N° 75

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 octobre 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Cap-Vert relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire, et sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire,

Par Mme Catherine TASCA,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Etienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Jean-Pierre Bel, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Philippe Paul, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

2061 , 2062, 2434 , T.A. 442 et 443

Sénat :

405, 406 (2009-2010), 76 et 77 (2010-2011)

INTRODUCTION

« L'Europe est la seule zone de dépression démographique de la planète »

Pascal Lamy, directeur général de l'OMC.

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi de deux nouveaux accords de gestion concertée des flux migratoires signés avec les gouvernements du Cap-Vert et du Burkina Faso et adoptés par l'Assemblée nationale le 8 avril 2010.

Ces accords font suite aux conventions relatives à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement avec les gouvernements du Gabon, du Bénin, du Congo, du Sénégal et de la Tunisie, que le Sénat a adoptées en 2008 1 ( * ) .

L'objectif des accords de gestion concertée des flux migratoires est d'articuler un assouplissement des règles de circulation pour certaines catégories de personnes originaires des pays partenaires, comme les étudiants ou les travailleurs migrants, avec un renforcement de la coopération en matière de lutte contre l'immigration clandestine et un soutien aux initiatives dans le domaine du développement.

Les accords aujourd'hui soumis au Sénat reprennent l'architecture de ceux qui les ont précédés. Ils sont conclus avec des Etats peu peuplés, dont la communauté établie en France est peu nombreuse. Ils restent cependant représentatifs de la complexité de la question des migrations, devenue un sujet majeur du débat public dans notre pays.

D'inspiration française, cette politique se présente comme une synthèse des politiques migratoires et des politiques de développement. Elle a été reprise au niveau européen, où a été formalisée une approche globale des migrations et des instruments financiers.

Ces accords de gestion concertée des flux migratoires cherchent à créer un cadre de dialogue sur la question des migrations dont l'équilibre dépend largement de leurs conditions d'application et, en premier lieu, de la concrétisation de leur volet « développement ».

I. GESTION CONCERTÉE DES FLUX MIGRATOIRES ET APPROCHE GLOBALE DES MIGRATIONS

La tentative d'instaurer une gestion concertée des flux migratoires s'inscrit dans un contexte d'augmentation générale des flux migratoires sur le long terme.

A. DANS UN CONTEXTE D'AUGMENTATION DURABLE DES FLUX MIGRATOIRES...

Actuellement, le phénomène migratoire concerne, sur l'ensemble de la planète, plus de 214 millions de personnes, soit 3,1 % de la population mondiale.

Le nombre total de migrants a doublé au cours de ces vingt dernières années, aujourd'hui 1 personne sur 35 est un migrant habitant hors de son pays d'origine2 ( * ).

S'agissant des migrants illégaux, ils représentent, selon les estimations, entre 10 % et 15 % de la population migrante mondiale, soit près de 30 millions de personnes.

La crise économique et financière de 2008 a cependant eu un impact sur les flux migratoires. Les migrations internationales ont connu une baisse, en 2008. Les entrées de migrants permanents vers les pays de l'OCDE ont reculé de 6 % environ, tombant à 4,4 millions d'individus, alors qu'au cours des cinq années précédentes, leurs effectifs avaient augmenté de 11 % par an en moyenne. Ce recul des effectifs s'est accentué en 2009. S'agissant des migrations temporaires, elles ont également fléchi de 4 %.

Ce fléchissement est dû en partie aux flux migratoires liés au travail. Il témoigne d'une baisse de la demande de travailleurs étrangers émanant des entreprises des pays de l'OCDE, mais également de politiques d'immigration plus restrictives.

Les pays de l'OCDE, après avoir encouragé l'immigration à une époque où les besoins de main-d'oeuvre étaient importants, reviennent progressivement à une situation où l'appel à la main-d'oeuvre immigrée est de moins en moins nécessaire pour satisfaire les besoins du marché du travail, à l'exception notable de secteurs industriels et de services particuliers comme les technologies de l'information et de la communication (TIC).

Il s'en est suivi des politiques d'encouragement au retour des ressortissants étrangers travaillant dans les secteurs où traditionnellement le nombre d'emplois à pourvoir était important et dont le profil ne correspond plus aux besoins actuels. Ces politiques de retour ont été concrétisées par des mesures d'incitation et d'accompagnement se traduisant par l'octroi de pécules qui pouvaient être injectés dans l'économie du pays d'origine. Par ailleurs, les retours volontaires et spontanés ont également ramené au pays d'origine des ressortissants porteurs de capacités d'investissement et de création d'entreprises.

Cependant, sur cette même période, l'immigration familiale a progressé de 3 %, tout comme celle à caractère humanitaire qui a enregistré une augmentation de 14 % des demandeurs d'asile.

Selon le rapport de l'OCDE sur les Perspectives des migrations internationales 2010 , à mesure que la reprise économique progressera, de nouvelles entrées de migrants seront nécessaires pour remédier aux pénuries de main-d'oeuvre ou de compétences.

Sur le plus long terme, l'Europe devrait connaître une diminution de sa population de l'ordre de 48 millions d'habitants d'ici 2050 . « S eule zone de dépression démographique de la planète », selon l'expression de Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, elle aura vraisemblablement besoin d'un apport migratoire pour compenser le vieillissement de sa population.

Source : Nations unies

Dans le même temps, l'Afrique devrait compter 1,8 milliard d'habitants en 2050, soit trois fois plus que l'Europe de demain, plus que l'Inde et 25 % d'habitants de plus que le Chine.

Cette perspective, qui peut être une réelle opportunité, devra être accompagnée par des politiques migratoires adaptées.

L'Europe, de par sa proximité, est concernée au premier chef par cette évolution. Elle a plus que jamais un intérêt immédiat au développement de l'Afrique.

Comme le souligne le rapport de MM Christian Cambon et André Vantomme au nom de notre commission, intitulé : « Pour une mondialisation maîtrisée » : « Qui peut penser que, si cette Afrique à douze kilomètres du continent européen, forte de 1,8 milliard d'habitants en 2050 n'assure pas son développement et son autosuffisance alimentaire, l'Europe ne sera pas touchée par des tensions migratoires sans commune mesure avec celles que nous connaissons aujourd'hui ? » .

On assiste parallèlement à une prise de conscience des effets paradoxaux de l'immigration pour les pays africains eux-mêmes.

D'un côté ces migrations contribuent au développement de l'Afrique par la mobilisation des transferts financiers des migrants en faveur de leur pays d'origine.

Ces transferts concernent des sommes conséquentes, biens supérieures au volume d'aide publique au développement reçu par les Etats africains. Ils représentent, en effet, dans certains pays d'Afrique, entre 9 et 24 % du PIB, soit entre 80 et 750 % de l'aide publique au développement dont ils sont bénéficiaires 3 ( * ) . Ils constituent une manne financière pour les pays d'origine et permettent souvent d'assurer l'équilibre de la balance des paiements.

Ils présentent enfin une grande régularité et une fiabilité supérieure à celle des flux d'APD, exposés à de fortes variations au gré de l'intérêt des bailleurs, ainsi qu'aux investissements directs très sensibles à la conjoncture.

Au-delà de ces transferts, les flux migratoires, quand ils se traduisent par des retours, sont l'occasion de mettre à profit les expériences vécues en Europe, voire des formations qui bénéficient ainsi aux pays d'origine.

Cette migration doit néanmoins être mise en regard de la perte de compétence que constitue la migration de masse hors des pays d'origine. Le risque de fuite des cerveaux a été maintes fois souligné. Les élites qui viennent se former en Europe et qui parfois s'y installent définitivement privent leur pays d'origine de talents, si nécessaires au développement, comme l'illustre le cas des médecins africains en France qui sont parfois plus nombreux en métropole que dans leur pays d'origine.

L'ensemble de ces évolutions à court et à long terme a influé sur les politiques migratoires aussi bien des pays d'accueil que des pays d'origine.

Dans un contexte de chômage structurel élevé et de tensions sociales croissantes se traduisant par la multiplication des phénomènes d'exclusion sociale, l'immigration est devenue un enjeu majeur du débat politique des pays de l'Union européenne.

La crispation de l'opinion publique, le contexte économique et social dégradé, les difficultés rencontrées par les politiques d'intégration, ont conduit la majorité des pays européens, dont la France, à justifier des politiques migratoires restrictives et à renforcer les moyens de lutte contre l'immigration irrégulière.

Dans le même temps, la mise en lumière du rôle des migrants dans le développement des pays d'origine et la problématique du développement à long terme de l'Afrique ont poussé les pouvoirs publics à penser la politique de l'immigration et du développement en termes d'intérêt partagé et à les articuler à travers la notion de codéveloppement.

Votre commission avait montré dès 2007 les avantages de cette démarche dans un rapport intitulé : « Le codéveloppement à l'essai » qui soulignait que « le codéveloppement est une politique publique à l'état de «  prototype  »» dont les accords de gestion concertée des flux migratoires se veulent le prolongement.

Initialement considérée comme source de tensions économiques et sociales, l'immigration a ainsi progressivement été également perçue comme un facteur potentiel de développement devant faire l'objet d'une gestion concertée entre les pays du Nord et du Sud.

C'est dans ce cadre que s'inscrit l'action de la France qui connaît, en matière d'immigration, quelques spécificités par rapport à certains de nos voisins européens, même si elle s'inscrit dans la tendance générale des pays de l'Union.

De manière générale, l'immigration en France est plus familiale que professionnelle, comme l'attestent les chiffres de 2008 du tableau ci-après. En effet, s'agissant des visas de long séjour : 51,9 % sont délivrés pour motifs familiaux, 13,8 % pour raisons professionnelles, et enfin 6,8 % pour raisons humanitaires. A l'inverse, en ce qui concerne le Portugal, le Danemark et le Royaume-Uni, l'immigration de travail constitue le premier motif d'entrée.

Concernant la délivrance de visas de court séjour en 2008, près de 50 % sont des visas pour étudiants. Ces étudiants sont principalement originaires de la Chine, du Maroc, de l'Algérie et des USA. S'agissant plus particulièrement des étudiants chinois, leur nombre a augmenté avec une moyenne annuelle de 30,2 % ces treize dernières années.

Les dix nationalités issues de l'immigration les plus présentes en France sont : l'Algérie avec plus de 15 %, le Maroc avec un peu moins de 15 %, la Tunisie à plus de 5 %, la Turquie, le Mali, la Chine, le Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire, et la Roumanie.

Source : International Migration Outlook SOPEMI 2010 OECD


* 1 Rapport numéro 129 (2008-2009) de Mme Catherine Tasca, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Rapport n° 367 (2007-2008) de Mme Catherine TASCA, fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 3 juin 2008.

* 2 Etat de la migration dans le monde. 2008. Organisation internationale pour les migrations.

* 3 Les transferts des fonds des migrants, un enjeu de développement, Banque Africaine de développement, 2009.

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