B. LE RÉTABLISSEMENT D'UN SYSTÈME D'ENCADREMENT DES PLANTATIONS DE VIGNE : UN COMBAT DIFFICILE.

1. Un consensus des États membres concernés et des acteurs économiques pour rétablir les droits de plantation.
a) L'organisation de la contestation.

La décision de 2008 de libéraliser les droits de plantation n'a pas suscité des réactions négatives immédiates des professionnels. La contestation de la réforme a commencé seulement à prendre de l'ampleur à partir de 2010.

En mars 2010, la chancelière allemande, Angela Merkel, a rappelé le souhait de l'Allemagne de maintien du système actuel . En janvier 2011, la France a rejoint cette position. Un premier groupe de neuf États membres 4 ( * ) a adressé une lettre commune à la Commission européenne, le 14 avril 2011, faisant part de leurs vives inquiétudes sur les effets de la réforme et demandant qu'un maintien du dispositif soit envisagé au-delà de 2015.

Ce groupe s'est encore élargi par la suite à cinq nouveaux États membres 5 ( * ) sans toutefois atteindre une majorité qualifiée qui aurait permis d'imposer à la Commission européenne de présenter une nouvelle proposition législative.

Toutefois, c'est bien un front uni des États producteurs de vin qui s'exprimait ainsi pour revenir sur le choix de libéralisation totale fait en 2008. L'ensemble des demandeurs représentaient en effet en effet 98 % de la production européenne de vin.

En France, l'Association nationale des élus du vin (ANEV) a relayé les inquiétudes des professionnels, faisant délibérer les collectivités locales concernées, et sensibilisant les décideurs politiques, afin de donner plus de poids à la contestation de la réforme de 2008.

b) Le rôle du Sénat dans la bataille des droits de plantation.

Le Parlement français, et en particulier le Sénat, s'est montré actif depuis 2011 sur la question des droits de plantation, tout d'abord en organisant en avril 2011 un colloque international permettant de réunir des représentants professionnels et politiques de nombreux pays européens, pour dégager un consensus en faveur du maintien des droits de plantation . Ce colloque a réellement marqué le coup d'envoi de la mobilisation politique contre la libéralisation des droits de plantation.

A l'initiative déjà de nos collègues Gérard César et Simon Sutour, la Commission des Affaires européennes avait adopté une proposition de résolution en février 2011 , devenue résolution du Sénat le 1 er avril 2011 6 ( * ) , réclamant le maintien de l'actuel système. Le Sénat est ensuite resté mobilisé en faveur d'une solution au problème posé par la réforme de l'OCM de 2008, notamment à travers son groupe d'études sur la vigne et le vin.

Les députés avaient également manifesté leur soutien au système des droits de plantation en adoptant de leur côté une proposition de résolution européenne ayant les mêmes objectifs, le 1er juin 2011 .

Il faut enfin noter que le Parlement européen a joué un rôle important pour revenir sur la libéralisation des droits de plantation. Lors de la réforme de 2008, les parlementaires européens avaient déjà exprimé leur opposition à l'orientation prise alors par la Commission et le Conseil. Avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Parlement européen intervient désormais en codécision sur les questions agricoles. A l'occasion de l'examen de la proposition de règlement portant organisation commune des marchés de produits agricoles, présentée fin 2011 par la Commission européenne dans le cadre du paquet législatif relatif à la PAC, le Parlement européen a confirmé cette attitude. Sur proposition du rapporteur de ce texte, Michel Dantin, la Commission de l'agriculture et du développement rural a rétabli en janvier 2013 l'encadrement des droits de plantation jusqu'à la fin de la campagne de commercialisation 2029-2030 7 ( * ) , lors de son vote sur le texte relatif à la future OCM. Il s'agit là d'une prise de position forte, qui marque une opposition radicale à la libéralisation de ces droits.

2. Le groupe de haut niveau : une manoeuvre dilatoire qui s'est transformée en véritable espace de négociation.

Devant une telle conjonction d'oppositions, émanant de la quasi-totalité des États membres producteurs de vins, la Commission européenne ne pouvait pas rester inactive. Le 19 janvier 2012, le commissaire européen à l'agriculture et au développement rural, Dacian Ciolos, a annoncé la mise en place d'un groupe de haut niveau (GHN) composé d'experts issus des États membres, de membres du parlement européen et de représentants d'organisations sectorielles, présidé par le directeur général de l'agriculture et du développement rural, José Manuel Silva Rodriguez, visant à « fournir un forum de réflexion » sur le sujet.

La Commission européenne appliquait ainsi la même méthode que celle mise en oeuvre en 2010 pour proposer des solutions à la crise du secteur laitier. Cependant, après trois réunions, les 19 avril, 6 juillet et 21 septembre 2012, les défenseurs du maintien de droits de plantation pouvaient être légitimement déçus par le peu d'avancées enregistrées, laissant craindre que cet espace de discussion ait été une manoeuvre dilatoire.

En particulier, l'idée de ne conserver un encadrement des plantations que pour les seuls vins sous signe de qualité, en excluant les vins sans indication géographique qui ne seraient soumis à aucune contrainte, ne pouvait satisfaire les producteurs, car laissant planer le risque d'un déferlement de vins sans indication géographique à bas coût de production et bas prix, qui tireraient le marché à la baisse sur le plan des prix et de la qualité.

Un encadrement partiel des plantations, réservé aux vins sous signe de qualité n'était pas envisageable, dans la mesure où auraient pu être produits dans les mêmes zones des vins sans signe de qualité et des vins sous appellation d'origine, du fait de la disponibilité de terrains en zones d'appellations d'origine, qui ne sont pas plantés de vigne. En appellation Bordeaux par exemple, 120 200 hectares de vignes étaient plantés en 2008, laissant encore 101 800 hectares situés en zone d'appellation et non plantés.

Les conclusions du GHN, présentées le 14 décembre 2012, ont donc été accueillies favorablement, car elles permettent d'écarter d'ores et déjà le scénario catastrophe d'une dérégulation totale pour la viticulture européenne en général et française en particulier . Il faut au passage saluer le travail du ministre français de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, Stéphane Le Foll, qui a su nouer les alliances nécessaires pour favoriser l'émergence d'une sortie de crise.


* 4 Allemagne, France, Italie, Chypre, Luxembourg, Hongrie, Autriche, Portugal et Roumanie.

* 5 Espagne, Slovénie, République Tchèque, Bulgarie, Grèce.

* 6 Résolution Européenne sur le régime des droits de plantation de vigne n° 94 (2010-2011).

* 7 Amendements n° 274 à 284 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant organisation commune des marchés des produits agricoles (règlement "OCM unique") - (COM(2011)0626 - C7-0339/2011 - 2011/0281(COD)).

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