TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 3 février 2010 , sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis d' Annie David sur la proposition de loi n° 194 rectifié (2009-2010), présentée par elle-même et plusieurs de ses collègues, visant à supprimer la fiscalisation des indemnités journalières versées aux victimes d' accident du travail , à instaurer la réparation intégrale des préjudices subis par les accidentés du travail et à intégrer le montant des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles versé par les entreprises dans leur chiffre d'affaires soumis à l' impôt sur les sociétés .

Annie David, rapporteure, a rappelé qu'en matière d'indemnisation des accidentés du travail, la première loi, votée après une vingtaine d'années de débat parlementaire, remonte à 1898 pour répondre à l'insécurité sociale subie alors par les travailleurs, tant les conditions d'embauche et de travail étaient difficiles. D'autres lois ont suivi, dans le même objectif, jusqu'à la création de la sécurité sociale en 1946. Or, on constate désormais l'effritement du système social, qui explique le dépôt de cette proposition de loi par le groupe CRC-SPG. Son objectif est triple :

- d'une part, revenir sur la fiscalisation partielle des indemnités journalières versées en cas d'accident du travail qui vient d'être votée en loi de finances pour 2010 ;

- d'autre part, améliorer le montant des indemnisations servies dans cette hypothèse ;

- enfin, pour favoriser la prévention des accidents, soumettre à l'impôt sur les sociétés les cotisations patronales accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), qui en sont aujourd'hui exonérées.

La fiscalisation des indemnités journalières consiste à intégrer, dans le revenu imposable des personnes victimes d'un accident du travail, la moitié des sommes qui leur sont versées par la branche AT-MP de la sécurité sociale. Ces indemnités correspondent à 60 % du salaire journalier jusqu'au vingt-huitième jour de l'arrêt de travail et à 80 % au-delà ; leur versement s'interrompt dès lors que la victime est pleinement rétablie ou qu'une incapacité permanente est reconnue, ce qui entraîne le versement d'une rente. Pendant plusieurs années, la commission s'est opposée au principe de fiscalisation proposé, au cours des derniers débats budgétaires, par la commission des finances. Selon Annie David, rapporteure, c'était avec raison et il faut regretter que le Sénat s'y soit finalement rallié en décembre dernier.

En effet, au-delà même de l'amputation de revenu qui en résulte pour les victimes, la fiscalisation marque une nouvelle étape dans la mutation du rapport au travail : elle accrédite l'idée que l'indemnité journalière est une mesure de maintien du revenu, et non l'indemnisation d'un préjudice. En témoigne le fait que les rentes et indemnités versées aux victimes de dommages autres que professionnels ne sont pas imposables en application de l'article 885 K du code général des impôts. En affirmant que les indemnités journalières, par opposition aux rentes, ne constituent pas une compensation mais un revenu, on affirme aussi que le risque fait partie du travail du salarié et qu'il doit l'assumer tant que le dommage causé n'est pas irrémédiable.

Qui plus est, cette évolution remet en cause le fondement même de la loi de 1898 qui, en remplaçant la notion de responsabilité par celle de risque, avait permis :

- aux salariés, de bénéficier d'une présomption d'imputabilité de l'accident au travail, ce qui leur évite d'avoir à faire la preuve de la responsabilité de l'employeur et permet une indemnisation rapide ;

- aux employeurs, de s'assurer collectivement contre le risque lié aux accidents et de verser des compensations d'un montant moins élevé : le préjudice subi est en effet réparé forfaitairement, et non pas intégralement comme c'est le cas lors d'une condamnation en responsabilité civile.

Or, s'il est logique que seul l'employeur cotise au régime AT-MP, puisque c'est lui qui fait assumer un risque au salarié, le fait de fiscaliser les indemnités journalières reporte une part du risque sur le salarié, en oubliant le lien de subordination qui le lie à son employeur.

Cette évolution n'est, à son sens, pas acceptable, dans la mesure où elle ne fait qu'accentuer l'érosion progressive des droits des salariés résultant de la mutation des modèles de production, qui conduit à faire peser sur les salariés la responsabilité de s'auto organiser, et donc d'être adaptables, réactifs et disposés à prendre des risques. Cette incitation à la prise de risque, au moment où les formes collectives de travail les plus protectrices disparaissent, aboutit nécessairement à des accidents et à une augmentation du mal-être au travail. Ce faisant, on revient aussi sur l'inconditionnalité des droits sociaux, au profit d'une logique de contrepartie.

Pour ces motifs, la proposition de loi souhaite rétablir l'exonération fiscale des indemnités journalières, leur fiscalisation n'ayant d'ailleurs qu'un rendement attendu faible, soit 135 millions d'euros.

Au-delà de cette mesure, le texte propose aussi d'améliorer l'indemnisation des accidents du travail car, contrairement à une image trop souvent véhiculée par la presse, les victimes d'AT-MP sont moins bien indemnisées que les autres :

- tout d'abord, d'autres lois, et plus particulièrement celle du 5 juillet 1985 relative aux victimes d'accidents de la route, sont allées au bout de la logique assurantielle et ont prévu une réparation intégrale, et non pas forfaitaire, du préjudice. Ceci aboutit au paradoxe qu'un accident de trajet domicile-travail sera indemnisé forfaitairement et qu'un accident de la route le sera intégralement, alors que les préjudices peuvent être les mêmes ;

- par ailleurs, les critères de mise en cause de la responsabilité civile ont été progressivement assouplis. A la suite du drame de l'amiante, la Cour de cassation a jugé, en 2002, que l'employeur a « une obligation de sécurité de résultat » et que le manquement à cette obligation présente le caractère d'une faute inexcusable. Dès lors, une réparation intégrale est possible pour la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle à condition de se tourner vers les tribunaux pour engager la responsabilité civile de l'employeur.

L'intérêt du régime des AT-MP s'en trouve nécessairement amoindri et la cohérence, autant que la justice, voudrait que l'on abandonne l'indemnisation forfaitaire pour passer à une indemnisation intégrale du préjudice. De nombreux rapports ont été écrits sur cette question depuis 1991 mais les partenaires sociaux n'ont pas retenu l'indemnisation intégrale pour des raisons de coût. La proposition de loi soutient donc le choix politique d'établir la réparation intégrale du préjudice, dès le stade des indemnités journalières.

Annie David, rapporteure, a ensuite indiqué que son rapport écrit distinguera clairement sa position et celle de la commission dans l'hypothèse où, en vertu de l'accord politique conclu entre les présidents de groupe, la commission déciderait de ne pas adopter de texte afin que le débat s'ouvre, en séance publique, sur la version initiale de la proposition de loi.

Elle a ensuite détaillé le contenu des sept articles :

- l'article 1 er propose de supprimer la fiscalisation des indemnités journalière telle que prévue par l'article 85 de la loi de finances pour 2010 ;

- l'article 2 pose le principe de la réparation intégrale du préjudice subi au titre d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ;

- l'article 3 précise les différents types de préjudices indemnisés par le régime AT-MP afin d'aboutir à une compensation intégrale, y compris le préjudice moral subi par la famille. Le coût de cette mesure a été évalué par le rapport Laroque de 2004 à 3 milliards d'euros. Ce coût peut paraître important, rapporté au budget de la branche AT MP -environ 10 milliards dont 7,3 milliards de prestations directes- mais il faut rappeler qu'aujourd'hui les différents préjudices, et singulièrement ceux liés au recours à l'aide d'une tierce personne ou aux aménagements résultant d'une incapacité permanente, sont supportés par les départements au titre des prestations compensatrices du handicap. Or, il n'est pas légitime que la collectivité nationale assume des charges qui relèveraient, dans le cadre d'un contentieux de la responsabilité civile, de l'employeur ;

- l'article 4 prévoit que le calcul des rentes se fera à partir du taux réel d'incapacité. Il supprime donc, d'une part, la référence actuelle au taux minimal d'incapacité de 10 %, au-dessous duquel aucune rente n'est due, d'autre part, la possibilité pour la caisse de moduler la rente. Dès lors, toute incapacité permanente ou cumul d'incapacités permanentes ouvriraient droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité. Le coût de cette mesure est estimé à 2,98 milliards d'euros, dont 2,2 milliards résultant de la suppression de la possibilité de moduler le taux de la rente en fonction de la gravité de l'incapacité ;

- l'article 5 fixe le montant de l'indemnité journalière au niveau du salaire net perçu, et non plus à 60 % ou 80 % du salaire journalier de base. Le coût de cette disposition est estimé à 160 millions d'euros ;

- l'article 6 tend à réintégrer, dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés, les 10 milliards d'euros de cotisations versés au titre du régime AT-MP et qui sont, pour l'instant, exclus de l'assiette de l'impôt. Ceci aurait pour vertu d'augmenter les recettes de l'Etat et donc de participer à la compensation des sommes déjà versées par les départements en raison de la non-compensation intégrale du préjudice par le régime AT-MP. Par ailleurs, cette mesure serait de nature à renforcer l'incitation, pour les entreprises, à adopter des mesures de prévention. Elle est susceptible de rapporter au budget de l'Etat jusqu'à 2 milliards d'euros par an ;

- enfin, l'article 7 gage les conséquences financières liées à la proposition de loi par un accroissement de la taxation sur les revenus du capital qui bénéficient d'une fiscalité allégée.

Gérard Dériot a indiqué comprendre la démarche des auteurs de la proposition de loi mais a indiqué que la mesure de fiscalisation à 50 % des indemnités journalières répond à un souci d'une certaine moralisation, en réponse à la disparité entre le régime applicable aux indemnités servies par la branche AT-MP, d'une part, et par la branche maladies, d'autre part. De fait, l'indemnité journalière n'est pas la compensation du préjudice subi mais bien un revenu de substitution en raison de l'absence de travail. L'impact de la fiscalisation sera de toute façon limité car un grand nombre de victimes appartiennent à des foyers non imposables. Concernant le choix de l'indemnisation forfaitaire, il ne convient pas de le remettre en cause dans la mesure où il résulte de la négociation entre partenaires sociaux.

Catherine Procaccia a souligné qu'elle avait voté sans enthousiasme la fiscalisation des indemnités journalières car la commission des affaires sociales s'était toujours opposée à une telle mesure. Cependant, après la validation de cette disposition par le Conseil constitutionnel, et à peine trois mois après le vote de la loi de finances, il n'est pas opportun de revenir sur cette mesure.

Par ailleurs, la volonté de réintégrer les cotisations au régime AT-MP dans la base de l'impôt sur les sociétés relève, à son sens, d'une vision archaïque des relations de travail. Il est excessif de faire porter sur l'employeur la présomption de responsabilité et de l'imposer de surcroît : il n'est pas contestable qu'un nombre important d'accidents de travail ou de trajet résultent en fait de l'imprudence du salarié.

Sylvie Desmarescaux a déclaré ne pas partager les conclusions de ce rapport, par ailleurs excellemment présenté. La fiscalisation partielle des indemnités journalières constitue une mesure de justice au regard des arrêts maladie et ne pénalisera qu'à la marge les salariés. En matière de responsabilité, il faut aussi se garder de considérer que ce sont toujours les entreprises ou les collectivités territoriales qui sont en faute.

Claude Jeannerot a souligné le paradoxe résultant du fait d'avoir uniformisé le statut fiscal des indemnités journalières servies par les différentes branches de la sécurité sociale mais pas celui des rentes. Cela indique en fait que les indemnités journalières versées au titre des accidents du travail constituent bien la réparation d'un préjudice.

Jean-Pierre Godefroy a insisté sur le fait que la commission des affaires sociales s'était toujours opposée à la fiscalisation des indemnités journalières. Les partenaires sociaux se sont également prononcés contre cette mesure car elle entraînera nécessairement de nouvelles négociations dans lesquelles le patronat n'est pas prêt à s'engager. Il a déclaré douter de la faiblesse effective de l'impact de la mesure sur les revenus des salariés victimes. Par ailleurs, la différence de traitement entre les victimes d'accidents du travail et les autres, qui perçoivent une indemnisation intégrale, n'est pas justifiable.

La commission des affaires sociales devrait, à son sens, adopter la suppression de la fiscalisation, par cohérence avec sa position passée constante, et accepter que s'ouvre le débat sur l'indemnisation intégrale des victimes des accidents du travail. Les 3 milliards que coûterait cette indemnisation correspondent exactement au transfert auquel la branche se trouve contrainte, du fait de la sous-déclaration des accidents et de l'indemnisation des victimes de l'amiante. Ces charges ne devraient pas lui incomber et elle serait alors en mesure d'indemniser intégralement les victimes à budget constant.

Isabelle Pasquet a considéré à son tour que les indemnités journalières constituent la compensation d'un préjudice et pas un revenu. En effet, elles ne prennent pas en compte les revenus réels et, notamment, les primes. Concernant la question de la responsabilité, on constate dans les faits que l'employeur est le plus souvent à l'origine du dommage et il incombe, de toute façon, au législateur de protéger le plus faible, c'est-à-dire le salarié.

Jacky Le Menn a jugé que le problème de fond est de savoir si les indemnités journalières sont un revenu ou la compensation du préjudice subi.

Catherine Procaccia a répondu que le Conseil constitutionnel a tranché cette question et reconnu le caractère mixte des indemnités journalières servies par la branche AT-MP.

Jacky Le Menn a estimé néanmoins qu'il faut décider qui doit supporter le risque lié au travail. On ne peut considérer que le salarié est dans la même position que l'employeur de ce point de vue.

Yves Daudigny a affirmé l'intérêt de la proposition de loi pour lutter contre l'érosion progressive des droits des salariés, partageant en cela les analyses de ses collègues du groupe socialiste.

Alain Milon a fait observer que, concrètement, le médecin qui traite une personne ayant subi un accident du travail ne se préoccupe pas du préjudice mais des soins à apporter. Ce n'est que plus tard que d'autres médecins se prononcent sur l'incapacité. Il y a donc bien une logique différente derrière les indemnités journalières et la rente.

Gérard Dériot a insisté sur le fait que les indemnités journalières ne rentrent pas dans le cadre de l'indemnisation. La fiscalisation partielle est une évolution nécessaire et son impact sera nécessairement faible en raison de la progressivité de l'impôt sur le revenu dont 50 % des foyers sont d'ailleurs exonérés.

Jean-Pierre Cantegrit a signalé qu'en pratique, pour les accidents de travail de courte durée, les employeurs individuels préfèrent souvent maintenir l'intégralité du salaire. Dès lors, la fiscalisation du revenu est logiquement maintenue.

Jean-Pierre Godefroy a estimé que de telles pratiques sont une des causes de la sous-déclaration des accidents du travail. Celle-ci fait peser sur la branche maladie des dépenses qui ne lui incombent pas et ne permet pas la mise en oeuvre de mesures de prévention.

En fait, la fiscalisation des indemnités journalières résulte de la volonté du Gouvernement de trouver des ressources fiscales nouvelles. La même logique est à l'oeuvre dans le décret récent qui impose la prise en compte du seul salaire de base pour l'établissement du montant de la retraite anticipée servie par le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcataa), contrairement à la jurisprudence de la Cour de cassation. L'allocation servie étant de 65 % du salaire de référence, ce décret aboutira en pratique à empêcher les salariés de prendre leur préretraite. Il convient de réfléchir à des mesures plus efficaces et moins socialement injustes pour trouver des ressources fiscales.

Bernard Cazeau a déclaré que la question de l'imposition est un point secondaire. La législation a une portée compensatoire qui tient compte de la détresse des victimes et de la longueur des procédures de décisions d'indemnisation. Il s'agit donc d'un problème politique et c'est pour cette raison qu'il votera pour l'adoption de la proposition de loi.

Patricia Schillinger a fait part de son expérience personnelle et du caractère compensatoire des indemnités journalières. Celui-ci s'oppose à ce qu'il y ait une fiscalisation même partielle.

Jean Desessard a indiqué qu'il votera également pour la proposition de loi.

Annie David, rapporteure, s'est réjouie de la richesse des échanges qui montre que tous ont le souci de permettre une indemnisation adéquate des accidents du travail même si les principes ne sont pas les mêmes. Si l'on affirme que la fiscalisation est une mesure d'équité, il faut en conclure que la part compensatrice du préjudice dans les indemnités journalières n'est que de 10 % du salaire dans les vingt-huit premiers jours, ce qui est fort peu. S'agissant de la responsabilité des salariés dans certains accidents, il convient de se défier des cas individuels et de se référer au cas général qui montre effectivement la responsabilité de l'employeur. Elle a indiqué à Sylvie Desmarescaux que si un salarié est responsable d'un accident, cela exonère l'employeur.

Sylvie Desmarescaux a précisé qu'il faut toujours prendre en compte la dimension humaine de tels drames. Les départements assurent de toute façon la compensation du préjudice lorsqu'il y a incapacité ou handicap.

Annie David, rapporteure, a rappelé que la législation, en matière d'indemnisation des victimes, a évolué et que le régime des accidents du travail indemnise aujourd'hui moins bien comparativement. Certes, les différents préjudices sont compensés pour les victimes des accidents du travail mais il faut savoir à qui il revient de payer. Il n'y a pas de raison que les départements le fassent à la place des employeurs.

La commission a ensuite examiné les deux amendements déposés par les membres du groupe socialiste sur cette proposition de loi.

A l'article 3 (précision des préjudices compris dans l'indemnisation et précision des personnes admises au bénéfice d'un dédommagement au titre du préjudice moral), Annie David, rapporteure, a donné un avis favorable à l'amendement n° 1 dont la rédaction paraît techniquement mieux adaptée.

La commission n'a pas adopté cet amendement.

A l'article 4 (utilisation pour le calcul des rentes du véritable taux d'incapacité, dit aussi « taux médical »), en dépit de l'avis favorable de son rapporteur à l'amendement n° 2 tendant à élargir le champ de la mesure proposée, la commission n'a pas adopté cet amendement.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de ne pas établir de texte pour la proposition de loi. En conséquence, le débat portera, en séance publique, sur le texte tel que déposé par ses auteurs.

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