N° 318

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 février 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de MM. Yvon COLLIN, Jean-Michel BAYLET, Michel CHARASSE, François FORTASSIN, Mme Françoise LABORDE, MM. Jacques MÉZARD, Jean MILHAU, Robert TROPEANO et Raymond VALL tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires ,

Par M. Gérard DÉRIOT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mme Jacqueline Chevé, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-François Mayet, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, René Vestri, André Villiers.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

595 (2008-2009)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le 23 février sous la présidence de Muguette Dini (UC - Rhône) , la commission des affaires sociales a suivi les conclusions de son rapporteur, Gérard Dériot (ratt. UMP - Allier) , sur une proposition de loi déposée par Yvon Collin (RDSE - Tarn-et-Garonne) et plusieurs membres de son groupe tendant à interdire le Bisphénol A (BPA) dans les plastiques alimentaires.

Ce matériau, constituant de base du plastique de type polycarbonate, entre aussi dans la composition des résines époxydes. Ses utilisations sont extrêmement nombreuses depuis quarante ans : bouteilles, biberons, fûts, canettes, boîtes de conserve etc. Le BPA est également présent dans plusieurs autres produits industriels ou de consommation courante.

Bien qu'il soit commercialisé dans tous les pays occidentaux dans le respect des législations sanitaires en vigueur , des études scientifiques récentes, diverses et encore discutées, soulèvent la question de la pertinence de l'approche toxicologique classique pour apprécier l'innocuité de ce type de produit , qui fait partie de la famille des perturbateurs endocriniens. En effet, ces molécules, peu analysées jusque-là sur le moyen-long terme et à faible dose, sont assimilées par le corps à des hormones naturelles. Ceci explique que les bébés, dont le système hormonal est immature, y seraient particulièrement sensibles.

Pour ces motifs, et dans l'attente du résultat prochain de nouvelles expertises, la commission des affaires sociales ne s'est pas déclarée favorable à l'interdiction pure et simple du BPA mais elle demande au Gouvernement d'amplifier les mesures visant à diminuer l'exposition humaine aux perturbateurs endocriniens . En raison des sources multiples d'exposition, du nombre et de la nature des substances incriminées, il est en effet nécessaire de développer une politique globale , incluant notamment un dialogue avec les industriels et le développement de la recherche pour mieux évaluer les effets des produits et pour en trouver d'éventuels substituts, l'amélioration de l'étiquetage des produits de consommation courante et la communication d'informations au public sur les « bonnes pratiques » d'utilisation (publicités, site internet etc.).

Dans l'immédiat, des mesures temporaires pourraient être envisagées pour certains produits ciblés, identifiés comme présentant un risque potentiel : les biberons , par exemple, car ils sont susceptibles d'être chauffés.

L'application du principe de précaution est légitime mais doit constituer une réponse adaptée à un risque suffisamment documenté : la précipitation pourrait s'avérer de mauvais conseil si elle devait accélérer la mise sur le marché de molécules de substitution au Bisphénol A dont l'impact sur l'être humain aurait été trop peu évalué.

A l'issue de ses débats, la commission des affaires sociales a décidé de ne pas établir de texte pour la proposition de loi, procédure qui permet de faire porter le débat sur le texte initial tel que déposé par ses auteurs, lors de l'examen en séance publique prévu pour le mercredi 24 mars 2010.

Pas plus que l'espérance, la peur ne doit inciter à remettre à plus tard
la véritable fin - la prospérité de l'homme sans diminution de son humanité -
et, en attendant, à détruire cette même fin par les moyens.

Hans Jonas, Le principe responsabilité

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Apparu au début des années soixante-dix en Allemagne, le principe de précaution est progressivement passé d'une notion philosophique ou politique au statut de norme juridique. L'extension de son champ d'application a été continue ; couvrant à l'origine le seul domaine environnemental, il touche désormais la santé ou l'alimentation.

Souvent décrié, il cristallise certains des antagonismes de la société contemporaine : adopter des mesures, parfois fortes, en l'absence de certitudes scientifiques établies vient troubler le mouvement bien établi du progrès et réserve une large part à l'irrationnel. Il résulte pourtant d'un principe ancien, largement utilisé par Aristote : la prudence.

Naturellement, le développement rapide et important des techniques et leur diffusion dans la vie quotidienne peuvent expliquer l'ampleur qu'il a prise. Pour autant, le principe de précaution reste largement l'apanage des sociétés occidentales qui, en ayant atteint un niveau de richesse collective élevé, peuvent « se payer le luxe » de contester le développement ou le progrès scientifique.

Ses formulations, très plurielles, sont toujours restées vagues, présentant le plus souvent une simple orientation ou intention. La déclaration de Rio, adoptée lors du Sommet de la terre en juin 1992, évoque « des mesures de précaution » et précise : « en cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement » .

En France, la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite loi Barnier, introduit le principe de précaution dans le code rural, dans les termes suivants : « l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable » . La Charte de l'environnement, adoptée en 2004 et intégrée dans le bloc de constitutionnalité en 2005, parachève ce processus.

Face à ces définitions floues, c'est le juge qui a été amené, de manière progressive, à mettre en application concrète le principe. La Cour de justice des communautés européennes a ainsi développé une jurisprudence intéressante, car équilibrée et pragmatique : elle justifie l'adoption de mesures de protection sans attendre que la réalité et la gravité des risques soient pleinement démontrées, mais elle considère que de simples hypothèses scientifiques non vérifiées ou insuffisamment documentées ne sauraient suffire. La difficulté apparaît clairement dans cet exercice d'équilibriste des juges de Luxembourg, qui ont eu à statuer sur des dossiers sensibles, comme celui de « la vache folle ».

Mais la justice peut aussi parfois donner une vision déformée du principe de précaution ; la cour d'appel de Versailles a par exemple considéré, en février 2009, que la crainte légitime constituée par l'impossibilité de garantir la population de l'absence de risque sanitaire d'une antenne relais est constitutive d'un trouble anormal de voisinage. Le juge a ainsi privilégié, non pas les éventuelles données scientifiques dont il disposait, mais les conséquences du risque perçu collectivement, à un moment donné, par la société.

Finalement, l'application du principe de précaution ne peut être qu'une recherche permanente d'un compromis instable, entre les avantages du progrès et les nécessités de la sécurité et de la prudence. Sans entrer dans un débat stérile sur croissance versus décroissance, comment renier les progrès accomplis par l'homme dans son histoire ? Pourquoi s'arrêter maintenant ? Mais en même temps, il faut être vigilant et il ne peut être question pour l'être humain de s'autodétruire, en attaquant son environnement et sa propre santé.

Face à l'absence évidente de risque zéro, le principe de précaution est d'abord un principe d'action, qui ne doit cependant pas paralyser la société et l'économie. Telle est la démarche adoptée, de manière pragmatique, par votre commission sur le dossier du Bisphénol A, qui concentre actuellement la sensibilité de la presse et l'inquiétude de la population.

La conclusion revient alors naturellement à Hans Jonas : « Au principe Espérance, nous opposons le principe Responsabilité, et non le principe Crainte » .

I. LE BISPHÉNOL A : QUEL DANGER ?

A. LE BISPHÉNOL A EST AUTORISÉ DEPUIS QUARANTE ANS DANS DE NOMBREUSES UTILISATIONS EN CONTACT AVEC LES ALIMENTS

1. La présence massive du Bisphénol A dans les plastiques et les résines époxydes

Le Bisphénol A (BPA) est un composé chimique , issu de la réaction entre du phénol et de l'acétone. Synthétisé dès la fin du XIX e siècle, il était destiné, dans les années trente, à être utilisé comme un oestrogène de synthèse ; il n'a, en définitive, jamais été utilisé comme médicament en raison de la découverte du diéthylstilbestrol, qui paraissait plus prometteur 1 ( * ) .

Depuis les années soixante, le BPA est très largement utilisé dans la fabrication industrielle par polymérisation de plastiques de type polycarbonate et dans celle de résines époxydes. En 2006, la production mondiale s'élevait à environ 3,8 millions de tonnes, utilisées aux deux tiers pour la fabrication du polycarbonate et pour un tiers pour celle de résines. Le BPA n'est donc pas un additif ou un plastique mais le constituant de base du polycarbonate.

-  Le polycarbonate , qui n'est produit ni en France ni par une société française ailleurs dans le monde, a connu un grand succès industriel du fait de ses propriétés : transparence équivalente au verre, surface extrêmement lisse, rigidité, résistance aux chocs et inaltérabilité. Ses utilisations sont très variées : un tiers de la production est destiné à l'optique, 23 % à l'électronique, 13 % à la construction (vitrages, toitures...), 9 % à l'équipement des automobiles, 3 % à l'équipement médical et 15 % à des mélanges destinés à diverses industries. En outre, 3 % du polycarbonate produit dans le monde sont utilisés dans les bouteilles et les emballages alimentaires.

-  Les résines époxydes sont également largement utilisées dans l'industrie et dans les produits de consommation courante, principalement comme revêtement intérieur, par exemple pour les réservoirs et tuyauteries contenant du fer. 11 % de ces résines sont utilisées dans le contact alimentaire, fûts, boîtes de conserve et canettes, pour protéger le contenu du matériau externe (fer, aluminium...).

Au total, le BPA est présent depuis plus de quarante ans, dans de très nombreux produits de la vie courante : CD, équipements électriques, pièces automobiles, vitrages, toitures, appareils médicaux, lunettes de soleil, mais aussi biberons, bouilloires, bombonnes d'eau, fûts, boîtes métalliques, y compris les boîtes de lait en poudre pour bébés.

* 1 Cette molécule, commercialisée sous le nom de distilbène en France, n'est plus prescrite chez la femme enceinte depuis le début des années quatre-vingt, en raison des malformations qu'elle provoque chez l'enfant à naître.

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