CHAPITRE PREMIER - DISPOSITIONS RELATIVES À L'ENTRÉE ET AU SÉJOUR DES ÉTRANGERS OUTRE-MER

Article 67 (chapitre IV du titre Ier du livre V et article L. 514-2 nouveau du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile)
Extension à l'ensemble du département de la Guadeloupe des mesures applicables en Guyane et dans la commune de Saint-Martin relatives à l'éloignement des étrangers

Cet article a pour objet d'étendre à l'ensemble du département de la Guadeloupe, pour une période de cinq ans, les mesures applicables en Guyane et dans la commune de Saint-Martin en matière d'éloignement des étrangers . Il modifierait à cette fin le chapitre IV du titre Ier du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

1. Le dispositif actuel

Les articles L. 512-2 à L. 512-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile déterminent les conditions dans lesquelles, une fois l'arrêté de reconduite à la frontière pris par le préfet, celui-ci peut être exécuté, sous réserve d'un recours en annulation exercé devant la juridiction administrative.

Aux termes de l'article L. 512-3, si l'étranger qui fait l'objet de l'arrêté peut être immédiatement placé en rétention administrative, cet arrêté ne peut être exécuté avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures suivant sa notification lorsqu'il est notifié par voie administrative, ou de sept jours, lorsqu'il est notifié par voie postale 195 ( * ) ou, si le président du tribunal administratif ou son délégué est saisi, avant qu'il n'ait statué.

Le recours en annulation exercé contre l'arrêté de reconduite à la frontière présente donc un caractère suspensif.

Ce recours doit être présenté, dans les quarante-huit heures suivant la notification, lorsque l'arrêté est notifié par voie administrative, ou dans les sept jours, lorsqu'il est notifié par voie postale, au président du tribunal administratif territorialement compétent. Celui-ci doit alors statuer dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine, au cours d'une audience publique.

Le jugement du président du tribunal administratif ou de son délégué est susceptible d'appel dans un délai d'un mois devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat ou un conseiller d'Etat délégué par lui. Cet appel, qui n'est pas suspensif, est porté, depuis le 1er janvier 2005, devant le président de la cour administrative d'appel territorialement compétente.

En 1993, déjà confronté à un afflux massif d'étrangers en situation irrégulière, le législateur avait estimé que ces règles procédurales dérogatoires au droit commun du contentieux ne permettaient pas d'assurer l'éloignement, dans des conditions efficaces, des étrangers entrés et séjournant irrégulièrement sur le territoire des quatre départements français d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion) ainsi que dans la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Aussi la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France a-t-elle prévue un dispositif propre à la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et Saint-Pierre-et-Miquelon , comportant trois mesures :

- en premier lieu, l'inapplicabilité à ces collectivités du régime procédural « de droit commun » prévu par l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France en matière d'exécution et de contestation juridictionnelle des arrêtés de reconduite à la frontière pris dans ces territoires ;

- en deuxième lieu, la possibilité d'une mise à exécution immédiate de l'arrêté de reconduite à la frontière , un délai d'un jour franc à compter de la notification de cet arrêté devant cependant être observé si l'autorité consulaire intéressée en fait la demande ;

- en dernier lieu, l'absence d'effet suspensif du recours en annulation contre l'arrêté de reconduite à la frontière, l'étranger en faisant l'objet devant assortir sa requête d'une demande de suspension d'exécution de l'arrêté .

Ce dispositif juridique n'était applicable que pendant une période de cinq années à compter de l'entrée en vigueur de la loi précitée du 24 août 1993.

Il a néanmoins été prorogé pour une nouvelle période de cinq ans par l'article 24 de la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers et au droit d'asile, l'étude d'impact alors fournie par le Gouvernement justifiant cette mesure par le fait que « l'instauration d'un recours suspensif aurait pour effet de bloquer d'une part le fonctionnement des juridictions et celui de l'administration. Par ailleurs, le taux d'exécution des mesures d'éloignement risquerait de s'en trouver largement affecté » 196 ( * ) .

A l'issue de cette nouvelle période de cinq ans, le législateur a entendu pérenniser partiellement ces mesures . La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a ainsi rendu ces mesures applicables sans limitation de durée en Guyane ainsi que sur le territoire de la seule commune de Saint-Martin, en Guadeloupe, soumise à une forte immigration clandestine compte tenu de l'absence de frontière matérialisée avec Sint-Maarten, partie néerlandaise de l'île.

En revanche, ce dispositif n'a pas été reconduit, même à titre temporaire, au profit du reste du territoire Guadeloupéen, de la Martinique, de La Réunion et de Saint-Pierre-et-Miquelon 197 ( * ) .

La codification de ces dispositions figurant jusqu'alors à l'article 40 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée a été opérée, à droit constant, à l'article L. 514-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

2. Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale

Sans remettre en cause l'application pérenne en Guyane et à Saint-Martin des mesures prévues à l'article L. 514-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le présent article, qui n'a fait l'objet que d'une modification à caractère rédactionnel à l'Assemblée nationale, prévoirait leur extension, pour une période limitée, à l'ensemble du territoire guadeloupéen .

Le premier paragraphe (I) de cet article modifierait en conséquence l'intitulé du chapitre IV du titre Ier du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin de viser l'ensemble du département de la Guadeloupe.

Le second paragraphe (II) créerait un article L. 514-2 au sein de ce chapitre IV afin de prévoir l'extension des mesures actuellement visées à l'article L. 514-1 à l'ensemble des communes du département de la Guadeloupe, à l'exception de la commune de Saint-Martin, déjà couverte. Cette extension n'interviendrait que pour une durée de cinq ans à compter de la publication de la présente loi.

Au terme de cette période, le dispositif deviendrait donc caduc, sauf à ce que le législateur le pérennise ou lui donne application pour une nouvelle durée déterminée.

Votre commission estime que cette mesure est nécessaire compte tenu du nombre des arrêtés de reconduite à la frontière pris en Guadeloupe .

Le caractère non suspensif des recours à l'encontre de ces décisions administratives revêt certainement un caractère dissuasif. Selon les informations recueillies par votre rapporteur en Guyane, de janvier 2002 à juin 2005, aucun recours juridictionnel n'a en effet été dirigé contre un arrêté de reconduite à la frontière.

En outre, la multiplication de référés à caractère suspensif aurait pour conséquence d'accroître la charge des tribunaux administratifs de ces deux départements qui manquent réellement des moyens nécessaires pour accomplir l'ensemble des missions qui leurs sont confiées et qui dépassent le seul contentieux des étrangers. Ainsi, en 2005, 5.942 arrêtés de reconduite à la frontière ont été exécutés en Guyane en 2005.

L'extension proposée du dispositif à l'ensemble de la Guadeloupe semble donc opportune dans la mesure où le nombre des arrêtés de reconduite à la frontière est en forte progression. Il a ainsi augmenté de 15,7 % entre 2004 et 2005, passant de 1.083 à 1.253.

Votre commission estime que le choix de ne rétablir cette mesure dérogatoire et exceptionnelle que pour une durée limitée est justifié, compte tenu de ses effets sur les droits des requérants devant le juge administratif.

Pour autant, il convient de préciser que l'étranger qui ferait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière en Guadeloupe, pourra toujours, comme en Guyane, exercer un recours permettant de faire provisoirement échec à sa mise en oeuvre.

D'une part, l'étranger en situation irrégulière en Guyane peut assortir sa requête en annulation de l'arrêté de reconduite d'une demande de suspension de son exécution. Toutefois, selon les informations portées à la connaissance de votre rapporteur, les avocats du barreau de Cayenne regardent ces dispositions comme inopérantes dans la mesure où l'effet non suspensif du recours en annulation rend irrecevable la demande de suspension d'exécution d'une mesure de reconduite déjà exécutée à la date de l'audience de référé.

D'autre part, si les recours contre les arrêtés de reconduite ne sont plus suspensifs, le référé-liberté prévu par l'article L. 521-2 du code de justice administrative, est applicable puisque l'arrêté, outre son caractère d'urgence, est susceptible de mettre en cause une liberté fondamentale 198 ( * ) . Or, l'intérêt d'un tel référé est évident eu égard à l'extrême rapidité du jugement qui doit intervenir dans un délai de 48 heures. La commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine a d'ailleurs noté que ce type de recours était désormais utilisé, notamment en Guyane, en raison de l'arrivée d'avocats spécialisés de métropole 199 ( * ) .

Néanmoins, en pratique, le délai de rétention des étrangers en Guyane ou à Saint-Martin est tel que, dans la grande majorité des cas, le juge est amené à statuer après que la mesure de reconduite a été exécutée par l'administration. Il devrait en être de même pour l'ensemble de la Guadeloupe.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 67 sans modification.

Article 68 (art. L. 532-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile)
Eloignement d'office des équipages vénézuéliens se livrant à des activités de pêche illicite en Guyane

Cet article autoriserait l'éloignement d'office des membres d'équipage vénézuéliens se livrant à des activités de pêche illicite en Guyane . Il modifierait à cet effet l'article L. 532-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Issu de l'article 141 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, l'article L. 532-1 donne à l'administration, en Guyane, la possibilité d'éloigner d'office, vers l'Etat dont ils sont les nationaux, les ressortissants brésiliens, surinamiens et guyaniens appartenant aux équipages de navires se livrant à des activités de pêche illicite dans les eaux guyanaises et contraints par l'autorité administrative française de se rendre à terre.

Cet éloignement d'office ne peut toutefois intervenir qu'avec l'accord des membres de l'équipage concernés et dans un délai qui ne peut excéder quarante-huit heures. Les frais liés à cet éloignement sont pris en charge par l'Etat.

Cette mesure dérogatoire a été rendue nécessaire par le nombre grandissant de navires battant pavillons étrangers venant pêcher de manière illégale dans les eaux territoriales françaises au large de la Guyane. Or, ces navires comportent souvent des équipages dont les membres sont ressortissants d'Etats voisins de la Guyane comme le Brésil et le Surinam, Etats frontaliers de ce département d'outre-mer, ou le Guyana qui n'a pas de frontière terrestre avec cette collectivité.

L'éloignement d'office permet ainsi d'expulser plus rapidement les ressortissants de ces Etats en évitant les lourdeurs administratives que constitue le placement en centre de rétention administrative. Cette facilité est d'autant plus importante en Guyane qui ne dispose que d'un seul centre de rétention à Rochambeau d'une capacité notoirement insuffisante de 38 places, comparées aux 5.242 arrêtés de reconduite à la frontière exécutés en 2005.

Toutefois, ce dispositif d'éloignement d'office ne pouvant intervenir qu'avec le consentement de l'étranger, en cas de refus de ce dernier, la procédure normale retrouve sa pleine application. Tel est également le cas lorsque le délai de 48 heures est dépassé.

Selon les informations recueillies par votre rapporteur, 208 marins étrangers ont été appréhendés dans les eaux guyanaises en 2003, 344 en 2004 et 246 au 1 er octobre 2005. L'éloignement d'office a concerné, en 2005, 227 marins étrangers.

L'accroissement, depuis 2003, du nombre de navires comportant des ressortissants vénézuéliens arraisonnés dans les eaux territoriales guyanaises justifie l'extension de ce dispositif d'éloignement d'office aux ressortissants de ce pays. En effet, depuis 2003, 43 marins vénézuéliens ont été éloignés vers le Venezuela.

Pour faire face à cette situation, le présent article étendrait le dispositif d'éloignement d'office actuel aux ressortissants vénézuéliens membres d'équipages de navires arraisonnés pour des activités de pêche illicite. Cet éloignement, comme pour les ressortissants brésiliens, surinamiens ou guyaniens, ne pourrait intervenir qu'avec l'accord des intéressés et dans un délai de 48 heures.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 68 sans modification.

* 195 Cette notification serait supprimée par l'article 43 du présent projet de loi.

* 196 Voir le rapport n° 224 (Sénat, 1997-1998) de M. Paul Masson au nom de la commission des lois.

* 197 A Mayotte, collectivité d'outre-mer soumise au principe de spécialité législative, l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte fixe des règles particulières, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne s'appliquant pas. Les recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière n'y sont donc pas suspensifs .

* 198 Article L. 521-2 du code de justice administrative : «  Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

* 199 Rapport précité, p. 214.

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