Article 37
(art. 175-2 du code civil)
Contrôle des mariages de
complaisance
Cet
article tend à modifier l'article 175-2 du code civil en vue de
renforcer l'efficacité du contrôle a priori des mariages de
complaisance.
1. Le droit en vigueur
a. La conciliation de la liberté du mariage et de la sauvegarde de
l'ordre public
Liberté protégée par la Constitution
306(
*
)
, le mariage concerne au premier chef
le statut privé des individus mais il n'est pas sans répercussion
sur la stabilité de l'ordre social.
Dans l'Histoire de France, il a constitué un puissant facteur
d'intégration pour les étrangers à travers le
rapprochement des familles et la naissance d'enfants.
Par conséquent, il constitue un mode d'accès facilité au
séjour en France et à la nationalité française.
34.585 mariages mixtes
(mariages entre un Français et un
étranger)
ont été célébrés en 2001
sur le territoire national contre 30.042 en 2000
.
Toutefois, le détournement constaté de l'institution matrimoniale
dans le seul but de permettre au conjoint étranger d'obtenir un titre de
séjour en France à amené le législateur à
adopter des procédures de contrôle efficaces tendant à
décourager les mariages de complaisance
.
En 1993, le législateur avait donc mis en place un dispositif
novateur de lutte contre l'utilisation frauduleuse du mariage en
insérant un article 175-2 nouveau dans le code civil
:
lorsqu'il existait des indices sérieux laissant présumer que le
mariage n'était envisagé que dans un but autre que l'union
matrimoniale, l'officier de l'état civil avait la possibilité de
saisir le procureur de la République qui pouvait décider qu'il
serait sursis à la célébration du mariage pour une
durée ne pouvant excéder trois mois, afin de permettre les
enquêtes nécessaires.
Le Conseil constitutionnel avait déclaré cette
procédure contraire à la Constitution, en particulier parce
qu'aucune voie de recours n'était ouverte pour les futurs
époux
, dont le mariage pouvait être retardé de trois
mois :
« en subordonnant la célébration du
mariage à de telles conditions préalables, ces dispositions
méconnaissent le principe de la liberté du mariage, qui est une
des composantes de la liberté individuelle : que dès lors
que celles-ce ne sont pas séparables des autres dispositions de
l'article 175-2 du code civil, cet article doit être regardé
dans son ensemble comme contraire à la
Constitution
»
307(
*
)
.
En conséquence, la loi n° 93-1417 du
30 décembre 1993 a inséré un nouvel article 175-2
dans le code civil en conformité avec la
nécessité
de concilier la sauvegarde de l'ordre public et le respect de la liberté
matrimoniale
.
b. Les moyens limités de l'officier de l'état civil dans le
contrôle des mariages de complaisance
L'article 175-2 actuel du code civil prévoit une possibilité
pour l'officier de l'état civil chargé de célébrer
les mariages de participer à la lutte contre les mariages de
complaisance en saisissant le procureur de la République sur une fraude
éventuelle.
L'article 165 du code civil
rappelle que le mariage est
célébré
publiquement devant l'officier de l'état
civil de la commune
où l'un des époux aura son domicile ou sa
résidence.
L'article 175-2 du code civil prévoit que lorsqu'il existe des
indices sérieux
laissant présumer que le mariage
envisagé est susceptible d'être annulé au titre de
l'article 146 du même code (défaut de consentement),
l'officier de l'état civil peut saisir le procureur de la
République
.
Toutefois, ces indices sérieux sont difficiles à collecter
par l'officier de l'état civil, dont les prérogatives demeurent
limitées
308(
*
)
.
Il doit vérifier que le mariage obéit aux règles de forme
et de fond requises par le code civil, tout en étant dans
l'impossibilité d'exiger des investigations sur la situation des futurs
époux.
Les actes de mariage doivent se conformer à certaines exigences.
La publication des bans
309(
*
)
ne peut ainsi avoir lieu
qu'après la délivrance par chacun des futurs époux, d'un
certificat médical
310(
*
)
de moins de deux mois attestant que
l'intéressé a été examiné en vue du mariage.
Comme le rappelle M Thierry Mariani, rapporteur de la commission des Lois
de l'Assemblée nationale, l'officier d'état civil
«
pourra être attentif aux certificats émanant d'un
médecin installé dans une commune avec laquelle les futurs
conjoints paraissent n'avoir aucune attache. La production de certificats
émanant du même médecin pour plusieurs mariages mixtes peut
constituer également des indices
»
311(
*
)
.
Les futurs époux doivent également fournir un
acte de
naissance
à l'officier d'état civil qui doit
célébrer le mariage, délivré depuis plus de trois
mois s'il a été délivré en France et depuis plus de
six mois s'il a été délivré à
l'étranger
312(
*
)
.
Ces documents permettent de s'assurer du respect de l'ordre public
français, qui interdit le mariage de l'homme avant dix-huit ans
révolus et de la femme avant quinze ans révolus
313(
*
)
, la polygamie
314(
*
)
, ainsi que les mariages
consanguins
315(
*
)
.
L'officier de l'état civil doit avoir connaissance de la
réalité de la résidence ou du domicile des futurs
époux : cependant la
production d'une attestation sur
l'honneur
suffit pour apporter la preuve de ce domicile
316(
*
)
.
Le contrôle de ces formalités relatives au mariage constitue un
moyen essentiel mais insuffisant pour l'officier de l'état civil
d'évaluer la réalité du consentement exigée des
futurs époux.
La circulaire du garde des Sceaux du 16 juillet 1992
relative à
l'harmonisation de la pratique des parquets en matière de consentement
au mariage fournit une liste d'éléments qui doivent
particulièrement attirer l'attention de l'officier de l'état
civil
317(
*
)
.
La résolution du Conseil de l'Union européenne du
4 décembre 1997
tend aussi à dégager des
facteurs de présomption de mariages de complaisance
(absence du
maintien de la communauté de vie et d'une contribution appropriée
aux responsabilités découlant du mariage ; les époux
ne se sont jamais rencontrés avant le mariage et se trompent sur leurs
coordonnées respectives, les circonstances dans lesquelles ils se sont
connus ou d'autres informations à caractère personnel ; les
époux ne parlent pas une langue compréhensible par les
deux ; une somme d'argent est remise pour que le mariage soit
conclu ; l'historique d'un ou des deux époux fait apparaître
des indications sur des précédents mariages de complaisance). En
revanche, le respect de la liberté matrimoniale constitutionnellement
protégée, impose qu'aucune disposition législative ou
réglementaire ne subordonne la célébration d'un mariage
à la régularité de la situation des
intéressés sur le territoire ou ne la soumette à une
autorisation administrative.
Pour autant, il ne fait pas obstacle à ce que soient prises des mesures
pour lutter contre les mariages simulés ayant pour seul objet
d'obtention d'un droit de séjour ou l'acquisition de la
nationalité française.
c. un contrôle préventif des mariages de complaisance
perfectible
S'il ne peut s'opposer à la célébration du mariage
« douteux », le maire en sa qualité d'officier
d'état civil, a une obligation générale d'information du
parquet et a la faculté de saisir le procureur de la République
au titre de l'article 175-2 du code civil
. Il en informe les
intéressés.
Le procureur de la République dispose alors de quinze jours pour
approuver le mariage, explicitement ou tacitement, d'y faire opposition ou de
décider qu'il sera sursis à la célébration.
Le droit d'opposition du procureur de la République avant la
célébration du mariage est cohérent avec le pouvoir que la
loi lui confère de demander la nullité du mariage qui a
été célébré, au titre de l'article 184
du code civil
318(
*
)
, et avec son
rôle de protecteur de l'ordre public
319(
*
)
. Il peut l'exercer même en
l'absence de saisine de l'officier de l'état civil
320(
*
)
.
Le conjoint non divorcé
321(
*
)
et les parents des futurs
époux
322(
*
)
peuvent également faire opposition au mariage
(l'acte d'opposition
doit énoncer la qualité de l'opposant, le lieu de
célébration du mariage, les motifs de l'opposition et la
reproduction du texte sur lequel cette opposition est fondée)
323(
*
)
.
Le tribunal de grande instance se prononce dans les dix jours
sur une
demande en mainlevée de l'opposition. Sa décision est
susceptible d'appel
devant la
cour d'appel qui a également dix
jours pour statuer
.
Le juge vérifie alors la
réalité du consentement des futurs conjoints
324(
*
)
.
S'il surseoit à la célébration du mariage
325(
*
)
, le procureur de la République
dispose
d'un mois maximum pour procéder à l'ensemble des
vérifications nécessaires tendant à prouver la
réalité du consentement
326(
*
)
et pour rendre sa décision.
L'un ou l'autre des futurs époux, même mineur, peut contester
la décision de sursis devant le président du tribunal de grande
instance
, qui statue dans les dix jours. Sa décision peut être
déférée à la cour d'appel qui statue dans le
même délai.
Cependant,
« trop souvent, l'enquête diligentée par
le procureur de la République (...) ne permet pas d'établir
l'absence d'intention matrimoniale des futurs conjoints. Ces enquêtes
peuvent, en effet, faire apparaître des ramifications diverses voire de
véritables réseaux nécessitant des investigations
complémentaires approfondies
»
327(
*
)
. Face à la complexité
des filières organisatrices de mariages de complaisance, le manque de
temps amène en fait souvent une absence d'enquête effective du
ministère public.
En pratique, aucune disposition ne permet de s'assurer du respect de l'exigence
de consentement des époux et de la régularité du
séjour des conjoints étrangers lors de la
célébration du mariage.
Les contrôles
a posteriori
sont par définition trop
tardifs pour lutter efficacement contre les mariages de complaisance
. Les
droits en matière de titres de séjour et d'acquisition de la
nationalité française sont alors devenus effectifs. Par ailleurs,
les dispositifs prévus (annulation du mariage au titre de
l'article 184 du même code et annulation du mariage frauduleux au
titre de l'article 190-1 du code précité) rendent ce
contrôle aléatoire.
En conséquence, le droit actuel ne permet pas de lutter contre les
nouvelles formes de mariages de complaisance de manière satisfaisante.
De nombreux maires constatent leur accroissement et se plaignent
« d'être obligés de célébrer des
mariages frauduleux
».
2. Le texte soumis au Sénat
Le présent article tend à modifier le dispositif de
l'article 175-2 du code civil afin de renforcer l'efficacité du
contrôle préventif des mariages de complaisance et le rôle
de l'officier de l'état civil.
En premier lieu, les nouvelles dispositions de l'article 63 du code civil,
modifié par l'article 35
quater
nouveau, prévoient
une audition commune des futurs époux avant la publication des bans.
L'officier de l'état civil peut même s'entretenir
séparément avec l'un ou l'autre des futurs
époux
328(
*
)
s'il
l'estime nécessaire pour vérifier l'absence d'un mariage de
complaisance ou d'un mariage forcé.
Désormais, au vu de cette audition, le maire pourrait fournir au
procureur de la République des éléments recueillis
constituant des indices sérieux de défaut de consentement des
futurs époux au moment de sa saisine.
En second lieu, le maire pourrait demander au ressortissant étranger
envisageant de se marier avec un Français de justifier de la
régularité de son séjour.
Le refus
du futur conjoint constituerait dorénavant un
indice
sérieux du défaut de consentement et du caractère
frauduleux du mariage.
L'officier de l'état civil informerait alors immédiatement le
préfet ou, à Paris, le préfet de police, de cette
situation. Ce dernier pourrait alors vérifier la réalité
de la situation du ressortissant étranger au regard de la
législation relative à l'entrée et au séjour en
France et s'il n'est pas déjà l'objet d'une procédure de
reconduite à la frontière.
Le principe de la liberté matrimoniale, s'il implique de ne pas faire du
séjour irrégulier d'un étranger en France un obstacle
juridique à la célébration du mariage, n'est pas
incompatible avec la vérification par l'officier de l'état civil
qu'il n'y a pas de lien entre l'irrégularité du séjour et
un projet de mariage de complaisance, ce dernier étant interdit par la
loi.
Le procureur de la République, dans les quinze jours de la saisine de
l'officier de l'état civil, aurait toujours le choix entre laisser
procéder au mariage, lui faire opposition ou décider de surseoir
à la célébration, dans l'attente des résultats de
l'enquête à laquelle il a fait procéder.
L'effectivité et le sérieux de cette enquête seraient
garantis par
l'allongement du délai de sursis : toujours
fixé à un mois, il pourrait être renouvelé une
fois.
Outre
deux amendements rédactionnels
de M. Thierry Mariani,
rapporteur, les députés ont adopté un
amendement
de
M. François Scellier tendant à préciser que le
renouvellement du sursis devrait faire l'objet d'une décision
spécialement motivée du procureur de la République.
Au terme de ce délai, éclairé par les investigations
menées, ce dernier autoriserait le mariage ou s'y opposerait.
Ces dispositions protégeraient également le
droit au recours
des futurs conjoints
, ceux-ci pouvant toujours contester la décision
de sursis ou celle de son renouvellement devant le président du tribunal
de grande instance qui statuerait dans les dix jours.
La décision du président du tribunal de grande instance pourrait
être déférée à la cour d'appel qui aurait dix
jours pour se prononcer.
Les maires
, dont les moyens et la fonction ne permettent pas de
contrôler seuls la relation entre le caractère frauduleux du
mariage envisagé et l'irrégularité du séjour de
l'un des futurs conjoints,
auraient un rôle plus essentiel dans la
détection des mariages de complaisance.
Le dispositif retenu lié aux mesures des articles 7, 11, 19 et 35
quater
rendrait plus aléatoire et plus risquée
l'organisation de mariages de complaisance dans le seul but d'obtenir un titre
de séjour ou d'acquérir la nationalité française,
dissuadant candidats à la fraude et filières organisatrices.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 37
sans
modification.