Mme Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, directrice de recherche à l'Université de Paris VII

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M. Jean-Pierre Sueur , président . - Mme Elisabeth Roudinesco est historienne de la psychanalyse, directrice de recherche à l'Université de Paris VII, enseignante à l'Ecole normale supérieure. Historienne de la psychanalyse, elle a écrit de nombreux ouvrages, dont une remarquable Histoire de la psychanalyse en France , et je vous recommande la réédition de La famille en désordre , qui comporte une postface inédite. Enfin, elle s'est battue pour défendre la psychanalyse qui a beaucoup été attaquée ces derniers temps.

Mme Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, directrice de recherche à l'Université de Paris VII . - Merci de m'avoir invitée. Depuis que j'ai déjà témoigné à l'Assemblée nationale, le 12 novembre dernier, les débats ont pris une ampleur étonnante, une violence se déployant non tant contre les homosexuels que contre leur désir, exprimé de longue date, d'entrer dans l'ordre familial.

Si je suis depuis longtemps favorable à cette intégration, donc à la loi, je pense que le slogan « Mariage pour tous » ne convient pas. Il s'agit exclusivement de donner le droit de se marier aux couples homosexuels et non pas à toute personne le souhaitant. L'inceste est bien sûr banni, ainsi que, dans les sociétés démocratiques, la polygamie. Celle-ci, encore en vigueur dans des sociétés théocratiques ou tribales, ne convient plus dans les sociétés laïques. Le casse-tête de Mayotte témoigne de ces difficultés.

Deux personnes, même si elles sont volontaires, ne peuvent se marier que si elles ne le sont pas déjà, auquel cas, elles doivent divorcer préalablement. Une famille suppose toujours l'existence d'un couple. Pas de mariage pour tous, donc ! Au demeurant, le mariage n'est plus nécessaire pour concrétiser légalement l'existence d'une famille : les enfants nés hors mariage ont les mêmes droits que les autres.

Après avoir été exclus d'un ordre familial jugé d'ailleurs haïssable, les homosexuels ont manifesté un désir de normativité. Pourquoi ? Dès lors qu'une orientation sexuelle minoritaire est progressivement dépénalisée, elle se normalise. Les homosexuels ont voulu, comme tout le monde, lier orientation sexuelle, vie amoureuse, vie conjugale et procréation, « faire » famille. Ruse de l'histoire, la dépénalisation a débouché sur le contraire de ce qu'on avait imaginé, les homosexuels ne sont pas restés la « race maudite » de Proust ou de Wilde, la catégorie revendiquée des pervers. Au-delà du désir de transmettre des biens, ils veulent désormais transmettre la vie, sans doute suite à l'hécatombe du sida. On assiste à une volonté de normalisation qui choque d'ailleurs certains homosexuels.

Les opposants à la loi sont en retard : ils avaient refusé le Pacs. Aujourd'hui, ils vantent les homosexuels bien visibles, voire travestis, ils aiment La Cage aux folles pour mieux rejeter l'homosexuel tranquille. Mais de quoi ont-ils peur ? De la fin de la famille ? Terreur irrationnelle. Les homosexuels sont en constante minorité : moins de 10 % de la population mondiale.

L'humanité continuera pendant des siècles à se reproduire de façon classique. L'homosexualisation graduelle des sociétés n'aura pas lieu. L'avènement d'une société barbare ne passera pas par les homosexuels. Cela est déjà arrivé au XX e siècle : la pulsion de destruction est inscrite au coeur de l'humanité, et les minorités en sont les victimes.

La peur est irrationnelle. On a entendu parler de la zoophilie, de l'inceste. Depuis quand les bons parents se recrutent-ils exclusivement dans les familles normales ? Celles-ci ont engendré des crimes, des violences, tout comme l'amour, la bonté, la beauté. Depuis des siècles, le terreau familial a fécondé le pire, comme le meilleur : le théâtre grec, les tragédies de Shakespeare, les romans du XIX e siècle, Hugo, Tolstoï, Flaubert et tant d'autres l'ont montré.

Je comprends que pour des raisons politiques, la PMA ait été écartée du projet et que le Gouvernement attende l'avis du Comité consultatif national d'éthique pour légiférer sur les procréations médicales. Je suis frappée par l'intensité du débat. Les opposants sont sincèrement troublés comme si leur histoire était abolie. Mais cela n'empêche pas la science d'évoluer ni que l'on puisse en parler en attendant que la politique se saisisse à nouveau de la question. Cela ne saurait tarder.

La loi sur le Pacs ouvrait sur le mariage. Plus on accorde de droits aux homosexuels, plus il faudra se préoccuper de nouveaux modes de procréation, et pas seulement pour les homosexuels mais pour toutes les personnes qui ne peuvent pas avoir d'enfants par d'autres moyens, c'est-à-dire, pour une infime minorité de personnes. Les avancées de la biologie reproductive devront bien un jour être encadrées par la science. Le désir d'enfant est une pulsion à laquelle on ne renonce qu'en la sublimant. Si la science fournit de quoi la satisfaire, il faut en interdire, par la loi, les dérives.

Avec la GPA, on ne voit que le pire, des femmes venues d'un autre monde et traitées comme des esclaves. Il y a pourtant aussi des cas d'offrandes, de dons de soi, sans contrepartie. D'où la nécessité d'un rite, d'une règlementation, d'un choix organisé. En se plaçant du côté du don, pourquoi ne pas répondre aux demandes de couples homosexuels ? Pourquoi avoir peur ? C'est l'adoption par d'autres moyens, à ceci près que l'enfant n'est pas abandonné pour être recueilli par une autre famille mais qu'il est désiré...

Les psychanalystes, qui ont du mal à penser leur époque, se sont mis en position d'experts de la famille pour s'opposer à la loi. En s'emparant de l'OEdipe pour expliquer que l'enfant avait besoin de deux références, masculine et féminine, ils ont oublié la signification première, chez Freud, de cette référence à la tragédie : le sujet est conduit par un destin qui lui échappe : l'inconscient. En aucun cas, cela ne signifie qu'un enfant a absolument besoin de la différence des sexes dans le couple parental pour devenir un sujet à part entière. Certains affirment que l'homosexualité ne concerne pas la psychanalyse parce qu'elle traduirait la bisexualité commune à tous les êtres humains - en écoutant de tels discours, on se dit que les psychanalystes sont parfois les meilleurs ennemis de leur discipline.

Sur Lacan, j'ai entendu des paroles extravagantes. Les opposants et les partisans du mariage pour tous font référence à la trilogie lacanienne du symbolique, de l'imaginaire et du réel. Il est ridicule de plaquer de la sorte les concepts sur la réalité pour leur faire dire n'importe quoi : je récuse l'idée qu'on puisse se servir d'une discipline comme d'une grille d'expertise. La meilleure façon d'hériter d'une doctrine est de lui être infidèle, de la faire travailler, de la penser, de la modifier, d'en retracer l'histoire.

Ni Freud, ni Lacan n'avaient songé à la configuration actuelle de la famille. Freud fut le théoricien d'une certaine époque de la famille occidentale : les femmes et les enfants accédaient au statut de sujet. Il théorisait la famille nucléaire moderne, d'où la référence à OEdipe, tragédie du destin, et à Hamlet, conscience coupable du héros incapable de venger son père.

La conception fondée de l'homosexualité était émancipatrice. Dès 1938, Lacan théorisait une famille marquée par l'hécatombe de la première guerre mondiale et le déclin de la figure du père : il théorisait l'avènement du fascisme et du communisme. Après Auschwitz, Lacan prit pour référence Antigone, figure de l'absolutisation du désir, celle qui refusant d'être mère et épouse, se sacrifiait au nom du passé afin de donner une sépulture à son frère mort. Cette conception était très différente de celle de Freud. Les hécatombes et les guerres ont profondément modifié la représentation de la famille.

Plus que Freud, Lacan voyait dans la famille le seul creuset possible de la société, mais aussi le lieu de toutes les turpitudes. Pour ma part, après avoir écrit un livre sur la famille, qui montre, entre autres, que les enfants d'homosexuels ne sont pas différents des autres familles, j'en ai conclu qu'on ne doit pas expertiser l'existence humaine comme on vérifie la solidité d'un pont.

Quant aux enfants nés de la PMA, seule la loi, c'est-à-dire la définition de ce qui est autorisé et de ce qui est interdit est une avancée de la civilisation sur la barbarie. On ne peut éternellement interdire ce qui relève de la science, car alors les dérives seraient plus terribles encore. Soyons humains, généreux. Sachons trouver des solutions rationnelles, sans croire que nous parviendrons à une solution miracle pour fabriquer des familles parfaites capables d'engendrer des êtres parfaits. Vous, législateurs, le savez mieux que moi.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - En 2008, j'avais entendu Mme Roudinesco sur la GPA. Elle concluait à la nécessité de l'introduire dans la législation parce que le législateur doit encadrer les progrès de la science. Je me souviens d'ailleurs que nous étions allés en Grande-Bretagne où elle est autorisée. Les dossiers sont centralisés au ministère de la santé, qui les examine, puis fixe le dédommagement des mères porteuses agréées, et cela se passe très bien.

Le législateur a le devoir de partir de la réalité et la faire passer dans la loi. Je vous remercie pour votre intervention. Vous nous avez élevé l'esprit.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - Merci d'avoir recadré le débat.

Comment faire famille par l'adoption ? Nous avons entendu des choses redoutables, cet après-midi.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Beaucoup d'entre nous ont des doutes sur la PMA et la GPA. Certains, dont je suis, disent oui au mariage et à l'adoption, mais n'allons pas plus loin dans ce texte. Est-ce intellectuellement cohérent ?

Mme Elisabeth Roudinesco . - Politiquement, je ne puis répondre, je ne suis pas législateur. Il ne faut pas aller trop vite. La GPA viendra en son heure. Prenons en compte les oppositions qui se sont exprimées, les manifestations de rue. Le droit évolue en permanence. Tous les ans, le droit de la famille change.

L'Angleterre n'est pas la France, monsieur le Rapporteur. Les conflits s'expriment de façon très forte dans notre pays et c'est bien ainsi. Le spectacle que nous donnons, qui étonne parfois à l'étranger, ne me déplait pas.

L'adoption maintenant. Ma mère s'est occupée toute sa vie d'enfants adoptés ou abandonnés. Le traumatisme de l'abandon initial est réel. Les parents qui adoptent sont, de ce fait, plus éducateurs que parents.

Tous les cliniciens vous le diront, il est préférable que les enfants connaissent leurs origines, d'autant que la vérité finit souvent par se savoir ou refait surface par l'inconscient. Même chose d'ailleurs pour les enfants adultérins, comme si quelque chose était connu à l'intérieur de la subjectivité. Les enfants demandent à connaître l'origine biologique de leur naissance mais ils ne prétendent pas que cette origine biologique est un père. Il faudra légiférer, car le donneur ne veut pas être père. Des philosophes avaient considéré qu'il ne fallait pas troubler l'enfant avec une origine compliquée. Dire la vérité, c'est mieux.

Les homosexuels, contrairement à ce que disent certains psychanalystes, sont contraints de dire la vérité : les enfants savent très tôt qu'ils ne peuvent avoir deux parents du même sexe. Les homosexuels ont incité tout le monde à plus de transparence.

Les homosexuels ne font pas mieux que les autres : il y a les mêmes mensonges, les mêmes turpitudes que dans les autres familles. La communauté homosexuelle avait eu l'espoir de faire mieux, ils feront comme tout le monde. Le poids de la normalisation apportera des transformations Tous les homosexuels ne se marieront pas, et ceux qui l'auront fait pourront divorcer.

L'enfant pose des questions très tôt. Pour les couples homosexuels composés de deux femmes, les enfants font une différence entre maman et tata. Même s'il n'y a pas de différence sexuelle, anatomique, l'enfant perçoit cette séparation nécessaire. Certes, ce n'est pas la même chose d'être dans un couple où les parents sont de sexe différent, que dans un couple de parents de même sexe. C'est deux normalités. Je ne sais pas si c'est mieux, ou moins bien mais ce sera toujours minoritaire.

M. Yves Détraigne . - Merci pour cette intervention passionnante. Dès lors qu'une situation n'est plus contestée, elle doit être acceptée, avez-vous dit. Le mariage est contesté par les couples traditionnels...

M. Roland du Luart . - Le président de la République...

M. Yves Détraigne . - ...n'y a-t-il pas contradiction avec la volonté des homosexuels de se marier ? Sur la GPA, j'étais moi-même membre du groupe de travail sur la maternité pour autrui de 2008. Vous pensez que l'on y arrivera ?

Mme Elisabeth Roudinesco . - En l'encadrant !

M. Yves Détraigne . - Précisément. Si c'est le cas, quel est le rôle du législateur ? N'est-il que le greffier des évolutions de la société ? Ne doit-il pas les encadrer, sinon les orienter ?

Mme Esther Benbassa . - Je tiens à vous féliciter pour votre intervention et pour avoir rendu son honneur à la psychanalyse, que d'aucuns avaient instrumentalisée. Le fameux OEdipe était devenu une sorte d'alibi contre le mariage des personnes de même sexe !

Vous, qui avez écrit un livre remarquable sur l'antisémitisme, situez le débat dans la réflexion sur les minorités, que l'on préférerait bien visibles plutôt que cachées, en train de comploter.... J'apprécie votre ouverture d'esprit, concernant la GPA et la PMA. Ce qui m'inquiète, c'est la fureur, la haine pour une question déjà réglée dans des pays catholiques comme l'Espagne ou l'Argentine. Ce débat ne traduit-il pas autre chose ? Un curieux tsunami a traversé le pays.

M. Dominique de Legge . - Merci pour votre intervention intellectuellement brillante, quoique parfois militante. Pour vous, cette loi n'est qu'une étape vers d'autres évolutions : la PMA et la GPA. Je partage votre analyse et certains feraient bien de tenir compte de vos propos.

Vous avez dit que les enfants de couples homosexuels n'étaient pas plus heureux, ni plus malheureux que ceux des couples hétérosexuels. Je vous sais également gré de l'avoir précisé. Vous avez ensuite évoqué l'accès aux origines : le donneur de sperme est anonyme. Quid de la levée de l'anonymat ? Enfin, que pensez-vous de l'accouchement sous X et de l'accès aux origines pour les enfants adoptés ou issus de la GPA et comment traduire dans les actes de l'état civil la distinction entre maternité et paternité sociales et biologiques ?

M. Philippe Darniche . - Votre exposé est brillant, mais je ne partage pas les options que vous avez défendues. Je n'ai ni fureur, ni haine, ni moquerie sur le sujet. Dans ma famille, et mon entourage, j'ai parlé avec des homosexuels.

Je voudrais revenir avec tranquillité sur le dossier des origines : nous sommes souvent saisis par des personnes qui souffrent terriblement de ne pas connaître leurs origines. La loi qui arrive favorise le nombre de personnes confrontées à l'anonymat. Connaissant cette souffrance, l'Etat doit-il accéder au désir d'enfant des homosexuels, qui relève d'une pulsion humaine, légitime, comme vous l'avez rappelé ?

Vous venez de dire que ce n'est pas très grave si la GPA et la PMA ne font pas partie du texte, car cela va venir... C'est symptomatique. Ne faudrait-il pas penser d'abord à l'enfant ? On sait qu'il souffrira, même si j'entends bien que certains de ces enfants témoignent qu'ils sont très heureux. Faut-il pour autant en faire une généralité ?

M. Jean-René Lecerf . - Je ne partage pas l'opinion de Mme Benbassa : je n'ai vu aucun déchaînement d'homophobie. Elle était plus présente lors des débats sur le Pacs...

M. Philippe Darniche . - Absolument !

M. Jean-René Lecerf . - Les problèmes posés par ce projet de loi sont liés à l'homoparentalité et, surtout, à la banalisation de la PMA et de la GPA. Vous nous dites « n'ayez pas peur ! ». Mais les enfants de couples homosexuels sont exposés au risque d'être dépossédés de la moitié de leur filiation, nous a expliqué M. Winter. Quant à la GPA, votre conception est idyllique ; j'ai vu ce qui se passe aux Etats-Unis : une femme choisit sur catalogue le géniteur, en fonction de ses qualités supposées ; une femme loue son ventre pour 40 000 euros, comme s'il s'agissait d'un métier. Est-ce une avancée de civilisation ?

Mme Virginie Klès . - Je vous ai entendu expliquer que de toute façon l'adoption est problématique parce que l'abandon préalable est traumatisant. Restera-t-il suffisamment d'amour et de don pour expliquer à l'enfant qu'il n'a pas été abandonné, mais conçu pour être confié à une autre personne ?

Mme Cécile Cukierman . - Les passions se déchaînent sur les conséquences du mariage. Je reviens sur certains non-dits sur la filiation, la procréation, la transmission. Notre rôle n'est pas de transcrire dans la loi les attentes et les évolutions sociétales, mais de les prendre en compte parce qu'elles sont réelles, de les encadrer pour éviter les abus. La PMA et surtout la GPA m'interpellent. Y a-t-il ou non marchandisation du corps de la femme, du sperme de l'homme ?

Ce texte sur le mariage met intelligemment à l'écart ces questions, car elles nécessitent réflexion. Il faudra ensuite revoir notre législation pour accompagner ces évolutions et justement éviter les dérives observées ailleurs.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Lorsque dans quelques années, on donnera naissance à des enfants extra-utero , que fera le législateur ? Des expériences ont déjà lieu en laboratoire !

Mme Elisabeth Roudinesco . - Je suis autant que vous dans le doute, et c'est pour cette raison que je n'aime pas les experts. Je préfère le droit, la vie, les sciences humaines. C'est une ruse de l'histoire que le mariage soit désiré par ceux qui n'y ont pas droit, au moment même où ceux qui y ont droit le désertent. Je l'ai moi-même constaté et je me suis demandé : qu'est-ce qui leur prend ? Il y a eu un retournement, auquel nous n'avions pas pensé. Le jour où la possibilité de se marier se sera banalisée pour les homosexuels, vous verrez qu'ils se marieront moins. Au demeurant, le Pacs, voté pour les homosexuels, est en majorité utilisé par les hétérosexuels, parce que la famille est instable, même si on désire se marier pour la vie.

Le législateur n'est pas un greffier. Je n'ai jamais pensé une chose pareille. C'est pour empêcher les dérives qu'il faut les encadrer par la loi, monsieur Lecerf. Les catalogues de sperme de prix Nobel, dont on parlait il y a une dizaine d'années, font partie des délires qui circulent sur internet et qu'il faut précisément encadrer. N'avait-il pas été très sérieusement proposé qu'un père puisse donner sa semence à son fils stérile, comme si cela n'était pas une transgression de l'interdit de l'inceste ?

L'offre du corps est sur internet, avec la prostitution. A défaut de tout interdire, on peut encadrer et dénoncer les fantasmes. Quand j'avais débattu avec Jacques Derrida de la peur du clone, il avait demandé quelle serait la différence une fois que l'enfant aura sa propre vie. Quels que soient les progrès de la biologie, les enfants nés autrement que les autres n'entreront pas nécessairement dans une grande souffrance.

L'accès aux origines est important, il peut être favorisé au maximum. Dans une famille, dire la vérité aux enfants ne signifie pas forcément qu'ils aient accès à leurs origines biologiques, mais que la vérité est transmise par la parole des parents. Certains enfants à qui l'on a dit très tôt la vérité, ne cherchent pas nécessairement leur origine biologique. S'ils la recherchent, ce peut être qu'ils ne vont pas bien pour d'autres raisons.

M. Philippe Darniche . - Je ne suis pas convaincu.

Mme Elisabeth Roudinesco . - Cela existe déjà. Il faut séparer le droit à l'accès qui relève de la loi et la question du dire. Pas plus qu'en médecine, l'on ne doit asséner la vérité au malade n'importe quand, n'importe comment. Faites confiance à l'humanité sur la manière dont elle réglera ses problèmes.

Je suis partagée sur le problème du déchaînement ou non de l'homophobie. Comme pour l'antisémitisme et le racisme, la loi doit interdire pour refouler - elle ne peut éradiquer ces phénomènes, cette déferlante pulsionnelle, inconsciente. L'être humain sera toujours habité par une pulsion de mort et de destruction. C'est parce qu'il y a eu des lois comme le Pacs qu'il y a moins d'homophobie. Elle apparaît sous des formes différentes, et notamment sous la forme de la dénégation. Contrairement à ce qui se passait il y a une quinzaine d'années, on a besoin de se défendre et de dire qu'on n'est pas homophobe, que l'on a des amis homosexuels. C'est ainsi que passe une homophobie refoulée. Je ne suis pas pour poursuivre ces pulsions qui s'expriment par la dénégation.

Pourquoi en faire une affaire d'Etat ? Je n'y peux rien. En Espagne, il y a eu des manifestations, en Argentine un peu moins. Ce qui heurte, ce qui choque au départ, c'est l'idée d'instituer un mariage pour des personnes de même sexe. Les premières familles homoparentales étaient issues de femmes et d'hommes homosexuels qui faisaient des enfants ensemble. Il y avait de la souffrance car on faisait un enfant, mais pas avec celui qu'on aimait. Les homosexuels choisiront donc davantage d'utiliser la procréation assistée. A terme, il y aura autant de névroses et de problèmes psychiques chez ces familles que dans les autres, pas plus, pas moins. Cela ne se voit pas avec la première génération car se seront des enfants de familles aisées. Mais, on brandira ensuite les mêmes exemples d'enfants battus etc. A tort : on ne peut brandir la pathologie pour condamner la norme.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci pour votre exposé et pour vos réponses aux questions. Nous continuons demain à entendre des personnes qui représentent des points de vue divers, sous la présidence de M. Jean-Pierre Michel, puisque je dois me rendre à la conférence de consensus convoquée par Mme Taubira, garde des sceaux, sur la récidive et le code pénal.

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