II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Votre rapporteur souscrit à l'ensemble des conclusions formulées par M. Jean Bizet dans sa proposition de résolution européenne qui accueillent favorablement les avancées de la nouvelle rédaction de la proposition de directive relative aux droits des consommateurs ainsi qu'à la demande de soutien à l'équilibre général de cet accord.

En effet, au vu de la longueur du processus législatif qui caractérise un dossier aussi sensible que les droits des consommateurs et surtout compte tenu des évolutions actées par la réunion du Coreper de décembre dernier qui ont largement amélioré la rédaction initiale du texte en permettant de sauvegarder la protection des consommateurs garantie par notre droit interne, il semble non seulement que le compromis obtenu est acceptable mais aussi que ce dernier doit être fermement soutenu afin que les avancées qu'il permet puisse être rapidement mises en oeuvre sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne.

Votre rapporteur souhaite néanmoins insister sur la nécessaire vigilance qui doit être celle des autorités françaises, lors du passage du texte du texte devant le Parlement européen, quant au maintien de cet équilibre permettant aux États membres de conserver une marge de manoeuvre sur des points pour lesquels leur droit est plus protecteur. Il entend ainsi souligner que l'exigence d'un haut niveau de protection des consommateurs, objectif fixé par l'article 169 du TFUE, et l'objectif de bon fonctionnement du marché intérieur, prévu par l'article 114 du même traité, sont loin d'être antinomiques.

A. RESTER VIGILANT SUR LA CONSERVATION D'UN JUSTE ÉQUILIBRE

Votre rapporteur, s'il approuve complètement l'approche d'harmonisation maximale ciblée in fine privilégiée par le Conseil, entend néanmoins relever les limites que comporterait une vision trop minimaliste en matière de degré d'harmonisation.

1. Une protection efficace des consommateurs est une condition essentielle à la réalisation du marché intérieur

On le sait, l'analyse de la Commission européenne insiste sur la fragmentation des législations dans le domaine de la protection des consommateurs comme obstacle à la réalisation du marché intérieur et au développement des échanges commerciaux transfrontaliers.

Il est vrai, à cet égard, que le commerce transfrontalier de biens de consommation, et notamment le e-commerce ou commerce électronique qui représente environ 3 % du commerce en Europe, doit être développé alors même que ce secteur devrait être le premier à bénéficier de la réalisation d'un marché intérieur européen.

La Commission européenne a publié une communication sur le sujet en mars 2009 puis, le 22 octobre 2009, un rapport consacré au commerce électronique transfrontalier de biens de consommation 21 ( * ) qui recommande un certain nombre d'actions prioritaire et notamment de :

- doter le consommateur européen d'un ensemble de droits simple et unique afin d'assurer une protection identique aux consommateurs tout en réduisant les coûts de mise en conformité pour les détaillants et en leur apportant la clarté juridique ;

- renforcer l'application de la législation par-delà les frontières afin de lutter contre les pratiques illégales et d'amener le consommateur à moins se défier du commerce transfrontalier.

Une vaste enquête mystère a été menée par un organisme indépendant pour la Commission : à travers l'UE, des acheteurs ont tenté de commander cent produits très demandés - appareils photos, CD, livres ou vêtements, par exemple - auprès d'un prestataire d'un autre pays. Plus de 11 000 commandes ont été passées.

Il ressort de cette enquête que 60 % des transactions transfrontalières n'ont pas pu aboutir parce que le commerçant n'assurait pas l'expédition du produit vers le pays des acheteurs ou qu'il ne proposait pas de moyens de paiement transfrontalier adéquats. La Lettonie, la Belgique, la Roumanie et la Bulgarie sont les pays où le consommateur peut le moins procéder à des achats transfrontaliers. Pire, plus de la moitié de ce type d'achats est vouée à l'échec dans 25 pays sur 27.

Les avantages auxquels doivent renoncer les citoyens sont également très clairs. Dans plus d'un Etat membre sur deux, plus de la moitié des produits a pu être trouvée 10% moins cher (frais de transport inclus) sur un site situé dans un autre pays. Et 50 % des produits recherchés n'ont pu être trouvés sur des sites nationaux, étant proposés uniquement par des commerçants installés dans un autre État membre.

Par ailleurs, l'écart entre le commerce électronique national et transfrontalier se creuse malgré un fort potentiel de développement.

La Commission européenne a présenté le 22 octobre 2009 une série de mesures à prendre afin de réduire la complexité de l'environnement réglementaire, qui n'incite pas les entreprises à offrir des services aux consommateurs d'autres États membres. En outre, et afin d'accroître la confiance dans les transactions électroniques, les problèmes liés à la collecte de données commerciales et à l'utilisation de ces données pour déterminer le profil des consommateurs et leur adresser des offres ciblées feront l'objet d'une analyse menée au sein du forum rassemblant les protagonistes concernés.

Votre rapporteur a par ailleurs pu constater, lors de l'audition de Price Minister, site internet d'achat et de vente en ligne, que l'harmonisation maximale va dans le sens d'une plus grande sécurisation juridique des professionnels et permet de donner un cadre juridique cohérent à l'ensemble des acteurs concernés.

Le postulat de départ de la Commission européenne était clairement énoncé dans la proposition de directive initiale, qui stipule que « les législations des États membres en matière de contrats conclus avec des consommateurs présentent des différences marquées qui peuvent causer des distorsions sensibles de la concurrence et faire obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur. La législation communautaire actuellement en vigueur dans le domaine des contrats à la consommation conclus à distance ou en dehors des établissements commerciaux, des biens de consommation, des garanties accordées aux consommateurs et des clauses contractuelles abusives établit des normes d'harmonisation minimales qui autorisent les États membres à maintenir ou à adopter des mesures plus strictes pour assurer un niveau plus élevé de protection des consommateurs sur leur territoire » .

Si votre rapporteur ne remet pas en cause ce postulat selon lequel ces disparités de réglementation créent des barrières importantes au sein du marché intérieur et augmentent les coûts de mise en conformité pour les entreprises désireuses de s'engager dans la vente transfrontalière de biens, il souligne néanmoins qu'il n'est pourtant pas entièrement satisfaisant.

En effet, il semble que les réticences aux échanges transfrontaliers ne trouvent pas dans cette variété des lois nationales leur seul facteur explicatif. D'autres éléments bien plus essentiels doivent être considérés.

Les difficultés d'ordre linguistique semblent ainsi constituer un obstacle majeur au développement des échanges transfrontaliers et obèrent la confiance des consommateurs. Cette réalité est d'ailleurs largement mise en avant par une association de consommateurs comme UFC - Que choisir, que votre rapporteur a pu entendre sur ce sujet.

À cet obstacle, peuvent également s'ajouter des difficultés inhérentes au commerce électronique. La maîtrise de l'outil informatique par exemple, constitue un obstacle important, notamment pour les consommateurs d'un certain âge, auquel vient s'ajouter la défiance encore assez répandue à l'encontre des moyens de paiement en ligne.

Le nombre de réclamations reçues par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui effectue une veille systématique grâce à son Centre de Surveillance du Commerce Electronique (CSCE) est en effet révélateur de cette défiance. Avec 20 289 de réclamations reçues en 2010, la vente à distance reste le premier poste des réclamations.

Selon les informations transmises par la DGCCRF, les réclamations en volume concernent au premier titre les professionnels du secteur des biens d'équipements de la maison (informatique, électronique, meubles,...) et de la personne.

Total réclamations VAD hors telecom, énergie en 2010                        20 289

Equipements de la maison

6 480

Equipements de la personne

3 006

Services d'assistance et d'intermédiaire

990

Tourisme, vacances

688

Matériels et pratiques de sport, loisirs, jouets

514

Concours, loteries

439

Equipements et accessoires

326

Produits alimentaires

320

Services d'assistance et d'intermédiaire

294

Spectacles, culture

281

Source : DGCCRF

Les principales pratiques reprochées sont relatives aux pratiques commerciales trompeuses et à la livraison.

Total réclamations VAD hors telecom, énergie                                       20 289

Pratique commerciale trompeuse

3 920

Livraison (délai, conformité, marchandise abîmée, responsabilité du transporteur, devoirs de l'acheteur)

3 085

Inexécution de la prestation ou indisponibilité totale du service

1 393

Non respect du délai de remboursement

1 211

Tromperie à l'égard des consommateurs

810

Mauvaise information précontractuelle

798

Contestation du prix ou du montant de la facture

748

Non confirmation de l'offre ou information incomplète

653

Garantie légale de conformité

632

Retard de remboursement en cas d'indisponibilité du produit

479

Source : DGCCRF

Le professeur Gilles Paisant, qui relève l'ensemble de ces obstacles au développement du commerce électronique dans un article publié dans la Semaine juridique, en conclut ainsi que « les différences entre les législations nationales restent fondamentalement sans incidence sur la confiance que le consommateur est susceptible d'éprouver ou non dans le marché intérieur » 22 ( * ) .

Votre rapporteur en conclut ainsi que le consommateur est, sinon davantage, au moins autant sensible, en matière de commerce électronique, au degré de protection qui lui est assuré plutôt qu'à la facilité des transactions en raison de cette défiance qui entoure encore ce type de commerce.

La logique peut donc être renversée : c'est parce que le dispositif créé par la proposition de directive sera à même de convaincre le consommateur qu'il est mieux protégé que ce dernier sera enclin à faire des achats transfrontières.

Ce n'est pas l'harmonisation maximale qui doit être rejetée en tant que telle, mais c'est sa consécration en tant que principe unique qui peut être interrogée. En effet, si l'harmonisation maximale permet de garantir une sécurité juridique bénéfique au consommateur, elle ne doit pas, au nom d'une application absolue et figée, se traduire par un recul par rapport à notre droit national.

Par ailleurs, votre rapporteur rejoint tout à fait la position exprimée par M. Jean Bizet dans sa proposition de résolution : le droit de la consommation est un droit vivant, mouvant. Le e-commerce évolue lui aussi constamment et nécessite une grande souplesse et adaptabilité du droit pour protéger le consommateur. Une approche permettant de différencier les éléments susceptibles de faire l'objet d'une harmonisation maximale afin de garantir au consommateur une vraie sécurité juridique - comme les définitions par exemple - et les éléments qui pourront être sensibles aux évolutions des enjeux recouverts ou encore au développement de pratiques commerciales nouvelles autour d'internet semble donc constituer un équilibre mesuré et pragmatique. C'est le cas du compromis obtenu.

2. Les perspectives

Si un compromis a pu être dégagé au sein du Conseil, votre rapporteur est conscient que c'est désormais au tour du Parlement européen, en vertu de la procédure de codécision, de se prononcer sur la proposition de la Commission européenne.

Le dossier est donc loin d'être clos et rien n'indique que la position du Conseil sera forcément suivie par le Parlement européen, notamment concernant la suppression des chapitres IV et V de la directive.

Cette nouvelle orientation générale a été adoptée en point A du Conseil de l'Union européenne « Agriculture et pêche » du 24 janvier 2011. Mais le Parlement européen doit désormais se prononcer sur ce projet. Deux commissions sont concernées : la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO), qui a désigné comme rapporteur M. Andreas Schwab (PPE) et la commission des affaires juridiques (JURI), qui a désigné comme rapporteur Mme Diana Wallis (ALDE).

Le 1 er février 2011, la commission IMCO n'a pas repris la position du Conseil. Elle a réintroduit les chapitres IV et V du projet de directive, tout en laissant aux États membres davantage de marge de manoeuvre sur ces dispositions. Pour devenir position officielle du Parlement, ce vote devra être confirmé en séance plénière, probablement en mars 2011.

Certains points demeurent donc incertains et mériteront d'être suivis, comme par exemple, le point de départ à partir duquel court le délai de rétractation du consommateur en matière de vente à distance : si la position du Conseil le fixe au jour suivant celui où le consommateur a pris livraison du bien, la commission IMCO du Parlement européen a fixé ce dernier au jour de la conclusion du contrat. Une position commune devra ainsi être trouvée sur ce point.

Il convient d'une manière générale de rester vigilant au vu de ces échéances et de veiller à ce que les points de satisfaction obtenus au Conseil sous présidence belge ne soient pas remis complètement en cause à l'issue du processus législatif.

Par ailleurs, la Commission européenne a publié le 1 er juillet 2010 un Livre vert relatif aux actions envisageables en vue de la création d'un droit européen des contrats pour les consommateurs et les entreprises, dans lequel elle expose des pistes afin d'améliorer la cohérence du droit européen des contrats. Quels que soient l'outil juridique et le degré d'harmonisation qui seront choisis, votre rapporteur considère que la priorité sera de préserver notre droit de la consommation, extrêmement efficace et protecteur.


* 21 Communication from the commission to the European parliament, the council, the European economic and social committee and the committee of the regions on Cross-Border Business to Consumer e-Commerce in the EU. COM (2009) 557 final - 22.10.2009

* 22 La Semaine juridique Edition Générale n° 9, 25 février 2009 - « Proposition de directive relative aux droits des consommateurs. Avantage pour les consommateurs ou faveur pour les professionnels ? »

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