Article 39
(art. 41 du code de procédure pénale)
Instauration d'une enquête préalable sur la situation familiale et sociale de certains étrangers passibles d'une peine d'interdiction
du territoire national

Le présent article, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, a pour objet de compléter l'article 41 du code de procédure pénale par un dernier alinéa, afin que, lorsqu'un étranger déclare appartenir à l'une des catégories d'étrangers bénéficiant d'une protection, relative ou absolue, contre une peine d'interdiction du territoire français, cette dernière ne puisse être requise par le procureur de la République sans qu'il ne dispose d'une enquête lui permettant de vérifier le bien-fondé de cette déclaration. Cette mesure devrait permettre aux juges de disposer d'informations sur la situation familiale et sociale de l'étranger qu'il s'apprête à juger pour une infraction. Elle correspond à la première proposition avancée dans son rapport par le groupe de travail sur la « double peine » 347( * ) .

1. Le fréquent manque de connaissances des juges sur la situation familiale et sociale des étrangers pour lesquels ils prononcent une peine d'interdiction du territoire français

Lorsqu'une peine d'interdiction du territoire est prononcée à l'encontre d'un étranger ayant commis des infractions, très peu d'informations préalables sur la situation familiale et sociale de ce dernier ont été recueillies et fournies au juge. Le groupe de travail sur la « double peine » indique, dans son rapport précité, que cela « s'explique par :

- le silence des personnes mises en cause, soit par souci de protéger des proches, soit par tactique dans le déroulement des audiences ;

- l'insuffisance des enquêtes de police qui trop souvent sont dépourvues d'informations sociales sur le mis en cause et ne permettent pas d'alerter les magistrats sur la situation éventuellement problématique d'un étranger au regard de ses attaches personnelles et familiales avec le territoire français ;

- l'impossibilité matérielle de procéder à des enquêtes sérieuses dans les procédures de comparution immédiate.


Déjà la « circulaire Guigou » n° CRIM.99.13/E1-17.11.1999, du 17 novembre 1999, adressait aux parquets l'instruction d'ordonner des « enquêtes de personnalité » avant toute réquisition d'une interdiction du territoire français lorsque l'étranger paraissait avoir des liens particulièrement importants avec la France, surtout s'il est susceptible d'entrer dans l'une des catégories d'étrangers pouvant bénéficier d'une protection relative, en vertu de l'actuel article 131-30 du code pénal 348( * ) . Cette circulaire a été prise après la remise du rapport de la « commission Chanet » 349( * ) , du nom de sa présidente. Celui-ci avait en effet souligné le fait que les magistrats ne disposaient pas suffisamment d'informations personnelles sur l'étranger mis en cause.

Ce manque d'informations sur la situation familiale et sociale du mis en cause susceptible de faire l'objet d'une peine d'interdiction du territoire français est d'autant plus paradoxal qu'en matière d'expulsion, davantage de garanties sont offertes à l'étranger. En effet, le dossier de l'administration comprend un grand nombre d'indications sur l'ensemble des liens particuliers unissant l'étranger à la France. De plus, avant de prendre un arrêté d'expulsion, la procédure prévoit en principe la saisine obligatoire de la commission de l'expulsion, régie par l'article 24 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, devant laquelle l'étranger peut faire valoir toutes les raisons militant contre son expulsion. Enfin, un recours contentieux contre l'arrêté d'expulsion est toujours possible devant le juge administratif.

2. L'instauration d'une enquête préalable sur la situation familiale et sociale de certains étrangers

Afin d'offrir une meilleure information du juge sur la situation personnelle et familiale des étrangers
mis en cause et susceptibles de faire l'objet d'une peine d'interdiction du territoire français, le projet de loi prévoit, pour certains d'entre eux, qu'une enquête préalable à toute réquisition du Procureur de la République en ce sens serait diligentée.

Il suit sur ce point la proposition n° 1 faite par le groupe de travail sur la « double peine ». En effet, dans son rapport précité de mars 2003, il recommandait de prévoir une enquête renseignant sur le profil social des étrangers pour lesquels la peine d'interdiction du territoire pourrait être infligée. Toutefois, il précise également que « eu égard au nombre des individus concernés et au fait que la plupart d'entre eux n'ont pas d'attaches sérieuses avec le territoire français, notamment s'agissant des peines prononcées à raisons d'infractions à la législation sur les étrangers, le groupe de travail a considéré qu'il était irréaliste et inutile de rendre obligatoire l'enquête sociale préalablement à toute condamnation d'un étranger à une peine d'interdiction du territoire français. »

Le projet de loi propose par conséquent que soit complété l'article 41 du code de procédure pénale par un alinéa visant à prévoir qu'une enquête de personnalité soit effectuée préalablement à toute réquisition d'une peine d'interdiction du territoire, à titre complémentaire ou principal, pour certains étrangers ayant des liens particuliers avec la France , et qui ne sont pas poursuivis pour des infractions à la législation des étrangers prévues aux articles 19 et 27 de l'ordonnance. Cette disposition entre parfaitement dans le cadre de la réforme sur la « double peine » 350( * ) .

L'étranger , qui est poursuivi pour une infraction susceptible d'entraîner à son encontre une peine d'interdiction du territoire français, doit déclarer, avant toute saisine de la juridiction compétente, qu'il se trouve dans l'une des situations prévues par les articles 131-30-1 ou 131-30-2 du code pénal, qui lui permettrait de bénéficier d'une protection relative ou absolue contre cette mesure.

Dès lors, afin de vérifier le bien-fondé de la déclaration faite par l'étranger, le procureur de la République ne pourrait requérir une peine d'interdiction du territoire français sans avoir préalablement ordonné une enquête. Cette dernière serait confiée, selon les cas, à l'officier de police judiciaire compétent, au service pénitentiaire d'insertion et de probation, au service compétent de la protection judiciaire de la jeunesse ou à toute personne habilitée pour ce faire, dans les conditions établies au sixième alinéa de l'article 81 du code de procédure pénale.

Une telle enquête de personnalité requise par le procureur de la République est déjà nécessaire lorsque un majeur de moins de vingt et un ans au moment de la commission de l'infraction est poursuivi et que la peine encourue n'excède pas cinq ans d'emprisonnement 351( * ) .

Il est à noter que la procédure prévoit que le procureur de la République a obligation de demander la requête uniquement si le mis en cause déclare entrer dans l'une des catégories d'étrangers pouvant bénéficier d'une protection relative ou absolue contre les peines d'interdiction du territoire français. En effet, il s'agit de limiter les hypothèses dans lesquelles l'enquête est requise aux seuls cas où il semble justifié de se renseigner sur l'existence éventuelle de liens d'une intensité particulière entre l'étranger et la France. Le groupe de travail sur la « double peine » indique également dans son rapport qu' « il est important de subordonner cette obligation à une initiative, éventuellement suggérée, de l'étranger faite au bon moment car on ne saurait encourager la tendance de certains délinquants à refuser toute coopération avec l'autorité judiciaire au stade de la procédure préalable à la condamnation ».

Enfin, le dispositif du présent article prévoit que cette procédure n'est pas applicable lorsque l'étranger est poursuivi pour des infractions à la législation des étrangers.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 39 sans modification .

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