AUDITION DE M. FRÉDÉRIC MITTERRAND,
MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION

Réunie le jeudi 9 juin 2011, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'audition de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010.

M. Jean Arthuis , président . - Monsieur le ministre, merci de venir nous éclairer sur l'usage fait des crédits mis à votre disposition pour l'année 2010. Je salue la présence de M. Lagauche et de Mme Morin-Desailly, rapporteurs pour avis de la commission de la culture.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication . - Je suis très content de me livrer à cet exercice. Le ministère de la culture et de la communication a bénéficié d'un budget en légère augmentation cette année, ce qui lui a permis de faire face à ses nombreuses missions. Je m'appuie sur un cabinet solide et une administration compétente : les choses sont bien tenues.

Toutefois, le monde de la culture ne se quantifie pas exactement, comme des mondes plus rationnels. La demande de pratique culturelle, d'accès à la culture, de création, est extrêmement forte, chargée de symboles et très évolutive, la culture étant d'autant plus nécessaire quand la société traverse une période de crise et d'anxiété.

M. Jean Arthuis , président . - Nous sommes conscients de cette spécificité. Les considérations comptables paraissent en effet incongrues quand il s'agit de permettre toutes les transgressions qu'autorise la culture, et qui nous rassemblent !

M. Frédéric Mitterrand . - Je suis néanmoins conscient de la nécessité de protéger les deniers publics, ne serait-ce que pour permettre au ministère de tenir ses engagements !

M. Yann Gaillard , rapporteur spécial de la mission « Culture » . - Permettez-moi d'abord, en tant que sénateur de l'Aube, de vous remercier, monsieur le ministre, de la journée extraordinaire que vous avez passée dans mon département, à Nogent, Troyes et Essoyes, qui nous a remplis de fierté.

M. Frédéric Mitterrand . - Et moi, d'enchantement.

M. Yann Gaillard , rapporteur spécial . - Ma première question porte sur le financement de la Philharmonie de Paris. Ce grand investissement était-il nécessaire, compte tenu des salles dont nous disposons déjà ? Comment expliquer les retards accumulés par le chantier, qui occasionnent des reports massifs et répétés de crédits depuis trois ans ? Que penser du fait que les travaux aient commencé, alors même que les modalités de financement de la part de l'État n'étaient pas définitivement arrêtées ? Comment expliquer que l'estimation du coût total du projet soit passée de 203 millions d'euros fin 2007 à 336,6 millions aujourd'hui ?

Par ailleurs, le ministère n'a pas attendu le vote du collectif budgétaire pour engager 145 millions d'euros. Pourquoi ces redéploiements hâtifs, qui s'apparentent à une anticipation de l'autorisation parlementaire ?

M. Frédéric Mitterrand . - J'ai toujours été un ardent défenseur du projet de Philharmonie, qui répond à une vraie nécessité. La France est le seul pays d'Europe à ne pas bénéficier d'un équipement de premier plan pour accueillir les orchestres symphoniques étrangers et mettre en valeur ses propres orchestres. La salle Pleyel ne permet pas les répétitions : l'orchestre n'a que deux heures avant le début du concert ! C'est une situation invraisemblable : nous sommes bien loin de Berlin, de Londres ou de Rome, qui s'est dotée de la Philharmonie de Renzo Piano. Il nous faut d'ailleurs une salle à l'acoustique adaptée aux exigences des enregistrements.

Notre politique de la musique repose sur une pyramide de conservatoires, d'écoles, sur une vraie capacité musicale : il manque un lieu de rassemblement pour les présentations importantes, les répétitions, les ateliers. J'étais hier à l'IRCAM, où j'ai été frappé par la qualité de la gestion et des installations. Grâce à cette institution, nous sommes les premiers en Europe pour les musiques acoustiques nouvelles et le travail sur le son. Il nous fallait une offre de cette valeur pour la musique symphonique.

La Philharmonie sera dotée d'une salle de 2 300 places, aux normes les plus exigeantes, mais sera aussi la clé de voûte de toute la politique musicale en France. Nous avons l'un des meilleurs agents culturels en la personne de Laurent Bayle, fin connaisseur de la musique contemporaine, qui dirige déjà la salle Pleyel et la Cité de la Musique de manière remarquable. L'implantation de la Philharmonie dans le parc de la Villette contribuera au désenclavement d'une partie de Paris, sera une ouverture sur la banlieue Nord et s'inscrira dans le projet du Grand Paris.

L'auditorium que construit actuellement la Maison de la Radio servira pour sa part à ses deux orchestres. La salle Pleyel ne devra pas faire concurrence à la Philharmonie et au Théâtre des Champs-Élysées, qui occupe, remarquablement, un créneau particulier. La demande de musique actuelle, de variétés de qualité, de musiques du monde est telle que la rentabilité de la salle Pleyel est assurée : elle a ainsi récemment accueilli la grande chanteuse libanaise Fairouz.

Le projet de Philharmonie a été lancé en 2003-2004, autour d'une opération à trois : État, Ville de Paris et, dans une moindre mesure, région Île-de-France. Vu l'importance du besoin de financement, il y a eu des hésitations, des résistances, des à-coups, et un arrêt il y a deux ans. Cela fut d'autant plus désolant que les travaux de terrassement avaient commencé. Le monde musical, partisan de la création de la Philharmonie, en a été déstabilisé. Nous avons enfin pu obtenir les arbitrages nécessaires et le chantier a repris. En huit ans, l'estimation de coût a été affinée...

M. Jean Arthuis , président . - Plutôt alourdie !

M. Frédéric Mitterrand . - Disons que les coûts ont été calculés au plus précis, sans quoi nous n'aurions pas obtenu les arbitrages...

La méthode de financement a varié, le partenariat public-privé, initialement envisagé, ayant été repoussé par la Ville de Paris. Des crédits ont été mobilisés par le ministère de la culture pour financer la première partie des travaux. Nous demandons au budget de l'État le financement de l'opération, selon le souhait du Président de la République.

M. Jean Arthuis , président . - Avant d'engager des crédits en anticipant l'autorisation parlementaire, il eût été souhaitable de mieux nous informer.

M. Frédéric Mitterrand . - Les autorisations d'engagement ont été votées en 2009 : la loi de finances prévoyait 140 millions.

M. Jean-Pierre Fourcade . - Cette affaire de Philharmonie ne va-t-elle pas être en concurrence avec la salle Pleyel, la maison de la Radio, qui refait sa grande salle, et le projet de M. Devedjian pour l'île Seguin ?

M. Frédéric Mitterrand . - Je me sens totalement comptable des deniers publics, et n'engagerai pas notre politique culturelle sur la pente de dépenses incontrôlées ! Nous avons besoin d'une Philharmonie pour nous placer au niveau des autres pays européens. La demande de musique est telle que chaque salle pourra fonctionner de façon satisfaisante : la salle Pleyel accueillera ainsi la musique du monde et la variété de qualité, sans empiéter sur le domaine du Théâtre des Champs-Élysées. L'auditorium de la Maison de la Radio est destiné aux deux orchestres maison, dont les concerts ont vocation à être diffusés ou rediffusés. Quant au projet de l'île Seguin, ses contours artistiques ne sont pas encore définis. M. Devedjian a beaucoup fait pour la culture dans son périmètre géographique, par exemple avec les jardins Albert Kahn. Mais les Hauts-de-Seine sont un monde en soi ! La demande y est forte : je ne vois pas en quoi ce projet gênerait la Philharmonie. Celle-ci a vocation d'une part à accueillir les grands orchestres internationaux, d'autre part à être la clé de voute de la politique musicale de notre pays, et, car il ne s'agit pas d'une nouvelle opération centralisée mais d'une occasion d'irradier, à accueillir à Paris nos orchestres régionaux.

M. Jean Arthuis , président . - Notre message est qu'il doit être possible de mieux informer le Parlement : le collectif prévoit un supplément de crédits qui ont déjà été engagés !

M. Frédéric Mitterrand . - Les malentendus, les incompréhensions s'expliquent en partie parce que l'affaire traîne depuis des années. Voyant une fenêtre de tir, j'ai eu tendance à « foncer » !

Le chantier est tenu. Le retard, dû aux intempéries des deux derniers hivers, n'est que de quelques semaines. Le chantier sera terminé, comme prévu, début 2014.

M. Yann Gaillard , rapporteur spécial . - J'en viens à la question récurrente de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), dont je suis un défenseur depuis des années, mais qui est fort mal vu des collectivités locales. L'INRAP traverse depuis des années d'importantes difficultés financières. Après un nouveau secours budgétaire de 8 millions d'euros en 2010, 12 millions ont été redéployés et reportés à son bénéfice en 2011, et le collectif prévoit une nouvelle ouverture de 8 millions d'euros. Bref, il faut réformer la redevance d'archéologie préventive (RAP) mais comment ? Faut-il élargir l'assiette, abaisser le seuil, augmenter le taux ? Faut-il l'adosser à quelque chose de plus solide, comme la nouvelle taxe d'aménagement ? On ne s'en sortira pas tant qu'on n'aura pas solidifié le système.

M. Jean Arthuis , président . - Quand la RAP touche des contribuables modestes, la main qui tient la sébile devient hésitante...

M. Frédéric Mitterrand . - Comme vous tous, je suis un farouche défenseur de l'idée de l'INRAP. L'opinion est sensible à l'importance de sa mission et à la qualité de son travail. Qui croyait que l'on ferait de telles découvertes à Pontchartrain, par exemple ? C'est grâce à l'INRAP que nous avons trouvé ce merveilleux buste de Jules César, ou la statue d'Aphrodite dans le Rhône, que j'ai fait acheter par des mécènes privés ; ses découvertes enrichissent considérablement les collections nationales. Des entreprises privées se sont développées, souvent animées par des anciens de l'INRAP, et parfois plus performantes en matière de délais.

Des fouilles ne sont effectivement prescrites par l'INRAP que dans 8 % des cas, mais elles représentent indéniablement une contrainte pour les collectivités et les aménageurs. Retards, coûts, chantiers laissés en l'état : mon parapheur contient chaque jour trois ou quatre réponses à des plaintes. Sous-capitalisé, l'INRAP manque cruellement d'argent : sa trésorerie est faible, son fonds de roulement nul, voire négatif. Étant donné l'importance de ses missions, l'INRAP vit à la petite semaine. J'ai reçu son président, M. Jacob, et son directeur, M. Roffignon, qui se disent confiants dans l'avenir, vu l'importance des découvertes archéologiques, et attristés par les retards dus aux délais d'expertise ou de règlement des fournisseurs.

Le ministère arrive encore à combler les trous, à payer les salaires, mais ce n'est pas satisfaisant : il faut en effet régler le problème une fois pour toutes. Une solution serait de revoir la taxe sur laquelle est adossée la redevance. Mais la décision ne dépend pas que de mon ministère...

M. Jean Arthuis , président . - Nous avons voté dans la loi de finances pour 2011 un dispositif qui simplifie les redevances d'aménagement. Pourquoi ne pas y inclure la RAP ? Si nous déposions un tel amendement dans le collectif, le Gouvernement y serait-il favorable ?

M. Frédéric Mitterrand . - En ce qui me concerne, oui. Un rapport de l'Inspection des finances préconise d'ailleurs cette solution, qui devrait convenir aux collectivités locales.

M. Claude Belot , rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industrie culturelle » . - Président du conseil général de la Charente-Maritime, j'avais créé un service d'archéologie préventive, avec un système de comptabilité analytique pour en connaître le coût exact : il apparaissait que le prix de revient des fouilles était moins important que celui payé par les communes bénéficiaires... Cela me semblait anormal et j'avais attiré là-dessus l'attention de l'un de vos prédécesseurs. Quel est le prix de revient réel du service rendu par l'INRAP ?

M. Frédéric Mitterrand . - Vous avez de la chance... Je connais Jonzac et nous savons les beautés des Charentes, leur patrimoine, visible et invisible, exceptionnel. Je salue le fait qu'un élu de votre importance ait pris en compte cette donnée essentielle, avec un souci légitime de bonne gestion. Nous ne sortirons pas l'INRAP de ses difficultés sans demander de fortes contreparties en matière de gestion. J'ai indiqué à ses dirigeants que nous allions revoir en profondeur le fonctionnement de l'Institut et ses critères d'évaluation. Autant je souhaite sécuriser le fonctionnement de l'INRAP, autant ses méthodes doivent être clarifiées. Soyez assurés que nous y travaillons. Cependant, l'INRAP étant fortement syndicalisé, il faut sur-expliquer chaque mouvement pour le faire accepter par toute l'institution...

M. Jean Arthuis , président . - Il y a sûrement de bonnes pratiques à développer. L'archéologie préventive peut facilement devenir très populaire. Mais les DRAC tendent à systématiser les fouilles, et les pelleteuses ont vite fait de transformer un terrain en véritable Verdun... Cela donne une très mauvaise image de l'archéologie préventive, et engendre des coûts inutiles. Il faudrait être plus sélectif dans le choix des fouilles.

M. Frédéric Mitterrand . - Ainsi du château de Blérancourt, institution franco-américaine à une vingtaine de kilomètres de Compiègne. Ce site superbe bénéficie d'un important mécénat américain ; lorsque de sa rénovation, il y a quelques années, l'INRAP a entamé des fouilles qui ont mis au jour des soubassements mérovingiens. Mais il a laissé derrière lui un véritable Verdun, au désespoir des mécènes américains... Dès mon arrivée, j'ai porté le fer contre ces pratiques que je réprouve. Elles ne se reproduiront plus.

M. Yann Gaillard , rapporteur spécial . - Ce n'est pas l'INRAP qui a trouvé le buste de César, mais le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm). J'ai d'ailleurs signé un rapport sur archéologie subaquatique et sous-marine, qui s'interroge notamment sur la méthode de financement de l' André-Malraux ...

M. Frédéric Mitterrand . - Le précédent bateau du Drassm était obsolète. Les coûts de fonctionnement de l' André-Malraux seront moindres ; il sera affecté deux cents jours par an à la recherche, et cent jours à des entreprises privées (elles ont déjà présenté leurs demandes). Il n'y aura pas de surprises.

M. Jean Arthuis , président . - Pour encourager le téléchargement légal, le ministère de la culture a lancé en 2010 la Carte musique, qui consiste à subventionner le téléchargement de musique par les jeunes de 12 à 25 ans, dans la limite d'un plafond de 50 euros par personne et par an. Cela est fort sympathique. 18 millions d'euros d'autorisations d'engagement ont été engagées en 2010 et les paiements doivent intervenir en 2011. Pourquoi ces crédits n'ont-ils pas été inscrits en loi de finances initiale ? Comment contrôler effectivement l'âge des bénéficiaires, et n'y a-t-il pas des risques de dérapage ?

La musique, c'est le Luxembourg ! Non seulement la TVA y est de 15 %, mais le Luxembourg bénéficie d'une dérogation lui permettant de la conserver jusqu'en 2015. Tous les opérateurs de musique se sont donc installés au Luxembourg. Cette Carte musique, c'est un cadeau pour le Grand Duché !

M. Frédéric Mitterrand . - Les grands duchés sont propices à la musique, on le sait bien depuis la Grande duchesse de Gerolstein. Je me bats à Bruxelles pour l'harmonisation de la fiscalité sur l'offre musicale. Et je ne parle pas de Google, installé en Irlande...

M. Jean Arthuis , président . - Et surtout aux Bermudes ! Google est un chef d'oeuvre d'optimisation fiscale !

M. Frédéric Mitterrand . - La Carte musique s'appuie sur l'offre musicale de plateformes françaises comme la Fnac, Orange ou Deezer.

La Carte musique a pâti de son ergonomie trop complexe. Nous avons trouvé le moyen de la simplifier, tout en évitant les fraudes à l'âge. La carte sera également attribuée sous forme physique. Cela va-t-il marcher ? Je l'espère. Faciliter l'accès des jeunes à l'offre légale est une très belle idée. Nous avons le soutien de l'industrie : la plupart des plateformes ont modulé leur offre.

Le financement de la Carte, qui dépend du programme « Création », relèvera désormais de l'action « Industries culturelles », ce qui sera plus clair pour vous.

M. Jean Arthuis , président . - Les 18,87 millions devant être réglés en 2011 ont été pris en charge par redéploiement - nous avons parlé tout à l'heure de la dotation de la Philharmonie... Voilà une démarche perfectible.

M. Frédéric Mitterrand . - C'est pourquoi, désormais, c'est la direction des industries culturelles qui s'en occupera. Je m'y engage.

M. Jean Arthuis , président . - Nous en prenons acte.

Vous verrez que, pour le livre numérique, tout se fera au Luxembourg.

M. Yann Gaillard , rapporteur spécial . - La Commission européenne estime qu'il s'agit d'un service...

M. Jean Arthuis , président . - ... mais c'est aussi, accessoirement, un bien culturel.

M. Claude Belot , rapporteur spécial . - Dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat au titre de l'exercice 2010, la Cour des Comptes souligne le risque d'insoutenabilité des dépenses auquel sont exposés les programmes « presse » et « action audiovisuelle extérieure » de la mission « Médias ». Cette crainte vous paraît-elle fondée ?

M. Frédéric Mitterrand . - A priori , toutes les observations de la Cour des comptes sont dignes de considération. Il faut bien comprendre que la presse et l'audiovisuel extérieur sont tous deux en pleine révolution.

La réforme de l'audiovisuel extérieur de la France a permis de rassembler Radio France Internationale (RFI), France 24 et TV5 Monde, même si celle-ci est plus difficile à contrôler puisque l'Etat n'en est pas actionnaire majoritaire et qu'il faut donc tenir compte des partenaires francophones. Dans l'ensemble, cette réforme fonctionne. Malgré les contraintes géographiques et la nécessité de gérer un climat social complexe, les réussites sont évidentes. Parmi ces succès, on peut citer la façon dont France 24 a réussi à s'installer et à accompagner les révolutions arabes, au point de se hisser au niveau d'Al-Jazira, la CNN arabe qui dispose depuis dix ans d'une légitimité incontestable - même si elle peut être suspectée sur certains points.... Qui aurait dit cela il y a trois ans ? Avec ses éditions en français, en arabe et en anglais, cette chaîne a fait la preuve de sa capacité de travail.

De même RFI, laissée en déshérence depuis de longues années, n'était plus adaptée à ses missions, notamment à sa diffusion préférentielle vers l'Afrique. Songez qu'il n'y avait pas d'émissions en swahili alors qu'il y en avait en polonais, pour un nombre très faible d'auditeurs dans ce pays. La réforme a donc considérablement amélioré le périmètre et les fonctions de RFI, provoquant un premier plan social, puis un second qui est encore en cours, ce qui a alourdi le climat social. Toutefois, la mutualisation nécessaire des moyens est acceptée par les deux rédactions de RFI et de France 24 sur le plan des principes, et se traduira par le déménagement de RFI dans les locaux de France 24. Cette montée en puissance - je fais ici abstraction des conflits de personnes à la direction de France 24 et des difficultés sociales à RFI - s'est traduite par une demande de financement plus important. Nous serrons les cordons de la bourse autant que possible, et j'ai demandé à l'Inspection générale des finances d'établir un vrai tableau des besoins de France 24 et de notre audiovisuel extérieur en général. En effet, nous n'avons pas encore, pour France 24, de plan stratégique parce que le contrat d'objectifs et de moyens (COM) est encore en cours d'élaboration, faute d'éléments d'information suffisants. Les inquiétudes de la Cour des comptes sont donc légitimes, et mes réponses à vos questions ne peuvent être qu'encore partielles. Il me faudra, pour être complet, disposer des conclusions de l'Inspection générale des finances, que l'on devrait me remettre à la fin du mois.

M. Claude Belot , rapporteur spécial . - France 24 a réalisé l'interview d'une soi-disante ambassadrice démissionnaire...

M. Frédéric Mitterrand . - Sans me faire plus malin que je ne suis, il suffisait pourtant d'entendre l'interview de la fausse ambassadrice de Syrie en France : la véritable ambassadrice, que je connais, parle sans accent et ne roule pas les « r ». Se faire piéger est anormal et prouve qu'il y a encore du travail à faire.

M. Claude Belot , rapporteur spécial . - Mais où en est-on avec la direction de France 24 ?

M. Jean Arthuis , président . - L'actionnaire devrait prendre ses responsabilités !

M. Frédéric Mitterrand . - L'actionnaire prendra ses responsabilités, lorsque je disposerai du rapport de l'Inspection générale des finances. Je ne souhaite pas ici m'enferrer dans des conflits de personnes qui ont déjà fait tant de mal à cette chaîne. Nous ne pourrons prendre de décisions crédibles que lorsque nous connaîtrons le véritable état de France 24, c'est-à-dire d'ici une quinzaine de jours.

M. Jean Arthuis , président . - Le spectacle actuel est désolant !

M. Frédéric Mitterrand . - Ce n'est pourtant pas faute d'avoir tenté, pendant des mois, de remettre tout le monde sur les rails. Mais on se serait cru dans une série américaine sur les couples en difficulté. Et cela se passait dans le bureau ministériel ! J'en étais surpris (c'est mon côté romanesque) et désolé (c'est mon côté contribuable), et davantage encore en tant que ministre. Mais tout cela va être réglé !

M. Claude Belot , rapporteur spécial . - Lors de la discussion budgétaire, en décembre dernier en séance publique, je vous avais demandé d'y mettre de l'ordre le plus vite possible. Je constate que cette décision tarde à venir...

M. Frédéric Mitterrand . - On va trancher très vite ! Mais je veux traiter cela comme un problème de gouvernance, et non comme un conflit de personnes.

M. Claude Belot , rapporteur spécial . - La presse écrite est plus tranquille ...

M. Jean Arthuis, président . - Qu'en est-il de la réforme de l'Agence France Presse (AFP) ?

M. Frédéric Mitterrand . - Celle-ci comprend deux axes : la révision de la composition du conseil d'administration ; la possibilité d'avoir accès aux informations de l'Agence sans passer par un grand organisme d'information. Sur ces deux points, il y a une forte résistance de la presse. Emmanuel Hoog a donc décidé de proposer une réforme moins ambitieuse qui permettra tout de même de progresser. Le texte de loi vous sera présenté dans quelques jours par votre commission de la culture.

M. Jean Arthuis , président . - Il n'est pas encore inscrit à l'ordre du jour !

M. Frédéric Mitterrand . - Le président Legendre a réfléchi au sujet ; lors de notre dernier entretien, nous avons plutôt parlé des manuscrits de Robespierre - j'aimerais que le Sénat fasse un effort... En tout cas, la réforme de l'AFP est, comme on dit familièrement, dans les tuyaux. Personnellement, je souhaitais que le texte soit inscrit à l'ordre du jour avant la fin de cette session. Ce sera donc pour l'automne.

M. Jean Arthuis , président . - Il semble que, sur la gouvernance, la concertation interne n'ait pas été menée au meilleur niveau....

M. Frédéric Mitterrand . - L'AFP est une maison où déménager un ordinateur, même portable, du deuxième au quatrième étage est plus compliqué encore que de refermer le chantier du château de Blérancourt. Emmanuel Hoog est un homme de grand courage...

M. Claude Belot , rapporteur spécial . - Il y a quelques années j'avais effectué sur l'AFP un contrôle sur pièces et sur place dans des pays lointains. L'efficacité des équipes que j'y avais rencontrées contrastait totalement avec la pétaudière qui régnait alors au siège. J'avais compris que c'était une superbe entreprise dès lors que ses membres n'étaient plus dans le marigot du siège. Est-ce toujours la réalité ? En matière de comptes, les centres de profit se situaient à l'extérieur, en Asie ou dans le Pacifique par exemple, alors qu'à Paris, on constatait de nombreuses difficultés.

M. Frédéric Mitterrand . - Je ne voudrais pas m'engager sur ce terrain là, car je ne souhaite pas porter de jugement en tant que ministre. Il est certain que la gouvernance de l'AFP n'est pas chose facile. Il m'est arrivé d'être à Mayotte et d'y avoir donné réponse à un problème particulier. Une heure après, cette réponse, transmise par le correspondant local de l'Agence, était dans tous les médias - son bureau n'est pourtant pas le New-York Herald Tribune ! Quelle perspicacité et quelle formidable efficacité chez les correspondants locaux ! Je ne nourris aucun doute sur la pertinence du travail de l'AFP. Il se pose un problème de gouvernance qu'Emmanuel Hoog est la personne la mieux à même de résoudre. Il mène ce grand combat. Cela dit, si le président Legendre préfère en discuter à l'automne, c'est sans doute à cause des réticences de certains patrons de presse.

M. Claude Belot , rapporteur spécial . - Courage !

M. Frédéric Mitterrand . - Cela va aller.

M. Claude Belot , rapporteur spécial . - Et la presse écrite ?

M. Frédéric Mitterrand . - Elle connaît une gigantesque révolution avec le numérique, mais aussi une concurrence accrue avec internet et une profonde modification de ses mécanismes de composition. En même temps, je suis certain que le plan de soutien à la presse papier conserve toute sa pertinence. L'apport, génial, d'internet, ne supprimera jamais totalement le besoin de médiation auquel la presse écrite répond physiquement avec le journal et par sa formule même. La presse régionale fournit des informations sans équivalent et indispensables au lien social. La presse papier, facteur d'éducation républicaine et de vie en communauté, est appelée à subsister et même à progresser.

Le plan de soutien est donc tout à fait justifié. Il est quantitativement important et, lorsque je signe les lettres autorisant les soutiens apportés, il arrive que mon stylo tremble - notamment quand il s'agit de l'installation de la presse en ligne - et alors je me surprends à penser : si nous faisons un tel effort, ils doivent vraiment se réformer, il faut que nous en touchions les fruits.

L'aide au portage, qui a augmenté de 4 % cette année, a donné de très bons résultats. De même, l'opération « Mon journal offert » a remporté un incroyable succès : tous les quotas ont été remplis en une semaine et 20 % à 30 % des jeunes, ce qui est énorme, deviennent des lecteurs réguliers.

Nous menons également une réflexion sur le kiosque numérique et sur la manière de rétribuer la presse lorsqu'elle est sur internet. Tout cela, vous le voyez, va dans le bon sens.

Il faut constater que la presse se réforme, y compris avec les inévitables plans sociaux. Personnellement, j'ai beaucoup de respect pour le personnel des messageries de la presse dont le travail est très pénible. En dépit de leur mauvaise réputation, ils travaillent de nuit, sept jours sur sept, et portent de lourds paquets. En même temps, le coût de l'ajustement des effectifs travaillant sur les nouvelles techniques est important... La presse doit continuer à remplir sa mission républicaine et à répondre aux impératifs de qualité et aux prescriptions fondatrices de la loi Bichet. Tout cela nécessite une surveillance accrue des dépenses affectées à la presse. Le rapport Cardoso, véritable charte de bon comportement, nous fournit les bases d'une telle vérification, car il établit un mécanisme de contrôle de l'affection des sommes allouées. J'en avais présenté les conclusions aux responsables des grands journaux dans une atmosphère qui n'était pas particulièrement chaleureuse. « Aidez-nous », nous dit-on, « mais ne contrôlez pas trop »...

M. Jean Arthuis , président . - Les relations financières entre l'État et l'AFP ne suscitent-elles pas des questions à l'Agence, et les abonnements de l'État ne constituent-ils pas une aide à la presse ?

M. Frédéric Mitterrand . - L'État concourt à hauteur de 40 % au financement de l'AFP, à travers ses abonnements.

M. Jean Arthuis , président . - Cela représente de l'ordre de 113 millions d'euros. Quel est le statut juridique de L'AFP ? Fonctionne-t-elle comme une coopérative ?

M. Frédéric Mitterrand . - C'est une construction sui generis très complexe, qui avait suscité l'interrogation de Bill Gates lors de sa visite en France. En effet, elle n'a pas de fondement juridique et il est très difficile de s'y attaquer. Je risquerai une comparaison avec la Villa Médicis, dont un architecte me disait qu'elle ne tenait « que par la force de l'habitude », lorsque j'y avais pris mes fonctions. Il faut donc revoir toute la structure juridique de l'AFP, mais on ne peut le faire que pas à pas. Toutes les précédentes tentatives de réforme ont échoué. Je fais confiance à Emmanuel Hoog pour réussir. Les abonnements de l'État à l'AFP représentent la contrepartie du service rendu par celle-ci. J'avoue avoir du mal à répondre à la question de savoir s'il s'agit d'une aide directe à la presse.

Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteur pour avis de la mission « Médias, livre et industries culturelles » au nom de la commission de la Culture . - Où en est le contrat d'objectifs et de moyens (COM) de France Télévisions ? Un dépôt tardif nous priverait de notre mission de contrôle, car nous n'aurions pas le temps de l'examiner avant la fin de la session parlementaire.

M. Frédéric Mitterrand . - Nous devrions en disposer dans les prochains jours, ainsi que celui d'Arte. Lorsque Rémy Pflimlin a pris la présidence de France Télévisions, il s'est trouvé confronté aux difficultés du groupe et à la nécessité de renforcer l'identité de chaque chaîne et d'enrayer la chute d'audience, notamment celle de France 3, due à la concurrence de l'offre des chaînes de la Télévision Numérique Terrestre (TNT). Il fallait mener une réflexion sur la diversité, l'accès à la musique, les programmes culturels. Tout cela a pris du temps, ce qui explique pourquoi l'élaboration du nouveau COM a pris du retard. Il en va de même pour Arte, qui a également changé de présidence.

M. Jean Arthuis , président . - Merci beaucoup, monsieur le ministre, de nous avoir consacré du temps et d'avoir répondu à nos questions.

M. Frédéric Mitterrand . - Je vous remercie également : cet exercice m'est très utile ; il m'aide à réfléchir à ma mission.

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