Article 14 (art. 929 à 930-5 nouveau du code civil) - Possibilité de renoncer à l'action en réduction pour atteinte à la réserve

Le projet de loi insère à la section 2 « De la réduction des donations et des legs » du chapitre III « De la portion de biens disponibles et de la réduction » un paragraphe 3 intitulé « De la renonciation anticipée à l'action en réduction » (art. 929 à 930-5).

L'Assemblée nationale a, à l'initiative de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, adopté un amendement afin de mieux distinguer la renonciation anticipée à l'action en réduction de la renonciation comme option successorale.

L'introduction de cette renonciation anticipée à l'action en réduction des libéralités portant atteinte à la réserve (RAAR) constitue une innovation fondamentale.

Ce dispositif est présenté par certains comme une dérogation aux règles du code civil protégeant la réserve héréditaire , lesquelles sont depuis 1804 d'ordre public. Ceci n'est cependant pas exact.

En effet, la règle selon laquelle le défunt ne peut, même avec leur accord, priver des héritiers réservataires d'une partie de son patrimoine, que ce soit par le biais de son testament ou de donations antérieures, n'est pas remise en cause par le projet de loi, puisque cette renonciation émane des intéressés eux-mêmes. Il conviendra bien évidemment de s'assurer que cette renonciation est libre et ne résulte pas de pressions exercées dans le cadre familial.

Par ailleurs, l'impact de ce nouveau dispositif ne doit pas être surestimé : il est déjà tout à fait possible de contourner la réserve par le biais du choix du régime matrimonial de communauté universelle avec attribution au dernier vivant 173 ( * ) et surtout de l'assurance-vie.

Ce dispositif constitue en fait surtout une dérogation supplémentaire à l'interdiction de principe des pactes sur succession future .

? En effet, le deuxième alinéa de l'article 1130 prévoit que l'« on ne peut renoncer à une succession non ouverte [c'est-à-dire la succession d'une personne vivante] , ni faire aucune stipulation sur une pareille succession, même avec le consentement de celui de la succession duquel il s'agit ». Il est indifférent que le de cujus soit partie à l'acte ou non.

Cette prohibition remonte au droit romain et se fonde sur trois considérations :

- l'immoralité du pacte successoral, qui incite à souhaiter la mort du de cujus , sinon à la provoquer. Ceci n'est plus recevable, alors que la loi encourage des mécanismes comme l'aliénation contre rente viagère ou l'assurance sur la vie ;

- l'atteinte portée à la liberté de tester du disposant. Cependant, certains pactes, comme la renonciation conventionnelle de l'héritier présomptif, ne limitent nullement la liberté testamentaire du de cujus , qui ne s'oblige à rien ;

- la protection de l'héritier contre le risque d'abus d'influence ou de lésion, du fait de sa méconnaissance de l'étendue de ses droits. Cette dernière considération demeure tout à fait pertinente. Cette interdiction concerne actuellement tous les actes, à titre onéreux ou gratuit, et quelle que soit leur étendue.

Ainsi, tout acte par lequel un héritier présomptif dispose de ses droits dans une succession future (y renonce ou les aliène) est nul (art. 791). La jurisprudence a donc annulé la renonciation du droit à demander le rapport 174 ( * ) ou à exercer l'action en réduction 175 ( * ) , afin de protéger l'héritier présomptif contre un acte dont on craint qu'il soit irréfléchi ou lésionnaire.

Du vivant du disposant, l'héritier réservataire ne peut donc renoncer à demander la réduction des libéralités susceptibles de porter atteinte à l'intégrité de sa réserve. De son côté, le disposant ne peut priver les héritiers réservataires de leur droit d'exercer après son décès l'action en réduction.

En revanche, une fois la succession du disposant ouverte, la renonciation à l'action en réduction est possible. Elle peut être tacite ou expresse. Dans ce dernier cas, elle prend la forme d'un acte dit de consentement à exécution de donation.

? Or, la loi autorise déjà ponctuellement des pactes sur succession future , par faveur pour la famille 176 ( * ) , dans l'intérêt des entreprises exploitées en forme sociale 177 ( * ) , ou par souci de sécurité juridique.

Ainsi, il est possible de renoncer de manière anticipée à la succession du conjoint en cas de séparation de corps sur requête conjointe (art. 301).

En outre, si l'article 918 présume irréfragablement que la vente consentie à un successible en ligne directe contre une rente viagère à fonds perdus ou avec réserve d'usufruit constitue une libéralité déguisée, il prévoit que le consentement des cohéritiers à l'aliénation vaut renonciation de leur part à en demander la réduction au décès du disposant 178 ( * ) .

Ces exceptions demeurent cependant très limitées s'agissant d'un pacte portant sur une atteinte à la réserve. Or, cette situation peut compliquer la transmission d'une entreprise ou d'une maison de famille, ou empêcher de favoriser un enfant handicapé, alors même que tous les héritiers sont d'accord.

En effet, si des mécanismes d'attribution préférentielle existent, ils supposent tous l'acquittement d'une soulte si la valeur des biens en question excède celle des droits du bénéficiaire.

Le projet de loi permet, au sein des familles et avec l'accord de chacun, de procéder à une répartition des biens dérogeant aux règles de la réserve héréditaire.

Si le pacte de famille existe déjà en Suisse et ne semble pas poser de problème, l'annonce de cette réforme en France n'a pas manqué de susciter des inquiétudes . Les pressions familiales pourraient aboutir dans certaines familles au rétablissement du droit d'aînesse ou à privilégier les garçons au détriment des filles. De plus, il serait pervers de demander à une personne d'accepter d'être lésée, celle-ci se trouvant sinon confrontée au risque de se couper de sa famille pour des raisons pécuniaires.

Un encadrement, renforcé par l'Assemblée nationale, est donc prévu.

Il n'apparaît pas totalement sécurisant à votre commission, qui vous proposera diverses améliorations.

* 173 Sous réserve de la possibilité pour les enfants non communs d'exercer l'action en retranchement.

* 174 Cass. civ., 10 mars 1941.

* 175 Aix en Provence, 10 mars 1997, s'agissant d'une renonciation à une action en retranchement.

* 176 Ainsi, une personne peut être instituée héritier par contrat de mariage ou au cours du mariage -c'est la « donation au dernier vivant » (art. 1093, 1082 et 1096). En outre, la clause commerciale, insérée dans un contrat de mariage, permet à un époux de recueillir à titre onéreux dans la succession de son conjoint un bien personnel ou propre (art. 1390 issu de la loi du 13 juillet 1965). Il est également possible de stipuler dans une convention d'indivision une faculté d'acquisition ou d'attribution de la part indivise de l'indivisaire décédé (art. 1873-13).

* 177 Les statuts sociaux peuvent régler par avance le sort des droits de l'associé décédé afin de prévenir l'arrivée d'un indésirable dans la société, qu'il s'agisse d'un héritier ou d'un légataire.

* 178 Le deuxième alinéa de l'article 930 prévoit en outre que le consentement des réservataires à l'aliénation du bien donné, consentie par le donataire, vaut renonciation de leur part à demander la réduction contre le tiers acquéreur. Cette renonciation a cependant une portée plus limitée qu'à l'article 918, puisqu'ils n'abdiquent pas le droit de demander la réduction en général mais seulement celui de la demander contre le tiers acquéreur.

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