EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La commission des lois a été saisie au fond de la proposition de loi n° 263 (2008-2009) relative au transfert du contentieux des décisions de refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile, présentée par notre collègue François-Noël Buffet. Déposé le 11 mars 2009, ce texte tend à transférer ce contentieux du tribunal administratif de Paris à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

En effet, la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, dont notre collègue François-Noël Buffet fut le rapporteur, a créé un recours en annulation de plein droit suspensif contre les décisions de refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile. Ces décisions étant prises par le ministre chargé de l'immigration, les recours s'exercent devant le tribunal administratif de Paris.

Simultanément, cette loi a initié la réforme de la commission des recours des réfugiés (CRR), juridiction administrative à compétence nationale chargée de statuer sur les recours formés contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) 1 ( * ) , en la rebaptisant Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Ce changement de dénomination devait, d'une part, donner à la CRR l'apparence de ce qu'elle est réellement et, d'autre part, conduire le Gouvernement à mettre en oeuvre rapidement l'autonomie budgétaire et administrative de la Cour vis-à-vis de l'OFPRA, ainsi que le renforcement de ses moyens.

Dans son rapport au nom de la commission des lois 2 ( * ) , notre collègue François-Noël Buffet souhaitait par ailleurs que la réforme de la CNDA fût l'occasion d'engager une réflexion sur son champ de compétence. La CNDA étant la juridiction spécialisée en matière d'asile, il pouvait y avoir une certaine cohérence à lui confier aussi les recours contre les décisions de refus d'entrée sur le territoire au titre de l'asile. Notre collègue appelait de ses voeux la constitution d'un groupe de travail.

Etudiée par la commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique de l'immigration, présidée par M. Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, cette piste de réforme est devenue l'une de ses propositions. Dans son rapport de juillet 2008, elle estime que « ce transfert [de compétences] aurait l'intérêt d'unifier le contentieux des demandeurs d'asile sur un juge spécialisé, plus qualifié en la matière que le juge administratif de droit commun ». La présente proposition de loi tend à le mettre en oeuvre.

Les auditions ouvertes à l'ensemble des membres de la commission, auxquelles votre rapporteur a procédé, ont été très contrastées. Alors que cette réforme peut apparaître avant tout comme une simplification et une rationalisation, elle révèle différentes conceptions du degré de contrôle des faits fondant une admission sur le territoire au titre de l'asile. Faut-il un examen sommaire auquel cas aucune compétence particulière en matière d'asile ne serait nécessaire ? Dans l'hypothèse contraire, un examen plus circonstancié ne devrait-il pas être logiquement confié à une autorité spécialisée ? Mais cette solution ne risque-t-elle pas de transformer de facto la demande d'asile à la frontière -simple mesure de police administrative à ce jour- en une sorte d'examen en urgence d'une demande de reconnaissance du statut de réfugié ?

I. L'ASILE À LA FRONTIÈRE : UN ÉQUILIBRE DÉLICAT

A. UN ENCADREMENT LÉGAL DE PLUS EN PLUS SPÉCIFIQUE

1. La décision d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile

Créée en 1982 3 ( * ) , la procédure de l'asile à la frontière a pour objet d'autoriser ou non à pénétrer sur le territoire français les étrangers qui se présentent aux frontières aéroportuaire, ferroviaire ou maritime démunis des documents requis et demandent à y être admis au titre de l'asile. Elle est distincte de la procédure de reconnaissance du statut de réfugié et ne préjuge en aucun cas de l'issue de celle-ci.

En effet, pour déposer une demande d'asile en France auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), un étranger doit se trouver sur le territoire français .

Il peut y être entré régulièrement, à quelque titre que ce soit (visite familiale, professionnelle, touristique...) ou à la suite de la délivrance par un consulat français d'un visa dit « au titre de l'asile ». Il peut aussi y être entré irrégulièrement sans avoir été contrôlé.

Enfin, s'il se présente à la frontière sans être muni des documents requis, il ne peut déposer une telle demande que s'il lui est préalablement donné accès au territoire. Deux hypothèses sont alors envisageables : soit il entre pour un autre motif que l'asile (impossibilité de l'éloigner, fin du maintien en zone d'attente par le juge des libertés et de la détention...), soit sa demande d'admission sur le territoire français au titre de l'asile a été acceptée.

Dans cette dernière hypothèse dont traite la proposition de loi, le ministre chargé de l'immigration 4 ( * ) est seul compétent pour prendre la décision d'entrée en France, après avis de l'OFPRA qui procède à l'audition de l'étranger 5 ( * ) .

Cette procédure a été complétée en 1992 avec la création des zones d'attente 6 ( * ) .

L'article L. 221-1 du CESEDA 7 ( * ) précise ainsi que « l'étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui, soit n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l'asile, peut être maintenu dans une zone d'attente (...) pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s'il est demandeur d'asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée ».

L'étranger qui sollicite l'asile à la frontière peut le faire dès son arrivée ou à tout moment durant son maintien en zone d'attente. Il ne peut pas être éloigné avant que le ministre de l'immigration se soit prononcé sur le caractère manifestement infondée ou non de sa demande. En sens inverse, l'étranger peut être maintenu en zone d'attente, y compris lorsque la durée maximale normale de vingt jours de ce maintien est atteinte 8 ( * ) .

L'introduction dans la loi du caractère « manifestement infondé » de la demande d'asile pour fonder une décision de refus est la conséquence d'une réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 février 1992 9 ( * ) .

En cas d'admission, la police aux frontières délivre un sauf conduit, qui donne huit jours à son bénéficiaire pour formuler une demande d'asile dans le cadre des procédures d'asile de droit commun.

Une décision de non admission se traduit par la possibilité de refouler immédiatement l'intéressé vers son pays d'origine ou le pays d'où il vient.

* 1 L'OFPRA est un établissement public dont la mission est de reconnaître la qualité de réfugié ou d'accorder le bénéfice de la protection subsidiaire aux personnes remplissant les conditions exigées, en particulier en application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

* 2 Rapport n° 470 rectifié (2006-2007), page 30.

* 3 Décret n° 82-442 du 27 mai 1982 pris en application de l'article 1 er de la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 (« Tout refus d'entrée doit faire l'objet d'une décision écrite, prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil d'Etat, spécialement motivée d'après les éléments de l'espèce. ») et désormais codifié à l'article R. 213-3 du CESEDA.

* 4 Article R. 213-3 du CESEDA. Avant le décret n° 2008-702 du 15 juillet 2008, cette décision appartenait au ministre de l'intérieur.

* 5 Article R. 213-2 du CESEDA. Jusqu'en 2004, il s'agissait d'un avis du ministre des affaires étrangères.

* 6 Loi n° 92-625 du 6 juillet 1992.

* 7 Ancien article 35 quater de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers.

* 8 L'article L. 222-2 du CESEDA dispose que lorsque la demande d'asile à la frontière est déposée dans les six derniers jours de la dernière période de prolongation du maintien en zone d'attente, celle-ci est prorogée d'office de six jours à compter du dépôt de la demande.

* 9 Décision° 92-307 DC du 25 février 1992 sur la loi n° 92-190 du 26 février 1992 portant modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945, considérant n° 11.

Page mise à jour le

Partager cette page