projet de loi, modifié par le Sénat, n° 962 ; Rapport de M. Jean-François Mattei, au nom de la commission spéciale, n° 1057 ; Discussion le 19 avril 1994 et adoption le 20 avril 1994.

- Sénat :

Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, n° 355 (1993-1994) ; Rapport de M. Alex Türk, au nom de la commission des lois, n° 397 (1993-1994) ; Discussion et adoption le 19 mai 1994.

Nouvelle lecture

- Assemblée nationale : Projet de loi, modifié par le Sénat en deuxième lecture, n° 1268 ;Rapport de M. Jean-François Mattei, au nom de la commission spéciale, n° 1338 ; Discussion et adoption le 20 juin 1994.

Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain

Première lecture

- Assemblée nationale : Projet de loi n° 2599 ; Rapport de M. Bioulac, au nom de la commission spéciale, n° 2871 ; Discussion les 19, 20, 23 novembre 1992 et adoption le 25 novembre 1992.

- Sénat : Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, n° 66 (1992-1993) ; Rapport de M. Guy Cabanel, au nom de la commission des lois, n° 230 (1993-1994) ; Discussion les 13, 14, 17, 18, 19 et 20 janvier 1994 et adoption le 20 janvier 1994, n° 77.

Deuxième lecture

- Assemblée nationale : Projet de loi, modifié par le Sénat, n° 961 ; Rapport de M. Jérôme Bignon, au nom de la commission des lois, n° 1062 ; Discussion le 19 avril 1994 et adoption le 20 avril 1994.

- Sénat : Projet de loi, adopté avec modification par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, n° 356 (1993-1994) ; Rapport de M. Guy Cabanel, au nom de la commission des lois, n° 398 (1993-1994) ; Discussion et adoption le 19 mai 1994.

Nouvelle lecture

Assemblée nationale : Projet de loi, modifié par le Sénat, n° 1267 ; Rapport de M. Jérôme Bignon, au nom de la commission mixte paritaire, n° 1386 ; Discussion et adoption le 21 juin 1994.

- Sénat : Rapport de M. Guy Cabanel, au nom de la commission mixte paritaire, n° 515 (1993-1994) ; Discussion et adoption le 23 juin 1994.

Conseil constitutionnel : Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 publiée au Journal officiel du 29 juillet 1994.

Loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal dite de bioéthique

Première lecture

- Assemblée nationale : Projet de loi n° 2600 ; Rapport de M. Bioulac, au nom de la commission spéciale, n° 2871 ; Discussion les 19, 20, 24 et 25 novembre 1992 et adoption le 25 novembre 1992.

- Sénat : Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, n° 67 (1992-1993) ; Rapport de M. Jean Chérioux, au nom de la commission des affaires sociales, n° 236 (1993-1994) ; Avis de la commission des affaires culturelles n° 234 (1993-1994) ; Discussion les 13, 14, 17, 18, 19 janvier 1994 et adoption le 19 janvier 1994.

Deuxième lecture

- Assemblée nationale : Projet de loi, modifié par le Sénat, n° 957 ; Rapport de M. Jean-François Mattei, au nom de la commission spéciale, n° 1057 ; Discussion les 14 et 15 avril 1994 et adoption le 20 avril 1994.

- Sénat : Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, n° 354 (1993-1994) ; Rapport de M. Jean Chérioux, au nom de la commission des affaires sociales, n° 395 (1993-1994) ; Discussion les 17 et 18 mai 1994 et adoption le 18 mai 1994.

Commission mixte paritaire

- Assemblée nationale : Projet de loi, modifié par le Sénat en deuxième lecture, n° 1264 ; Rapport de M. Jean-François Mattei, au nom de la commission mixte paritaire, n° 1369 ; Discussion et adoption le 15 juin 1994.

- Sénat : Rapport, au nom de la commission mixte paritaire, n° 497 (1993-1994) ; Discussion et adoption le 23 juin 1994.

Conseil constitutionnel : Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 publiée au Journal officiel du 29 juillet 1994.

LISTE DES PRINCIPAUX AVIS ET ÉTUDES RÉALISÉS EN VUE DE LA RÉVISION DES LOIS DE BIOÉTHIQUE

18 février 1999 : Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) , rapport de M. Alain Claeys, député, et de M. Claude Huriet, sénateur, sur l'application de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale, à la procréation et au diagnostic prénatal.

Février 1999 : Institut de droit comparé , rapport de synthèse de Mme Myriam Blumberg-Mokri, Vers un droit européen de la bioéthique ? Les institutions productrices en matière de reproduction humaine.

13 octobre 1999 : OPECST , rapport de M. Franck Sérusclat, sénateur : Génomique et informatique : l'impact sur les thérapies et sur l'industrie pharmaceutique.

25 novembre 1999 : Conseil d'Etat, étude : Les lois de la bioéthique : cinq ans après.

24 février 2000 : OPECST, rapport de M. Alain Claeys, député, et de M. Claude Huriet, sénateur : Clonage, thérapie cellulaire et utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires.

29 juin 2000 : Commission nationale consultative des droits de l'homme ( CNCDH) avis : révision des lois de 1994 sur la bioéthique .

Novembre 2000 : Ministère de la recherche , rapport de M. François Gros sur les cellules souches adultes et leurs potentialités d'utilisation en recherche et en thérapeutique : comparaison avec les cellules souches embryonnaires.

18 janvier 2001 : Comité national consultatif d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CNCE) , avis n° 67 : avant-projet de révision des lois de bioéthique.

25 janvier 2001 : CNCDH , avis : avant-projet de loi tendant à la révision des lois relatives à l'éthique biomédicale.

Avril 2001 : Commission des Affaires sociales du Sénat , rapport de M. Claude Huriet : fonctionnement des comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale.

27 juin 2001 : Assemblée nationale , rapport d'information n° 3208 de M. Alain Claeys : mission d'information commune préparatoire au projet de loi de révision des « lois bioéthiques » de juillet 1994.

20 décembre 2001 : OPECST , rapport de M. Alain Claeys, député : la brevetabilité du vivant.

Mars 2002 : Inspection générale des affaires sociales , rapport de Françoise Lalande, Valérie Delahaye-Guillocheau, Marc Ollivier, Elisabeth Dufourcq : la conservation d'éléments du corps humain en milieu hospitalier.

4 juillet 2002 : CNCE, avis n° 72 : l'extension du diagnostic préimplantatoire .

Novembre 2002 : CNCE , avis n° 73 : questions éthiques soulevées par les essais de phase I chez les malades atteints de cancer.

I. LE CONTEXTE

Rarement un projet de loi n'aura été précédé d'une telle réflexion préparatoire. Le législateur de 1994, qui avait invité son successeur à réviser les dispositions qu'il s'apprêtait à adopter, n'avait pas laissé ce dernier dépourvu. En effet, il s'était confié à lui-même, par le truchement d'une mission confiée à son Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, le soin de préparer le chemin.

Ce travail fut le point de départ d'une série de travaux de qualité.

Comme il en avait déjà été le cas pour la préparation des projets de loi adoptés en 1994, le précédent gouvernement a jugé utile de disposer de l'analyse complémentaire du Conseil d'Etat.

L'Assemblée nationale a, pour sa part, formé une mission spéciale d'évaluation et préparatoire à la révision des lois de bioéthique dont les conclusions ont été rendues publiques concomitamment au dépôt du projet de loi sur le bureau de cette Assemblée.

Enfin, votre rapporteur ne saurait ignorer l'influence croissante des travaux qui ont été menés au niveau international -notamment européens- et dont le législateur doit, dès à présent, sur de nombreux aspects du texte, tenir compte.

A. UNE ÉVALUATION DU DROIT EN VIGUEUR : LE RAPPORT D'ÉVALUATION DE LA LOI N° 94-654 PAR L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

L'article 21 de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale, à la procréation et au diagnostic prénatal avait confié à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques le soin de procéder à l'évaluation de son application dans le délai de cinq ans prévu pour la révision des dispositions de cette loi.

Le champ de l'évaluation devait être circonscrit aux dispositions de ladite loi. Cela étant, ainsi que le justifient MM. Claude Huriet et Alain Claeys auteurs de ce rapport d'évaluation 1 ( * ) , « la démarche globale adoptée par le législateur lui-même en 1994 et les évidentes complémentarités unissant le texte dont nous étions saisis et la loi n° 94-653 relative au respect du corps humain conduisaient à s'écarter d'une appréciation trop " sectorielle " » .

En préambule à leur évaluation, les auteurs ont tenu à souligner deux perspectives importantes :

- la nécessité de replacer les normes juridiques dans l'évolution des connaissances et des techniques ;

- la nécessité de replacer la loi dans son environnement international.

C'est en s'appuyant sur un grand nombre d'auditions que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a rendu public, le 18 février 1998, son rapport articulé autour d'une triple évaluation : la première est consacrée à des considérations générales notamment relatives au délai de mise en oeuvre de la loi, la deuxième est consacrée au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, et la troisième aux questions entourant l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

1. Les difficultés de mise en oeuvre de la loi

Les auteurs du rapport dressent un bilan sévère de la mise en oeuvre de la loi, du fait de délais trop importants pour la parution des textes d'application.

Sur la partie relative aux greffes, la publication de certains décrets essentiels a été différée de trois années. A titre d'exemple, « l'installation du registre des refus n'a été effective qu'au début de l'été 1998 » 2 ( * ) .

Concernant les dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation (AMP), c'est davantage le retard dans la délivrance des autorisations et agréments qui est responsable des délais dans la mise en application des dispositions de la loi. Ainsi que le notent les auteurs, les conditions d'autorisation des études menées sur l'embryon ont été fixées par un décret du 27 mai 1997 et la pratique du diagnostic préimplantatoire (DPI) ne débutera qu'en 1999.

Quelles que soient les difficultés invoquées, dont certaines sont bien évidemment justifiées 3 ( * ) , le retard pris dans l'application effective des dispositions affaiblissait la portée de l'évaluation, ce que reconnaissent fort justement les auteurs qui remarquent « que ces effets dilatoires sont particulièrement préjudiciables lorsqu'ils s'appliquent à un texte dont la longévité a été volontairement réduite afin que son efficacité puisse être appréciée au terme de cinq années d'application et avant une remise sur le métier. Sur certains points, comme on le verra, tout véritable travail d'évaluation s'avère impossible, soit que la loi vienne tout juste d'être effectivement mise en oeuvre, soit qu'elle n'ait encore trouvé aucun commencement d'exécution » 4 ( * ) .

2. Sur le don et l'utilisation des produits du corps humain

Après avoir rappelé les objectifs que s'était assigné le législateur de 1994, les auteurs du rapport ont formulé plusieurs propositions.

En premier lieu adapter la loi à l'évolution des techniques notamment celle « qui n'avait pu être prise en compte au moment de son élaboration (greffes en domino, prélèvement de cellules souches hématopoïétiques) » 5 ( * ) .

En second lieu remédier aux omissions de la loi « qui créent des difficultés pratiques ou compromettent le respect du principe du consentement (régime des tissus et des résidus opératoires, organisation des prélèvements sur mineurs) » 6 ( * ) .

En troisième lieu élargir le cercle des donneurs. A cet égard, les auteurs du rapport rappellent que la limitation au cercle familial était justifiée par le principe de non-patrimonialité et les règles de compatibilité. Les travaux les plus récents, dont fait part le rapport, amènent ses auteurs à relativiser les justifications d'une restriction de ce cercle.

Reste la question du lien affectif. « Le critère affectif sur lequel repose le don entre époux ne doit-il pas conduire à admettre les concubins au rang des donneurs ? Le législateur les avait écartés faute de pouvoir définir combien de temps le donneur doit avoir vécu maritalement avec le receveur. Mais il n'avait pas par ailleurs imposé aux époux une durée minimale de vie conjugale pour justifier un don d'organes. On aboutit alors, comme le relève le CCNE, à des situations paradoxales où un conjoint de fraîche date peut être admis au don alors que le compagnon ou la compagne de plusieurs années doit être écarté. On doit enfin noter qu'en d'autres domaines de l'éthique biomédicale, spécialement en matière d'assistance médicale à la procréation, la loi met sur le même plan époux et concubins . La profession médicale semble majoritairement favorable à un assouplissement mesuré des règles en vigueur » 7 ( * ) .

Sur le consentement au don d'organe, les auteurs constatent que les dispositions législatives prévoient une information du donneur sur les risques encourus mais non sur les résultats escomptés de la greffe. Certes ils constatent 8 ( * ) que « cette lacune a été comblée par la voie réglementaire (article R. 671-3-1 résultant du décret n° 96-375 du 29 avril 1996) mais il serait sans doute souhaitable que cette exigence figure dans la loi elle-même. L'information pourrait au demeurant être plus complète et porter également, pour les greffes de moelle entre donneurs non apparentés, sur les résultats effectifs du don ».

Sur la base des constats qu'ils dressent de la situation des prélèvements sur les personnes décédées, les auteurs font part d'un certain nombre de solutions qui leur ont été suggérées.

En premier lieu un aménagement du « témoignage de la famille » dans la recherche de la volonté du défunt semble « souhaitable » , « car « l'inscription au registre ne constituant qu'un mode d'expression parmi d'autres , il demeure fréquemment nécessaire de solliciter le témoignage de la famille qui s'apparente en fait, dans bon nombre de cas, à un véritable pouvoir de décision » . Sont ainsi évoqués le caractère trop restrictif de la notion « de famille », l'opportunité d'une information préalable et complète de cette dernière sur la pratique des greffes ou la possibilité évoquée par une personnalité auditionnée « d'associer aux médecins des représentants des associations qui se consacrent à la défense des droits des patients » , voire d'introduire « dans le dispositif actuel, un médiateur chargé de représenter les donneurs » 9 ( * ) .

Le régime juridique de l'autopsie appelle pour sa part une plus grande transparence « en séparant clairement l'autopsie, dont les finalités sont très spécifiques, des prélèvements à fin thérapeutique » .

3. L'assistance médicale à la procréation et la recherche sur l'embryon

Les auteurs du rapport auscultent les difficultés soulevées par l'AMP et la question de l'embryon d'une manière très complète. La présentation faite ici par votre rapporteur ne prétend pas en rendre compte dans son intégralité mais simplement souligner quelques points importants.

Une première difficulté soulevée est relative à la stimulation ovarienne . Les risques associés à une telle pratique sont connus et rappelés par les auteurs : aggravation des risques d'affections iatrogènes, augmentation de la fréquence des grossesses multiples, risques accrus de naissance de grands prématurés. Le recours sans doute trop fréquent à cette technique s'explique en partie par un accès relativement facile à cette technique qui suscite une multiplication des prescriptions. Listant l'ensemble des avis remis par les autorités compétentes, les auteurs du rapport concluent 10 ( * ) « qu'on y procède par la voie législative ou réglementaire, la soumission de ces actes médicaux pratiqués hors fécondation in vitro (FIV) à un encadrement plus rigoureux s'impose de toute évidence, même si la mise en oeuvre d'un contrôle s'avère difficile compte tenu du nombre de praticiens impliqués (8.000 gynécologues exerçant actuellement en France) ».

Une seconde difficulté soulevée est relative à la fécondation in vitro par micro-injection d'un spermatozoïde (ICSI 11 ( * ) ), méthode d'assistance médicale à la procréation qui suscite un large débat. Des dérapages inquiétants sont décrits par les auteurs du rapport. « Dès 1994, le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 42 sur l'évolution des pratiques d'AMP, avait recommandé la plus grande vigilance à propos de l'ICSI dont il relevait les dangers potentiels. Des efforts devaient être faits pour trouver un modèle animal et respecter les règles applicables à la recherche médicale. Les couples devaient être informés du caractère expérimental de la méthode. Les protocoles expérimentaux devaient être de nature à permettre une évaluation rigoureuse de celle-ci. L'ICSI ne devait pas être associée à d'autres techniques susceptibles de faciliter la pénétration dans l'ovocyte d'éléments étrangers. Il est rien moins que sûr que ces recommandations aient guidé les pratiques suivies depuis quatre ans . » 12 ( * )

Une troisième question posée est celle de l'efficacité des dispositions juridiques adoptées en 1994 contre le clonage reproductif. Les auteurs rappellent la doctrine « officielle » établie depuis le rapport public du Conseil d'Etat de 1998 à savoir qu'il 13 ( * ) « ne fait guère de doute que l'article 16-4 du code civil  contient déjà, dans sa rédaction actuelle, une interdiction de jure du clonage reproductif car celui-ci porte évidemment atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine et constitue une transformation des gènes dans le but de modifier la descendance de la personne, toutes choses formellement prohibées » . Ne tranchant pas ce point, les auteurs formulent néanmoins un double constat fondamental :

- le législateur ne doit pas oublier « la portée limitée de la norme juridique interne face à un environnement international instable où les pressions économiques, sociales et culturelles ne se heurtent, pour l'heure, qu'à des barrières morales dépourvues de force contraignante » 14 ( * ) ;

- la distinction établie entre clonage reproductif, condamnable, et thérapeutique, admissible, « fait bon marché des problèmes éthiques que peut soulever ce dernier s'il conduit à une instrumentalisation de l'embryon, utilisé comme banque de cellules, hors de tout projet parental » 15 ( * ) ;

Concernant la recherche sur l'embryon, et fort du constat que le compromis élaboré en 1994 est aujourd'hui l'objet de nombreuses critiques, les auteurs du rapport tracent 16 ( * ) deux alternatives pour le législateur.

- « La première consiste à refuser toute transaction avec le principe du respect de la vie dès son origine. Dans cette optique, la recherche, à condition qu'elle se conforme à l'ensemble des règles protectrices de la personne, peut s'appliquer aux gamètes. Aucune étude invasive et sans bénéfice direct pour l'enfant à naître ne saurait, en revanche, être menée sur un ovocyte fécondé » ;

- « La seconde conduit à rechercher une traduction juridique de la " personnalité différée " qui permette de concilier, dans sa finalité, l'intérêt de la personne à naître et celui de la personne déjà née. La notion de bénéfice indirect admise par le Comité consultatif national d'éthique en 1986 ouvrait la voie en ce domaine et son avis de juin 1998 qui se réfère à l'utilité thérapeutique des cellules embryonnaires élargit encore la perspective » ;

Mais dans ce dernier cas, MM. Claude Huriet et Alain Claeys précisent qu'il convient d'établir une distinction entre deux catégories d'embryons, distinction que le législateur avait refusé d'effectuer : ceux qui sont destinés à être transférés dans le cadre d'un projet parental, et ne sauraient de la sorte être affectés, et ceux qui ne s'inscrivent plus dans un tel projet et sur lesquels il serait possible, jusqu'à un certain stade de développement, de conduire des « expérimentations visant, soit à améliorer les techniques d'AMP, soit à mettre en oeuvre les cultures de cellules souches promises à un grand avenir thérapeutique. Toute création d'embryon à des fins exclusives de recherche demeurant proscrite, ces expérimentations et prélèvements ne pourraient s'appliquer qu'aux embryons surnuméraires existants, après accord de leurs géniteurs » 17 ( * ) .

Les auteurs du rapport insistent enfin sur la nécessité de mieux encadrer les activités d'assistance médicale à la procréation, tant dans l'agrément des praticiens que dans l'autorisation des établissements et des laboratoires.

* 1 Alain Claeys, Claude Huriet, rapport de l'OPECST, n° 1407 (AN) n° 232 (Sénat), session 1999-2000, p. 11.

* 2 Rapport précité, p. 21.

* 3 « L'abondance des textes d'application à élaborer (32 au total) contraste avec les moyens limités en personnel de la DGS (2 fonctionnaires du cadre A, effectif récemment porté à 3)», rapport précité, p. 21.

* 4 Rapport précité, p. 15.

* 5 Rapport précité, p. 44.

* 6 Rapport précité, p. 44.

* 7 Rapport précité, p. 49.

* 8 Rapport précité, p. 51.

* 9 Rapport précité, p. 64.

* 10 Rapport précité, p. 93.

* 11 Intra cytoplasmic sperm injection.

* 12 Rapport précité, p. 98.

* 13 Rapport précité, p. 108.

* 14 Rapport précité, p. 108.

* 15 Rapport précité, p. 108.

* 16 Rapport précité, p. 138.

* 17 Rapport précité, p. 139.

Page mise à jour le

Partager cette page