II. LE PROJET DE LOI PORTANT DISPOSITIONS D'ADAPTATION AU DROIT COMMUNAUTAIRE DANS LE DOMAINE DE LA JUSTICE

Le présent projet de loi portant dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice tend à transposer quatre directives et décisions-cadres modifiant la loi relative à l'aide juridique, le code pénal et le code de procédure pénale.

Présenté en Conseil des ministres le 6 avril dernier, il a été voté par l'Assemblée nationale le 9 mai. A l'exception de la suppression de l'article 6 du projet de loi, les 22 amendements adoptés par l'Assemblée nationale ont une portée principalement rédactionnelle. Ils ont utilement précisé et clarifié certaines des dispositions du texte.

L' article premier du projet de loi a pour objet de mettre le droit français en conformité avec la directive n° 2003/8 du conseil de l'Union européenne du 27 janvier 2003 visant à améliorer l'accès à la justice dans les affaires transfrontalières 8 ( * ) par l'établissement de règles minimales communes relatives à l'aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires.

La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique répond en grande partie aux objectifs de la directive tendant à permettre aux justiciables qui résident dans l'Union européenne d'accéder effectivement à l'aide judiciaire à l'occasion d'une procédure engagée sur le territoire national.

En effet, de nombreux justiciables, quels que soient leur nationalité et le lieu de leur résidence 9 ( * ) , peuvent déjà bénéficier de l'aide juridictionnelle française pour engager une procédure sur le territoire national. Au total, 123 demandes d'aide juridictionnelle transfrontalières ont été enregistrées en 2004 10 ( * ) , contre 96 et 88 demandes respectivement en 2002 et 2003.

Quelques aménagements se sont toutefois révélés nécessaires pour satisfaire aux obligations communautaires.

Le présent projet de loi propose de définir un régime d'aide juridictionnelle plus favorable que le droit commun dont l'application serait limitée aux litiges transfrontaliers en matière civile et commerciale. Ce dispositif serait accessible à tous les ressortissants, sans considération de leur nationalité, en situation régulière et résidant habituellement dans un Etat membre de l'Union européenne .

En premier lieu, le champ des frais couverts par l'aide juridictionnelle française serait étendu à deux égards.

Les ressortissants résidant régulièrement dans un autre Etat membre de l'Union européenne 11 ( * ) pourraient obtenir en France la prise en charge, au titre de l'aide juridictionnelle , des frais d'interprétation , des frais de déplacement lorsque leur présence est requise par le juge à l'audience et des frais de traduction des documents nécessaires au règlement de l'affaire supportés à l'occasion d'une procédure engagée sur le territoire français.

Les ressortissants résidant sur le territoire national pourraient obtenir la couverture des frais de traduction supportés à l'occasion d'une demande d'assistance judiciaire adressée à un autre Etat membre.

En second lieu, les ressortissants résidant régulièrement dans un autre Etat membre pourraient bénéficier d'un assouplissement des conditions de ressources imposées par la loi française, à condition de prouver leur impossibilité de supporter les dépenses liées au procès compte tenu des différences de coût de la vie entre la France et l'Etat dans lequel ils résident.

Enfin, ce régime particulier d'aide juridictionnelle aurait un caractère subsidiaire . Il ne s'appliquerait donc qu'à la condition que les frais exposés ne soient pas déjà pris en charge par d'autres systèmes de protection juridique ou dans le cadre d'un contrat d'assurance.

Une augmentation des dépenses de l'Etat affectées à l'aide juridictionnelle paraît donc prévisible . Selon les informations fournies à votre rapporteur par le ministère de la justice, les demandes d'aide juridictionnelle portant sur des litiges transfrontaliers devraient concerner une centaine de dossiers. Le Gouvernement a d'ores et déjà anticipé l'impact financier du présent projet de loi en inscrivant dans la loi de finances pour 2005 12 ( * ) une mesure de 70.000 euros.

L'Assemblée nationale a approuvé ce dispositif auquel elle n'a apporté que des améliorations rédactionnelles.

Ces innovations répondent à l'une des quatre priorités inscrites dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 13 ( * ) relative à l'amélioration de l'accès des citoyens au droit et à la justice . Elles méritent donc d'être approuvées.

L' article 2 du projet de loi a pour objet la transposition de la décision-cadre du conseil de l'Union européenne du 6 décembre 2001 visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux monnayage en vue de la mise en circulation de l'Euro.

Aux termes du nouvel article qui serait inséré dans le code pénal, une personne qui commettrait une nouvelle infraction en France après avoir fait l'objet d'une première condamnation pour faux monnayage, rendue par la juridiction d'un autre Etat membre de l'Union européenne, pourrait se voir appliquer l'aggravation des peines, prévue au titre de la récidive. Actuellement, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, fondée sur le principe de territorialité de la loi pénale, seule une condamnation prononcée par une juridiction française peut être prise en compte au titre de la récidive.

Aussi, la reconnaissance des condamnations rendues par un autre Etat membre de l'Union européenne, même limitée aux infractions de faux monnayage, constituerait-elle une première brèche à cette règle.

Elle apparaît non seulement comme l'une des conditions de la construction progressive d'un espace pénal européen mais également comme le moyen de réprimer de manière plus efficace la criminalité transfrontalière.

A ces deux titres, cet article qui a été adopté sans modification par l'Assemblée nationale doit être approuvé.

Les articles 3 et 4 du projet de loi procèdent à la transposition de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé.

Actuellement, le droit français incrimine la corruption active et la corruption passive 14 ( * ) , d'une part, des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission du service public (art. 432-11 et 433-1 du code pénal), d'autre part, des salariés (art. L. 152-6 du code du travail).

Les nouvelles dispositions tendent à insérer un nouveau chapitre V intitulé « De la corruption des personnes n'exerçant pas une fonction publique » au sein du livre IV du code pénal (« Des atteintes à la confiance mutuelle »). Elles modifieraient le droit en vigueur à trois titres.

En premier lieu, l'ensemble des faits de corruption concernant le secteur privé seraient incriminés, y compris ceux commis par des personnes exerçant des fonctions de direction (chefs d'entreprises, personnes exerçant une profession libérale).

Ensuite, la responsabilité des personnes morales pourrait être mise en cause pour des faits de corruption active ou passive alors qu'elle ne peut être aujourd'hui engagée que pour des actes de corruption active de personnes exerçant une fonction publique.

Enfin, les peines encourues ont été relevées à un niveau comparable à celles prévues pour certaines infractions comme l'abus de biens sociaux ou l'escroquerie parfois utilisés aujourd'hui pour réprimer le délit de corruption (cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende).

L'Assemblée nationale a complété ce dispositif par des amendements de coordination.

Grâce à ces dispositions dont la transposition devrait intervenir avant le 25 juillet 2005 , la France peut utilement combler une lacune injustifiée de son arsenal répressif en matière de corruption.

L'article 5 vise à transposer la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 22 juillet 2003 relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve. Pas moins de trente nouveaux articles seraient ainsi insérés dans le code de procédure pénale.

Actuellement, les demandes de saisie venant de l'étranger ou adressées à l'étranger, qu'elles portent sur un élément de preuve dans le cadre d'une enquête judiciaire ou un avoir en vue d'une confiscation, empruntent la voie d'une commission rogatoire internationale , procédure souvent lourde -du fait de la transmission par la voie diplomatique- et lente.

Or, en la matière, il apparaît essentiel d'agir de manière rapide. La décision-cadre apporte à cet égard trois progrès significatifs. D'une part, la décision de gel serait transmise directement de l'autorité judiciaire de l'Etat à l'origine de la demande (appelé Etat d'émission) à l'autorité judiciaire de l'Etat chargé de la mise en oeuvre (dénommé Etat d'exécution). D'autre part, l'exécution, sous réserve, naturellement, que la décision de gel réponde aux conditions fixées par la décision-cadre, devrait intervenir « immédiatement ». Ces dispositions procédurales s'inscrivent ainsi dans la logique du principe de reconnaissance mutuelle. Enfin, tandis que certaines demandes de saisie souffrent aujourd'hui de beaucoup d'imprécision, les décisions de gel devraient désormais s'accompagner d'un certificat comportant l'ensemble des mentions pertinentes pour permettre au magistrat du pays d'exécution de procéder à la mise en oeuvre de la décision dans des délais rapides.

La transposition de la décision-cadre inscrit ces nouvelles règles dans le cadre des règles de compétence et de procédures applicables en droit français aux saisies.

L'Assemblée nationale a complété ce dispositif en permettant que l'Etat d'émission, appelé à intervenir dans le cadre du recours éventuel porté dans l'Etat d'exécution contre la décision de gel, le fasse à l'audience par le biais de la visioconférence.

Les magistrats praticiens des commissions rogatoires internationales, entendus par votre rapporteur, ont souligné l'intérêt de la procédure rapide et efficace prévue par la décision-cadre. Le délai limite de transposition de cette décision-cadre a été fixé au 25 août 2005.

L'article 6 du projet de loi initial a été supprimé par l'Assemblée nationale avec l'avis de sagesse du Gouvernement. Il tendait à ouvrir la faculté aux juridictions pénales de prononcer des mesures conservatoires sur les biens meubles et immeubles divis et indivis afin de garantir le paiement de l'amende ou l'exécution de la confiscation prononcée. Ces nouvelles dispositions modifiaient profondément le droit en vigueur qui subordonne le caractère exécutoire d'une sanction à la double condition qu'une peine de prison soit encourue et prononcée. Les députés ont estimé qu'à ce titre, elles anticipaient sur la réforme d'ensemble , en cours de réflexion à la Chancellerie, sur les mesures d'exécution provisoire en matière pénale .

Votre commission des lois partage cette position.

*

* *

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre commission vous propose d'adopter le projet de loi sans modification.

* 8 Définies, au sens de la directive et du présent projet de loi, comme « tout litige dans lequel la partie qui sollicite l'aide a sa résidence habituelle ou son domicile dans un Etat membre autre que celui où siège la juridiction compétente au fond ou que celui dans lequel la décision doit être exécutée. »

* 9 Il s'agit des ressortissants français, des ressortissants communautaires, des ressortissants d'un Etat lié à la France par une convention bilatérale - au nombre de 44 -, voire même, sous de strictes conditions et à titre exceptionnel, des ressortissants étrangers ne relevant pas des catégories précitées (voir l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991).

* 10 Ce chiffre ne tient toutefois compte que des demandes enregistrées par le bureau de l'entraide judiciaire civile et commerciale, qui est le service chargé de faciliter la transmission des demandes d'assistance judiciaire et ne comprend pas les demandes d'aide juridictionnelle adressées directement aux bureaux d'aide juridictionnelle par un ressortissant ne résidant pas en France.

* 11 Quelle que soit leur nationalité.

* 12 Loi n °2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.

* 13 Loi n° 2002-1138.

* 14 La corruption active vise l'activité de la personne corruptrice, la corruption passive vise l'activité de la personne corrompue.

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