M. André Nutte, président, et M. Raymond Chabrol, secrétaire général du Conseil national d'accès aux origines personnelles

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M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant, pour notre troisième série d'auditions depuis ce matin, M. André Nutte, président du Conseil national d'accès aux origines personnelles, et M. Raymond Chabrol, qui en est le secrétaire général.

Nous évoquions, voilà quelques instants encore, le problème des origines, dont il sera encore plus question lors de l'examen du futur projet de loi sur la famille, mais qui est aussi soulevé au travers du projet de loi relatif au mariage des personnes de même sexe, notamment en ce qui concerne les adoptions plénières.

M. André Nutte , président du Conseil national d'accès aux origines personnelles. - Dans un premier temps, je rappellerai brièvement les termes de la loi du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État. Je présenterai ensuite les activités du Conseil national d'accès aux origines personnelles, le CNAOP. Enfin, j'évoquerai un certain nombre de points particuliers.

La loi du 22 janvier 2002 qui a remis en cohérence un certain nombre de dispositifs épars, représente manifestement un progrès. Je rappelle qu'il avait été voté à l'unanimité par les deux chambres et, après dix ans d'application, il commence à se stabiliser. Ce texte doit certainement évoluer, mais, en tout cas, son application commence aujourd'hui à être bien établie, avec des jurisprudences nécessaires, comme il sied d'ailleurs à toute loi.

On rappellera aussi utilement que le Sénat, en 2007, avait introduit une disposition selon laquelle l'accès aux origines était ouvert dès l'instant où l'enfant atteignait l'âge de dix-huit ans, mais qu'il était également possible de descendre en dessous de ce seuil lorsque l'enfant avait le discernement nécessaire. Si cette disposition n'est certes pas encore opérationnelle, elle a tout de même constitué, à mon avis, un signal, que nous retrouverons certainement lors du débat sur la recherche des origines.

Schématiquement, la loi du 22 janvier 2002 se compose de deux parties : la première a trait au droit à accoucher dans le secret, appelé plus communément « accouchement sous X » ; la seconde concerne l'accès à ses origines, c'est-à-dire la possibilité pour les personnes nées sous X de pouvoir, un jour, à partir de dix-huit ans, accéder à leurs origines.

Le CNAOP a notamment pour objet, comme le précise la loi du 22 janvier 2002 par laquelle il a été créé, de faciliter l'accès aux origines personnelles.

Environ 600 enfants naissent chaque année sous le secret, dans notre pays. Ce chiffre est constant. Il a très sensiblement diminué, pour d'évidentes raisons, notamment après le vote de la loi Veil, puisque l'avortement a permis de régler un certain nombre de situations.

Depuis sa création, le CNAOP a été saisi de 7 000 demandes utiles d'accès aux origines, c'est-à-dire relevant expressément de sa compétence.

Je reviens sur le premier volet de la loi du 22 janvier 2002, l'accouchement sous le secret.

C'est d'abord une décision qui appartient à la mère de naissance, qu'elle n'a pas à justifier. La personne se présente à la maternité, elle n'a pas à décliner son identité, elle n'a pas à évoquer les conditions qui l'ont amenée à prendre cette décision, et l'administration n'a pas à mener d'investigations.

On est donc sur un régime déclaratif strict, compréhensible s'agissant d'une situation de secret. Afin que ce secret soit bien gardé, la prise en charge des frais d'accouchement, des frais d'hospitalisation, par exemple, est assurée par l'État. En tout cas, le CNAOP n'a pas eu connaissance de cas de violation de secret.

La loi ne prévoit pas qu'il puisse être demandé à la personne qui vient pour accoucher s'il y a procréation médicalement assistée ou gestation pour autrui.

Il appartient aux personnels hospitaliers, aux personnels des conseils généraux, qui font d'ailleurs un travail remarquable, de rencontrer la personne, de lui expliquer dans quel contexte juridique elle se situe, de bien lui faire comprendre que, si elle persiste dans sa décision, un processus d'adoption s'engagera, avec tout ce que cela comporte, c'est-à-dire que l'adoption, au bout de deux mois, est irréversible.

Ils doivent également expliquer à la femme qui veut accoucher sous X que la loi a prévu des possibilités qui, tout en maintenant le secret, permettront peut-être un jour à l'enfant d'obtenir des informations sur ses origines au moyen du système du pli fermé. Dans ce pli fermé, la femme peut laisser son identité, des renseignements sur sa santé et sur celle du père, sur l'identité de ce dernier et d'autres indications qu'elles souhaitent apporter.

Il s'agit non pas de faire pression sur la personne mais de l'éclairer. Les études dont nous disposons montrent que, d'une manière générale, les femmes qui accouchent sous X sont en difficulté sociale. Selon la répartition géographique ou socioprofessionnelle de ces personnes, il apparaît que, dans leur très grande majorité, elles rencontrent d'importants problèmes ; c'est une donnée qu'il faut prendre en compte.

Pourquoi ces personnes prennent-elles la décision d'accoucher dans le secret ? Que disent-elles ? Quelles sont leurs motivations ? Avoir été victime d'un abus sexuel est l'un des motifs le plus fréquemment invoqué à l'appui de cette décision. Il y a aussi des situations de déni. La personne a nié son état de grossesse et, le temps passant, elle n'a pas d'autre solution dès lors qu'elle ne souhaite pas garder l'enfant. Il y a aussi le cas de femmes abandonnées par leur compagnon qui, ayant appris leur grossesse et voyant que celle-ci se poursuit, décident de le quitter. Il y a aussi des couples qui, de manière très rare, décident que l'accouchement se fera sous X. Mais tout cela relève du déclaratif, et le CNAOP n'a d'ailleurs pas à en savoir davantage.

J'ajouterai que, sur les 600 femmes qui accouchent chaque année dans le secret, un peu moins d'un tiers ont eu l'idée de contacter des associations ou l'assistante sociale de la ville avant l'accouchement. Dans ces cas-là, je n'ose pas dire « un travail préparatoire », mais en tout cas un cheminement social a abouti à cette décision.

De ce qui remonte des conseils généraux nous avons le sentiment que les personnes concernées sont le plus souvent en souffrance. La situation n'est pas simple : elles doivent prendre dans un délai très court une décision difficile, celle de garder ou non l'enfant, donc une décision lourde de conséquences. En effet, il faut bien en avoir conscience, au bout de deux mois, il n'est plus possible de faire marche arrière.

J'en viens au second volet, celui de l'accès aux origines, autrement dit la possibilité pour la personne qui le souhaite de retrouver les coordonnées de sa mère de naissance. Nous employons cette expression de « mère de naissance » pour la distinguer de la mère qui a adopté l'enfant. Pour nous, les deux situations sont très différentes. Le vocabulaire n'est pas neutre.

Je l'ai rappelé, cette faculté est ouverte aux personnes de plus de dix-huit ans et aux enfants de moins de dix-huit ans s'ils ont le discernement nécessaire.

Ne croyez pas pour autant que les personnes concernées se précipitent pour présenter une demande d'accès aux origines dès qu'elles atteignent l'âge de dix-huit ans ; cela ne nous simplifie d'ailleurs pas les choses. Et encore faudrait-il qu'elles sachent qu'elles sont nées sous X. Certaines apprennent qu'elles ont été adoptées beaucoup plus tard.

Un dossier sur deux date de plus de trente ans, ce qui n'est pas simple pour l'administration. À cette époque, l'informatique n'existait pas, les dossiers étaient constitués manuellement, selon des pratiques diverses et variées. L'âge moyen auquel une personne recherche ses origines est largement supérieur à trente ans.

En outre, et en partie pour les mêmes raisons, nous ne retrouvons la mère de naissance que dans un peu plus d'un cas sur deux, ce qui est normal, car, en l'espace de trente ou quarante années, la personne a pu déménager. Cette situation est très frustrante pour la personne qui cherche ses origines. Elle fait un procès d'incompétence à l'administration en général, en l'accusant de ne pas agir avec suffisamment de bonne volonté ; quant aux associations, il arrive qu'elles soient persuadées que, si elles avaient été chargées du dossier, elles auraient retrouvé la mère de naissance.

Moins d'un dossier sur deux trouve donc une issue heureuse. Une fois la mère de naissance retrouvée, nous parvenons à « satisfaire » 30 % des demandes d'accès aux origines. Pour les autres, nous n'y arrivons pas, soit parce que la mère, bien qu'identifiée et contactée, maintient son refus, ce qui est son droit ; soit parce que la personne que nous contactons prétend qu'elle n'a jamais été la mère de naissance de qui que ce soit.

Par ailleurs, les demandes des personnes en recherche de leur mère de naissance ne sont pas uniformes. Certains se contentent d'obtenir le nom de leur mère de naissance et leur lieu de naissance ; d'autres souhaitent aller plus loin, et rencontrer la mère de naissance, sans pour autant envisager de renouer des relations pérennes.

À ce sujet, nous avons été confrontés récemment à une situation assez rude. Le contact avec la mère de naissance s'est mal passé, du fait d'une incompréhension née de la trop grande différence dans les niveaux de vie respectifs de la personne et de sa génitrice...

Nous pensons - et les associations qui composent le Conseil national en sont également convaincues - qu'il serait nécessaire de prévoir un accompagnement très professionnel pour aider le demandeur dans son cheminement personnel.

Je relève que le croisement des fichiers informatiques permet d'augmenter nos performances ; pour autant, nous serons toujours confrontés à certaines limites.

Je souhaiterais maintenant aborder le problème de la reconnaissance de la parentalité par les pères.

Lorsqu'une femme accouche sous X, rien n'interdit à un homme de faire une demande de parentalité ou de se déclarer en parentalité. Une circulaire du 28 octobre 2011 du ministère de la justice traite d'ailleurs expressément des accouchements sous X. Les pères peuvent accéder à la parentalité par une formalité assez simple : une déclaration de parentalité devant le maire et, le cas échéant, devant le procureur.

Il est clair que l'évocation de cette possibilité juridique nous ramène à la gestation pour autrui. Je resterai prudent : en l'état actuel de nos connaissances, nous n'avons pas identifié de situation de ce type. Il y a une demande de reconnaissance de parentalité seulement dans une petite dizaine de cas étalés sur les dernières années.

Certaines situations nous semblent particulièrement nettes et n'ont rien à voir avec la gestation pour autrui. Je prendrai l'exemple, sans porter de jugement, d'un couple marié avec deux enfants dont la femme souhaitait accoucher sous X. Son mari voulait reconnaître sa parentalité par avance et son épouse souhaitait ne pas accoucher dans son département de résidence, qui est de taille modeste. Comprenne qui pourra, mais il me semble que ce cas est très loin de la GPA !

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - Le mari n'est pas clair !

M. André Nutte. - Nous ne sommes pas allés si loin, mais, effectivement, c'est sûrement cela...

Un autre élément nous rassure. Rapporté au nombre de naissances constatées au cours des dernières années, le nombre annuel d'accouchements sous le secret - 600, je le rappelle - est en baisse, certes légère, mais incontestable. On ne peut donc pas parler pour l'instant de déviation de la procédure ; on peut simplement dire que c'est une possibilité juridique qui existe. Il faudra voir comment les choses évoluent et s'il y a une rupture de courbe dans les déclarations d'accouchement sous X après l'adoption de la loi.

Je voulais, pour terminer, évoquer la situation des enfants élevés par des familles du même sexe. Je n'ai pas trouvé de statistiques bien établies sur ce point, l'INED évoque une fourchette comprise entre un maximum de 40 000 enfants et un minimum de 10 000. Certaines associations avancent plutôt les chiffres de 100 000 ou 200 000 enfants. En tout cas, il me semble clair qu'il faut se soucier de leur donner un cadre juridique familial plus établi.

On ne peut pas non plus se désintéresser de l'accès aux origines, qu'ils demanderont certainement un jour. À la différence de ceux qui vivent dans une famille dont le père et la mère sont de sexe différents, ces enfants vont se préoccuper très tôt, dès aujourd'hui, de savoir qui ils sont et d'où ils viennent.

À mes yeux, il s'agit d'un sujet important. Je suis convaincu que l'évolution de notre société est telle que le droit de savoir devient toujours plus important. Aujourd'hui, il est normal de savoir, et ce dans tous les domaines. Nous ne pouvons pas être en décalage avec un phénomène de société aussi fort et il nous faut en tenir compte.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Monsieur Nutte, je vous remercie beaucoup pour ce témoignage plein d'humanité et de pragmatisme.

Pouvez-vous me confirmer qu'une femme qui vient d'accoucher sous X n'est pas obligée de laisser un pli fermé ?

M. André Nutte. - En effet.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Dans ces conditions, toute recherche est pratiquement vouée à l'échec.

Ensuite, comme vous l'avez dit - du reste, cela a été répété tout au long des auditions -, le droit de savoir, la transparence sont autant de questions qui se posent aujourd'hui pour les enfants à la recherche de leur histoire - plus que de leurs origines, d'ailleurs.

Mais le problème se pose avec encore plus d'acuité pour les enfants qui sont d'ores et déjà élevés par des couples homosexuels. Et ce sera encore plus vrai quand ces couples pourront se marier !

Si j'ai bien compris, il existe toute une série de cas, dont ceux-ci, pour lesquels vous n'avez pas compétence. Dans ces conditions, pensez-vous qu'il faille, d'une façon ou d'une autre, augmenter le champ de compétences du CNAOP ?

Si je vous ai bien entendu, le Conseil national n'est aujourd'hui compétent que pour les quelque 600 enfants qui, chaque année, naissent sous X en France ?

M. André Nutte. - Nous le sommes aussi pour ceux qui sont nés sous X par le passé !

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Enfin, quid des enfants ayant fait l'objet d'une adoption à l'étranger ? Pratiquement, de tels enfants aussi peuvent ensuite rechercher leurs origines...

La question se pose déjà pour les enfants nés sous X à l'étranger et adoptés de façon plénière par des couples hétérosexuels : ces enfants s'aperçoivent rapidement que leurs parents ne peuvent pas être leurs géniteurs biologiques parce qu'ils n'ont, par exemple, pas la même couleur de peau. Mais je suppose que, pour les enfants adoptés à l'étranger par un couple de même sexe, l'interrogation sera double.

Dans le cadre de nos travaux, ces questions nous ont été très largement posées. Certains - les associations me semble-t-il - ont même évoqué la possibilité que le CNAOP puisse voir ses compétences élargies et répondre à toutes ces interrogations.

M. André Nutte. - À mon avis, tout ce qui concerne la recherche des origines et la conservation des informations permettant d'y accéder ressortit véritablement non pas au domaine « régalien » - le terme est un peu fort -, mais au domaine de l'État. En tout cas, je ne vois pas ces compétences confiées à une association : ce serait trop compliqué.

Cela étant, je ne suis pas « attrape-tout » ! Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, le CNAOP a acquis une certaine expérience. De par sa composition, cet organe permet d'organiser des débats ; il permet de rassembler. Dès lors, s'il le faut, pourquoi ne pas étendre ses compétences, à condition toutefois que les moyens suivent !

Bien entendu, nous serions prêts à faire tout ce qui serait jugé nécessaire mais je rappelle, monsieur le rapporteur, que cela relève du domaine de la loi !

M. Raymond Chabrol, secrétaire général du Conseil national d'accès aux origines personnelles. - Monsieur le rapporteur, concernant le pli fermé, il faut savoir qu'un infime pourcentage de femmes qui accouchent dans le secret - 1 % ou 2 %, d'après les chiffres dont nous disposons - repartent très vite de la maternité, parfois deux heures à peine après avoir accouché, en refusant de signer toute décharge de responsabilité. Certaines fuient littéralement la maternité !

Ces femmes, ni les correspondants départementaux ni les professionnels de santé ne peuvent véritablement les rencontrer.

Comme l'a dit André Nutte, dans notre pays, la raison fondamentale de l'accouchement dans le secret n'est pas de permettre à la mère de garder ou non le secret. Sa justification principale, c'est qu'une femme qui accouche et que l'enfant qu'elle met au monde ont le droit de ressortir de la maternité en bonne santé. Il vaut mieux qu'une femme accouche dans une maternité sans dévoiler son identité plutôt que je ne sais où, en prenant le risque de mourir et, éventuellement, de faire subir le même sort à son enfant.

Une fois que la femme a accouché, si elle décide de rester à la maternité au moins quarante-huit ou soixante-douze heures, elle y rencontre un correspondant départemental, qui est un professionnel du conseil général. Si ce dernier ne peut pas être présent, la loi fait obligation au directeur de la maternité de s'organiser pour qu'un professionnel de santé supplée le correspondant départemental.

Bien évidemment, la rencontre se fait sur la base d'un recueil d'informations, dont le contenu est fixé par un arrêté ministériel, lequel détermine les limites de ce que l'on peut demander à la femme. Mais le premier objectif est de faire entrer cette femme dans une démarche de dialogue - si tant est que le dialogue soit vraiment possible -, de lui faire prendre conscience qu'il est important pour l'enfant qu'il ait accès à un certain nombre d'éléments et de l'informer des différentes possibilités qui s'ouvrent à elle.

Première possibilité : la femme a le droit de ne rien dire.

Deuxième possibilité : la mère a le droit de laisser tout élément non identifiant. Elle peut dire que le père est français ou américain, qu'elle a les cheveux blonds, qu'elle a ou non fait des études supérieures...

Si elle veut en dire plus, plusieurs nouvelles possibilités s'offrent à elle. Premièrement, dans le délai de deux mois qui sépare l'accouchement de l'engagement du processus d'adoption, la femme a le droit de reconnaître l'enfant. Deux voies lui sont alors ouvertes. D'une part, elle peut décider de ne pas élever l'enfant et de le confier au conseil général. L'enfant entre alors dans un processus d'adoption. D'autre part, la mère peut en demander la restitution, sous réserve que cela ne pose pas de problèmes majeurs sur le plan de la protection de l'enfance.

Si elle l'a reconnu et l'a confié au conseil général en signant un procès-verbal d'abandon, on l'informe que l'enfant aura évidemment le droit de connaître son identité. C'est parfaitement clair.

Deuxièmement, si la mère ne souhaite pas reconnaître l'enfant, on l'informe qu'elle a le droit de laisser son identité dans le dossier, laquelle sera communiqué à l'enfant si ce dernier demande à y accéder.

Troisièmement, elle peut recourir à la procédure du « pli fermé ». On donne à la mère une enveloppe « officielle ». La mère y laisse ce qu'elle souhaite. Bien évidemment, on lui explique que c'est mieux si elle y laisse son identité. Néanmoins, on ne relit pas ce qu'elle a écrit. D'ailleurs, c'est elle qui ferme l'enveloppe. Le conseil général n'est que le gardien de cette enveloppe ; il ne l'ouvre pas. Ce n'est que si l'enfant demande à accéder à ses origines qu'un membre du CNAOP l'ouvrira. Pour l'instant, nous n'avons pas reçu de demandes de ce type.

On fait savoir à la mère que, si le membre du CNAOP qui ouvre l'enveloppe y trouve une identité, on cherchera à la contacter - si on la retrouve.

À cet égard, la loi nous a donné des moyens d'investigation considérables, notamment auprès des organismes de protection. Monsieur le sénateur, il ne vous a sûrement pas échappé qu'en France peu de citoyens ne sont pas couverts par un régime de protection sociale ! On arrive donc assez facilement à retrouver la mère...

Si on la retrouve, la mère pourra dire que c'est bien elle qui a laissé l'enveloppe mais qu'elle n'est pour le moment pas prête à lever le secret ; en ce cas, la démarche pourra faire l'objet d'une révision ultérieure. La mère peut aussi nous annoncer qu'elle est prête à lever le secret.

Pour ce qui est des enfants nés à l'étranger, monsieur le rapporteur, la compétence du CNAOP est très stricte. En effet, elle ne concerne que des enfants nés dans le secret.

En France, la législation a beaucoup évolué entre 1904 et 1996. À certaines périodes, même si la mère n'avait pas accouché dans le secret, les parents pouvaient confier leur enfant à l'adoption, jusqu'aux sept ans de ce dernier. Puis, ces délais ont diminué. Aujourd'hui, nous sommes toujours sous le régime de la loi de 2002, laquelle a prévu un délai de deux mois.

Cela signifie que nous sommes compétents pour des cas très anciens de femmes n'ayant pas accouché dans le secret mais ayant confié leur enfant à l'adoption, notamment auprès du conseil général, avant qu'il n'ait sept ans.

Nous sommes également compétents si l'enfant est pupille de l'État, qu'il ait été adopté ou non.

Nous sommes confrontés à des situations très complexes parce que nombre de pays étrangers ne protègent pas la femme qui décide d'accoucher dans le secret : il faut savoir que seuls cinq États au monde se sont dotés d'une législation en la matière. On n'a donc strictement aucun moyen de retrouver ne serait-ce que quelques mères ou pères de naissance d'enfants nés à l'étranger.

De nombreux cas sont possibles. Ainsi, au Brésil, ces femmes sont poursuivies, condamnées, jetées en prison. Dans d'autres pays, comme en Corée, les enfants sont déposés quelque part : dans la rue, dans un commissariat... Il n'y a donc pas grand-chose à rechercher concernant les origines de l'enfant.

Sur le plan historique, en France, le sujet est ancien :... tout le monde a en mémoire saint Vincent de Paul ! La Révolution française a ensuite organisé l'accouchement dans le secret, puis différentes législations sont intervenues, notamment en 1904, en 1943, en 1996 et en 2002.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales . - Étant moi-même membre du Conseil national d'accès aux origines personnelles, j'estime important que vous reveniez sur la réalité des faits.

Non que nous soyons complètement « hors sol » - plusieurs d'entre nous ont la pratique des conseils généraux -, mais la réalité de l'accès aux origines est parfois bien différente de ce qu'elle peut parfois être imaginée, redoutée, voire fantasmée.

Messieurs, vous faites bien de dire que la question des origines est propre à chaque adulte et à chaque enfant. En la matière, chaque histoire est singulière. Cela étant, tous les enfants se posent des questions sur leurs origines - par exemple, sur l'identité de leur père -, surtout lorsqu'ils arrivent à l'âge de sept ou huit ans. Ces questions sont légitimes et, bien sûr, bien plus compliquées quand il y a adoption.

Il faut aussi répéter que les profils des femmes qui accouchent dans le secret sont divers. Si, assurément, certaines sont touchées par une forme de précarité, ce n'est pas le cas de toutes. Ainsi, il en est qui ont nié leur grossesse jusqu'au huitième mois et d'autres qui, pour des raisons diverses, ont dépassé les délais légaux de l'interruption volontaire de grossesse prévus par la loi française.

Les femmes qui accouchent dans le secret ne sont pas forcément des jeunes mineures désoeuvrées et alcoolisées. Parmi elles, il y a aussi des femmes majeures, qui ont déjà des enfants et qui, comme vous l'avez dit, vont parfois chercher le petit dernier à l'école quelques heures seulement après avoir accouché.

Il faut également rappeler l'existence, en France, autour des maternités et du personnel soignant, d'équipes remarquables dans l'accompagnement de ce geste de don d'enfant confié à l'adoption.

L'accouchement dans le secret est donc une réalité. C'est aussi un droit, et c'est tant mieux.

Du point de vue de l'enfant, le droit à connaître ses origines est lui aussi important. Comme nous l'avons entendu dans la bouche d'autres personnes que nous avons auditionnées, notamment de parents ayant adopté, les origines, cela peut être un nom, une situation, une histoire ou encore un pays.

Sur ce point, il faut aussi laisser la possibilité à la personne qui recherche ses origines d'effectuer sa démarche : souvent, le fait de savoir que sa naissance dans le secret a une histoire la rassure et lui permet de passer à autre chose.

M. Charles Revet . - Pour ma part, j'aurais aimé que vous nous en disiez un peu plus sur tout ce que vous voyez dans le texte que nous examinons, et que nous ne voyons pas forcément.

Certains, cela a été dit et répété, peuvent avoir le sentiment que le droit des adultes et leurs désirs prévalent sur le droit de l'enfant, alors qu'il devrait être au coeur de nos préoccupations.

Or le droit de l'enfant, c'est aussi celui de connaître ses origines. Si une personne ne souhaite pas être connue de l'enfant qu'elle met au monde et ne laisse rien qui permette à l'enfant de la retrouver, c'est son droit. Pourtant, d'une manière ou d'une autre, le droit pour l'enfant de connaître ses origines devrait exister, dans le respect du choix de la mère de ne pas le garder.

L'enfant a, lui, le droit de savoir d'où il vient, car l'ignorance sur ses origines peut le perturber toute sa vie. Ainsi, vous paraîtrait-il souhaitable qu'on modifie la loi en vue de faciliter cette recherche des origines ?

Mme Christine Lazerges, présidente de la commission nationale consultative des droits de l'homme, nous a indiqué qu'il était possible qu'une femme accouche sous X et qu'un homme vienne, le lendemain ou le surlendemain, déclarer qu'il est le père de l'enfant.

Or il existe des procédés - je pense au test ADN - qui permettraient de s'assurer de la réalité de cette paternité. Il s'agit d'un problème situé dans le champ de la procréation, voire de la gestation pour autrui, à propos duquel il faudrait se prémunir d'abus éventuels.

Ainsi, j'ai rencontré une personne, adoptée à six ou sept ans par une femme seule, qui estimait avoir été heureuse dans sa famille adoptive mais qui voulait connaître ses origines. Il se trouve que cette personne, ayant eu besoin d'un acte d'état civil, a profité de l'absence de l'employé pour prendre connaissance de sa filiation. C'est ainsi qu'elle a pu retrouver son frère et peut-être d'autres membres de sa famille. C'était anormal et c'était pourtant, selon moi, un droit.

J'ai aussi rencontré une personne issue d'un don de gamètes qui m'a dit qu'elle avait appris à vingt-huit ans qu'elle n'était pas la fille biologique de son père. Elle souhaitait se mettre en ménage et il se trouve que l'homme qu'elle avait rencontré était aussi issu de gamètes. Ainsi, elle ne pouvait s'assurer qu'elle n'allait pas épouser un membre de sa famille, faute d'accès à ses origines.

Avez-vous, sur ces points, des explications à nous donner ? Des ajustements législatifs s'imposent-ils ?

Mme Virginie Klès . - Vous nous avez dit que l'âge moyen de demande des origines était autour de trente ans. Pouvez-vous établir un lien entre le fait de fonder une famille et de s'interroger à ce moment sur ses origines ?

Quels constats, quelles réflexions, quel ressenti sont les vôtres concernant ces enfants issus - de leur point de vue - d'un abandon même si, pour la mère qui accouche sous X, il s'agit d'un don à l'adoption ? Voyez-vous une différence entre ces enfants issus d'un « abandon » et les enfants issus d'une procréation médicalement assistée ou de dons de gamètes ?

Mme Nicole Bonnefoy . - En premier lieu, je voudrais savoir s'il arrive que des femmes accouchant sous X reviennent sur leur décision avant l'expiration du délai de deux mois - voire après -, ce qui est peut-être rare.

En second lieu, je voudrais connaître le délai entre l'adoption effective d'un enfant né sous X et sa mise au monde.

M. André Nutte . - Concernant la dernière question, il est vrai, madame, que certaines femmes reviennent sur leur décision car un certain travail de conseil est effectué tandis que, par ailleurs, on ne peut nier le lien particulier qui peut exister entre la mère et l'enfant - d'autant plus qu'après la naissance, d'une certaine manière, même si je ne suis pas le mieux placé pour le dire, le plus dur est fait !

C'est là qu'il faut bien comprendre : si l'on est capable de dire à ces femmes - le problème se pose pour ce genre de public comme pour d'autres - que l'on va essayer de leur trouver un logement et de régler leur problème de crèche ou d'emploi, si l'on est en mesure de faire ce véritable travail social, alors tout est possible.

Je suis persuadé que de nombreuses femmes accouchent sous X pour la seule raison qu'elles ont peur du lendemain. Aujourd'hui, même avec la prégnance des problèmes d'emploi, cette sécurisation est possible, elle se fait, ce qui est plutôt, à mon sens, une bonne nouvelle.

Concernant les délais entre la naissance et l'adoption, les difficultés concernent les enfants qui présentent des problèmes, des handicaps mais, pour les autres, c'est très rapide, avec un délai qui peut-être de l'ordre de quatre à six mois.

J'en arrive à la seconde question de Mme Klès, celle qui concerne la procréation médicalement assistée. Madame la sénatrice, je ne sais pas comment vous répondre. D'abord, rien ne permet a priori d'identifier les personnes issues d'une PMA ! Mais il est certain que les enfants concernés ne peuvent qu'être conduits à se poser des questions - en premier lieu parce qu'ils peuvent ignorer ce qu'est la PMA. En me fiant à ma seule intuition, je dirais que vous avez raison... C'est une raison supplémentaire de chercher à mieux connaître cette réalité et d'oser y consacrer des études ad hoc.

En réponse à la question sur ce moment particulier qu'est celui où l'on fonde une famille, il est bien clair, madame, que c'est précisément la phase de la vie où l'on veut savoir d'où l'on vient. Une autre étape difficile est celle de la révélation de son origine au futur conjoint. Dans le même ordre d'idées, certaines femmes cachent à leur conjoint qu'elles ont déjà accouché sous X.

Bien entendu, l'âge auquel on se marie interfère largement sur les comportements. Mais c'est un vrai sujet. Lorsque l'on a des enfants, on s'interroge sur les relations qu'on a eues avec sa propre mère et l'on se demande alors ce qui s'est passé...

C'est pourquoi on rencontre des hommes et des femmes en prise à des problèmes difficiles... Ils y pensent, et ont besoin de savoir.

J'en viens, monsieur Revet, à la reconnaissance de parentalité. Sur ce point, en cas de fraude ou de doute, l'officier d'état civil peut, sur signalement de la DASS ou des membres du personnel de l'hôpital, exprimer des réserves quant à une reconnaissance de parentalité. Il appartient alors au procureur de République d'ouvrir une enquête. À notre connaissance, le cas ne s'est pas présenté, mais cela ne veut pas dire que cela ne soit jamais arrivé. Quoi qu'il en soit, une circulaire, dont je vous donnerai la référence, prévoit cette situation.

Quant au droit des enfants de connaître leur origine, je vous dirai qu'à titre personnel, j'estime qu'au moment de l'accouchement sous X, il faut tout de même un minimum d'informations, quitte à ménager parallèlement le secret. À cet égard, le pli fermé est une première réponse. Supposez, par exemple, que la mère biologique décède ; l'enfant ne saura jamais rien !

Mon propos est peut-être progressiste, mais je pense que l'on a besoin de savoir.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - C'est bien ce que nous pensons, mais il faut alors modifier la loi de 2002.

M. André Nutte. - Oui, parce que l'on tient compte de l'évolution de la société.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis. - On touche alors au droit des femmes : le droit d'accoucher dans le secret n'existera plus...

M. André Nutte . - Cela dépend, il faut en discuter et avancer un peu sur ce sujet.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Ce droit de l'enfant reste la préoccupation la plus communément partagée. Après, il y a le droit des femmes, qui a donné lieu à de nombreux débats à l'occasion de la loi de 2002 pour l'accouchement sous X, et même avant...

M. André Nutte . - On n'est pas né de personne - il y a d'ailleurs une chanson, je crois, là-dessus...

Cela étant, dans l'organisation de ce droit, il faut être prudent. J'ai gardé en mémoire le cas de cette femme qui nous avait saisis en nous disant qu'elle avait accouché sous le secret, que son fils allait avoir dix-huit ans et que si nous luis donnions ses coordonnées, nous menacerions sa vie actuelle. Dans ce cas, que faire ?

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis. - Et quelle histoire doit-on raconter ? Même sous pli non fermé, des femmes écrivent à leur enfant pour leur raconter, parfois sous un prénom d'emprunt, mais toujours avec leurs propres mots, leur histoire, par exemple : « Je suis étudiante, je ne peux pas t'élever, donc je te confie, etc. ».

Lorsqu'ils ne sont pas sous le sceau du secret, ces mots sont lus au conseil de famille. Ce sont toujours des histoires très touchantes, poignantes, auxquelles l'enfant pourra peut-être un jour avoir accès. Et ces histoires que la mère raconte à son nouveau-né sont sans doute plus importantes pour l'enfant que le fait de connaître son identité, son nom, son adresse, sa date de naissance.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Toutes ces questions ne seront pas réglées dans le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Il nous faudra cependant réfléchir à l'évolution de la loi du 22 janvier 2002, à mon avis indispensable, corrélée à une nécessaire réforme de l'adoption.

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