Audition de Jean-Louis MALYS, secrétaire national en charge des retraites de la confédération française démocratique du travail (CFDT) (jeudi 16 septembre 2010)

Sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l' audition de Jean-Louis Malys, secrétaire national en charge des retraites de la confédération française démocratique du travail (CFDT), sur le projet de loi n° 713 (2009-2010) portant réforme des retraites dont Dominique Leclerc est le rapporteur .

Jean-Louis Malys, secrétaire national en charge des retraites de la CFDT. - Pour la CFDT, une réforme est indispensable pour pérenniser notre système de retraites par répartition, élément constitutif de notre pacte social. Nous avons soutenu la réforme de 2003 parce qu'elle contribuait à réduire les inégalités. L'harmonisation de la durée de cotisation à quarante ans était une mesure juste et nécessaire ainsi que l'augmentation du minimum contributif à 85 %, tandis que la possibilité de départ à la retraite avant soixante ans pour les carrières longues marquait une avancée incontestable. Nous avons d'ailleurs regretté le durcissement de l'accès au dispositif carrières longues en 2008, revirement injuste et brutal au vu des engagements de la réforme de MM. Raffarin et Fillon.

Animés par ce même souci de justice et d'efforts partagés, nous sommes contre cette réforme, malgré les amendements gouvernementaux proposés le 8 septembre. Car 2010 est l'exact contraire de 2003. Alors que la crise est la raison première du déficit, l'effort demandé aux plus aisés et aux détenteurs de revenus du capital semble dérisoire : 85 % des efforts sont demandés aux seuls salariés. Cette réforme n'assure pas la pérennité des retraites ; l'extinction du fonds de réserve des retraites constitue une erreur économique, sociale et politique ; le Président de la République et le Gouvernement ont préféré au Grenelle des retraites, dont nous demandions l'organisation, la controverse et le conflit alors que la concertation et la recherche du consensus ont été le préalable de réformes le plus souvent progressives dans tous les pays voisins. Outre les erreurs de méthode, le manque d'ambition et de visibilité, le déséquilibre des efforts demandés, cette réforme est injuste parce qu'elle creusera les inégalités au sein du monde du travail. Relever l'âge légal de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans pénalisera ceux qui ont commencé à travailler jeunes et ont connu des carrières pénibles, de même que ceux, et surtout celles, dont la carrière est incomplète pâtiront du relèvement de l'âge de départ pour bénéficier d'une retraite à taux plein de soixante-cinq à soixante-sept ans.

Dans ces conditions, parler d'une réforme juste, courageuse ou ambitieuse n'est pas crédible. Si nous ne parvenons pas, si vous ne parvenez pas, à l'amender, la réalité de sa mise en oeuvre poursuivra longtemps ceux qui n'auront rien fait pour défendre les plus modestes. L'opinion publique est convaincue de la nécessité de la réforme. Elle a compris cet été, et plus encore depuis la rentrée, que celle-ci était injuste et inefficace. Si le texte reste en l'état, le coût politique sera élevé. La CFDT a proposé publiquement quatre pistes d'amélioration : carrières longues, pénibilité, polypensionnés, salariés aux carrières incomplètes et modestes. Sur les trois premières pistes, les réponses sont insuffisantes. Sur la quatrième, le refus de toute mesure constitue une erreur stratégique. Avant d'en venir au coeur de mon propos, permettez-moi d'insister sur l'importance de prévoir dans la loi un débat sur l'indispensable réforme systémique, de plus en plus demandé et au sein de tous les courants politiques, et de dénoncer l'absence de concertation sur l'épargne retraite.

Notre démarche est constructive. Nos propositions sont dans le champ du possible. Nous vous demandons de saisir cette opportunité. Concernant les carrières longues, nos orientations n'ont pas changé : la durée de cotisation doit être le paramètre de référence afin que les salariés ayant effectué une carrière complète puissent partir à la retraite sans condition d'âge. C'était d'ailleurs l'esprit de la loi de 2003 et de son dispositif de départ anticipé. Le recul des bornes d'âge du dispositif des carrières longues imposera aux salariés ayant commencé à travailler à dix-sept ans de réunir quarante-trois annuités pour partir en retraite à soixante ans, tandis qu'un début d'activité à dix-huit ans sera sanctionné par quarante-quatre annuités pour un départ à soixante-deux ans. L'effet de seuil est très fort entre les débuts d'activité à dix-sept et dix-huit ans. Il faudrait, au minimum, inclure les salariés ayant commencé à dix-huit ans dans le dispositif.

Le projet de loi ne règle pas la question des polypensionnés. Les titulaires sans droits, qui réunissent moins de quinze ans de services dans la fonction publique, verront leur situation s'améliorer par l'abaissement de quinze ans à deux ans de la durée nécessaire pour avoir droit à une pension. Il faut cependant s'interroger sur les effets de la fermeture d'ici 2015 des validations de toutes les périodes de services auxiliaires. De plus, le texte ne prévoit rien pour les polypensionnés du privé - la prise en compte des vingt-cinq meilleures années sur toute la carrière est renvoyée à un rapport -, tandis que les carrières mixtes privé-public restent désavantagées. Le médiateur de la République proposait d'ailleurs récemment, pour ces dernières, de procéder à un calcul de la pension du régime aligné en « proratisant » la règle des vingt-cinq meilleures années en fonction de la durée d'affiliation à ce régime. Nous défendons la même position en demandant la tenue d'un débat citoyen sur la convergence des régimes.

J'en viens à la pénibilité. Le projet de loi reconnaît seulement l'incapacité : une incapacité physique supérieure ou égale à 20 % ou une incapacité de 10 % dont il faudra prouver qu'elle est liée à l'exposition à un ou plusieurs facteurs de risques. Dans tous les cas, les effets différés de la pénibilité sont passés sous silence et la réduction de l'espérance de vie qui en découle est niée alors qu'elle est au centre des inégalités de retraite liées aux conditions de travail. En outre, le dispositif de prise en compte de l'incapacité prévu par le texte est très contestable : les salariés concernés seront d'autant moins nombreux que les maladies professionnelles font l'objet de sous-déclarations bien connues, la plupart des salariés concernés bénéficient déjà d'un dispositif de départ à soixante ans au titre de l'invalidité à 50 % ou de l'inaptitude médicale. Enfin, avec le carnet de santé individuel retraçant les expositions, le Gouvernement pense économiser des moyens administratifs en reportant la charge de la traçabilité sur les services de santé au travail, voire sur le salarié lui-même tenu de conserver la preuve de son exposition avec des copies. Ce sont les caisses de retraite et de santé au travail (Carsat) qui devraient être chargées de l'exposition aux facteurs de risques. Posséder un carnet de santé n'ouvre aucun droit au salarié en l'état actuel du texte, sans compter que ce système n'améliorera pas la prévention : rien ne permet d'identifier les entreprises qui génèrent les pénibilités.

Les amendements déposés à l'Assemblée nationale à propos de la médecine du travail auront une incidence négative : ils subordonnent les services interentreprises aux orientations des organisations professionnelles d'employeurs. Et déclarer caducs tous les accords collectifs comportant des obligations en matière d'examens médicaux différentes de celles prévues par le code du travail suscite des interrogations fortes.

Une vraie prise en compte de la pénibilité passe par la réduction de la durée de carrière pour des salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de risque professionnel. La compensation de la pénibilité doit être individuelle - nous ne sommes pas dans une logique de régimes spéciaux - et fondée sur un système de capital temps acquis par année d'exposition à la pénibilité, par exemple un an pour dix ans d'exposition. Le droit au départ anticipé devrait être reconnu sur dossier dans les cas simples et bien documentés, ou sur décision d'une commission pluridisciplinaire d'experts lorsque la reconstitution de la carrière est nécessaire. Enfin, nous demandons une traçabilité de la pénibilité assurée par les Carsat, les données étant transmises par l'employeur avec l'appui du service de santé au travail. La prise en charge doit reposer sur la solidarité nationale pour les salariés en fin de carrière déjà exposés et sur un financement mutualisé des employeurs sous la forme d'une cotisation à la branche AT-MP pour les salariés en cours d'exposition. Cela encouragerait la prévention, avec un système de bonus-malus en fonction de la mise en oeuvre d'actions de précaution. Une telle approche de la pénibilité pourrait être mise en oeuvre de manière graduelle, en sélectionnant tout d'abord un ou plusieurs facteurs de risque donnant droit, à certaines conditions d'exposition, à un départ anticipé.

Enfin, nous estimons que le recul de l'âge du départ à la retraite sans décote de soixante-cinq à soixante-sept ans serait très pénalisant pour les femmes et les basses pensions. De fait, 30 % des femmes liquident leur retraite à soixante-cinq ans, 63 % de ceux qui partent en retraite à soixante-cinq ans sont titulaires du minimum contributif, compte-tenu de la faiblesse de leurs droits liée à la faiblesse de leurs salaires. À l'heure où les générations ayant connu le chômage arrivent plus nombreuses à l'âge de la retraite, il faut protéger ces catégories de la population fragilisées. Le recul de l'âge du taux plein, au contraire, les fragilise. Le maintien à soixante-cinq ans de l'âge du taux plein aurait une signification sociale particulièrement forte. Des redéploiements sont possibles pour financer cette indispensable solidarité : les majorations familiales de pensions proportionnelles au salaire ne favorisent ni les familles modestes ni les femmes, mais majoritairement les hommes à revenus élevés. Depuis des années, la CFDT dénonce cet état de fait. Elle demande leur forfaitisation et le redéploiement de ces sommes vers la solidarité.

Dans son ambition d'offrir aux salariés la possibilité d'arbitrer entre temps de vie, temps de travail et niveau du revenu de remplacement, la CFDT défend d'abord la sécurisation des régimes par répartition. Dans un second temps, elle n'est pas hostile à réfléchir à des compléments en capitalisation pour peu que les conditions suivantes soient réunies : une information effective, précise et exhaustive aux salariés sur leurs droits dans les régimes obligatoires ou facultatifs ; une mise en place négociée des dispositifs ; des dispositifs accessibles aux salariés modestes et ouverts à tous, c'est-à-dire qui ne soient pas catégoriels ou réservés aux seuls salariés des grandes entreprises.

Or, des amendements parlementaires, fruit du lobbying de certaines branches professionnelles, ont été déposés aux fins d'ériger un « troisième pilier » de la retraite en France sans que les organisations représentatives des salariés aient leur mot à dire sur le choix entre capitalisation collective ou individuelle, mécanisme interprofessionnel de branche ou d'entreprise ou encore sur la portabilité des droits acquis dans ces dispositifs. Certains d'entre eux créent purement et simplement de nouvelles niches fiscales. Pour la CFDT, il est inimaginable que de telles questions soient tranchées au détour de cavaliers qui privent les représentants du personnel d'une part essentielle de leurs prérogatives. La CFDT a su montrer qu'elle savait négocier des régimes complémentaires ou des dispositifs d'épargne salariale orientés vers l'épargne retraite. Avant d'étendre l'un ou l'autre d'entre eux, d'accorder à tel ou tel un avantage fiscal, il convient de les évaluer. Ensuite, viendra l'heure de la négociation, puis du débat parlementaire. Nous vous demandons de surseoir sur ce sujet à toute décision ; la CFDT, de son côté, souhaite s'engager très rapidement dans la concertation.

Pour conclure, la CFDT est engagée dans une démarche de réforme. La manière dont celle-ci a été menée nous a privés de la possibilité de défendre la position que nous avions définie lors de notre congrès : agir sur la durée de cotisation, et non sur l'âge, pour régler la question démographique, distinguer clairement le contributif de la solidarité, harmoniser pour en arriver à un régime unique pour tous les salariés. Cette réforme aurait dû être l'occasion de s'engager sur ce chemin. Tout n'est pas perdu à condition de corriger cette réforme qui aura un impact budgétaire limité. Nous devrons bientôt remettre l'ouvrage sur le métier, ce qui est regrettable. Car, de réforme en réforme, on traumatise la population et on jette le discrédit sur notre système de retraite par répartition. Il est temps que cessent les manoeuvres politiciennes pour que nous imaginions un système de retraite adapté au monde du travail qui est aujourd'hui le nôtre.

Dominique Leclerc, rapporteur. - Si votre constat paraît sévère, je sais, d'après les échanges que nous avons eus au sein de la Mecss, que nous avons des points de convergence. Tout d'abord, la nécessité d'une réforme systémique, dont le but est de sauvegarder, et non de changer, notre système de retraite par répartition en y introduisant plus de justice et de transparence. Ce changement ne se fera pas du jour au lendemain et nécessite au préalable un long travail de pédagogie. Ensuite, nous considérons, à l'instar du conseil d'orientation des retraites (Cor), que la crise appelle des mesures d'urgences paramétriques. Premier paramètre, la durée de cotisation dont l'évolution est en marche depuis la loi de 2003. Deuxième paramètre, l'âge légal de départ à la retraite, que vous contestez, mais qui présente l'avantage d'avoir un impact financier rapide, ce qui n'est pas négligeable vu l'ampleur des déficits. Dernier levier, le financement, qui sera débattu dans la loi de financement de la sécurité sociale. En tout état de cause, cette réforme paramétrique devra être suivie, demain, d'une réforme systémique qui consistera, non en un changement de système, mais en un changement des règles. Enfin, dernier point de convergence, l'idée d'un complément lié à une épargne retraite, qui pourrait être collective et dont la forme reste à préciser.

Mais aujourd'hui, je voudrais revenir sur quatre sujets, à commencer par le passage de l'âge de la retraite à taux plein de soixante-cinq à soixante-sept ans. D'après Danièle Karniewicz, présidente de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), le report d'âge ne pénaliserait pas particulièrement les femmes, contrairement à ce que nous pensions, car une grande partie des femmes concernées ont arrêté de travailler depuis longtemps par choix personnel. Avez-vous des évaluations chiffrées ? Autre sujet, la majoration de pension de 10 % pour avoir élevé leurs enfants. Effectivement, elle n'est pas distributive, puisqu'elle est progressive en fonction de la pension. Faut-il prévoir un plafonnement ? Lequel ? Combien cela rapporterait-il ? Deuxièmement, les polypensionnés. Au cours de nos travaux préparatoires, il est apparu que retenir les vingt-cinq meilleures années sur l'ensemble d'une carrière, tous régimes confondus, ne représentait pas forcément un avantage pour les polypensionnés, sans compter que l'opération est complexe. De même, ramener de quinze à deux ans la durée de services dans la fonction publique pour avoir droit à une pension semble une simplification pour les polypensionnés. Quel est votre avis sur ces deux points ? Troisièmement, les carrières longues. La prise en compte des salariés ayant commencé à travailler à dix-sept ans représente un progrès, même si les conditions d'accès au dispositif ont été durcies l'an dernier. Quelles corrections envisager encore ? Enfin, la pénibilité. Nous croyons que nous sommes en train de créer un nouveau droit social, appelé à évoluer dans les années à venir. Comment améliorer le dispositif proposé ?

Gisèle Printz. - Que propose la CFDT pour améliorer la retraite des femmes ? Certaines d'entre elles perçoivent une pension inférieure au minimum vieillesse. Ne pourrait-on pas prévoir, pour elles, une allocation minimale ? Pour les jeunes, ne faudrait-il pas intégrer les années d'études et de stage dans le calcul de la retraite ?

Alain Vasselle, rapporteur général. - Vous avez affirmé avec force que la réforme serait supportée à 85 % par les salariés et à 15 % par les plus fortunés. Comment déplacer le curseur ? À quel degré ? Et pour quel niveau de contribution ? Ce prélèvement supplémentaire est-il compatible avec la compétitivité de nos entreprises et leur politique de recrutement des cadres supérieurs ? Ne risque-t-on pas d'assister à une fuite de la matière grise ? S'agissant de la pénibilité, une disposition du texte prévoit une modulation des cotisations pour financer les départs anticipés au titre de la pénibilité en fonction du degré de pénibilité des métiers constaté par secteur d'activité sur l'ensemble du territoire. Quels critères pensez-vous qu'il faille retenir pour calculer cette modulation ? A propos des fonctionnaires de la catégorie active, il est prévu de maintenir leur avantage - on allonge de deux ans l'âge de départ à la retraite - sans les aligner sur le droit commun. Qu'est-ce qui justifie le maintien de cet avantage ?

J'en viens aux femmes. Ce sont celles nées avant 1964 qui souffriraient le plus du report de l'âge de la retraite à taux plein à soixante-sept ans. Vous avez suggéré de forfaitiser les majorations familiales. Avez-vous chiffré cette proposition ? Le Gouvernement, semblait dire Eric Woerth ce matin, ne serait pas opposé à ce que nous travaillons sur ce type de dossier à condition de maintenir l'équilibre financier de la réforme. Autre sujet, la réforme systémique. La CFDT en est une adepte, mais quid des autres confédérations ? Etes-vous seul contre tous ou a-t-on une chance de l'intégrer dans la réforme ? Concernant les niches sociales, l'annualisation des allègements de charge, disent certains, aura des conséquences sur l'emploi. Qu'en pensez-vous ? Faut-il aller plus loin ? Enfin, vous n'avez pas abordé l'emploi des seniors, est-ce à dire que vous considérer le texte satisfaisant sur ce point ?

Jacky Le Menn. - J'espère que vous avez été convaincus par le plaidoyer en faveur de la réforme du rapporteur... Sur quels points a achoppé la réforme de 2003 que vous avez soutenue ? Certains de vos partenaires, notamment, n'ont pas jugé bon de poursuivre les travaux sur la question de la pénibilité que vous aviez mise en avant. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quelles sont les confusions possibles entre pénibilité et invalidité ? A mon sens, ce n'est pas seulement un problème sémantique, il s'agit d'approches différentes qui appellent des mesures différentes. Pourriez-vous détailler les raisons de votre soutien à l'allongement de la durée de cotisation ? Enfin, quelles sont les propositions de la CFDT sur les pensions des travailleurs handicapés ? Cette question concerne un public fragilisé, voire victime d'une accélération de l'injustice quand ce sont des femmes.

Raymonde Le Texier. - Pouvez-vous être plus explicite sur l'absence de concertation que vous avez dénoncée dans votre exposé ? A chaque fois que cette question a été abordée à l'Assemblée nationale, le Gouvernement et la majorité ont poussé des hurlements et fait valoir que la concertation a duré des mois. Pouvez-vous nous en dire plus sur la réforme systémique ? Par exemple, que pensez-vous des comptes notionnels ? La CGT nous a dit hier y être farouchement opposée. Quant à la pénibilité, vous avez beaucoup parlé des expositions. Mais prenons l'exemple de celui qui, depuis l'âge de seize ans, pose du carrelage. Certes, il a inhalé de la colle, mais il a surtout les genoux en bouillie. Doit-il vraiment passer devant une commission pour s'arrêter à soixante ans ? Autre exemple, dans ma ville, certaines femmes ne trouvent du travail que dans des usines de découpage de poulet réfrigérées à 12°C. Faut-il vraiment qu'elles aillent pleurer pour obtenir de partir à soixante ans ? Enfin, concernant le report de l'âge de la retraite à taux plein de soixante-cinq à soixante-sept ans, vous avez rappelé, dans votre exposé, que 63 % de ceux qui partent en retraite à soixante-cinq ans sont titulaires du minimum contributif. D'après la présidente de la Cnav, semble dire Dominique Leclerc, les femmes ne sont pas particulièrement concernées car elles se seraient arrêtées de travailler par choix personnel. Nous ne partageons pas cette analyse. Bien souvent, elles n'ont pas eu d'autre possibilité : une place en crèche que, de toute façon, elles ne trouvaient pas, leur coûtait plus cher que de travailler. Bref, les femmes sont-elles, oui ou non, les premières pénalisées par le report de soixante-cinq à soixante-sept ans ?

Muguette Dini, présidente. - Permettez-moi de préciser : la directrice de la Cnav a simplement posé un constat, elle n'a pas parlé d'arrêt volontaire. D'après elle, cette catégorie serait en voie d'extinction, les femmes reprenant aujourd'hui une activité professionnelle après la maternité.

Jean-Pierre Godefroy. - Que pensez-vous du cavalier introduit à l'Assemblée nationale sur la médecine du travail ? Aux termes du nouvel article 25 quater, « les missions définies à l'article L. 4622-1-1 sont exercées par les médecins du travail, en lien avec les employeurs et les salariés désignés pour s'occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels ou les intervenants en prévention des risques professionnels ». N'est-ce pas placer les médecins du travail sous la tutelle des employeurs ? La question mérite débat. La comparaison avec le lien hiérarchique existant entre médecins hospitaliers et directeurs d'hôpitaux ne tient pas : l'indépendance professionnelle du médecin y est garantie. De plus, pourquoi des salariés désignés par l'employeur, comme cela est précisé au 6° du I de l'article 25 quater, et non par les salariés ? Autre sujet d'inquiétude, « si les compétences dans l'entreprise ne permettent pas d'organiser ces activités », l'employeur pourra faire appel à des intervenants extérieurs. Cela laisse songeur : qui décidera qu'il n'y a pas les compétences dans l'entreprise ? Enfin, notre mission d'information sur le mal-être au travail avait préconisé une gestion paritaire de la médecine du travail, idée reprise au nouvel article 25 sexies. Qu'en pensez-vous ?

Jean-Louis Malys. - Vos interventions étaient très denses, je vous prie de m'excuser si je ne réponds pas à toutes les questions posées. Dominique Leclerc, le Gouvernement affirme : « A cause démographique, mesure démographique ». Mais un changement démographique est-il intervenu entre 2007 et 2010 qui expliquerait l'aggravation du déficit ? Non, c'est la crise ! Et l'on demande aux salariés, qui ont subi de plein fouet cette crise, de fournir encore un effort. A quel degré déplacer le curseur ? Je l'ignore. En revanche, je sais que la contribution des hauts revenus est extrêmement symbolique - 1 % sur la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu -, c'est peu au regard de tout ce qui leur a été accordé. Pour nous, il faut créer une nouvelle tranche.

La réforme est injuste parce qu'elle est déséquilibrée. Il existe deux discours diamétralement opposés qui retiennent, l'un, les seules causes démographiques et, l'autre, les seules causes économiques. Pour la CFDT, il y a les deux. D'où la nécessité d'allonger la durée de cotisation et de partager l'effort en distinguant le contributif de la solidarité. Celle-ci doit jouer son rôle : l'aggravation du chômage et de la précarité - la reprise se fait par les CDD et l'intérim - contribuent à la détérioration des systèmes de retraite. Le recours à la solidarité risquerait d'entraîner la fuite des riches et des cadres ? Pardonnez-moi, mais on ne peut pas critiquer les gamins qui sifflent la Marseillaise et s'inquiéter du sort de ceux qui n'acceptent pas nos règles fiscales et menacent de quitter le pays. L'impôt est le premier acte de citoyenneté. Nous ne pouvons pas être l'otage des grandes fortunes et des hauts revenus. Compte tenu de la crise, il faut rétablir la progressivité de l'impôt. Et la question du bouclier fiscal d'apparaître devant nos yeux...

La réforme systémique consiste effectivement à envisager un autre système de répartition que celui par annuités. Mais, pour sauver notre système par répartition, l'important est de donner aux jeunes le sentiment de la contributivité. Ils doivent savoir qu'ils auront un retour garanti sur leurs cotisations retraite qui, aujourd'hui, représentent pas moins de 26 % du salaire net, tous salariés confondus. Or, aujourd'hui, le message permanent qu'on adresse aux jeunes générations est : « le système est tellement compliqué qu'on ne saurait vous dire quels seront vos droits et, de toute façon, vous n'aurez sans doute rien ! » À force de jouer sur les paramètres, seuls ceux qui ont des carrières linéaires et dynamiques auront une retraite. Au lieu de demander aux gens de s'adapter à ce modèle qui date des années 1960-1970 et n'existe plus, il faut adapter notre système de retraites au monde du travail d'aujourd'hui. La répartition implique la contributivité. La réforme du Gouvernement ne parvient pas à la garantir. La liquidation du fonds de réserve des retraites, destiné à absorber les effets du baby-boom, est un signe politique très négatif pour les jeunes générations.

J'en viens aux femmes. Le travail féminin se concentre aujourd'hui sur deux pôles : des emplois de haut niveau, par exemple dans certains secteurs comme la santé et l'éducation - où demeure néanmoins le phénomène du plafond de verre pour le haut de la hiérarchie - et les emplois précaires, où règne aujourd'hui la plus grande misère sociale. Nous n'avons pas beaucoup progressé en trente ans, au mieux nous avons stagné. C'est vers ces femmes qui n'ont pas eu le choix que nous devons redéployer la solidarité. Nous n'avons pas de chiffrage de nos propositions à l'euro près. En revanche, la majoration de pension de 10 % représente 6 milliards.

Véronique Descacq, secrétaire nationale de la CFDT. - Permettez-moi de commencer par la politique des allègements de charges qui expliquent en grande partie la situation de l'emploi des femmes. Que lui reprochons-nous ? L'absence de conditionnalité à une politique d'emploi quantitative ou qualitative et ses effets pervers puisque, outre qu'ils sont des trappes à bas salaire et, donc, à basse qualification, ces allègements encouragent le temps partiel imposé. Leur impact est extrêmement négatif à l'heure où nous devons aller vers une économie de la connaissance. Ces travailleurs pauvres, bien souvent, sont des femmes qui n'ont pas eu le choix. Si l'on considère le coût de la majoration familiale de 10 % en sus du coût de sa non-imposition - une niche fiscale totalement injuste d'autant que ces retraités n'ont plus d'enfants à charge -, on atteint 7 milliards, dont 330 millions pour la seule niche fiscale. La forfaitisation à hauteur de 57 euros par mois permettrait de redéployer environ 2 milliards vers les personnes qui ont eu des carrières accidentées, qui se trouvent être souvent des femmes.

J'en viens à la question d'Alain Vasselle concernant le curseur entre salariés et hauts revenus. Pour financer la retraite, qui est un revenu de remplacement - j'y insiste, car c'est la clé de notre système par répartition -, il existe trois solutions. Premièrement, l'augmentation des éléments de contributivité. Celle-ci peut passer par une hausse du taux d'emploi - d'où la question de l'emploi des seniors -, l'allongement de la durée de cotisation et l'augmentation des cotisations. Cette dernière mesure serait négative en temps de crise et d'autres besoins tels que la dépendance et la santé seront à couvrir. Deuxième levier, le fonds de réserve des retraites. La réforme nous en prive au moment où le choc démographique de la génération du baby-boom va advenir. Enfin, les redéploiements à réaménager et à créer pour faire face à des solidarités nouvelles. Je pense, entre autres, à une nouvelle tranche d'impôt sur le revenu et la suppression du bouclier fiscal et des niches fiscales qui ne profitent pas à l'emploi.

Muguette Dini, présidente. - Sur les sept cent mille départs à la retraite par an, quelle est la proportion de femmes ? Parmi elles, combien partent à la retraite avec une pension inférieure au minimum vieillesse ?

Yves Canevet. - D'après les chiffes de 2004, 56 % des femmes partent à la retraite avec une carrière incomplète, contre 14 % pour les hommes. Elles quittent le monde du travail à soixante-cinq ans pour 30 % d'entre elles, contre 10 % pour les hommes. Parmi ces femmes qui partent à la retraite à soixante-cinq ans, 75 % sont titulaires du minimum contributif. L'âge de départ à la retraite à taux plein, plus exactement sans application de la décote, est, en réalité, la condition d'accès aux mécanismes de solidarité.

Muguette Dini, présidente. - Quel est le pourcentage de femmes qui partent à la retraite alors qu'elles sont seules avec des enfants à charge ?

Jean-Louis Malys. - Les chiffres existent, ils sont inquiétants. De toute évidence, nous assistons à une massification des familles monoparentales pauvres.

Muguette Dini, présidente. - Cette situation ne va-t-elle pas aller en s'améliorant dans quelques années avec l'augmentation du niveau de qualification et, donc, des salaires ?

Véronique Descacq. - J'attire votre attention sur la lenteur de ces phénomènes. Depuis la loi sur l'égalité professionnelle dans l'entreprise il y a presque trente ans, les partenaires sociaux négocient au sein des branches et des entreprises. Nous n'avons pas le droit d'attendre que les changements culturels et sociétaux arrivent à leur terme. Sans quoi, des générations de femmes vivront leur retraite dans la pauvreté.

Jean-Louis Malys. - Je vais tenter de continuer de répondre aux orateurs. Concernant le minimum contributif, ce dernier est un mécanisme très curieux. En réalité, il corrige partiellement une anomalie de notre système de retraite. Le principe des vingt-cinq meilleures années privilégie les personnes qui ont eu une carrière dynamique, contre celles qui auront eu une carrière plate. Autrement dit, une personne qui aura touché le Smic toute sa vie contribuera davantage. Les vingt-cinq meilleures années pénalisent les 30 % des salariés les plus modestes ainsi qu'une toute petite partie des très hauts revenus en raison des effets de plafond. Le minimum contributif relève donc de la solidarité et du contributif, contrairement au minimum vieillesse qui est du domaine de la seule solidarité. Pour autant, l'effet correcteur du minimum contributif étant insuffisant, certaines personnes qui ont travaillé touchent le minimum vieillesse. Le Cor a publié en janvier un rapport sur les dysfonctionnements du système actuel par annuités, que nous avons décortiqués lors de nos travaux sur l'hypothèse d'une réforme systémique, engagés grâce aux parlementaires.

Je ne suis pas certain que les autres organisations syndicales aient des positions si différentes des nôtres sur la réforme systémique. Il est plus confortable de se dire que le système par annuités a bien fonctionné. Et ce fut le cas pendant longtemps. Aujourd'hui, il faut avoir la lucidité de reconnaître qu'il n'est plus adapté. Une certaine grande organisation syndicale a récemment pris position dans la presse pour une « maison commune des retraites » et la « mise à plat du système ». Si nos conclusions sont différentes, nous nous interrogeons tous sur l'opportunité de dépoussiérer le système actuel.

Nous avons posé la question à nos délégués - ce faisant, nous avons aussi jeté une pierre dans le jardin des partenaires sociaux et des partis politiques. Nous pensons qu'un vrai débat est nécessaire : il était en train de naître mais la présente réforme le ferme de facto... C'est dommage, car la retraite, c'est le reflet de toute une vie, un sujet important, donc. La démocratie aurait été gagnante. Nous pouvions espérer nous accorder sur le diagnostic, voire sur des pistes de solutions... Dans tous les partis, on trouve des partisans de la réforme systémique. Faut-il opter pour un système notionnel pur ? Il n'existe pas de système parfait, mais une organisation moderne devrait tenir compte des choix des salariés et de la réalité de leur carrière. Aujourd'hui, quel est le choix : partir plus tôt avec une décote ou plus tard avec une surcote peu attractive ?

S'agissant des infirmières, la question pertinente est : pourquoi dans le privé n'applique-t-on pas de mesures de pénibilité ? La compensation qui a été accordée en 2003 aux aides-soignantes n'a été contestée par personne. Ce que nous disons, c'est qu'à exposition professionnelle égale, lorsque l'espérance de vie est entamée, il faut une compensation. Les femmes qui travaillent de nuit ont plus de cancers du sein que les autres car ce rythme induit des dérèglements. Le journaliste qui fait toute sa carrière la nuit aura eu un travail pénible ; l'électricien qui travaille de jour, à heures fixes, a une tâche moins pénible.

Jean-Pierre Godefroy. - Peut-être faudrait-il dire « altération de l'espérance de vie » plutôt que « pénibilité » ?

Jean-Louis Malys. - Avant 2003, on parlait peu de pénibilité. La négociation n'a pas été un pur échec car on s'est accordé sur une définition et les trois catégories ont été reprises dans la loi : efforts physiques ou posture physique, ambiances toxiques - y compris exposition au chaud ou au froid -, rythmes de travail. Avec les organisations patronales et pas seulement le Medef, le désaccord a porté sur le degré, sur le chiffrage, non sur les catégories. Surtout, nos interlocuteurs étaient d'accord sur tout, à la condition de ne rien payer - bref, très bien si la sécurité sociale prend tout à sa charge...

Adopter des dispositions sur la pénibilité obligera à observer précisément les conditions de travail dans la durée et incitera à la prévention. Cette traçabilité est bienvenue car aujourd'hui la méconnaissance est totale sur ce qui se passe dans le monde du travail.

Nous avons eu une longue négociation sur la médecine du travail. Elle s'est conclue par un échec. Nous avons ensuite rencontré les services du ministère. Mais ce cavalier législatif est apparu sans que nous ayons été informés des dispositions que le Gouvernement entendait présenter. Tout n'est pas négatif : je songe à la pluridisciplinarité, que nous avons toujours réclamée : ergonomes et toxicologues ont leur place, au paritarisme mais pourquoi la direction échoit-elle toujours au patronat ? Ce qui n'est pas acceptable, c'est l'ambiguïté du rôle reconnu à l'employeur. L'entreprise est un domaine privé, non public, et c'est au patron que revient la responsabilité des conditions de travail. Cette responsabilité ne peut être déléguée. Il ne saurait y avoir ni dilution de celle-ci, ni mise sous contrôle des services de santé. Et le sujet ne peut être clos ainsi, par un cavalier législatif.

Les dispositifs relatifs aux carrières longues ont été étendus aux handicapés, mais quand on durcit les critères d'accès aux carrières longues, on rétrécit du même coup les possibilités d'accès pour les handicapés. Il faut se battre pour que ceux-ci puissent travailler, ils contribuent ainsi à leur retraite. Et c'est la solidarité nationale qui doit jouer pour leur permettre de partir plus tôt en retraite.

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