TITRE III
-
DISPOSITIONS RELATIVES AU FINANCEMENT DE L'ASSURANCE MALADIE

Article 39
(art. L. 131-7 du code de la sécurité sociale)
Mesures visant à garantir les ressources de la sécurité sociale

Objet : Cet article propose une série de mesures tendant à garantir aux régimes de sécurité sociale la compensation, par l'État, des diminutions de recettes dont il est à l'origine.

I - Le dispositif proposé

Mise en perspective historique

Entreprise lors de la crise économique des années 1970, la politique d'incitation à l'embauche, notamment de la main-d'oeuvre la moins qualifiée, par l'exonération partielle ou totale de cotisations sociales patronales, s'est plus particulièrement développée au cours des années 1980.

Décidées par l'État, ces politiques se traduisaient, le plus souvent, par une perte de recettes de cotisations, non compensée, pour les régimes obligatoires de sécurité sociale. Cette absence de compensation avait ainsi nourri, parmi d'autres éléments, la célèbre polémique sur les « charges indues » supportées par la sécurité sociale, qui servait d'ailleurs parfois de prétexte aux partenaires sociaux pour justifier leur propre inaction.

Afin de mettre fin à cette polémique stérile, et de placer chacun devant ses responsabilités, l'article 5 de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994, dite « loi Veil », codifié depuis à l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, dispose que : « Toute mesure d'exonération, totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale, instituée à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l'État pendant toute la durée de son application. »

Conformément à cette disposition, les mesures d'exonérations de cotisations antérieures à 1994 sont demeurées non compensées et, de ce fait, restées à la charge de la sécurité sociale. Il s'agit, principalement, du contrat emploi-solidarité (loi du 19 décembre 1989), du contrat emploi-consolidé (loi du 29 juillet 1992) et de l'exonération pour l'embauche d'un premier salarié (loi du 13 janvier 1989). Les autres dispositifs sont des exonérations accordées au titre des emplois familiaux et des mesures en faveur du temps partiel.

En revanche, les nouveaux dispositifs d'exonérations de cotisations entrés en vigueur à partir de 1994 ont été, du moins jusqu'en 2000, compensés à la sécurité sociale par le budget de l'État 20 ( * ) .

Ce dispositif de financement des exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale présentait le mérite de la transparence et plaçait chacun des acteurs concernés, État et sécurité sociale, face à ses propres responsabilités. Or, il a été profondément bouleversé en 2000, avec l'entrée en vigueur effective des nouveaux « allégements 35 heures ».

La loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 avait prévu la mise en place, à compter du 1 er février 2000, d'un nouvel allégement de charges sociales fusionnant, dans le cadre des 35 heures, le dispositif précédent d'aide sur les bas salaires et celui en faveur de la réduction du temps de travail. Le coût de ces allégements s'élevait à 15 milliards d'euros annuels, qui auraient dû rester à la charge intégrale du budget de l'État, conformément aux dispositions de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale.

Or, le gouvernement de Lionel Jospin n'a pas voulu assumer le coût budgétaire de cette politique et a créé le fameux FOREC, détournant ainsi l'esprit des dispositions de la loi Veil.

Ce fonds de financement avait pour mission de rembourser aux régimes sociaux le coût de l'ensemble des allégements de cotisations. Il était doté pour cela de recettes provenant du budget de l'État mais également du produit de contributions affectées à la sphère sociale, régimes et fonds concourant à leur financement. En conséquence, le FOREC compensait bien - mais insuffisamment 21 ( * ) - les exonérations de cotisations liées aux 35 heures, mais cette compensation constituait partiellement un trompe-l'oeil puisque les ressources utilisées provenaient des régimes sociaux eux-mêmes. La sécurité sociale « s'autocompensait » ainsi le coût des exonérations sociales.

Les dispositions du présent article

Les dispositions du présent article tirent les conséquences de cette expérience en durcissant les dispositions posées par l'article 5 de la loi Veil du 25 juillet 1994.

Le paragraphe I formalise ce changement en proposant un nouvel intitulé pour le chapitre premier bis du titre III du livre premier du code de la sécurité sociale : il remplace une garantie des ressources de la sécurité sociale par l'actuelle « prise en charge par l'État de certaines cotisations de sécurité sociale » .

Le paragraphe II modifie les dispositions de l'article unique L. 131-7 de ce chapitre, qu'il complète par trois mesures :

- l'introduction d'une garantie pour les contributions (impositions et taxes affectées) affectées à la sécurité sociale, identique à celle dont elle bénéficie déjà pour ses cotisations. Cette disposition importante est néanmoins ambiguë : s'agit-il de compenser les seules mesures visant à réduire le produit de contributions collectées (exonération de CSG pour les retraités non imposables par exemple) ou bien aussi celles qui modifient la répartition du produit d'un impôt affecté à la sécurité sociale ? L'expérience du FOREC a montré que l'on pouvait détourner l'esprit de la loi Veil en diminuant le montant des impositions affectées aux différents régimes et en compensant les allégements de cotisations avec le produit de ces contributions détournées. Pour être convaincant, le dispositif ici proposé devra s'appliquer à ces deux cas de figure :

- l'introduction d'une garantie identique pour les mesures de réduction ou d'abattement de l'assiette de ces cotisations et contributions ;

- l'introduction d'une compensation pour les transferts de charges intervenant entre la sécurité sociale et l'État . Une telle disposition aurait empêché, par exemple, de mettre à la charge de la CNAF, le financement de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire ou de faire basculer des pans significatifs du budget de la santé publique sur les comptes de l'assurance maladie.

La conjonction de ces trois éléments devrait mettre fin à la polémique existant entre l'État et les partenaires sociaux sur le thème des « charges indues ».

Le paragraphe III propose d'indemniser la sécurité sociale à hauteur d'un milliard d'euros par la rétrocession d'une fraction supplémentaire du produit du droit de consommation sur les tabacs encore détenu par l'État. On peut y voir le souci du Gouvernement de réparer la non-compensation, à l'assurance maladie, de certaines exonérations de cotisations sociales antérieures à 1994, c'est la position du rapporteur de l'Assemblée nationale, ou, comme l'a indiqué votre commission, un début de réparation des conséquences financières de l'effet FOREC 22 ( * ) .

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

III - La position de votre commission

Votre commission se félicite de l'intention que traduisent les dispositions du présent article. Le respect de l'intégrité des comptes sociaux et l'étanchéité des finances respectives de l'État et de la sécurité sociale constituent, pour elle, une préoccupation déjà ancienne justifiant, ses travaux en témoignent, une attention de tous les instants.

Elle ne rappellera pas, à cette occasion, les remarques d'ordre général relatives au pilotage des finances publiques et se bornera à formuler deux observations sur le dispositif proposé.

- Sur le caractère relatif et contingent des garanties

Relatif, car les dispositions ici proposées sont de nature législative et que le législateur peut se soustraire à l'application des règles précédemment édictées. Tant que le contenu de ces garanties ne figurera pas dans les normes organiques régissant les lois de financement de la sécurité sociale, ce risque demeurera. La révision, annoncée pour la session prochaine, de ces normes sera l'occasion d'assurer l'effectivité du respect de ces dispositions. Votre commission y sera attentive.

Contingent, en ce que ces dispositions n'auront de réalité que lorsqu'elles seront effectivement appliquées. Les comptes de l'ACOSS affichent plus de 750 millions d'euros d'exonérations de cotisations devant donner lieu à compensation depuis l'année 2000, sans que cette compensation ait été versée. Les régimes de sécurité sociale ne disposent d'aucun moyen pour contraindre les services de l'État à acquitter leur dette.

- Sur l'imprécision de leur portée

En l'état, les dispositions s'adressent aux régimes de sécurité sociale : la compensation des pertes de recettes fiscales vise « la sécurité sociale » , qui n'est pas en soi une entité juridique.

Deux catégories d'organismes doivent pourtant être mentionnées et bénéficier de cette garantie de recettes :

- les fonds concourant au financement des régimes de sécurité sociale , visés à l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, parmi lesquels figure notamment le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Ces fonds entrent dans le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale et participent au financement des régimes. L'État a pu les utiliser pour procéder à la captation des ressources des régimes sociaux. Le FSV, pour sa part, a cédé une fraction significative de ses recettes fiscales les plus importantes au FOREC (l'intégralité des droits de consommation et de circulation sur les boissons alcoolisées, la taxe sur les contrats de prévoyance) ou pour le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie qui n'appartient pas au champ de la sécurité sociale (CSG). C'est pourquoi leurs recettes doivent, dans l'intérêt des régimes de sécurité sociale qu'elles servent à financer, bénéficier des mêmes garanties que ces derniers ;

- la CADES , qui ne constitue pas un organisme de sécurité sociale 23 ( * ) et ne relève pas du champ des lois de financement de la sécurité sociale. Plusieurs mesures décidées depuis 1998 ont affecté soit l'assiette, soit le montant perçu de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) obérant la faculté de cette Caisse à rembourser effectivement et de manière anticipée la dette des régimes de sécurité sociale.

Même s'il a été considéré à l'Assemblée nationale que les recettes affectées aux fonds et à la CADES étaient couvertes par le dispositif proposé par cet article, votre commission propose par amendement, de le prévoir explicitement.

Elle propose également de préciser que ces organismes sont parties au mécanisme de compensation des transferts de charges prévu par cet article.

En effet, dans le cas contraire, l'État pourrait les utiliser comme des « chambres de compensation » entre son budget et les régimes, mettant à la charge d'un fonds une dépense qu'il souhaite faire supporter à un régime de sécurité sociale, puis diminuant le financement dudit fonds à ce régime au titre d'une autre dépense. La précédente législature a fourni de nombreux exemples de l'application de cette technique. Enfin, il reste encore à l'État la possibilité de créer un fonds pour se décharger d'une dépense qui lui incombe en faisant financer cette dernière par un régime de sécurité sociale. Le fonds servant à financer l'achat d'un stock de médicaments pour lutter contre une éventuelle attaque bio terroriste (Biotox) relève de cette inspiration.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

* 20 Réduction dégressive sur les bas salaires, dite « ristourne Juppé » ; allégement en faveur de l'incitation à la réduction collective du temps de travail institué par la loi n° 96-502 du 11 juin 1996, dite « exonération de Robien » ; aide incitative créée par l'article 3 de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998, dite « Aubry I » (ces dispositifs ayant été fusionnés dans le « dispositif Fillon » entré en vigueur au 1 er juillet 2003) ; exonérations de cotisations d'allocations familiales pour les salariés des exploitants agricoles et des entreprises relevant de certains régimes spéciaux de sécurité sociale.

* 21 Il a d'ailleurs laissé une dette de 2,3 milliards d'euros que le gouvernement de Lionel Jospin a tenté d'annuler en loi de financement pour 2002, mais le Conseil constitutionnel a censuré cette opération. Le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a procédé au remboursement de cette dette auprès de la Caisse d'amortissement de la dette sociale.

* 22 Cf. Exposé des motifs du présent texte : « Cette mesure permet de réaffecter à l'assurance maladie une partie des recettes qui lui avaient été retirées au profit du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) afin de financer les allégements de cotisations sociales liées à la réduction du temps de travail. »

* 23 La CADES est un organisme divers d'administration centrale.

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