B. ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION ET STATUT DE L'EMBRYON : DÉCLINER LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

1. Garantir l'environnement éthique et sanitaire du recours à l'assistance médicale à la procréation

a) Limiter par l'édiction de règles de bonne pratique les risques suscités par la stimulation ovarienne.

La stimulation ovarienne permet, en agissant sur l'ovaire, d'obtenir la maturation de plusieurs ovocytes au cours d'un seul cycle d'ovulation. Cette pratique, dans la fécondation in vitro (FIV) , permet de réduire le nombre de prélèvements ovocytaires en créant plusieurs embryons qui, conservés par congélation, permettront le cas échéant plusieurs transferts.

Cette pratique a d'ailleurs dépassé la seule stimulation ovarienne dans le cadre d'une FIV, les femmes recourant, hors de cette technique d'AMP, à une consommation d'inducteurs d'ovulation, dont l'aboutissement a été une forte augmentation de la fréquence des grossesses multiples.

Des inquiétudes se font donc jour depuis quelques années devant la croissance rapide de l'utilisation de ces inducteurs et les risques qui en découlent pour les femmes.

La mission d'information conduite par l'Assemblée nationale 31 ( * ) avait à ce titre rappelé que « ce traitement hormonal n'est pas sans danger. Il comporte en effet des risques immédiats, à moyen et à long terme dont les plus importants sont le syndrome d'hyperstimulation ovarienne et les grossesses multiples. Le premier correspond au développement d'un nombre trop grand de follicules ; sous sa forme bénigne, il donne des douleurs abdominales, des ballonnements et dans 2 % des cas des troubles de la vision. S'y ajoutent, sous sa forme modérée, des nausées, des vomissements et diarrhées avec prise de poids de moins de 6 kg. Enfin, sous sa forme sévère, le syndrome se manifeste par de fortes douleurs abdominopelviennes, l'augmentation de volume des ovaires avec apparition de kystes susceptibles de se rompre ou de se tordre, l'apparition de troubles biologiques « dont les conséquences peuvent être redoutables» et une prise de poids qui atteint ou dépasse les 10 kg. Lorsqu'il y a grossesse, ces symptômes sont aggravés et peuvent nécessiter l'hospitalisation ».

Chacun s'accorde donc à reconnaître que les diverses pratiques de stimulation ovarienne méritent aujourd'hui d'être mieux encadrées.

L'Assemblée nationale a souhaité que cet encadrement soit à la fois légal et réglementaire, ce qui soulève des difficultés de mise en oeuvre compte tenu des formes très diverses de prescription d'inducteurs de stimulation.

Le rapporteur, lui même, M. Alain Claeys, se montrait réservé sur l'opportunité de cette démarche puisqu'il écrit dans son rapport 32 ( * ) qu'il est possible de « s'interroger sur la nécessité de prévoir expressément l'édiction de règles encadrant les traitements de stimulation ovarienne dans la mesure où le champ de compétences de l'ANAES, décrit précédemment, les inclut d'ores et déjà. Il aurait en effet suffi que le ministre de la santé demande à l'Agence d'établir ces règles avant de les édicter par voie d'arrêté. Toutefois, l'inscription dans la loi permet de donner un caractère obligatoire, et prioritaire, à l'édiction de ces règles. Il conviendrait cependant parallèlement, pour leur donner plus d'efficacité, de les inclure prioritairement dans les thèmes de formation médicale professionnelle continue et de s'assurer qu'elles seront incluses dans la formation initiale de tous les futurs médecins. A défaut , votre rapporteur craint que ces règles aient peu d'effet sur la pratique médicale dans la mesure où leur non-respect n'est pas sanctionné, sauf dans le cas d'une faute grave ou d'un contrôle médical. Une autre solution aurait consisté à considérer la stimulation ovarienne comme une technique d'AMP afin que ces traitements soient exclusivement prescrits dans les centres d'AMP autorisés. Toutefois, une telle limitation de l'exercice médical, aurait l'inconvénient de restreindre la compétence des médecins généralistes, des gynécologues et des médecins spécialisés dans le traitement de la stérilité. Il semble préférable, dans un premier temps tout au moins, d'en appeler à la responsabilité de chaque médecin en mettant à sa disposition les règles de bonne pratique qui doivent l'aider à mieux prescrire et à mieux suivre ces traitements ».

Cet avis fut également celui de M. Bernard Kouchner, alors ministre délégué à la santé qui, lors du débat en séance 33 ( * ) , s'est déclaré assez « perplexe » : « j'aurais tendance à penser qu'un tel encadrement est bien difficile à mettre en oeuvre . Je comprends le souci de Mmes Roudy et Boisseau d'encadrer, d'informer les couples des risques encourus. Mais s'il s'agit d'encadrer les bonnes pratiques, il y a le code de déontologie et toutes les réglementations de bonnes pratiques cliniques qui pèsent sur les médecins».

Il paraît préférable en effet -et plus efficace- de renvoyer l'encadrement des pratiques de stimulation ovarienne à des recommandations de bonnes pratiques homologuées par le ministre chargé de la santé. C'est la proposition qu'a retenue votre commission.

b) Le rétablissement d'une durée de vie commune préalable pour recourir à l'assistance médicale à la procréation

Le texte du projet de loi prévoyait la nécessité de faire la preuve d'un délai de deux années de vie commune pour que les couples non mariés puissent recourir à l'AMP.

Contre l'avis du Gouvernement 34 ( * ) , l'Assemblée nationale a supprimé cette disposition protectrice pour l'enfant à naître.

Or, cette exigence n'apparaît pas excessive si l'on souhaite que seuls des couples stables se lancent dans l'aventure souvent difficile de la procréation assistée et que les embryons conçus artificiellement et congelés le soient dans le cadre d'un projet parental solide. En conséquence, votre commission vous proposera de rétablir cette disposition.

c) L'interdiction du transfert post mortem d'embryons

L'Assemblée nationale a ouvert la possibilité d'un transfert d'embryon post mortem . Cette position, qui contredit les dispositions prises par le législateur de 1994, est le fruit d'un débat sur lequel un consensus ne peut, en l'état, être trouvé.

Plusieurs grandes institutions, compétentes tant sur le plan du droit que de l'éthique, se sont, sur cet aspect tout à fait particulier de l'AMP, prononcées 35 ( * ) dans des sens différents, sans pour autant prétendre à une autorité déterminante sur ce sujet.

Il faut avant tout garder en mémoire que le transfert d'embryon post mortem , qui soulève des débats juridiques et éthiques complexes, ne concerne qu'un nombre extraordinairement faible de cas par an, les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale relevant véritablement de la « loi individuelle ».

La douleur des veuves, il s'agit uniquement de ce cas, est bien légitime. Toutefois, les interrogations éthiques et psychologiques que peut susciter la mise au monde consciente d'un orphelin ne sont pas mineures.

En 1994, le législateur, soucieux de donner à l'enfant à naître un cadre familial traditionnel, a voulu l'interdire ; c'est pourquoi, aujourd'hui, la loi précise que les deux membres du couple qui engagent une AMP doivent être vivants, ce qui prohibe aussi bien le transfert d'embryons que l'insémination post mortem .

Et c'est cette position que votre commission, en toute connaissance de cause, souhaite voir confirmée.

En effet, la légalisation du transfert d'embryons post mortem , introduite par l'Assemblée nationale, ne laisserait vraisemblablement pas intacte la conception commune du couple et du projet parental ni celle du rapport entre la volonté des géniteurs et l'intérêt de l'enfant. La souffrance de la mère justifie-t-elle que l'on donne naissance à un enfant orphelin ? L'intérêt de l'enfant autorise-t-il un tel transfert ? Il ne serait pas acceptable de considérer ce dernier, ainsi que le font certains, comme une aide à laquelle la veuve pourrait faire appel pour « faire son deuil », car l'enfant ne peut être ainsi « instrumentalisé ». Comment, en outre, cet enfant construira-t-il son identité ?

Cette législation conduit enfin à une grande inégalité entre les couples bénéficiant d'une AMP et les autres. Beaucoup de couples sont séparés par la mort, précocement et prématurément, laissant un projet d'enfant qu'ils portaient peut-être depuis longtemps. Il n'est pas possible de contourner, en leur faveur, cette réalité que constitue le décès de l'homme, qui lui, dans le cas inverse du décès de sa conjointe, ne pourrait, sauf autorisation de recours à une mère porteuse, bénéficier d'une telle faculté.

Au delà de ces obstacles, qui sont à eux seuls déterminants, les difficultés juridiques que soulève une telle autorisation sont également importantes. En effet, la naissance d'un enfant issu d'un tel transfert bouscule profondément le droit des successions et génère des problèmes innombrables, dont témoigne d'ailleurs le dispositif imparfait de l'article 18 bis. Cet article a en effet été introduit précisément par l'Assemblée nationale pour tirer les conséquences dans le code civil de la possibilité ainsi offerte de faire naître un enfant plus d'un an après le décès de son géniteur. Il semble en réalité qu'aucune solution juridique ne soit pleinement satisfaisante et ne parvienne à rétablir l'égalité entre les différents enfants héritiers.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission vous proposera de supprimer la possibilité d'un transfert d'embryons post mortem .

2. Réaffirmer le respect dû à l'embryon sans entraver la recherche

a) Poser le principe d'interdiction de recherche sur l'embryon tout en permettant une dérogation transitoire et strictement encadrée

Votre commission demeure très attachée au principe du respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, défini à l'article 16-4 du code civil, et à la protection de l'embryon. Elle souhaite par conséquent réaffirmer le principe de l'interdit de toute atteinte à l'embryon.

Toutefois , afin d'évaluer l'intérêt que présentent les recherches sur les cellules embryonnaires pour développer la médecine de l'embryon ainsi que de nouvelles thérapies cellulaires susceptibles d'entraîner des progrès décisifs dans le traitement de maladies pour lesquelles l'arsenal thérapeutique actuel est impuissant, il est proposé une dérogation autorisant la recherche dans un cadre strictement délimité et pour une période transitoire.

La possibilité qui serait ouverte de mener des recherches sur l'embryon et les cellules embryonnaires aurait en effet un caractère dérogatoire et transitoire et ses conditions de mise en oeuvre seraient très précisément circonscrites. Ces recherches ne pourraient être effectuées que sur des embryons surnuméraires et après l'accord des membres du couple.

Le but de ces recherches sera uniquement d'évaluer les potentialités respectives des différents types de cellules souches humaines susceptibles d'entrer dans des stratégies thérapeutiques.

La possibilité de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires aura un caractère transitoire afin que son bien-fondé soit réexaminé au bout de cinq ans, notamment parce qu'il n'est pas exclu que les progrès de la science conduisent à vider le débat de son contenu ou du moins à en atténuer la vivacité. Au terme de ces cinq ans, les recherches autorisées qui n'auront pu être achevées pourront être poursuivies sous réserve de l'autorisation de l'APEGH qui évaluera le bien-fondé de la demande.

b) Affirmer une interdiction générale de toute création d'embryon à des fins de recherche scientifiques

L'Assemblée nationale a introduit la possibilité d'une évaluation préalable de toute nouvelle technique d'assistance médicale à la procréation avant sa mise en oeuvre.

Cette initiative part d'une bonne intention, à savoir éviter que ne se reproduise ce qui s'est passé dans le cas de l'injection intracytoplasmique de sperme (ICSI).

Le Conseil d'Etat, dans son étude précitée, rappelle les difficultés posées par cette technique d'assistance médicale à la procréation et en conclut à la nécessité de prévoir une évaluation préalable de toute technique d'AMP avant sa mise en oeuvre.


Les difficultés posées par l'ICSI

« Malgré ses succès, l'ICSI est en effet considérée comme une technique dont l'absence de danger est loin d'être garantie . Elle est très différente de la FIV classique qui calque largement le processus procréatif naturel. D'une part, elle passe outre la sélection naturelle du spermatozoïde. De l'autre, sa réalisation est plus délicate, puisque l'injection d'un seul spermatozoïde directement dans le cytoplasme de l'ovule se fait par pénétration de sa membrane. C'est donc au moyen de gestes de plus en plus invasifs que l'on parvient à une efficacité bien plus importante en termes de fécondations, de grossesses ainsi que de difficultés des cas de stérilité pris en charge. L'ICSI a même été réalisée avec des spermatides prélevés directement dans les testicules d'hommes azoospermiques dont la stérilité est due à l'absence de transformation de ces spermatides en spermatozoïdes. Or les risques liés à ces pratiques ne font l'objet que d'une évaluation a posteriori et peu approfondie . (...)

« Au-delà des progrès qui pourront être faits en termes de qualité et de jugement des contrôles, la loi pourrait prévoir pour l'avenir que toute nouvelle technique d'AMP devra faire l'objet d'une autorisation préalable à son éventuelle application clinique. »

Etude du Conseil d'Etat précitée, p. 48

Or, le principe d'évaluation a priori de toute nouvelle technique d'AMP se heurte à une difficulté de mise en oeuvre pratique. M. Alain Claeys, rapporteur de la mission d'information précitée constate 36 ( * ) d'ailleurs la nécessité de « reconnaître cependant qu'aucun système d'évaluation ne pourra être totalement efficace . On ne saurait préconiser, en effet, de tester une technique en autorisant l'implantation d'embryons in vivo et encore moins de détruire l'embryon implanté issu de la technique évaluée si le danger de cette dernière devait être prouvé. Les évaluations ne pourront donc porter que sur les embryons in vitro. Dans ces conditions, on ne peut qu'accepter le caractère partiel de l'évaluation puisqu'il faudrait implanter l'embryon, le laisser se développer voire attendre la naissance de l'enfant sans être certain de l'innocuité totale de la technique évaluée. Il faut donc concilier différents principes. Votre rapporteur considère en l'espèce que la nécessité d'évaluer toutes les nouvelles techniques d'AMP, poussée à l'extrême, pourrait apparaître éthiquement inacceptable » .

Cette préoccupation débouche nécessairement sur l'autorisation de concevoir des embryons par ou pour cette évaluation, ce qui constituerait une exception forte au principe selon lequel la conception in vitro d'embryons humains à des fins de recherche est interdite, prinicpe que votre commission, de concert avec le Gouvernement, souhaite réaffirmer.

La réponse apportée par l'Assemblée nationale à la difficulté d'évaluation des techniques d'AMP porte en elle un risque de dérive inacceptable.

c) L'interdiction du clonage thérapeutique

Le présent projet de loi interdit formellement toute tentative de faire un être humain par le procédé de clonage.

Néanmoins, ce texte ne dit mot du clonage qualifié de thérapeutique. Une telle pratique est-elle possible ? L'article 8 du présent projet de loi précise que les gamètes humains sont réservés à des fins d'AMP, or la pratique du clonage thérapeutique nécessite de recourir à un ovocyte. On pourrait estimer que, par incidence, le clonage thérapeutique est impossible pour ce motif. A l'inverse, l'interdiction formelle du clonage reproductif pourrait laisser entendre qu' a contrario le clonage thérapeutique serait licite.

Votre commission estime en conséquence qu'il est préférable de faire figurer explicitement l'interdiction du clonage thérapeutique qui, en l'état représente, ainsi qu'il est détaillé à l'article 19, un triple danger : éthique, technique et médical.

* 31 Assemblée nationale, mission d'information commune préparatoire au projet de loi de révision des «lois bioéthiques» de juillet 1994 (n° 3208, 27 juin 2001), rapport précité p. 74.

* 32 Rapport de M. Alain Claeys, Assemblée nationale, n° 3528, p. 189.

* 33 M. Bernard Kouchner, débat Assemblée nationale compte rendu intégral, 3 e séance du 17 janvier 2002, JO p.  691.

* 34 Cf. examen des articles, article 18.

* 35 Cf. examen de l'article 18 précité.

* 36 Rapport d'information précité p. 73.

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