II. LA VOLONTÉ D'UNE PRISE EN CHARGE PLUS EFFICACE DES DÉLINQUANTS SEXUELS

La lutte contre la récidive des délinquants sexuels constitue l'un des principaux objectifs de la législation pénale depuis la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs. Le présent projet de loi s'inscrit également dans cette perspective. Quel bilan peut-on dresser des efforts engagés dans ce domaine depuis la dernière décennie ?

Selon l'annuaire de la justice (édition 2008), le nombre de condamnations pour atteintes sexuelles est passé de 10.382 en 2002 à 12.111 en 2006 (après un pic à 13.037 en 2005). En 2006, le taux de condamnations prononcées en état de récidive légale 12 ( * ) s'élève à 2 % pour les viols (35 sur 1.710) et à près de 4 % pour les atteintes sexuelles de nature délictuelle (409 sur 10.401).

Le taux de réitération 13 ( * ) est de 1,8 % pour les viols et de 5,3 % pour les affaires de moeurs.

En tout état de cause, comme le rappelle le rapport Lamanda, « tous les faits, criminels ou délictuels, ne sont pas toujours dénoncés, ni élucidés ».

Selon des études internationales citées par ce rapport, 13,7 % des délinquants sexuels commettent de nouveau une infraction sexuelle dans les cinq ans. Le rapport du groupe de travail « santé-justice », présidé par M. Claude Ballier, sur le traitement et le suivi médical des auteurs de délits et crimes sexuels, constatait en 1995, dans le cadre d'une enquête portant sur 176 détenus condamnés pour infractions sexuelles, que près du quart d'entre eux étaient des multirécidivistes (avec une moyenne de trois faits de nature sexuelle par sujet et souvent une aggravation des violences).

L'Institut pour la justice avance quant à lui un taux de réitération pour les violences sexuelles d'au moins 24 % sur la base d'une étude publiée au Canada en 2004 portant sur un échantillon de 5.000 auteurs de violences sexuelles. L'observatoire indépendant institué par la loi pénitentiaire pour collecter et analyser les données statistiques relatives aux infractions devrait contribuer à éclairer un débat qui souffre aujourd'hui de confusion et prête à la polémique.

A. L'INJONCTION DE SOINS

1. Un cadre juridique équilibré

L'injonction de soins a d'abord été prévue dans le cadre du suivi socio-judiciaire institué par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs. La loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive a prévu son application dans le cadre du sursis avec mise à l'épreuve (article 132-45-1 du code pénal), et dans celui de la surveillance judiciaire (article 723-30 du code de procédure pénale) et d'une libération conditionnelle (article 731-1 du code de procédure pénale). Dans tous ces cas, l'injonction de soins est de droit sauf décision contraire de la juridiction.

Sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire sera obligatoirement soumise à une injonction de soins à la condition que l'expertise réalisée établisse qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement.

Même si la juridiction de jugement n'a pas ordonné une injonction de soins, le juge d'application des peines pourra l'ajouter aux obligations du suivi socio-judiciaire au vu d'une nouvelle expertise 14 ( * ) . En effet, il arrive que l'auteur d'une infraction sexuelle, après avoir nié les faits au moment du procès, les reconnaisse en cours de détention et devienne ainsi accessible aux soins.

Si les obligations du suivi socio-judiciaire prennent effet après la libération du détenu, ce principe souffre cependant une exception s'agissant de l'injonction de soins.

En effet, sans imposer une obligation de soins en détention, considérée comme contraire à la déontologie médicale, le code de procédure pénale prévoit trois séries de mesures destinées à inciter l'intéressé à engager la prise en charge sanitaire dès le temps de l'incarcération :

- le condamné est avisé par le président de la juridiction qu'il aura la possibilité de commencer un traitement pendant l'exécution de sa peine privative de liberté (article 131-36-4, 3 ème alinéa du code de procédure pénale) ;

- le juge de l'application des peines doit informer le condamné, au moins une fois tous les six mois, de sa possibilité d'entreprendre un traitement (article 763-7, 2 ème alinéa du code de procédure pénale) ;

- enfin, sauf décision contraire du juge de l'application des peines, les condamnés qui n'auront pas commencé leur traitement en détention ne sont pas considérés comme manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale ouvrant droit aux réductions de peine supplémentaires (article 721-1 du code de procédure pénale).

A la libération du condamné , l'injonction de soins est mise en oeuvre selon un dispositif qui s'efforce de concilier le principe du consentement aux soins (une personne jugée pénalement responsable de ses actes ne saurait être soignée de force) et la nécessité d'une mise en oeuvre effective de l'injonction . Ainsi, lors de la décision de condamnation, le président de la juridiction de jugement rappelle à l'intéressé qu'« aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais que, s'il refuse les soins qui lui sont proposés, l'emprisonnement prononcé 15 ( * ) , pourra être mis à exécution » (article 131-36-4, 2 ème alinéa du code pénal).

Les dispositions des articles L. 3711-1 à L. 3711-5 du code de la santé publique précisent les modalités de mise en oeuvre de l'injonction de soins.

Elles se caractérisent par une relation triangulaire entre le juge de l'application des peines, un médecin coordonnateur et un médecin traitant qui, selon l'ensemble des professionnels -magistrats et médecins- entendus par votre rapporteur, garantit un équilibre satisfaisant entre les préoccupations de la justice et les exigences du secret médical.

- Le médecin coordonnateur est désigné par le juge de l'application des peines sur une liste de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation appropriée établie par le procureur de la République. Ce médecin est chargé d'inviter le condamné à choisir un médecin traitant et, si celui-ci en fait la demande, de le conseiller. Si la personnalité du condamné le justifie, le médecin coordonnateur peut inviter celui-ci à choisir, soit en plus du médecin traitant, soit à la place de celui-ci, un psychologue traitant ayant exercé pendant au moins cinq ans. Le médecin coordonnateur transmet également au juge de l'application des peines ou à l'agent de probation, les éléments nécessaires au contrôle de l'injonction de soins ;

- Le médecin traitant peut obtenir, par l'intermédiaire du médecin coordonnateur, les copies des pièces du dossier de procédure. Il délivre des attestations de suivi du traitement à intervalles réguliers, afin de permettre au condamné de justifier auprès du juge de l'application des peines de l'accomplissement de son injonction de soins. Il a aussi la faculté d'informer directement le juge de l'application des peines de l'interruption du traitement sans que puisse lui être alors opposé le secret médical.

* 12 La récidive légale répond à des exigences précises s'agissant du délai séparant deux condamnations et de la nature des infractions commises.

* 13 La réitération est évaluée ici de manière rétrospective : la condamnation de référence est la dernière condamnation connue sur l'année observée ; la condamnation antérieure n'est retenue pour caractériser le réitérant que si elle est antérieure aux faits sanctionnés par la condamnation de référence.

* 14 L'expertise est obligatoire si la condamnation de la personne a été prononcée plus de deux ans avant sa libération.

* 15 En effet, l'inobservation par le condamné des obligations résultant du suivi socio-judiciaire est sanctionnée par un emprisonnement dont la durée doit être initialement fixée par la décision de condamnation.

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