C. LE RISQUE DE DIFFUSION DE LA CRISE GRECQUE

1. Le risque de diffusion par le système bancaire

Selon certains analystes, empêcher un défaut de la Grèce, dont la situation actuelle résulte non d'un choc asymétrique, mais d'une politique budgétaire laxiste depuis de nombreuses années, constituerait un précédent fâcheux, suscitant un risque d'« aléa moral » 20 ( * ) .

On peut cependant s'interroger sur la pertinence d'un tel point de vue, en particulier en raison des conséquences qu'un défaut de la Grèce aurait sur le système bancaire européen, qui détient des obligations de l'Etat grec et, plus généralement, des créances vis-à-vis de l'économie grecque.

Selon la Banque des règlements internationaux, sur les 200 milliards de dollars (environ) de créances bancaires vis-à-vis de l'économie grecque, les banques françaises en détiennent près de 80 milliards, et sont de loin les plus exposées, comme le montre le tableau ci-après.

Les créances des banques vis-à-vis de l'économie grecque (fin 2009)

(en milliards de dollars)

Banques des 24 principaux Etats

Banques européennes

France

Allemagne

Royaume-Uni

Sur la base du débiteur immédiat

236

189

75

45

15

Sur la base du risque ultime

217

193

79

45

15

Source : d'après Banque des règlements internationaux, « Detailed tables on provisional locational and consolidated banking statistics at end-December 2009 », avril 2010

S'agissant des créanciers de l'Etat grec, le site Internet de l'agence grecque de gestion de la dette fournit les données suivantes :

2. Le risque d' « effet domino »

D'autres Etats de la zone euro sont parfois présentés comme susceptibles de connaître des difficultés de financement analogues à celles de la Grèce. On évoque ainsi un risque d'« effet domino », la défiance pouvant s'étendre de proche en proche à d'autres Etats de la zone euro.

a) D'autres Etats de la zone euro connaissent une dette ou un déficit publics analogues à ceux de la Grèce

Si la Grèce est le seul Etat à avoir à la fois un déficit et une dette très élevés, sa dette est analogue à celle de l'Italie, et son déficit à celui de l'Irlande, comme le montre le graphique ci-après.

b) Une tentative de classification des Etats de la zone euro en fonction de la soutenabilité de leurs finances publiques : la France entre l'Italie et la Belgique ?

Pour déterminer la soutenabilité des finances publiques des différents Etats de la zone euro, il convient cependant de prendre en compte non seulement leur dette et leur déficit, mais également leurs perspectives de croissance à long terme.

La commission des finances s'est efforcée de calculer ce que pourrait être la situation de leurs finances publiques à l'horizon 2030, en supposant qu'ils ne font aucun effort pour réduire leur déficit primaire. Les résultats sont indiqués par le tableau ci-après.

La situation des finances publiques en 2030 dans les Etats membres de la zone euro en cas d'absence de réduction du déficit primaire : quelques ordres de grandeur indicatifs calculés par la commission des finances

(en % et en points de PIB)

2009

Croissance potentielle en volume 2009-2060 (Commission européenne, 2008)

Croissance potentielle nominale 2009-2060 (hypothèse d'inflation de 2 %)

Situation en 2030 sans réduction du déficit primaire (taux d'intérêt de 5 %)

Dette

Solde

Dette

Solde

(1)

(2)

(3)

Grèce

115,1

-13,6

1,8

3,8

343,8

-25,8

Irlande

64

-14,3

2,4

4,4

266,3

-22,6

Espagne

53,2

-11,2

1,9

3,9

204,0

-16,4

Portugal

76,8

-9,4

1,8

3,8

200,5

-14,4

Italie

115,8

-5,3

1,4

3,4

179,7

-9,3

France

77,6

-7,5

1,8

3,8

160,7

-10,5

Belgique

96,7

-6

1,8

3,8

154,7

-8,7

Pays-Bas

60,9

-5,3

1,5

3,5

95,8

-5,1

Slovaquie

35,7

-6,8

2

4

85,2

-6,1

Chypre

56,2

-6,1

2,8

4,8

84,7

-5,3

Allemagne

73,2

-3,3

1,2

3,2

74,8

-2,0

Malte

69,1

-3,8

1,7

3,7

71,0

-2,3

Slovénie

35,9

-5,5

1,6

3,6

62,5

-3,6

Autriche

66,5

-3,4

1,7

3,7

58,6

-1,3

Finlande

44

-2,2

1,7

3,7

0,9

2,8

Luxembourg

14,5

-0,7

2,6

4,6

-55,3

5,0

Remarque méthodologique : ce tableau repose sur des hypothèses largement conventionnelles (évolution annuelle des prix du PIB et taux d'intérêt de respectivement 2 % et 5 % pour tous les Etats, solde de 2009 égal au solde structurel). Il convient donc de retenir les ordres de grandeur plutôt que les chiffres exacts.

On suppose un excédent budgétaire maximal de 5 points de PIB.

Sources : (1) Eurostat, 22 avril 2010 ; (2) Commission européenne, « The 2009 Ageing Report », European Economy n°7, 2008 ; (3) Calculs de la commission des finances

Ce tableau ne prétend pas indiquer ce que seront la dette et le déficit publics des différents Etats en 2030, mais seulement des ordres de grandeur si les Etats ne réduisaient pas leur déficit primaire, c'est-à-dire s'ils laissaient un éventuel « effet boule de neige » s'enclencher. Il repose en outre sur un certain nombre d'hypothèses simplificatrices 21 ( * ) . Il convient donc de retenir les ordres de grandeur plutôt que les résultats exacts.

Selon ces critères, l'Etat dont la situation est la plus préoccupante est la Grèce (dont la dette atteindrait 340 points de PIB en 2030), suivie de près par l'Irlande (270 points de PIB). Jusqu'au milieu du mois d'avril 2010, ces deux Etats étaient ceux dont les spreads étaient les plus importants (cf. graphique en page Erreur ! Signet non défini. du présent rapport), ce qui confirme que ceux-ci reposent bien, d'une manière générale, sur une base objective. Le fort différentiel de taux entre ces deux Etats résulte semble-t-il largement de l'absence de confiance dans les pouvoirs publics grecs, consécutive au trucage des statistiques.

Viendraient ensuite l'Espagne et le Portugal (200 points de PIB). Le fait que le Portugal soit actuellement l'Etat de la zone euro dont les spreads sont les plus importants après la Grèce peut susciter certaines interrogations.

L'Italie, la France et la Belgique se situeraient immédiatement après (avec une dette de 150 à 180 points de PIB).

Malgré la croissance potentielle la plus faible de la zone euro (1,2 % selon la Commission européenne), l'Allemagne parviendrait à stabiliser sa dette publique à son niveau actuel, de l'ordre de 75 points de PIB. En effet, avec une croissance du PIB en valeur d'environ 3 %, son déficit stabilisant est de l'ordre de 3 points de PIB, ce qui correspond au déficit attendu sur la période. Inversement, le fait d'avoir la croissance potentielle (2,4 %) la plus élevée après Chypre (2,8 %) et le Luxembourg (2,6 %) n'empêcherait pas l'Irlande d'avoir la situation la plus dégradée après celle de la Grèce.

* 20 CF. en particulier Otmar Issing, « Europe cannot afford to rescue Greece », Financial Times, 15 février 2010. M. Issing, président du Centre for Financial Studies , a été « chief economist » de la Banque centrale européenne de 1998 à 2006 et est depuis 2006 conseiller international de Goldman Sachs .

* 21 Evolution annuelle des prix du PIB et taux d'intérêt de respectivement 2 % et 5 % pour tous les Etats, solde de 2009 égal au solde structurel.

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