Article 12
(art. L. 361-1, L. 361-2 et L. 361-3
nouveaux
du code de l'action sociale et des familles)
Financement des
mesures de protection judiciaire des majeurs
Cet article, qui tend à introduire un nouveau titre au sein du livre III du code de l'action sociale et des familles, relatif au financement de la protection judiciaire des majeurs, vise à déterminer les conditions du financement public des mesures de protection des majeurs ordonnées par le juge au titre d'une sauvegarde de justice, d'une curatelle, d'une tutelle ou d'une mesure d'assistance judiciaire.
1. La nécessité d'un financement rénové des mesures de protection des majeurs
Les modalités du financement des mesures de protection des majeurs décidées par le juge font, depuis plusieurs années, l'objet de critiques de la part des professionnels. Celles-ci ont été relayées par les rapports établis par les trois inspections en 1998 ainsi que par le groupe présidé par M. Jean Favard en 2000. Plus récemment, le rapport du Conseil économique et social a également montré la complexité des dispositions financières applicables au régime de protection des majeurs.
Le rapport Favard a ainsi relevé, en matière de financement des mesures de protection, le « règne de la disparité, y compris pour des mesures de même nature ».
? Le financement des tutelles et curatelles d'Etat
Le financement des mesures de tutelle et de curatelle confiées à l'Etat par le juge des tutelles résulte à la fois d'une intervention budgétaire de l'Etat et d'une contribution directe de la personne protégée 142 ( * ) .
Le décret n° 74-930 du 6 novembre 1974 portant organisation de la tutelle d'Etat pose le principe du financement des mesures de tutelle ou de curatelle confiées à l'État par un prélèvement sur les ressources de la personne protégée. Ce prélèvement s'effectue sur toutes les catégories de ressources de la personne, à l'exception de certaines d'entre elles, limitativement énumérées 143 ( * ) .
Le montant du prélèvement varie selon le niveau de ces ressources. Un arrêté du 27 juillet 1999 fixe actuellement des taux progressifs sur trois tranches de revenus :
- lorsque les ressources annuelles sont inférieures ou égales au minimum vieillesse, le taux de prélèvement est fixé à 3 % ;
- lorsque les ressources annuelles sont comprises entre le montant du minimum vieillesse et le montant du SMIC annuel brut, le prélèvement est de 7 % ;
- le prélèvement est fixé à 14 % des ressources de la personne protégée lorsque celles-ci s'établissent entre le montant du SMIC annuel brut et le montant de ce SMIC majoré de 75 %.
Toutefois, lorsque la personne protégée est hébergée dans un établissement, le prélèvement sur ces ressources est divisé par 2,5, la rémunération du tuteur désigné voyant sa rémunération diminuée dans la même proportion.
Au delà du seuil de ressources équivalent au SMIC majoré de 75 %, l'Etat n'assure aucun financement des mesures de protection qui sont alors à l'entière charge de la personne protégée.
Encore convient-il de préciser que l'Etat n'accorde qu'une rémunération mensuelle maximale, dite « mois-mesure ». Aux termes de l'arrêté interministériel du 27 juillet 2005, le montant de la rémunération maximale a été fixé à 126,86 euros, avec un coût moyen d'environ 84,50 euros, pour un coût total estimé de 204 millions d'euros .
En 2003, le groupe de travail de la DGAS sur le financement de la réforme de la protection juridique des majeurs a estimé à 19,3 % la proportion du financement de ces mesures imputées aux majeurs protégés, 80,7 % revenant dans les faits à la charge de l'État. Cette situation provient en partie du fait que, dans la pratique, des mesures de prélèvement sur ressources qui devraient être opérées ne le sont pas toujours, ce qui n'est évidemment pas de bonne gestion.
Or, la croissance de plus de 29 % par an, entre 1992 et 2005, du nombre de tutelles et de curatelles d'Etat qui a atteint le nombre de 193.706 en 2005 , a conduit à un besoin de financement croissant.
Évolution du financement des curatelles et tutelles d'Etat
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
|
Mesures prononcées au 31 décembre |
153 207 |
164 645 |
178 747 |
193 706 |
Nd |
Évolution en % du nombre de mesures
|
+ 9,6 |
+ 7,5 |
+ 8,6 |
+ 8,4 |
Nd |
Crédits inscrits en loi de finances initiale (M€) |
121,9 |
128,1 |
149 |
170,2 |
197,9 |
Crédits ouverts (M€) |
135,7 |
128,5 |
181,8 |
173,7 |
- |
Dépenses (M€) |
135,44 |
128,5 |
178,6 |
161,97 |
- |
Source : DGAS.
Sans doute ces moyens ont-ils fortement augmenté. Entre 2002 et 2005, le montant des crédits ouverts pour le financement des curatelles et tutelles d'Etat s'est ainsi accru de plus de 51 %, pour atteindre 173,7 millions d'euros.
La loi de finances pour 2006 a quant à elle alloué une enveloppe budgétaire de 197,9 millions d'euros. Toutefois, les données dont dispose votre rapporteur font apparaître, année après année, une sous-budgétisation initiale constante des mesures de protection confiées à l'Etat, conduisant à un besoin de financement effectif sans cesse croissant. La différence doit donc être comblée chaque année dans le cadre de la loi de finances rectificative.
? Le financement des mesures de tutelles aux prestations sociales adultes
Contrairement aux mesures de protection prévues par le code civil dont l'exécution est confiée à l'Etat, les mesures de tutelle aux prestations sociales ne donnent lieu à aucune contribution de la personne qui en fait l'objet : aucun prélèvement n'est opéré sur ces ressources.
Les TPSA sont donc intégralement financées par les débiteurs de prestations sociales . Aux termes de l'article L. 167-3 du code de la sécurité sociale, la charge des frais de tutelle incombe en effet :
- à l'organisme débiteur des prestations familiales dues à la famille placée sous tutelle ;
- à l'organisme débiteur de l'allocation ou de l'avantage vieillesse dû au bénéficiaire placé sous tutelle, dans le cas où le bénéficiaire perçoit plusieurs allocations ou avantages vieillesse, la charge incombant à la collectivité ou à l'organisme payeur de l'allocation ou de l'avantage vieillesse le plus important ;
- en matière de revenu minimum d'insertion, à la collectivité débitrice de l'allocation. Toutefois, lorsque le bénéficiaire perçoit plusieurs prestations faisant l'objet d'une tutelle, la charge incombe à la collectivité ou à l'organisme débiteur de la prestation dont le montant est le plus élevé.
Lorsque l'organisme à qui incombe la charge des frais de tutelle n'est pas précisé par une autre disposition législative, à l'Etat.
En application de ces dispositions, les personnes appelées à financer les mesures de TPSA sont donc :
- les caisses d'allocations familiales ;
- la caisse centrale de mutualité sociale agricole ;
- la caisse nationale d'assurance-vieillesse (CNAV) ;
- la Caisse des dépôts et consignations ;
- la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ;
- les départements, au titre de la prestation spécifique dépendance (PSD), de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et du revenu minimum d'insertion (RMI).
Depuis 2002, le nombre des TPSA est resté relativement stable, puisqu'il est de l'ordre, chaque année, de 60.000 à 62.000 mesures . Ils donnent lieu à une dépense de financement proche de 140 millions d'euros par an.
Évolution du financement des tutelles aux prestations sociales
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
|
Mesures prononcées au 31 décembre |
60 996 |
61 667 |
62 345 |
59 777 |
Nd |
Crédits consommés par les organismes de sécurité sociale (M€) |
132,1 |
135,5 |
139 |
139,8 |
137,1 (1) |
(1) Estimation - Source : DGAS.
Le coût moyen mensuel par TPSA est fixé par les commissions départementales des tutelles, essentiellement au vu des prix de revient des associations auxquelles sont déléguées ces mesures. Il est en moyenne de 194,8 euros en 2006.
La pratique a montré que, dès lors que les TPSA ne font l'objet d'aucun prélèvement sur les ressources des majeurs, elles apparaissent parfois fortement attractives par rapport aux mesures de protection prévues par le code civil. Cette situation peut conduire le juge à ordonner des « doubles-mesures » -pratique qui consiste à doubler une tutelle ou curatelle par une TPSA-, aboutissant ainsi à une prise en charge indue par les organismes débiteurs des prestations sociales concernées. Le rapport des inspections en 1998 notait ainsi que « le mode de financement actuel conduit à faire jouer à la tutelle aux prestations sociales le rôle de variable d'ajustement des budgets des associations. Il s'agit d'un facteur d'explication supplémentaire de la forte progression des mesures doublées déjà relevée, mais aussi de l'importante dispersion des coûts des mesures de TPSA entre les associations » 144 ( * ) .
? La remise en cause du financement par « mois-mesure »
Le financement des mesures de tutelle ou de curatelle d'Etat ainsi que des mesures de TPSA s'opère en principe par le versement, pour chaque mesure ouverte par le juge des tutelles, d'une somme fixée selon un taux forfaitaire mensuel. C'est ce que la pratique dénomme couramment la technique du « mois-mesure ».
Or, l'existence même de cette technique est fortement critiquée en raison de son caractère inflationniste et du fait qu'elle ne s'attache qu'au nombre de mesures prononcées sans égard à la qualité du service rendu à la personne protégée . En effet, comme le relevait, en 2000, le rapport Favard, le coût réel d'une mesure est variable :
- selon les besoins individuels de chaque personne protégée, quelle que soit la mesure prononcée : un majeur protégé, handicapé mental, bénéficiant d'une mesure de tutelles aux prestations sociales, peut nécessiter un lourd investissement tandis que la charge d'une personne sous tutelle sans biens, disposant du minimum vieillesse et placée en établissement peut être infiniment plus légère ;
- en fonction du temps : le coût de la mesure diminue et se stabilise, après la période qui suit la décision judiciaire. Les premières semaines voire les premiers mois d'exécution d'une mesure représentent une charge de travail maximum, qui va le plus souvent en diminuant au fur et à mesure des années. Occasionnellement, elle peut cependant s'alourdir considérablement selon les circonstances.
Aussi le législateur a-t-il mis en place, à titre expérimental, une technique de financement global des mesures de protection dans le cadre de la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance. Son article 17 a ainsi autorisé le Gouvernement à « expérimenter un mode de financement prévoyant, suivant des modalités fixées par décret, le versement de dotations globales de financement aux personnes morales publiques ou privées à qui le juge des tutelles confie l'exercice des mesures de protection juridique mentionnées aux articles 491, 492 et 508 du code civil et de tutelle aux prestations sociales des personnes majeures définies au chapitre VII du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale ainsi qu'aux établissements de santé et aux établissements sociaux ou médico-sociaux dont un préposé a été nommé par le juge des tutelles, en application de l'article 499 du code civil, gérant de la tutelle . »
En application de cette disposition, des dotations globales sont en conséquence versées respectivement :
- par l'Etat, pour le financement des mesures de protection juridique mentionnées aux articles 491, 492, 499 et 508 du code civil ;
- par les organismes débiteurs des prestations sociales concernées auxquels incombent, dans le département, le règlement des frais du plus grand nombre de mesures de TPSA.
Le montant de la dotation globale de financement, versée annuellement, est fixé grâce à un calcul tenant compte de la nature des mesures de protection concernées, de l'évolution prévisible de leur nombre pour l'exercice concerné et des prélèvements sur ressources effectués sur le patrimoine des personnes protégées. Chaque mesure se voit à cet effet accorder un nombre de points 145 ( * ) dont le montant, affecté d'un pourcentage permettant de prendre en compte l'évolution prévisible de l'activité de gérance, permet au gérant de mesures de proposer à la DDAS un projet de dotation, celle-ci étant en dernier déterminée par la DDAS. En fin d'exercice, un contrôle du compte administratif est exercé : si la dotation n'a pas été intégralement consommée, les sommes restantes viennent, le cas échéant, en déduction des sommes versées au titre de la dotation de l'exercice suivant ; dans le cas inverse, une dotation complémentaire peut, le cas échéant, si le dépassement de la dotation initiale peut s'expliquer par une augmentation non prévisible du nombre de mesures, être affectée au gérant, à l'appréciation de la DDAS.
Le financement des mesures de protection dans le cadre d'une dotation globale a été expérimenté dans 27 départements 146 ( * ) . Selon la DGAS, les économies réalisées grâce au recours au système de la dotation globale se sont élevées en 2006 à 6,3 millions d'euros. Le gain estimé d'une généralisation du dispositif à l'ensemble des départements français, en 2009, serait de l'ordre de 28,2 millions d'euros.
2. Le dispositif proposé par le projet de loi
Le dispositif proposé s'inscrit parmi les règles applicables aux établissements et services sociaux et médico-sociaux qui se verront confier l'exercice de mesures de protection juridique des majeurs.
Pour autant, s'il concerne au premier chef les services mettant en oeuvre des mesures de protection des majeurs ordonnées par l'autorité judiciaire au titre du mandat spécial dans le cadre de la sauvegarde de justice ou au titre de la tutelle, de la curatelle ou de la mesure d'accompagnement judiciaire, tels qu'ils sont définis par l'article 10 du présent projet de loi, ce dispositif s'applique également :
- aux personnes physiques exerçant à titre individuel et habituel de telles mesures de protection, telles qu'elles sont définies par l'article 462-1 nouveau du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction issue de l'article 14 du projet de loi. En effet, l'article L. 462-3 nouveau du code de l'action sociale et des familles, tel que rédigé par ce même article du projet de loi, précise que le financement des mesures effectuées par ces professionnels individuels interviendra dans les conditions prévues par le présent article L. 361-1 ;
- aux agents des établissements hébergeant des personnes âgées ou des adultes handicapés désignés par ceux-ci, en application de l'article L. 462-6 nouveau du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction issue de l'article 14 du projet de loi, pour exercer des mesures de protection des majeurs . Le financement des mesures exercées par ces agents interviendra en effet, en application de l'article L. 465-9 du même code, dans les conditions prévues par le présent article L. 361-1.
Ce financement public interviendra, en tout état de cause, à défaut ou déduction faite de la prise en charge par la personne protégée des mesures de protection ordonnées à son profit , le principe de la participation de celle-ci au financement des prestations étant affirmé tant par l'article 419 du code civil dans sa rédaction issue de l'article 5 du présent projet de loi que par l'article L. 461-4 nouveau du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction résultant de l'article 9 du projet de loi.
* 142 En revanche, il n'existe pas de « sauvegarde d'Etat » ce qui implique qu'actuellement, le financement du mandat spécial dans le cadre de cette mesure de protection ne fait pas l'objet d'un financement public.
* 143 Il s'agit des prestations familiales, de l'allocation de logement social, de l'aide personnalisée au logement, de l'allocation compensatrice de tierce personne, de l'allocation représentative de services ménagers, des allocations secours temporaires et produits exceptionnels, de la prime pour l'emploi et de l'allocation personnalisée d'autonomie.
* 144 Rapport précité, p. 15.
* 145 Une mesure de tutelle en « autonomie » est cotée pour 1 point ; une curatelle renforcée pour 1,3 points, une curatelle simple pour 1 point, un mandat spécial au titre d'une sauvegarde de justice pour 2 points (seulement pendant six mois compte tenu du caractère temporaire inhérent à cette mesure). Cette cotation est affectée d'un coefficient correcteur de 0,4 lorsque la mesure s'exerce à l'égard d'une personne placée en établissement. Une sur-cotation intervient dans les trois premiers mois de la mesure et dans les trois derniers mois de celle-ci.
* 146 Alpes-maritimes, Var, Finistère, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Côtes d'Armor, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe, Vendée, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Moselle, Vosges, Nièvre, Nord, Pas-de-Calais, Seine-maritime, Eure, Seine-et-Marne, Val-d'Oise, Deux-Sèvres, Vienne, Charente, Charente-maritime et Savoie .