Article 2 (art. 2 de la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire) Extension des marchés de conception-réalisation à l'exploitation ou la maintenance - Possibilité de passer ces marchés selon la procédure de dialogue compétitif
Cet article comporte deux dispositions :
- d'une part, il tend à étendre le champ des marchés de conception-réalisation à l'exploitation et la maintenance des établissements pénitentiaires construits dans ce cadre ;
- d'autre part, il ouvre la possibilité de recourir à la procédure du dialogue compétitif pour passer ces marchés de conception-réalisation.
• Extension des marchés de
conception-réalisation à l'exploitation ou la maintenance
Actuellement, la réalisation des établissements pénitentiaires peut se dérouler selon quatre procédures distinctes :
- la maîtrise d'ouvrage publique régie par la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique -dite loi « MOP »- dont le principe repose sur la distinction entre la mission du maître d'ouvrage (pour le compte de laquelle l'ouvrage est réalisé), celle du maître d'oeuvre (chargé d'apporter une « réponse architecturale, technique et économique ») et, enfin, celle de l'entrepreneur (réalisation de l'ouvrage) ;
- les marchés de conception-réalisation qui, en vertu de la loi du 22 juin 1987 relative au service pénitentiaire modifiée par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation de la justice, permettent, par dérogation à la loi « MOP », de confier à un prestataire unique d'une part la conception, d'autre part la réalisation et l'aménagement d'établissements pénitentiaires ;
- les contrats d'autorisation d'occupation temporaire-location avec option d'achat (AOT-LOA) introduits par la loi du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et étendus aux infrastructures relevant du ministère de la Justice par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation de la justice. Alors que dans la conception-réalisation le financement est pris en charge par l'Etat qui demeure maître d'ouvrage, il est ici assuré par l'opérateur privé. La maîtrise d'ouvrage est transférée au prestataire qui en assume, selon les stipulations du contrat signé, une forte part des risques (risques du sol, risques écologiques et environnementaux, recours contre le permis de construire, etc.). L'Etat doit s'acquitter de loyers pendant une période fixée de manière contractuelle -30 ans pour les établissements du programme « 13.200 places » construits en AOT-LOA - avant d'en devenir propriétaire. Le partenaire peut s'engager, en contrepartie, pendant cette période, à assurer le nettoyage, l'entretien, la maintenance du lieu et, avant la livraison au terme des 30 ans, le renouvellement complet du matériel :
- les contrats de partenariat public-privé (PPP) institués par l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat. Outre les prestations prévues dans le cadre des contrats AOT-LOA, ils incluent les services correspondant aux marchés dits de « gestion déléguée » (restauration, buanderie, travail pénitentiaire, formation professionnelle, transport, « cantine » des personnes détenues, accueil des personnes).
Les contrats sous la forme de contrats AOT-LOA ou de contrats partenariat public-privé ont été largement utilisés pour la réalisation des établissements pénitentiaires du programme « 13.200 » places. Ils ont permis la réalisation de quelque 6.500 places 27 ( * ) .
L'intérêt suscité par la maîtrise d'ouvrage privée (sous la forme de la procédure AOT-LOA ou du partenariat public-privé) s'explique par une double considération :
- d'abord, la célérité du mécanisme puisque le délai entre la signature du contrat et la réception du bâtiment est de l'ordre de deux ans à trente mois ;
- d'autre part, cette procédure permet, comme l'a rappelé la Cour des comptes, d' « échapper aux contraintes du financement classique des investissements de l'Etat » 28 ( * ) . Votre rapporteure a déjà souligné les risques d'un tel choix.
En principe, le recours au PPP est encadré. En effet, la loi relative au partenariat public-privé le réserve aux seules situations répondant aux motifs d'intérêt général tels que la complexité du projet ou l'urgence. Selon l'interprétation du Conseil constitutionnel 29 ( * ) , en l'absence de complexité ou d'urgence, ces dispositions dérogatoires peuvent être utilisées lorsque, compte tenu soit des caractéristiques du projet, soit des exigences du service public dont la personne est chargée, soit des insuffisances et difficultés observées dans la réalisation de projets comparables, « à l'issue d'une analyse approfondie des avantages et des inconvénients, le bilan du recours à un contrat de partenariat apparaît plus favorable que pour les autres contrats de la commande publique dans l'intérêt du bon emploi des deniers publics ».
D'après la Cour des comptes 30 ( * ) , les évaluations préalables établissant la pertinence du recours aux contrats de partenariat « sont plus menées pour justifier une décision prise en amont que pour aider à un choix futur ».
La procédure de conception-réalisation ne présente pas les mêmes contraintes.
En élargissant le champ des marchés de conception-réalisation aux prestations d'exploitation et de maintenance, le nouveau dispositif proposé par le projet de loi permettra ainsi à l'Etat de bénéficier de certains avantages des contrats de PPP -transfert des charges d'exploitation et d'entretien au cocontractant- sans lui imposer pour autant de respecter les exigences rappelées par le Conseil constitutionnel pour la passation d'un contrat de PPP. Le texte proposé se borne seulement à exclure du contrat de conception-réalisation, comme l'avait demandé le Conseil constitutionnel dans sa décision 2002-461 DC du 29 août 2002 relative à la loi d'orientation et de programmation pour la justice, les fonctions de direction, de greffe et de surveillance.
Cette modification repose cependant sur le postulat d'un surcoût de la gestion publique qui ne semble guère démontré. Comme le relève la Cour des comptes, « outre le fait que le « tout public » est potentiellement aussi efficace, rien n'établit que le privé soit « moins cher » et cela notamment en raison de l'apparente incapacité de l'administration pénitentiaire à mesurer précisément et à comparer ses coûts. De fait, l'affirmation d'un surcoût de la gestion publique ne résiste pas à l'examen. En effet, à périmètre comparable la gestion publique semble moins onéreuse, comme tend à le montrer l'exemple du centre pénitentiaire de Châteauroux ».
L'étude d'impact n'apporte pas de précisions chiffrées sur l'avantage comparatif de la gestion privée en matière d'exploitation et de maintenance. Votre commission ne saurait donc se rallier à une disposition davantage inspirée par un a priori que par une bonne gestion de la dépense publique.
• Faculté de recourir à la procédure de dialogue compétitif
La procédure du dialogue compétitif (qui résulte de la transposition dans le code des marchés publics -article 36- d'une directive européenne) 31 ( * ) constitue une procédure de publicité et de mise en concurrence qui permet à la personne publique de dialoguer avec les candidats en vue d'identifier et de définir les moyens les plus performants pour répondre à ses besoins. Elle est en principe réservée aux marchés d'une particulière complexité pour lesquels la personne publique n'est pas en mesure de définir les moyens techniques permettant de répondre à ses besoins ou d'établir le montage juridique ou financier d'un projet.
Si, en vertu du code des marchés publics, dans le cadre d'un marché de conception-réalisation, le dialogue compétitif peut être utilisé pour les opérations de réhabilitation des bâtiments, il n'est en revanche pas autorisé pour les opérations de constructions neuves -pour lesquelles les marchés de conception-réalisation doivent être passés sur appel d'offres restreint avec jury.
Le projet de loi vise à revenir sur cette exclusion s'agissant des établissements pénitentiaires. Ce choix -qui aurait pu prendre la voie du règlement- est-il justifié par le caractère de particulière complexité de la construction d'un établissement pénitentiaire par rapport à celle d'une autre infrastructure ?
Votre commission est réservée sur les dispositions du présent article qui tendent à favoriser encore le recours au secteur privé alors même que le projet de loi de programmation, contrairement aux préconisations de la Cour des comptes, ne donne aucun bilan « coût-avantage » qui permettrait d'établir sans ambiguïté la supériorité du privé.
Sur proposition conjointe de sa rapporteure, des membres du groupe socialiste et des membres du groupe CRC, elle a supprimé l'article 2.
* 27 La maîtrise d'ouvrage privé selon la procédure AOT-LOA a concerné deux lots de construction -d'une part, les centres pénitentiaires de Béziers et Nancy, le centre de détention de Roanne et la maison d'arrêt de Lyon-Corbas ; d'autre part, les centres pénitentiaires de Poitiers, du Havre et du Mans. La maîtrise d'ouvrage privée selon un partenariat public et privé a concerné un troisième lot : les établissements pénitentiaires de Lille-Annoeullin et de Réaux (en Ile de France), la maison d'arrêt de Nantes.
* 28 Rapport d'enquête de la Cour des comptes sur les partenariats publics-privés pénitentiaires, annexé au rapport spécial n° 3805, annexe 28, projet de loi de finances pour 2012, Justice, Alain Joyandet, commission des finances de l'Assemblée nationale.
* 29 Conseil constitutionnel, décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008.
* 30 Rapport précité, p. 74.
* 31 Directive 2004/18/CE du Parlement et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.