Mme Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, Mme Anne Bérard, présidente de chambre au TGI de Paris et M. Daniel Pical, magistrat honoraire

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M. Jean-Pierre Michel , r apporteur. - Mes chers collègues, nous accueillons à présent des représentants des magistrats spécialisés dans le droit de la famille.

Je vous présente Mme Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, association qui rassemble des juges des enfants plutôt que des juges aux affaires familiales.

Nous entendrons également Mme Anne Bérard, présidente de chambre au TGI de Paris responsable du service des affaires familiales, ainsi que M. Daniel Pical, magistrat honoraire, qui fut longtemps juge des enfants, aujourd'hui consultant sur cette question notamment auprès des instances européennes.

Mme Marie-Pierre Hourcade , présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. - L'association que je préside représente essentiellement les juges des enfants. Cette association compte, en son sein, des juges des enfants, des avocats, quelques juges aux affaires familiales, des éducateurs et des associations qui interviennent dans le cadre de la protection de l'enfance. Parallèlement, je suis actuellement conseiller à la cour d'appel de Paris à la chambre d'instruction des mineurs. Pendant très longtemps, j'ai été juge des enfants, à Paris et outre-mer notamment, et c'est à ce titre que je me propose de vous faire part de la position des juges des enfants sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas bien la fonction de juge des enfants, je rappelle que ce sont des magistrats spécialisés qui interviennent sur saisine du parquet, lui-même saisi essentiellement par les conseils généraux qui demandent l'intervention judiciaire lorsque des mineurs sont en danger, lorsque les conditions de leur éducation sont gravement compromises, aux termes de l'article 375 du code civil. Nous sommes saisis des situations les plus graves, le conseil général intervenant également dans le cadre administratif pour des familles en difficulté sur le plan éducatif.

Les juges des enfants interviennent en outre en matière pénale, pour tous les mineurs délinquants, mais cet aspect de leurs fonctions est bien connu. Ils ont donc une double casquette puisqu'ils interviennent au pénal et au civil, dans le cas de la protection de l'enfance.

Cette brève présentation vise à vous expliquer dans quel cadre nous intervenons et quelle perception nous pouvons avoir de ce projet de loi. Qu'avons-nous à dire, dans le cadre de nos fonctions, sur des enfants dont l'un des parents serait homosexuel ou aurait refait sa vie avec une personne de même sexe ?

Après avoir consulté mes collègues, je puis vous dire que nous n'avons pas de signalement proprement dit sur des enfants qui seraient en danger en raison de l'homosexualité de l'un de leurs parents. Nous n'avons jamais été saisis de telles situations, car le danger ne résulte pas en soi du choix sexuel d'un parent. Nous n'avons pas non plus connaissance de situations où le fait d'avoir un parent homosexuel serait une cause d'aggravation d'un danger. Autrement dit, nous n'avons aucun signalement portant directement sur l'homosexualité d'un parent et nous ne pouvons pas non plus déduire que le fait d'avoir un parent homosexuel aggrave le danger.

En revanche, nous avons connaissance de situations, limitées en nombre, dans lesquelles un enfant est élevé par des parents séparés dont l'un a refait sa vie avec une personne du même sexe. Cependant, nous sommes saisis pour un autre sujet : soit une difficulté familiale au moment du divorce ou de la séparation des parents, soit des carences éducatives de la part des parents, mais pas plus que de la part de parents qui ne seraient pas homosexuels.

S'il est un type de parentalité plus fragile que d'autres sur lequel il faudrait s'interroger, ce sont les familles monoparentales. Ce n'est pas le sujet qui nous occupe aujourd'hui, mais on peut dire que la monoparentalité est un facteur de fragilité. Nous sommes fréquemment saisis à propos de fratries nombreuses, élevées par une femme très isolée cumulant les difficultés sociales. Nous avons une connaissance assez fine de la fragilité de ces familles.

Cependant, nous ne pouvons pas dire, et c'est pourquoi mon propos va être bref, que le fait d'avoir un parent homosexuel favorise notre saisine.

Comme je le disais à l'instant, nous avons eu connaissance de cas de quelques enfants dont les parents séparés se sont remis en couple avec une personne de même sexe, mais nous n'avons jamais été saisis d'enfants dont la conception - il est difficile de trouver les bons termes - aurait été décidée par deux parents homosexuels. Nous n'avons pas du tout de saisine concernant des enfants que leurs deux parents homosexuels auraient fait le choix d'adopter afin d'avoir un enfant en commun ou qui seraient résultés d'une FIV.

De telles situations ne laissent pas d'interroger sur l'évolution de la famille mais, en tant que juges des enfants, nous n'avons pas grand-chose à en dire, sauf à préciser l'absence de danger particulier.

Nous serions en revanche intéressés par une évolution de la législation sur la situation du compagnon, hétérosexuel ou homosexuel, de l'un des parents. Nous sommes souvent confrontés à ce vide juridique.

On se débrouille, on traficote le code afin de pouvoir confier au compagnon ou à la compagne du père ou de la mère un enfant dont l'intérêt serait d'être élevé par cette personne, avec laquelle, pense-t-on, il serait en sécurité, que ce compagnon ou cette compagne soit homosexuel ou hétérosexuel. Pour nous, la question se pose de la même manière dans les deux cas.

Il arrive souvent que nous soyons saisis lorsque, un parent étant dans l'incapacité d'exercer l'autorité parentale, l'enfant est en situation de danger. Il nous faut alors trouver un support juridique afin de confier la garde de cet enfant au compagnon ou à la compagne du parent, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel. Je le répète : pour nous, c'est la même chose.

La loi nous permet de confier cet enfant à un tiers digne de confiance. Dans ce cas, nous nous interrogeons sur l'intérêt de l'enfant, c'est tout. Notre raisonnement est identique que le compagnon ou la compagne soit hétérosexuel ou homosexuel : est-il en capacité de répondre au quotidien aux besoins de l'enfant ? A-t-il des liens affectifs avec lui ? L'enfant sera-t-il choyé, entouré ? Ses conditions d'éducation seront-elle optimales dans cette nouvelle configuration familiale ? C'est là finalement notre travail ordinaire.

Dans ce cas de figure, les juges des enfants peuvent accompagner la décision de garde d'une mesure éducative afin d'aider le parent ainsi chargé de l'éducation de l'enfant.

Je ne vous cache pas qu'il arrive que des décisions de ce type perturbent, déstabilisent l'autre branche. L'enfant peut alors être l'enjeu d'un conflit familial en résultant. C'est la raison pour laquelle nous prévoyons un accompagnement éducatif pendant un certain temps, afin de nous assurer que la situation évolue de façon satisfaisante.

Voilà ce que nous pouvons vous dire sur ce sujet, dont nous avons à connaître de façon marginale.

Mme Anne Bérard, présidente de chambre au Tribunal de grande instance de Paris, responsable du service « Affaires familiales ». - Permettez-moi tout d'abord de me présenter : je suis juge aux affaires familiales. J'ai exercé cette fonction dans un certain nombre de juridictions.

Depuis 2010, je suis responsable de la chambre de la famille de Paris, qui comprend vingt cabinets de juges aux affaires familiales et traite tout le contentieux de la séparation de la ville de Paris, soit 11 500 affaires nouvelles en moyenne par an. Nous sommes confrontés à des dossiers non seulement juridiques mais aussi humains, voire passionnels, ce qui ne compte pas pour peu dans la difficulté des décisions que nous devons prendre.

La juridiction de Paris présente deux particularités : nous faisons face, d'une part à des situations dont les dimensions patrimoniales sont complexes, d'autre part à de nombreuses situations comportant des éléments d'extranéité, c'est-à-dire de droit international.

Mes collègues et moi sommes sensibilisés aux questions spécifiques aux familles homoparentales puisque nous avons à traiter les demandes de délégations d'autorité parentale. Nous devons également prendre en considération de nouvelles formes de familles où, à côté des parents biologiques, existent des parents sociaux dont l'inexistence juridique ne change rien au fait qu'ils partagent le quotidien d'un enfant, dans l'intérêt duquel il nous est demandé de statuer.

C'est donc en tant que praticien que je vais vous faire part de mon analyse du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, tel qu'il résulte des travaux de l'Assemblée nationale. Je vous proposerai également d'aller plus loin.

Sur le mariage des personnes de même sexe, je serai brève. En fait, nous n'avons pas grand-chose à en dire. En tant que juges aux affaires familiales, nous nous occupons plutôt de la fin des mariages, c'est-à-dire des divorces.

Depuis le 21 juin 2012, date de l'entrée en vigueur du règlement européen dit « Rome III », le juge français a la faculté de prononcer le divorce de personnes de même sexe légalement mariées à l'étranger. Il est en revanche impossible de prononcer le divorce d'un Français marié à l'étranger, car c'est contraire à l'ordre public français. Avec l'entrée en vigueur de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, ce blocage cessera d'être.

Par ailleurs, l'article 22 de ce projet de loi, portant dispositions diverses, transitoires et finales, régularise la situation des Français de même sexe régulièrement mariés à l'étranger avant l'entrée en vigueur de la loi. En tant que juges aux affaires familiales, je le répète, nous n'avons pas grand-chose à dire sur la question du mariage.

En revanche, il faut que vous ayez à l'esprit que les étrangers de même sexe qui viendront se marier en France et dont le pays d'origine n'acceptera pas l'existence du mariage, seront dans une situation assez préoccupante : leur mariage n'existera pas dans leur pays d'origine. En conséquence, ils ne pourront pas non plus y divorcer. S'ils souhaitent divorcer, ils seront obligés de revenir en France ou de se rendre dans un pays reconnaissant le divorce de personnes de même sexe. Dès lors, on peut imaginer que ce type de contentieux se concentrera sur un nombre limité de pays.

Toutefois, nous n'en sommes pas encore à ce type de forum shopping. Depuis le 21 juin, je n'ai pas prononcé un seul divorce de couple homosexuel, alors que c'est désormais juridiquement possible. Pour l'instant, c'est une question de droit, mais pas encore une question de fait.

J'en viens maintenant au point le plus important selon moi, à savoir la façon dont le législateur entend répondre, dans le projet de loi, à la question suivante : qu'est-ce qu'une famille en France en 2013 ?

Le législateur a pensé qu'il pourrait peut-être utiliser l'adoption, qui est un effet de droit du mariage. Pour ma part, au lieu de partir du mariage pour en venir aux questions de filiation, je commencerai par m'interroger sur ce qu'est une famille en 2013.

Ce qui est certain, Mme Hourcade en a parlé, c'est qu'une famille, aujourd'hui, ce n'est plus un père, une mère et un ou plusieurs enfants. En 2013, le schéma n'est plus du tout celui-là.

Le temps des filles-mères est derrière nous et l'existence des familles monoparentales est une réalité qui ne fait plus débat en termes de valeurs.

Je ne m'étendrai pas aujourd'hui sur les questions posées par la constitution de familles comprenant un seul parent biologique, grâce au recours à la procréation médicalement assistée ou à la gestation pour autrui, car ce n'est pas l'objet du projet de loi. La question relève d'un débat plus général que celui qui concerne la famille, car elle soulève des interrogations d'ordre bioéthique.

S'il est possible que la famille monoparentale ne soit pas la panacée, la question du vécu d'un enfant sans père ou sans mère n'est, en tout état de cause, pas spécifique aux homoparents. Un enfant peut aussi avoir aujourd'hui pour famille deux parents de même sexe. C'est un fait. Le degré actuel d'acceptation sociale de ces situations ne change rien au fait qu'elles existent.

Dans les faits, certains enfants ont même trois parents, dont deux de même sexe, voire quatre parents, deux biologiques et deux sociaux, issus d'un projet de coparentalité. Il est en effet essentiel de distinguer ces « parents sociaux » des simples « beaux-parents » qui, s'ils partagent effectivement la vie affective et matérielle d'un enfant, le font de leur place de compagnon ou de conjoint du parent, leur lien avec l'enfant étant un lien transitif passant par le parent biologique, et non un lien affectif direct dans lequel le parent social se reconnaît parent et est reconnu comme tel, tant par l'enfant que par l'environnement de celui-ci.

La parenté sociale n'a donc pas, à la différence de la place du beau-parent, vocation à se dissoudre avec la séparation du couple, car elle est indépendante de lui.

Si l'évolution de la législation sur la PMA ou la GPA peut entraîner le développement de projets individuels ou de couple, il n'empêche que les projets de coparentalité ont été et sont encore - les sites de rencontre de futurs parents sur Internet l'attestent - des modes effectifs de procréation et de constitution de familles multiparentales.

Enfant commun de deux couples, l'enfant n'aura cependant de lien juridique qu'avec un seul des membres de chaque couple, le parent biologique. Ce sont ces situations que connaît le juge aux affaires familiales aujourd'hui.

S'il existe donc aujourd'hui autour de l'enfant, dans des configurations diverses, un ou plusieurs parents, les parents sociaux sont, en l'état, dépourvus de toute reconnaissance juridique.

Le mariage, et la possibilité subséquente de bénéficier d'un droit à l'adoption, répondra aux attentes de ceux qui sont mariés à une personne ayant un enfant, qu'il soit biologique ou même adoptif.

Le projet de loi innove concernant l'adoption de l'enfant du conjoint en élargissant le domaine des adoptions successives.

Il permet au conjoint d'adopter à son tour l'enfant adoptif de son conjoint. Il existe deux possibilités : soit l'adoption simple ou plénière d'un enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière - c'est la refonte de l'article 345-1 prévue dans le projet de loi -, soit l'adoption simple d'un enfant ayant fait l'objet d'une adoption simple - c'est la refonte de l'article 360.

Le projet de loi modifie par ailleurs les effets de l'adoption simple en permettant quelque chose de tout à fait attendu, à savoir l'exercice en commun de plein droit de l'autorité parentale entre le parent biologique et son conjoint parent adoptif de son enfant. C'est l'article 365 du code civil.

L'extension de la possibilité d'adoptions successives a évidemment pour intérêt de permettre à un enfant adopté par un célibataire sous l'empire de l'ancienne loi d'être également adopté par le conjoint de celui-ci sous l'empire de la nouvelle.

Pour autant, l'adoption reste une procédure judiciaire reconnaissant au juge un pouvoir d'appréciation. Le juge ne va-t-il pas être conduit à s'interroger, à l'occasion de la deuxième adoption, sur les contours du consentement initial qui avait été fait à l'adoption initiale, notamment s'agissant des enfants nés à l'étranger ?

Quelle portée devra-t-il donner à ces consentements ? Devra-t-il ou non se demander si ce consentement aurait été donné s'il avait été envisagé, par ceux qui ont consenti à cette époque, que l'enfant puisse être accueilli par deux époux de même sexe ?

Au-delà du fait que le nombre des enfants adoptables est déjà réduit, cette réforme, en pratique, ne va-t-elle pas, à titre préventif, couper l'accès à l'adoption par des célibataires par réaction des pays prohibant l'adoption par deux personnes de même sexe, que celles-ci soient mariées ou non ?

Le projet de loi ne revient pas en revanche sur la prohibition des adoptions multiples.

L'article 346 du code civil, qui prévoit que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes, si ce n'est par deux époux, n'a pas été modifié par le projet de loi. La double adoption reste donc prohibée.

La Cour de cassation considère qu'il n'y a aucune contrariété entre l'article 346 du code civil et les articles 8 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales : le droit au respect de la vie privée n'interdit pas de limiter le nombre d'adoptions successives dont une même personne peut faire l'objet ni ne commande de consacrer par une adoption tous les liens d'affection, fussent-ils anciens et bien établis. La première chambre civile a cassé le 12 janvier 2011 un arrêt de cour d'appel ayant accueilli une demande d'adoption simple présentée par la seconde épouse du père d'un enfant ayant déjà fait l'objet d'une adoption simple de la part du second époux de la mère.

L'adoption permet donc de répondre à la situation des couples formés par un parent biologique et un parent social. En revanche, puisqu'elle ne peut être multiple, elle ne peut répondre à la situation de ceux qui ont conçu leur enfant dans le cadre d'un projet parental associant deux couples, l'un de femmes, l'autre d'hommes. Or ce sont des situations que j'ai connues en tant que juge.

Pourtant, chacun de ces couples a la même légitimité à voir reconnaître l'existence du parent non biologique, dit « parent social », de son couple.

Avec la prohibition de la double adoption, comment faire ?

Faudra-t-il que ces quatre parents, s'ils sont mariés, décident de privilégier l'un des parents sociaux de l'un des deux couples pour lui permettre d'accéder à l'adoption simple, pendant que l'autre parent social resterait sans statut à l'égard de l'enfant ? Comment ce parent sera-t-il choisi ?

Imaginons que cette situation soit envisagée et prévue dans le projet parental, quelle valeur juridique le juge accordera-t-il à un tel engagement ? De façon générale, quelle appréciation le juge portera-t-il sur l'intérêt de l'enfant dans un tel contexte ?

Françoise Héritier, anthropologue et professeur au Collège de France, que vous avez auditionnée, a dit, à propos de ce débat, qu'il se heurtait aux « butoirs de la pensée » que chacun a au fond de soi, consciemment ou non. À ces butoirs de la pensée s'ajoutent les butoirs du droit.

Or il faut bien constater que l'accès des couples de même sexe à l'institution du mariage a pour conséquence mécanique de bouleverser tout le droit de la famille, lequel a été conçu et structuré autour de l'idée qu'une famille, c'est un père, une mère et des enfants.

À cet égard, l'entrée du « mariage pour tous » dans notre ordre juridique produit un « effet domino », un domino venant renverser tous les autres.

Jusqu'à présent, l'adoption, même avec les limites de la différence de couleur, reposait sur une plausibilité biologique symbolique : un enfant naît d'un homme ou d'une femme, ou d'un parent et d'un inconnu. Permettre l'adoption par deux personnes de même sexe, c'est poser une improbabilité biologique absolue, c'est franchir un seuil symbolique. Cette situation ne peut que réactiver le débat sur le droit à connaître ses origines, chaque enfant se sachant nécessairement engendré par un homme et une femme.

Le droit à connaître ses origines ouvre à son tour la porte du débat de l'accouchement sous X, lequel débat peut à son tour ouvrir, en ces temps d'égalité des droits, celui du droit pour les hommes à ne pas vouloir être père. Le droit à connaître ses origines conduit à reconsidérer les dispositions du code civil sur la PMA et sur l'impossibilité de rechercher l'auteur du don. Le droit d'identifier l'auteur d'un don de gamètes conduit enfin à reconsidérer le principe de l'anonymat du don d'organes.

On peut évidemment envisager de reconsidérer toutes ces questions dans le cadre d'une réforme d'ensemble. On peut aussi essayer de contourner l'obstacle en ne faisant pas de l'adoption le seul moyen de régler l'accès au droit des familles homoparentales.

Vue sous un angle pragmatique, la question n'est pas d'ouvrir ou non le droit à l'adoption aux couples de même sexe : il s'agit bien plutôt de répondre au besoin de reconnaissance des parents sociaux en leur conférant les mêmes droits qu'aux parents biologiques.

Pourquoi s'imposer de passer par l'adoption, qui, on l'a vu, conduit à ouvrir mécaniquement un grand nombre de débats particulièrement fondamentaux ?

Pour les familles composées d'un seul parent biologique, pourquoi, par exemple, ne pas étendre expressément la possession d'état comme mode d'établissement de la filiation ?

Selon l'article 311-1 du code civil, « la possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.

« Les principaux de ces faits sont :

« 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents.

« 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation.

« 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille. »

Les deux derniers sont un peu plus délicats :

« 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique.

« 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. »

La réunion de l'ensemble de ces faits n'est nullement nécessaire dès lors qu'il existe une réunion suffisante.

Actuellement, la jurisprudence ne reconnaît pas la possession d'état pour les couples de cette nature, comme le montre un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, de 2002. Cependant, il ne serait pas très compliqué de rendre la possession d'état opérationnelle.

On pourrait peut-être imaginer autre chose. Je pense, notamment, à la création d'un statut de « parent social » qui réponde, sans passer par l'adoption, à la volonté de s'engager de façon irrévocable envers un enfant, d'être son parent pour toujours.

Elle pourrait associer à un ou deux parents biologiques, le concubin ou l'époux de chacun, soit jusqu'à un ou deux parents sociaux.

Cette déclaration de parenté pourrait être recueillie, avant ou pendant la grossesse, par un juge ou un notaire, qui recueillerait le consentement simultané de tous les parents associés au projet de coparentalité, sur un mode comparable aux procès-verbaux de consentement à la procréation médicalement assistée, du type de l'article 311-20 du code civil.

Pour exercer un certain contrôle sur les conditions d'accueil susceptibles d'être offertes à l'enfant à naître, on pourrait même concevoir, comme l'article L. 2141-6 du code de la santé publique le prévoit pour les dons d'embryons, une autorisation délivrée par le juge, après enquête sociale.

Le juge ou le notaire, en recueillant leur consentement, avertirait alors les personnes sur les conséquences juridiques de leur engagement, y compris en cas de séparation. C'est ce que je fais, par exemple, lorsque je recueille le consentement des personnes dans les cas de procréation médicalement assistée ou de dons d'embryons. Je leur explique qu'elles ne pourront pas agir en responsabilité contre l'auteur du don - on n'a actuellement pas le droit d'en rechercher les origines -, ou qu'elles ne pourront pas non plus contester ou mettre à mal l'état qui s'est juridiquement créé. C'est, en réalité, une filiation juridique absolument indestructible.

Je continue mon propos sur le contrôle des conditions d'accueil de l'enfant à naître. Aucun recueil de consentement ne pourrait intervenir après la naissance de l'enfant, dont la parenté serait ainsi scellée une fois pour toutes.

Le parent social - ou les parents sociaux -, à l'instar d'un parent biologique, verrait l'enfant entrer dans sa famille, avec les droits et devoirs que cela implique, y compris alimentaires et successoraux. Il serait titulaire de l'autorité parentale au même titre que le parent biologique pendant la minorité de l'enfant. La déclaration de parenté sociale serait irrévocable. La déclaration de parenté serait transcrite sur l'acte de naissance de l'enfant au moment de sa naissance.

L'intérêt de cette création juridique serait, d'une part, de répondre mieux que l'adoption ne le fait à toutes les formes de nouvelles familles composées, y compris de quatre parents, et, d'autre part, d'éviter qu'il ne soit recouru à l'institution du mariage que pour bénéficier du droit à l'adoption et que l'on se retrouve, après les mariages blancs et les mariages gris, avec des mariages « roses », destinés à n'obtenir que les effets secondaires d'une institution que chacun devrait être libre de choisir pour ce qu'elle est et non pour ce qu'elle procure.

Ne nous cachons pas, cependant, les difficultés innombrables de l'organisation de cette multiparentalité.

Ces difficultés tiennent à l'organisation des modalités d'exercice de l'autorité parentale dans les familles multiparentales. Que faire, à cet égard, des « chartes de coparentalité », que beaucoup de couples d'hommes et de femmes signent ? Faudra-t-il leur donner un cadre juridique ? Faudra-t-il les rendre obligatoires, facultatives ? Faudra-t-il les faire homologuer en justice ? Faudra-t-il, au contraire, les prohiber et inscrire des dispositions nouvelles dans le code civil relatives à l'exercice de l'autorité parentale dans les familles multiparentales ?

S'il n'est pas douteux que nombre de familles composées fonctionnent harmonieusement, celles qui ont eu des difficultés et qui ont été amenées à saisir le juge aux affaires familiales ont donné à voir les limites d'un exercice en commun de l'autorité parentale entre deux personnes - les deux parents biologiques - s'étant rencontrées par l'intermédiaire d'un site pour mener ensemble leur projet d'enfant, mais n'ayant pas nécessairement grand-chose en commun.

Se posera aussi la question de l'engagement des uns par rapport aux autres, notamment quant au lieu de vie présent et à venir. Dès lors qu'il s'agit d'avoir le même enfant sans partager la vie commune, en s'engageant sur un temps partagé, faudra-t-il, sauf cas de force majeure, proscrire tout déménagement d'un parent sans l'accord de l'autre ?

D'autres difficultés vont aussi survenir au moment de l'organisation des conséquences sur les enfants de la séparation de familles multiparentales : résidence, droit de visite et d'hébergement - avec l'organisation d'un éventuel temps partagé entre quatre personnes, à mettre en perspective avec l'équilibre de l'enfant -, fixation de la contribution à l'entretien et l'éducation des enfants en tenant compte des ressources et charges des différents parents.

Il faudra aussi que des dispositions fiscales, ainsi que des dispositions relatives aux prestations sociales adaptées, soient aussi adoptées. Les dispositions relatives à l'administration légale et à la tutelle des mineurs devront aussi être adaptées.

Dès lors que la famille homoparentale est reconnue, il importe qu'elle le soit dans toutes ses réalités, qu'il s'agisse des familles monoparentales, de deux parents, ou plus. La difficulté des sujets à traiter ne doit pas conduire à éviter d'aborder cette question, qui découle de l'acceptation de nouveaux types de famille.

J'en viens maintenant à la place du tiers.

Il s'agit ici de l'ex-compagnon, de l'ex-compagne ou de l'ex-conjoint, ayant partagé un temps la vie de l'enfant et de son parent.

Ce sujet concerne toutes les familles, qu'elles soient ou non de même sexe.

Le débat sur le mariage pour tous, parce qu'il ouvre aussi un débat sur la famille, ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la place du « beau-parent ». Puisque, en 2013, un couple sur deux divorce ou se sépare, nombre de beaux-parents contribuent, de fait, à l'entretien et à l'éducation des enfants de leur concubin ou conjoint.

Le projet de loi a abordé la question de la place de ce beau-parent pour l'enfant, en le définissant, ce qui est déjà très bien, comme un « tiers qui a résidé, de manière stable, avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et avec lequel il a noué des liens affectifs durables ». C'est une belle définition.

C'est aussi un premier pas utile, même si l'on peut regretter que ce ne soit qu'à l'occasion de la rupture qu'il apparaisse dans la loi sur le mariage.

Sans doute, un projet de loi sur la famille viendra compléter le dispositif, afin que ce beau-parent, lorsqu'il partage la vie de l'enfant, puisse disposer du droit d'accomplir les actes usuels nécessaires à la vie quotidienne.

En l'état, le projet de loi introduit au profit de l'ex-beau-parent, dans un nouvel alinéa 2 de l'article 373-3 du code civil, la possibilité pour le juge, « si tel est l'intérêt de l'enfant », de « prendre les mesures permettant de garantir le maintien des relations personnelles de l'enfant » avec lui.

On peut, peut-être, regretter qu'il reste nommé « tiers », même si, en ajoutant « qui a résidé, de manière stable, avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et avec lequel il a noué des liens affectifs durables », on voit bien qu'il n'est pas un tiers comme les autres.

On peut aussi s'interroger sur le bénéfice concret procuré par cet ajout, alors même que l'article 371-4 du code civil dispose d'ores et déjà que, « si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non. »

Juridiquement, l'amendement de l'article 373-3 n'apporte aucun droit supplémentaire à son bénéficiaire, par rapport à l'article 371-4 du code civil : aucune indication de la nature et de l'ampleur des droits conférés ; dispositions régies par la même procédure spécifique, celle de l'article 1180 du code de procédure civile, c'est-à-dire compétence donnée au juge aux affaires familiales, mais suivant une procédure contentieuse, comme devant le tribunal de grande instance, jugée après avis du ministère public et avec représentation obligatoire par avocat.

À tout le moins, on pourrait envisager, pour ce tiers tel que défini dans le projet de loi, d'avoir au moins le droit de saisir directement le juge aux affaires familiales, en passant par la procédure de droit commun de l'article 1179 du code de procédure civile.

Il aurait alors, il est vrai, des avantages par rapport aux grands-parents. On ne saurait, cependant, les mettre en comparaison. Ce droit au lien privilégié pourrait être le privilège accordé à celui qui a, peut-être, plusieurs années durant, logé, nourri et contribué au quotidien à élever l'enfant de son concubin ou conjoint. Les grands-parents recourant à la procédure en justice ont rarement les mêmes faits de proximité quotidienne et affective à faire valoir.

Pour autant, l'expérience montre que, si le juge aux affaires familiales est saisi par des grands-parents de demandes de droit de visite, il ne l'est pas, dans les faits, par d'anciens beaux-pères ou belles-mères.

N'osent-ils pas ? Ne le veulent-ils pas ? L'impact de la séparation d'un couple sur le lien envers les enfants est un facteur que l'on ne peut occulter, particulièrement dans le débat que vous allez avoir, mesdames, messieurs les sénateurs.

Enfin, dans le cas où l'un des parents est privé de l'exercice de l'autorité parentale, le projet de loi ouvre plus largement la possibilité, qui existe déjà pour le juge, de décider de confier l'enfant à un tiers, choisi de préférence dans sa parenté, en supprimant l'expression « à titre exceptionnel » de l'article. On peut imaginer que cela facilitera les choses. Tout au moins, le législateur veut montrer symboliquement que les choses seront plus simples.

En guise de conclusion, je dirai qu'un juge aux affaires familiales ne saurait intervenir sans parler de l'intérêt de l'enfant. Le juge aux affaires familiales ne doit pas être dogmatique, il doit être pragmatique.

Ces derniers jours, chacun a lu dans la presse ou entendu dans les médias des propos édifiants sur les conséquences de la féminisation de la magistrature et de la bienveillance naturelle que les juges auraient, en conséquence, envers les femmes. Je ne pouvais tout de même pas m'empêcher de vous en parler, mesdames, messieurs les sénateurs ! (Sourires.)

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - Ce n'est pas nous qui allons vous contredire !

Mme Anne Bérard . Outre le fait que nombre de femmes ayant été justiciables expriment tout autant le sentiment inverse - j'en connais, d'ailleurs -, le juge exerce une fonction, et les fonctions n'ont pas de sexe, même si nous n'avons rien contre la parité, tout au contraire. Nous sommes dix-neuf femmes pour un homme dans mon service, et vingt à le regretter. (Nouveaux sourires.)

C'est un fait que le droit de la famille est très féminisé, les avocats étant aussi, en cette matière, majoritairement des femmes. Cela ne les empêche pas de défendre aussi très bien les hommes.

En réalité, si les mères bénéficient de façon très majoritaire de la résidence habituelle des enfants lors des séparations, c'est uniquement parce que, très majoritairement, cette demande résulte d'un accord des parents sur ce point.

Pour le reste, s'il est heureux que la loi de 2002 ait donné au juge la possibilité de fixer en alternance la résidence habituelle des enfants au domicile de chacun de leurs parents, il serait en revanche redoutable que la résidence alternée devienne un dogme, au nom d'un égalitarisme qui reviendrait à réduire l'intérêt de l'enfant à une formule et non à une appréciation concrète.

Chaque situation doit être appréhendée en fonction des circonstances de l'espèce. Statuer en fonction de l'intérêt exclusif d'un enfant, c'est le mettre au coeur de la décision, en faire le sujet et non l'objet.

La question des « enfants sujets » va se poser demain, avec plus d'acuité encore, s'agissant des liens que le législateur acceptera de créer entre les enfants et leurs parents sociaux, quel que soit le choix qu'il fera du mode de filiation.

La conception d'un enfant, c'est un projet d'amour. C'est souvent le désir partagé entre deux êtres qui s'aiment de donner un prolongement à cet amour, en donnant la vie. Lorsque l'amour s'en va, les familles se déchirent. Dans les familles biologiques, le maintien de l'exercice en commun de l'autorité parentale est souvent vécu comme un joug parfois insupportable, mais également comme une donnée de fait.

Dans les familles où un seul des parents est le parent biologique, on peut assister, en revanche, à une forme de déni des droits de l'autre sur l'enfant, au motif, justement, qu'il n'en est pas le géniteur. Qu'adviendra-t-il des enfants lorsque leurs parents biologiques et leurs parents sociaux ne s'aimeront plus ?

L'irrévocabilité de l'engagement pris par ces parents devra être mesurée par eux avec toute la gravité qu'appellent des décisions qui engagent pour la vie.

Il y va de l'intérêt supérieur des enfants.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur - Merci beaucoup, madame Bérard.

La parole est à M. Daniel Pical, magistrat honoraire, membre de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.

M. Daniel Pical, magistrat honoraire, membre de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. - Je vais, tout d'abord, me présenter brièvement. Je suis magistrat honoraire. Auparavant, j'ai été juge des enfants, et, lors de la dernière partie de ma carrière, président de chambre de la famille à la cour d'appel de Versailles.

Je rajouterai seulement quelques compléments à ce qui a déjà été développé par mes collègues.

Il y a, effectivement, plus de problèmes dans une famille monoparentale que dans une famille homoparentale qui, en tant que telle, ne pose pas de difficulté spécifique. Lorsqu'un danger est couru par un enfant, ce n'est pas le fait de l'orientation sexuelle des parents ou des beaux-parents qui l'élèvent.

Je donnerai sur ce sujet quelques éléments ponctuels, en commençant par un éclairage international.

Nous pouvons constater que, en Suède, par exemple, il est possible, depuis quelques années déjà, de reconnaître certains droits aux familles homoparentales. Citons le cas d'un couple de lesbiennes, qui avaient demandé à l'un de leurs amis d'officier pour que l'une d'elles procrée. Trois enfants furent issus des relations avec cet ami, dans un cadre que je qualifierai de « convivial ». Les deux femmes ont élevé les enfants ensemble. Afin de leur offrir une image paternelle, elles firent connaître que cet ami était leur père biologique. Ce dernier a même reconnu les enfants, quelque temps après.

Ces femmes sont aujourd'hui séparées. Le père biologique a été poursuivi au titre d'une obligation alimentaire. L'autre femme, qui avait pourtant eu, avec sa compagne, pour projet commun d'élever les enfants, ne devait s'acquitter d'aucune obligation, pas même alimentaire.

Cela a d'ailleurs suscité un débat en Suède, où il existe désormais une sorte de coresponsabilité pour les couples homosexuels ayant un projet parental commun, par exemple avec un donneur. Si le couple se sépare, le conjoint qui s'en va est soumis à une obligation alimentaire.

On peut également évoquer le cas du Québec, dont la législation reconnaît le statut du beau-parent. Le code civil fait référence au conjoint « tenant lieu de parent » qui, du fait de ses engagements, est soumis à une obligation alimentaire en cas de séparation du couple.

J'aimerais également aborder un sujet qui ne figure pas encore dans le projet de loi, mais qui va surgir dans le débat.

Le droit pour un enfant de connaître ses origines est affirmé par la convention relative aux droits de l'enfant de l'ONU de 1989. Des questions vont alors se poser. En effet, comme l'a souligné Mme Bérard, l'adoption plénière implique une rupture complète avec les origines biologiques de l'enfant. Faut-il conserver cette formule ? Faut-il au contraire la remplacer par l'adoption simple, qui ajoute une nouvelle filiation sans rupture avec la précédente ?

Il faudra aussi débattre de l'accouchement sous X et de l'anonymat du don du sperme ou des gamètes.

Un certain nombre de réflexions éthiques devront donc être menées dans les mois à venir.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - Selon vous, l'adoption plénière, qui, je le constate, ne correspond plus à la réalité, doit-elle être conservée dans notre droit ?

Mme Anne Bérard. - C'est une vraie question !

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - À mon sens, l'adoption des mesures que vous suggérez dans le cadre d'une loi relative à la famille et le maintien de l'adoption simple permettraient de régler l'ensemble des problématiques, notamment celle des origines. Certains psychanalystes ne pourraient alors plus déplorer la disparition des origines des enfants faisant l'objet d'une adoption plénière.

Mme Anne Bérard. - L'écrasement de l'état civil est effectivement un véritable sujet. Précisément, c'est tout l'intérêt du présent débat que d'interroger un certain nombre de dispositifs qui existent depuis très longtemps. C'est une vraie question de société. On ne peut pas y répondre en un jour.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Je salue la qualité des différents exposés que nous avons entendus.

La question que vous avez abordée ne concerne pas directement le texte dont nous discutons.

Mme Anne Bérard. - Oui et non ! Les sujets sont corrélés. Pour preuve, les députés n'ont pas pu s'empêcher de s'intéresser au tiers au cours de leurs travaux. Quand vous parlez de mariage, vous parlez de filiation ; quand vous parlez de filiation, vous parlez de famille ; et quand vous parlez de famille, vous ouvrez un tas de boîtes.

M. Charles Revet . - Je ne suis pas juriste, mais j'ai bien compris que le sujet était extrêmement complexe. À cet égard, je crains que nous ne soyons en train de créer une usine à gaz. Le système est déjà compliqué, et il risque de l'être encore plus.

Comme je le soulignais tout à l'heure, en tant que législateur, nous devons essayer d'évaluer les conséquences des décisions que nous prenons. Je ne suis pas certain que nous le fassions souvent. Nous votons des dispositions, pour des raisons diverses et variées. Mais il est important que les professionnels capables d'en mesurer ou d'en analyser les effets puissent nous faire connaître leur sentiment.

Le projet de loi aurait-il pu se limiter à la question de l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, sans aborder l'adoption.

Mme Anne Bérard. - Ce n'était pas possible : l'adoption est une conséquence du mariage.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - En effet. Mais cela ouvre des perspectives sur l'ensemble du droit de la filiation.

D'ailleurs, tous nos interlocuteurs l'ont indiqué, y compris des universitaires qui ne sont pas parmi les plus révolutionnaires, comme M. le professeur Jean Hauser.

Tous ont souligné la nécessité d'un nouveau texte sur la filiation, reconnaissant les filiations biologique et volontaire ou sociale pour tous les couples.

Tous nous ont expliqué qu'il faudrait totalement revoir les conditions de l'adoption et évoquer le statut du « beau-parent » et du « parent social » dans le futur texte sur la famille. Il y a eu quelques incursions, d'ailleurs plutôt heureuses, sur ces sujets à l'Assemblée nationale.

Les députés ont également travaillé sur le droit au nom.

Mme Anne Bérard. - C'était juste l'ordre alphabétique. Le juge n'a rien à en dire !

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - Tout cela nous ouvre des perspectives. Il faudra apporter des réponses le plus rapidement possible. À défaut, vous risquez de vous retrouver dans des situations très difficiles.

Mme Anne Bérard. - Il faut faire des choix. Le législateur doit décider jusqu'où il veut aller.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - Le professeur Jean Hauser, que j'ai bien connu auparavant et dont les positions sont extrêmement classiques, nous a dit que nous devions aller jusqu'au bout et prévoir tous les cas possibles de filiation, y compris la gestation pour autrui.

M. Daniel Pical. - Monsieur le rapporteur, vous avez raison de soulever le problème de l'adoption plénière, qui est plutôt une spécificité française. Dans nombre de pays, l'adoption ne rompt pas avec les origines biologiques ; elle ajoute simplement une nouvelle filiation juridique.

Et certains pays refusent l'adoption plénière à la française. Il y en a même, notamment de culture musulmane, qui interdisent purement et simplement l'adoption, autorisant uniquement la kafala, qui est plus une prise en charge, par exemple pour l'éducation, qu'une adoption à proprement parler.

Il faudra sans doute une réflexion très large sur le sujet.

Mme Anne Bérard . - C'est un autre débat.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - Mesdames, monsieur, mes chers collègues, je vous remercie.

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