EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La commission des lois a été saisie au fond de la proposition de loi n° 176 (2008-2009) visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l'accès des travailleurs étrangers à l'exercice de certaines professions libérales ou privées, présentée par notre collègue Mme Bariza Khiari et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés. Ce texte a été déposé le 21 janvier 2009.

A l'occasion de l'examen de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, le premier signataire de la proposition de loi avait déjà soulevé le problème de la condition de nationalité pour l'exercice de certaines professions réglementées en déposant un amendement tendant à supprimer cette condition pour l'exercice de la profession d'architecte 1 ( * ) .

Le Gouvernement avait émis un avis défavorable en considérant que cette question ne relevait pas du projet de loi examiné et qu'elle ne saurait être abordée de manière satisfaisante au travers du seul cas des architectes. Mme Nadine Morano, secrétaire d'Etat à la famille, avait ajouté que cette question devait « faire l'objet d'un traitement global et être posée pour l'ensemble des professions réglementées ».

Sans prétendre à l'exhaustivité, la présente proposition de loi répond à cette observation en supprimant la condition de nationalité pour l'exercice de dix professions réglementées : médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme, pharmacien, vétérinaire, avocat, architecte, géomètre expert, expert-comptable, conférencier national et guide-interprète.

Elle fait suite à plusieurs rapports déjà anciens 2 ( * ) soulignant l'impossibilité ou les difficultés pour les étrangers extracommunautaires d'accéder à de nombreux emplois relevant soit de la fonction publique, soit d'une cinquantaine de professions réglementées, sans que les raisons de ces restrictions apparaissent clairement.

Après avoir entendu des représentants de l'ensemble des professions concernées par la proposition de loi, votre rapporteur s'est attaché à vérifier, profession par profession, si des motivations légitimes pouvaient justifier le maintien d'une condition de nationalité.

I. DE NOMBREUSES PROFESSIONS DONT L'ACCCÈS EST DIFFICILE OU IMPOSSIBLE AUX ÉTRANGERS

A titre préalable, il convient de préciser que les conditions de délivrance et de renouvellement des titres de séjour et des autorisations de travail en application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne seront pas développées ci-après. Elles ont toutefois un effet sur l'accès à l'emploi des étrangers. Mais cette contrainte n'est pas spécifique aux professions évoquées ci-après.

A. DES PROFESSIONS VARIÉES ET DE NATURES DIFFÉRENTES

Citant plusieurs études, l'exposé des motifs de la proposition de loi indique qu' « au total, près de sept millions d'emplois (...) seraient interdits partiellement ou totalement aux étrangers, soit 30 % de l'ensemble des emplois ».

1. Des conditions cumulatives ou alternatives de diplôme et de nationalité

Deux niveaux de restriction peuvent être distingués : la condition de diplôme et la condition de nationalité.

La condition de nationalité est celle dont l'effet est le plus direct sur l'accès à certaines professions. Le plus souvent, les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen n'y sont pas soumis.

La condition de nationalité est également assouplie pour certaines professions par la condition de réciprocité. Les étrangers originaires de pays reconnaissant aux Français les mêmes droits que leurs ressortissants pour l'accès à ces professions réglementées peuvent également exercer en France. Cette condition de réciprocité lorsqu'elle est utilisée de bonne foi est alors un moyen de pression pour ouvrir certains pays aux praticiens français. C'est en particulier le cas pour les professions soumises à une concurrence internationale comme celle des avocats.

La condition de diplôme et de formation a un effet indirect, mais concrètement très important, sur l'accès des étrangers à certaines professions.

Au sens de l'article 1 er de la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, une « profession réglementée » est précisément « une activité professionnelle dont l'accès ou l'exercice, ou une des modalités d'exercice dans un État membre est subordonné, directement ou indirectement par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ».

L'exigence d'un diplôme français peut toutefois être atténuée par des procédures de vérification des connaissances acquises ou de validation des expériences professionnelles. Le passage devant une commission ad hoc chargée d'examiner chaque demande individuelle est la procédure habituelle.

Incidemment, cette condition de diplôme pèse également sur les Français qui ne sont pas titulaires d'un diplôme reconnu. Il n'y a donc pas de discriminations entre les nationaux et les étrangers.

On notera qu'à la suite notamment de la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, la plupart des diplômes délivrés par les Etats de l'Union européenne pour l'exercice de professions comparables permettent également de satisfaire à la condition de diplôme en France.

Toutefois, même dans ce dernier cas, il n'existe pas d'équivalence réglementaire entre diplômes français et diplômes étrangers. Les titulaires de diplômes étrangers peuvent obtenir une reconnaissance de leur niveau d'études par la France. Mais il ne s'agit pas d'une validation de leur diplôme. S'ils envisagent de poursuivre ou de reprendre leurs études en France, chaque établissement détermine à quel niveau correspond la formation qu'ils ont reçue dans leur pays.

Certaines professions font l'objet de la double restriction (condition de nationalité et de diplôme). C'est notamment le cas des professions médicales pour lesquelles une troisième contrainte vient se greffer. Si des procédures existent pour autoriser des étrangers à exercer pleinement en France, le nombre de places est en revanche limité chaque année.

2. Dans la fonction publique

Les emplois fermés aux étrangers se trouvent en nombre avant tout dans le secteur public. Les emplois de titulaires dans les trois fonctions publiques (étatique, hospitalière et territoriale) sont interdits aux étrangers non communautaires et représentent près de 5,2 millions d'emplois.

A ceux-là, se sont longtemps ajoutés les emplois de certaines entreprises sous statut gérant des services publics (La Poste, EDF-GDF, Air France) et des établissements publics industriels et commerciaux. Toutefois, des privatisations et des modifications réglementaires en ont réduit le nombre. La RATP et la SNCF ont ainsi récemment modifié leur statut.

3. Dans le secteur privé

Les rapports précités identifient une cinquantaine de professions faisant l'objet de restrictions explicites liées à la nationalité, parmi lesquelles :

- 17 professions fermées à tous les ressortissants étrangers ;

- 15 professions ouvertes uniquement aux ressortissants d'Etats membres de l'Union européenne et d'Etats parties à l'accord sur l'Espace économique européen ;

- 20 professions ouvertes aux ressortissants communautaires ainsi qu'aux ressortissants d'Etats liés avec la France par une convention de réciprocité pour une ou plusieurs professions. A titre d'exemple, un accord franco-québécois devrait prochainement ouvrir plusieurs professions réglementées comme celles d'avocats et d'architecte. Par ailleurs, dans le cadre de l'OMC, la réciprocité est considérée satisfaite entre tous les Etats membres(153) pour l'exercice de plusieurs professions, notamment celles d'avocat et d'expert-comptable.

Toutefois, lors de son audition, M. Louis Schweitzer, président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), a indiqué que son comité consultatif avait été chargé de mettre à jour la liste établie en 1999 par le rapport « Brunhes ». En effet, certaines professions, à la suite de modifications législatives ou réglementaires ou sous l'influence de la Cour de justice des communautés européennes, sont désormais ouvertes aux étrangers.

Parmi les professions totalement ou partiellement fermées, on peut distinguer notamment :

- des professions libérales organisées sous forme ordinale (avocats, médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, experts-comptables, architectes, pharmaciens, géomètres experts, vétérinaires). Ces professions représentent plus de 600.000 emplois ;

- les officiers publics ou ministériels comme les notaires, huissiers et avoués auprès des Cours d'appel. Ces professions sont réservées aux ressortissants français ;

- des métiers de la communication (directeurs de publication de presse, membres du comité de rédaction d'une entreprise éditant des publications destinées à la jeunesse...) ;

- quelques activités commerciales comme les débitants de tabac ou les dirigeants de casino ;

- des métiers de la sécurité privée (dirigeant d'une société de sécurité privée).

* 1 Amendement n° 23 de Mme Bariza Khiari. Voir le compte-rendu de la séance du 9 avril 2008.

* 2 On citera notamment :

- le rapport remis en novembre 1999 au ministre de l'emploi et de la solidarité par le cabinet Bernard Brunhes Consultants ;

- le rapport du Groupe d'étude sur les discriminations (GED) de mars 2000 :« Une forme méconnue de discrimination : les emplois fermés aux étrangers (secteur privé, entreprises publiques, fonctions publiques) ».

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