ANNEXE I - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

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Jeudi 8 octobre 2009 :

- audition de M. Jean BERKANI, conseiller juridique au cabinet du ministre de la Défense, de Mme Monique LIEBERT-CHAMPAGNE, directrice des Affaires juridiques du ministère de la Défense et de M. Patrick MAIRE, magistrat à la direction des Affaires juridiques du ministère de la Défense.

Mercredi 21 octobre 2009 :

- audition de l'Amiral M. Pierre-François FORISSIER, chef d'Etat major de la Marine et du Contre-Amiral M. Xavier MAGNE, sous-chef d'Etat major « Opérations » (ALOPS) ;

- audition de Mme Delphine DEWAILLY, sous-directrice de la justice pénale spécialisée et de M. Victor-Elie RENARD, magistrat à la direction des Affaires criminelles et des Grâces (DACG) du ministère de la Justice.

Jeudi 22 octobre 2009 :

- audition de Son Exc. Mme Chantal POIRET, ambassadeur chargé de coordonner l'action de la France contre la piraterie maritime et M. Serge SEGURA, sous-directeur du droit de la mer à la direction des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères et européennes ;

- audition de M. Jean-François TALLEC, secrétaire général de la mer, et du contre-amiral Bruno PAULMIER, secrétaire général adjoint ;

- audition du Contre-Amiral M. Arnaud de TARLE, chargé de la coordination des actions « piraterie » à l'état-major des armées.

Mardi 23 mars 2010 :

- audition de M. Jean BERKANI, conseiller juridique et M. Jérôme JEAN, conseiller parlementaire, au cabinet du ministre de la Défense, de Mme Monique LIEBERT-CHAMPAGNE, directrice des affaires juridiques, M. Patrick MAIRE, magistrat, Mme Sylvie DELACOURT, magistrat, et M. Nicolas PEREZ, magistrat à la direction des Affaires juridiques du ministère de la Défense, et du contre-amiral Arnaud de TARLE, Chargé de la coordination des actions « piraterie » à l'état-major des armées.

ANNEXE II - COMPTE-RENDU DU SÉJOUR À BORD DE LA FRÉGATE « ACONIT » PARTICIPANT À L'OPÉRATION « ATALANTA » DE LUTTE CONTRE LA PIRATERIE

Lors de sa réunion du mercredi 15 juillet 2009, la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, réunie sous la présidence de M. Josselin de Rohan, président, a entendu la communication de MM. André Dulait et Michel Boutant sur la mission effectuée, du 15 au 22 juin 2009, auprès des forces françaises stationnées à Djibouti, sur la nouvelle implantation militaire française à Abou Dhabi aux Emirats arabes unis et sur l'opération de l'Union européenne « Atalanta » de lutte contre la piraterie dans le Golfe d'Aden.

M. André Dulait a indiqué qu'il s'était rendu avec M. Michel Boutant, du 15 au 22 juin 2009, à Djibouti et aux Emirats arabes unis et que, entre ces deux visites, ils avaient séjourné pendant deux jours à bord de la frégate « Aconit » de la marine nationale patrouillant dans le Golfe d'Aden.

(...)

M. Michel Boutant a rendu compte du séjour de deux jours des deux sénateurs à bord de la frégate « Aconit » de la marine nationale participant à l'opération de l'Union européenne « Atalanta » de lutte contre la piraterie dans le Golfe d'Aden.

En 2008, plusieurs navires de commerce, des pétroliers, mais aussi des voiliers de plaisance français, comme le « Ponant », le « Carré d'as » ou le « Tanit » et même un cargo ukrainien, le « Faina », transportant 33 chars d'assaut et des armes lourdes, ont fait l'objet d'attaques de pirates dans le Golfe d'Aden.

Il a indiqué que, dans les années 1990, la piraterie touchait essentiellement l'Asie du Sud-Est, et en particulier le détroit de Malacca en mer de Chine, mais que depuis quelques années, les zones à risques s'étaient déplacées vers la Corne de l'Afrique, et singulièrement les côtes somaliennes et le Golfe d'Aden, ainsi que le Golfe de Guinée.

Il a souligné que le Golfe d'Aden constitue la principale route maritime entre l'Europe, le Moyen-Orient et l'Asie, par laquelle transitent chaque jour en moyenne quarante-cinq navires, leur permettant un gain de temps de quatorze jours par rapport au Cap de Bonne Espérance.

M. Michel Boutant a précisé que la piraterie dans le Golfe d'Aden avait littéralement « explosé » en 2008, puisque, selon le bureau maritime international, l'an dernier, 111 navires avaient subi des attaques, 42 avaient été capturés et 815 personnes avaient été prises en otage.

M. Michel Boutant a estimé que ce phénomène s'expliquait essentiellement par la situation interne de la Somalie où, depuis 1992, une guerre civile oppose différentes factions.

Il a indiqué que ce pays était actuellement divisé entre le Somaliland, une province du Nord qui a déclaré son indépendance, le Puntland, une autre province qui revendique son autonomie, et le Sud du pays, qui est aux mains des milices islamistes, le gouvernement fédéral transitoire, mis en place sous l'égide de l'ONU en 2004 ne contrôlant en réalité qu'une partie de la capitale, Mogadiscio.

Etant donné que la Somalie est dépourvue d'Etat, le pays ne dispose plus d'aucune autorité armée, police ou de garde-côtes pour faire régner l'ordre public.

M. Michel Boutant a rappelé que la Somalie était un des pays les plus pauvres du monde, le revenu moyen ne dépassant pas un dollar par jour, et que, avec les prises d'otage, les pirates somaliens pouvaient espérer toucher une part de la rançon atteignant jusqu'à 100 000 dollars.

Il a précisé que le montant des rançons versées par les armateurs en 2008 était estimé de 30 à 50 millions de dollars, alors que, en comparaison, le budget de la province du Puntland ne s'élève qu'à 15 millions de dollars.

M. Michel Boutant a indiqué que, si les premières attaques étaient relativement rudimentaires, ces pirates s'étaient progressivement organisés, avec une séparation entre les commanditaires, les attaquants et les négociateurs de la rançon.

Concernant leur manière de procéder, en règle générale, les pirates disposent d'un « boutre » ou « bateau mère », permettant de mener des attaques loin des côtes et qui remorque deux ou trois « skiffs », équipés d'un moteur de hors-bord rapide.

Il a précisé que le choix des bateaux visés dépendait essentiellement de deux caractéristiques, la hauteur et la vitesse, car plus un bateau est bas et lent, plus il est facile à attaquer.

Il a indiqué que les voiliers de plaisance constituaient une cible de choix, en raison de la « valeur » des passagers retenus en otage, mais que les pirates s'attaquaient aussi aux porte-containers, aux pétroliers et qu'ils s'en étaient même pris à une frégate avant de s'apercevoir de leur erreur.

En outre, il a indiqué que les attaques semblaient désormais s'étendre à la Mer Rouge, au Golfe persique et à l'océan Indien, au large des Seychelles, où plusieurs attaques avaient eu lieu contre des thoniers français et espagnols.

M. Michel Boutant a indiqué que, face à ce phénomène, l'Union européenne avait mis en place sa première opération navale de lutte contre la piraterie maritime dénommée « Atalanta » ou « EU NAVFOR » dans le Golfe d'Aden.

Il a rappelé que, approuvée par le Conseil le 10 novembre 2008, l'opération « Atalanta » de l'Union européenne avait été officiellement lancée en décembre 2008, sous présidence française de l'Union européenne.

Il a rappelé que l'opération « Atalanta » reposait sur deux résolutions des Nations unies, et que ses trois missions étaient d'assurer en premier lieu la protection des navires du programme alimentaire mondial transportant des vivres à destination de la Somalie, en deuxième lieu, la sécurité des navires marchands « les plus vulnérables » contre les actes de piraterie, et, enfin, la dissuasion et l'arrestation des pirates. En revanche, en cas de prise d'otage, l'Union européenne n'est plus compétente, puisque c'est alors à l'Etat de pavillon ou à l'Etat dont les otages sont les ressortissants de s'efforcer d'obtenir leur libération.

Il a précisé que l'opération était dirigée par un état-major multinational basé au Royaume-Uni, à Northwood, et commandé par un contre-amiral britannique, avec une base arrière située sur l'aéroport militaire de Djibouti et bénéficiant du soutien logistique de la base militaire française.

Ses moyens sont montés en puissance progressivement, puisque, disposant seulement de trois navires de guerre en décembre 2008, elle en comptait aujourd'hui une douzaine (français, espagnols, allemands, suédois, italien et grec), ainsi qu'une dizaine d'hélicoptères embarqués et trois avions de surveillance.

L'Union européenne n'est pas la seule force présente dans cette zone, puisque on y trouve aussi la « Task Force 150 », dans le cadre de l'opération « Enduring Freedom » de lutte contre le terrorisme, coordonnée par les Etats-Unis, à laquelle participent plusieurs pays, comme le Canada, le Royaume-Uni mais aussi la France, une autre coalition, « la Task force 151 », dédiée à la lutte contre la piraterie, et qui comprend essentiellement des navires américains et turcs, mais aussi l'OTAN et même d'autres bâtiments de guerre qui escortent les navires de leur pavillon, comme la Russie, la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud ou l'Iran.

Toutefois l'Union européenne dispose d'un réel avantage par rapport aux autres forces, puisqu'elle est la seule à avoir signé des accords avec certains pays, comme le Kenya, permettant de traduire en justice les pirates capturés.

L'Union européenne a également mis en place un centre de sécurité maritime pour la Corne de l'Afrique, qui permet, grâce à un site Internet sécurisé, d'informer les navires marchands transitant dans la région des attaques récentes et de la position des navires et de leur donner des conseils en cas d'attaques de pirates. De même, deux corridors sécurisés, l'un descendant, l'autre montant, ont été mis en place dans le Golfe d'Aden, avec un système de surveillance, ce qui a permis de limiter considérablement le nombre d'attaques.

M. Michel Boutant a estimé que l'opération « Atalanta » constituait un réel succès pour l'Union européenne et pour la politique européenne de sécurité et de défense.

Il a souligné que, fin mai 2009, l'opération avait permis de procéder à plus d'une centaine d'arrestation de pirates, la plupart ayant été remis au Kenya. Devant ce succès de l'opération, les ministres de l'Union européenne ont décidé, en mai dernier, de la prolonger d'une année, et d'étendre son mandat vers l'océan Indien, au large des Seychelles, en raison de l'augmentation des attaques dans cette zone, où sont présents de nombreux plaisanciers, des thoniers français et espagnols et des paquebots de croisière.

Il a toutefois regretté l'absence de drones qui permettraient une surveillance plus étendue et a souhaité une meilleure coordination entre l'Union européenne et les autres forces multinationales présentes dans cette zone.

Enfin, il a mentionné, dans le cas de la France, une lacune juridique.

Il a rappelé que notre pays disposait jusqu'à une date récente d'une loi de 1825 sur la piraterie mais que cette loi avait été abrogée en 2007. La répression de la piraterie en haute mer, à la différence du trafic de stupéfiants par exemple, est bien autorisée par la Convention sur le droit de la mer de Montego Bay, mais rien n'est prévu dans notre droit concernant les conditions d'arrestation des pirates et de rétention sur les bâtiments de guerre. Un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme de 2008 (« Medvedyev ») a mis en évidence les fragilités du droit français, en particulier concernant l'encadrement de la rétention à bord des navires de guerre des pirates capturés et l'intervention de l'autorité judiciaire.

Il a précisé qu'un projet de loi était en préparation pour combler cette lacune.

Il a également mentionné la proposition prévoyant la présence à bord des bâtiments de la marine nationale de gendarmes maritimes, qui, à la différence des autres militaires, disposent de la qualité d'officier de police judiciaire.

Enfin, il s'est interrogé sur l'efficacité à moyen terme de la lutte contre la piraterie.

Il a estimé que, sauf à maintenir en permanence une flotte de guerre imposante, le risque était grand en effet de voir ce phénomène s'étendre et changer de nature, avec des techniques et des armes de plus en plus sophistiquées.

Il a estimé que, face à la piraterie, l'action en mer n'était pas suffisante et qu'il fallait attaquer le mal à sa racine, c'est-à-dire agir pour favoriser la stabilisation politique de la Somalie et la reconstruction de cet Etat en assurant des conditions de vie décentes à sa population.

Enfin, M. Michel Boutant a tenu à rendre hommage au commandement et aux marins de la frégate « Aconit », qui réalisent un travail remarquable au service de la France et des Français.

A la suite de ces présentations, un débat s'est engagé au sein de la commission.

M. Josselin de Rohan , président , a souhaité avoir des précisions au sujet de la perception par les autorités de Djibouti de la présence militaire française, notamment par rapport à celle des Etats-Unis d'Amérique.

Il s'est également interrogé sur les commanditaires des attaques de pirates somaliens, en se demandant si les mafias ou les groupes islamistes n'étaient pas impliqués et ne tiraient pas profit des rançons versées par les armateurs.

M. André Dulait a fait valoir que les autorités de Djibouti étaient très favorables à la présence militaire française, tant en termes de stabilité, de sécurité et d'intégrité du territoire qu'en termes de retombées économiques.

Il a indiqué que si les Etats-Unis versent annuellement 30 millions de dollars américains aux autorités de Djibouti au titre de leur présence militaire dans ce pays, la France contribue à hauteur de 30 millions d'euros par an, ce qui représente une différence non négligeable, compte tenu du taux de change entre l'euro et le dollar américain.

Par ailleurs, les retombées économiques de la présence américaine sont très inférieures à celles de la France.

Il a ajouté que la convention financière arriverait à échéance en 2012 et que, face à l'arrivée de nouveaux contingents de différentes nationalités, la renégociation du volet financier de la présence militaire française serait sans doute un exercice délicat.

M. Michel Boutant a précisé que la piraterie s'est organisée progressivement, notamment grâce à l'afflux d'argent provenant des rançons, et que de véritables filières s'étaient mises en place, avec une séparation entre les commanditaires, les exécutants, les geôliers et les négociateurs.

Il a estimé que si les liens entre les pirates, d'une part, et les mafias ou les groupes islamistes, d'autre part, n'étaient pas avérés, un rapprochement éventuel ne pouvait être exclu.

M. André Vantomme a fait observer que si la contribution de la France à Djibouti au titre de la présence militaire française était empreinte d'une grande transparence, tel n'était pas le cas de la contribution américaine, entourée au contraire d'une grande opacité.

M. Jean-Pierre Chevènement a estimé que la présence d'une flotte de guerre au large des côtes somaliennes ne serait pas suffisante pour faire face à la piraterie, compte tenu de l'extrême pauvreté de la Somalie, et que seule une forte implication de la communauté internationale pour mettre un terme à la guerre civile et parvenir à stabiliser ce pays serait de nature à limiter ce phénomène. Il a souhaité avoir des précisions au sujet des initiatives prises en ce sens par la France et la communauté internationale.

Il s'est également interrogé au sujet de la présence d'Al Qaïda en Somalie.

En réponse, M. André Dulait a confirmé que la situation de la Somalie était préoccupante, les milices islamistes contrôlant désormais la quasi-totalité du Sud du pays, le gouvernement transitoire mis en place sous l'égide de l'ONU ne contrôlant en réalité qu'une petite partie de la capitale Mogadiscio.

Il a fait part, à cet égard, de son inquiétude au sujet de l'enlèvement, la veille, jour de la fête nationale, de deux ressortissants français à Mogadiscio.

Face au risque d'éclatement de ce pays en cas de prolongement de la guerre civile, il a souhaité une plus forte implication de la communauté internationale dans le règlement du conflit et le soutien au gouvernement transitoire.

Au sujet de la présence éventuelle d'Al Qaïda en Somalie, hypothèse qu'il n'a pas exclue, il a souligné la proximité de la Somalie avec des pays comme le Yémen ou le Soudan.

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