EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

L'abolition des privilèges et l'inscription du principe d'égalité au frontispice des bâtiments publics constituent l'un des héritages les plus précieux de la Révolution française.

L'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés ». À l'heure où les difficultés économiques imposent des efforts particuliers à l'ensemble de nos concitoyens, il est plus que jamais intolérable que certains prétendent pouvoir s'exonérer de leurs obligations et contribuent à saper les fondements du contrat social républicain.

Destinés à renforcer la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, les présents projet de loi organique et projet de loi ordinaire constituent l'un des éléments d'une réforme globale engagée par le Gouvernement pour moraliser la vie politique et économique et remettre le principe d'égalité au coeur de l'action publique .

Initialement composé de 12 articles relatifs, pour l'essentiel, au renforcement du dispositif pénal de lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière 1 ( * ) , le projet de loi ordinaire a été substantiellement complété par une lettre rectificative du Premier ministre en date du 7 mai 2013, qui a ajouté d'importantes dispositions portant sur la réorganisation des juridictions et la création d'un procureur de la République financier. Au total, 21 articles , complétés par un projet de loi organique d'un article unique, ont été soumis à l'examen des députés selon la procédure accélérée .

L'Assemblée nationale a profondément enrichi le dispositif proposé par le Gouvernement : ainsi le texte adopté par les députés le 25 juin dernier comporte 63 articles , soit 42 de plus que le projet de loi initial, et marque un renforcement significatif des prérogatives des administrations fiscale et douanière, notamment en matière de lutte contre la fraude fiscale.

Quant au projet de loi organique, les députés l'ont complété par un second article visant à assurer une meilleure spécialisation des magistrats financiers.

Portant sur le renforcement des outils de lutte contre la délinquance économique et financière, le projet de loi ordinaire et le projet de loi organique ont été envoyés pour examen au fond à votre commission des lois. La commission des finances a toutefois également souhaité se saisir pour avis du projet de loi ordinaire et a confié à notre collègue François Marc, rapporteur général, le soin de porter ses observations.

I. DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FRAUDE FISCALE : UNE DÉLINQUANCE MONDIALISÉE ET SOPHISTIQUÉE, ENCORE INSUFFISAMMENT DÉTECTÉE ET RÉPRIMÉE

A. LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION ET LES ATTEINTES À LA PROBITÉ : UN ENJEU DÉMOCRATIQUE ET FINANCIER

1. Une délinquance insidieuse

Par définition occulte, insidieuse, adoptant des formes plus ou moins sophistiquées, mêlant souvent financements légaux et fonds d'origine illicite, la délinquance économique et financière est particulièrement délicate à mesurer. Or les « pots-de-vin », les commissions et les paiements illicites versés par des particuliers, des entreprises ou des groupes criminels organisés ne nuisent pas seulement au bon fonctionnement de l'économie, ils constituent également un dévoiement inacceptable des règles applicables dans un État de droit et portent atteinte à la confiance que les citoyens accordent à leurs institutions.

Selon une évaluation de la Commission européenne, le coût de la corruption en Europe pourrait atteindre 1 % du PIB de l'Union européenne , soit 120 milliards d'euros par an.

Faute d'évaluations pouvant être réalisées sur des bases solides, il est possible de mesurer l'ampleur de ce phénomène à partir d'enquêtes réalisées auprès de différents acteurs économiques sur la façon dont il est perçu. « L'indice de perception de la corruption », établi chaque année par l'ONG Transparency International, apporte des enseignements précieux. Or, de ce point de vue, notre pays est loin d'être exemplaire : selon l'évaluation réalisée par cette ONG en 2012, la France se situerait au 22 ème rang mondial et au 9 ème rang européen des États perçus comme les moins corrompus . La France serait ainsi moins bien notée que le Danemark, la Finlande, la Suède, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Belgique ou encore le Royaume-Uni.

Le nombre de condamnations prononcées chaque année par les tribunaux français pour des faits d'atteintes à la probité est faible, sans qu'il soit possible d'en tirer des conclusions sûres quant à l'ampleur d'un phénomène que la justice appréhende peut-être encore difficilement.

Nombre de condamnations

Prise illégale d'intérêts

Détournement de fonds publics

Favoritisme

Trafic d'influence

Corruption

2007

38

71

38

40

105

2008

42

83

27

17

131

2009

46

80

26

27

120

2010

33

59

33

15

115

2011

49

60

33

19

159

Source : ministère de la justice

2. La nécessité de dispositifs particuliers de détection et de répression

La délinquance économique et financière repose sur des caractéristiques qui la distinguent d'autres formes de délinquance ou de criminalité :

- d'une part, utilisant tous les ressorts de l'économie et de l'ingénierie financière, elle revêt intrinsèquement une dimension internationale. Un certain nombre d'instruments internationaux ont de ce fait été adoptés dans le cadre de l'ONU (convention de Merida de 2003) et d'autres organisations internationales, notamment l'OCDE, afin d'améliorer la lutte contre ce phénomène et la coopération entre les États. Deux conventions ont notamment été adoptées en 1999 dans le cadre de l'Europe et un comité de suivi - le GRECO - a été mis en place afin de développer l'évaluation entre États membres ;

- d'autre part, sur le plan de l'analyse criminologique, la corruption est une délinquance par essence occulte, qui repose sur la règle du secret (on parle de « pacte de corruption »), mais également sur le sentiment d'une certaine respectabilité sociale. M. Charles Duchaine, vice-président chargé de l'instruction à la JIRS de Marseille, a ainsi évoqué le souci de « notabilisation » des délinquants économiques et financiers. Ces caractéristiques mettent en évidence la question des mécanismes de détection de cette « délinquance en col blanc » et la nécessité d'une approche pluridisciplinaire du sujet.

Le dispositif français de lutte contre les atteintes à la probité repose sur trois piliers :

1°) un dispositif pénal dissuasif , tant du point du vue du champ des incriminations prévues par le code pénal que des peines encourues. Outre la corruption et le trafic d'influence (« passifs » ou « actifs »), le droit pénal réprime les « atteintes à la probité » sous de nombreuses formes, par les délits de prise illégale d'intérêt, de concussion, de blanchiment, d'abus de biens sociaux ou encore de détournement de fonds publics, par exemple. Les peines encourues peuvent atteindre dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende lorsque les faits impliquent des personnes publiques, voire des peines criminelles pour certaines formes de corruption de magistrats. La poursuite de ces faits s'appuie sur une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation permettant de repousser le point de départ du délai de prescription lorsque l'infraction est occulte ou dissimulée ;

2°) des juridictions et des services d'enquête spécialisés . Les faits de corruption sont souvent difficiles à mettre à jour, notamment lorsque les faits sont dissimulés par des montages juridiques et des mouvements financiers complexes, et nécessitent le recours à des magistrats et des enquêteurs expérimentés, le cas échéant assistés d'experts susceptibles de les aider dans leurs analyses.

Le dispositif juridictionnel français en matière de lutte contre la délinquance économique et financière se caractérise par une certaine complexité. Une série de réformes a ainsi abouti à la superposition suivante :

- les juridictions ordinaires (tribunaux de grande instance) restent compétentes en matière économique et financière malgré la spécialisation de certaines d'entre elles ;

- les juridictions régionales spécialisés (JRS), également appelés « pôles économiques et financiers », crées en 1975, au nombre de une ou deux par cour d'appel , constituent un premier niveau de spécialisation. L'article 704 du code de procédure pénale prévoit que ces tribunaux de grande instance sont compétents lorsque les affaires présentent une « grande complexité ». En 1998, quatre de ces pôles ont été renforcés : Bastia, Lyon, Marseille et Paris. Toutefois, seuls les pôles de Bastia, de Nanterre et, en raison de la présence de nombreux sièges d'entreprises publiques et privées en Île-de-France, le TGI de Paris, disposent de moyens humains et matériels propres, avec des assistants spécialisés. En conséquence, la plupart des personnes entendues par votre rapporteur ont regretté l'incapacité des autres pôles à apporter une réelle valeur ajoutée en matière de lutte contre la délinquance économique et financière. Ces pôles sont en outre fortement concurrencés par les autres juridictions spécialisées ;

- la loi du 9 mars 2004 a créé huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) , qui consistent en général dans le renforcement de certaines JRS désormais dotées d'une compétence couvrant le ressort de plusieurs cours d'appel. Elles sont compétentes à la fois en matière de criminalité organisée et en matière économique et financière. Dans ces derniers domaines, elles peuvent être chargées des affaires d'une « très grande complexité », critère parfois difficile à distinguer de celui de la « grande complexité ». Les JIRS ont fait la preuve de leur efficacité mais elles interviennent davantage en matière de criminalité organisée (87 % de leurs affaires) qu'en matière de délinquance économique et financière (20 %). Les JIRS ont, comme les JRS, une compétence concurrente à celle des TGI ordinaires ;

- la loi du 5 mars 2007 renforçant l'équilibre de la procédure pénale a créé les pôles de l'instruction permettant la saisine de plusieurs magistrats instructeurs « lorsque la gravité ou la complexité de l'affaire le justifie » ou en matière de crime (article 83-1 du code de procédure pénale). Leur ressort territorial est intermédiaire entre celui de la juridiction ordinaire et celui du pôle économique et financier. Dans les faits, ces pôles sont souvent chargés des affaires économiques et financières .

Ces juridictions peuvent, en outre, faire appel à des assistants spécialisés.

Les assistants spécialisés en matière économique et financière

Les assistants spécialisés sont des personnels ayant acquis des compétences en matière économique et financière au cours de leur parcours professionnel. Ce sont d'une part des fonctionnaires, d'autre part des personnes qui n'appartiennent pas à la fonction publique et peuvent être recrutées en tant qu'agents contractuels.

Les missions dévolues aux assistants spécialisés, définies au deuxième alinéa de l'article 706 du code de procédure pénale, consistent initialement à assister le juge spécialisé dans le déroulement de la procédure sans toutefois être autorisés à accomplir des actes par eux-mêmes. Ils peuvent donc assister aux auditions, aux interrogatoires et aux perquisitions, sans être autorisés à délivrer des mandats ou des commissions rogatoires, ni à procéder à des interrogatoires ou à des auditions ou encore à signer des réquisitions.

Les assistants spécialisés ne jouent donc pas un rôle d'experts ni d'enquêteurs, non plus qu'ils ne disposent d'un pouvoir juridictionnel et ne peuvent se substituer aux magistrats auprès desquels ils sont affectés. Ils fournissent essentiellement un travail d'analyse en amont de la procédure afin de donner aux magistrats les moyens d'appréhender tous les aspects d'un dossier et d'améliorer la qualité des enquêtes . À cet égard, le deuxième alinéa de l'article 706 du code de procédure pénale ouvre aux assistants spécialisés la possibilité d'accéder au dossier de la procédure pour l'exécution des tâches qui leur sont confiées.

La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a renforcé le statut des assistants spécialisés .

Afin de consacrer leur double rôle d'assistance des magistrats et des services d'enquête et d'aide à la décision, l'article 706 du code de procédure pénale, tel que modifié par cette loi, dresse désormais une liste indicative énumérant les tâches les plus courantes susceptibles de leur être confiées à chaque stade de l'enquête :

- assister tous les acteurs de la procédure : magistrats (juge d'instruction, magistrat du parquet dans l'exercice de l'action publique) et officiers de police judiciaire agissant sur délégation des magistrats ; la possibilité pour le procureur général de leur demander d'assister le ministère public devant la juridiction d'appel est également prévue ;

- fournir une aide à la décision à travers la production de documents de synthèse ou d'analyse remis aux magistrats et versés au dossier ;

- désormais, procéder à certaines réquisitions judiciaires correspondant à des tâches matérielles de recueil d'informations et de documents, telles que la mise à disposition par les opérateurs de télécommunications des informations contenues dans les systèmes informatiques ou les traitements de données nominatives, ou encore la mise à disposition par toute personne, tout établissement, tout organisme privé ou public ou toute administration publique de documents de tous ordres intéressant l'enquête (il s'agit des réquisitions de documents et de données informatiques que les officiers de police judiciaire peuvent effectuer en vertu des articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 et 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale).

À titre d'exemple, l'étude d'impact mentionne les tâches suivantes pouvant être prises en charge par un assistant spécialisé en matière de finances publiques :

- apporter aux magistrats des éléments techniques de nature fiscale, à tout stade de la procédure : examen des plaintes pour fraude fiscale, rédaction des notes d'expertise et citations directes ; analyse des retours d'enquêtes confiées aux services de police spécialisés, rédaction de notes proposant les suites à donner aux dossiers et de documents de synthèse contenant le plus souvent des propositions d'investigations complémentaires ; élaboration de schémas et tableaux de synthèse (flux financiers) ;

- assister les magistrats et officiers de police judiciaire agissant sur délégation de ces magistrats lors des interrogatoires, confrontations et auditions, et lors des perquisitions afin de conseiller utilement le magistrat ou l'OPJ sur la saisie des pièces utiles ;

- assurer le rôle d'interface entre l'administration fiscale et le Parquet, coordonner et diriger les liaisons entre les différents services fiscaux d'où proviennent les plaintes pour fraude fiscale et le Parquet, entretenir un lien constant et étroit avec les différentes structures de l'administration fiscale, telle que la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) ;

- assurer auprès des magistrats un rôle d'information sur l'état de la jurisprudence fiscale, tant sur le plan administratif que pénal.

Au premier janvier 2013, l'effectif des assistants spécialisés en matière économique et financière (JIRS et pôles confondus) est toutefois constitué de seulement 21 personnels.

Enfin, la loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption a permis aux services enquêteurs de recourir aux techniques spéciales d'enquête pour rechercher certains faits d'atteinte à la probité : surveillance, interceptions de télécommunications, captation de données informatiques, sonorisation et prise d'images, infiltration et mesures conservatoires sur les biens de la personne concernée.

Plusieurs services d'enquête spécialisés dans ce type de délinquance ont par ailleurs été mis en place :

* au niveau de la police nationale, les juridictions peuvent s'appuyer notamment sur la direction nationale d'investigations financières et fiscales (DNIFF) de la direction centrale de la police judiciaire du ministère de l'intérieur, composée de la brigade de la répression financière, de la brigade centrale de lutte contre la corruption et de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, ainsi que, à Paris, sur la brigade financière de la préfecture de police.

Au niveau local, chaque direction interrégionale de police judiciaire comprend une unité spécialisée dans les affaires économiques et financières ;

* de son côté, la gendarmerie nationale dispose également d'enquêteurs spécialisés en matière économique et financière.

3°) des services spécialisés dans la prévention et la détection des faits de corruption ont été progressivement mis en place.

Depuis 1993, un service spécialisé - le service central de prévention de la corruption (SCPC) - est placé auprès du ministre de la justice. Il est doté de trois missions : centraliser l'ensemble des informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption, assister les autorités judiciaires saisies d'affaires de ce type et rendre des avis sur les mesures susceptibles d'être prises pour prévenir les actes de corruption.

Au plan de la détection, le service TRACFIN, placé sous l'autorité du ministre de l'économie, joue un rôle essentiel en recevant et traitant les « déclarations de soupçon » portant sur l'origine de flux financiers émises par les établissements financiers et diverses autres professions non financières.

Enfin, ce dispositif est complété par diverses réglementations destinées à prévenir la corruption, notamment en matière de financement de la vie politique, d'accès à la commande publique ou d'obligations de transparence imposées aux entreprises.

3. Des insuffisances persistantes

Si le dispositif français de lutte contre la délinquance économique et financière est, pour l'essentiel, conforme à l'ensemble des engagements internationaux que la France a souscrits, sa mise en oeuvre continue à soulever un certain nombre de critiques.

Ainsi le groupe de travail de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a récemment pointé les insuffisances françaises en matière de lutte contre la corruption transnationale . Dans un rapport remis en octobre 2012 2 ( * ) , l'OCDE relève le faible nombre de condamnations prononcées pour des faits de corruption d'agents publics étrangers (cinq condamnations en 12 ans), la faible réactivité des autorités dans des affaires impliquant des entreprises françaises pour des faits avérés ou présumés de corruption à l'étranger, le niveau peu dissuasif des sanctions encourues ainsi que l'absence de confiscation des profits tirés de la corruption.

Saluant toutefois l'adoption d'un certain nombre de mesures
- notamment la mise en place d'une agence spécialisée chargée d'épauler les juridictions dans les procédures de saisie et de confiscation des profits tirés de la délinquance crapuleuse 3 ( * ) , l'introduction dans la loi en 2007 d'une protection du salarié qui dénonce des faits de corruption ainsi que les réformes engagées pour garantir une plus grande indépendance au parquet -, le rapport formule un certain nombre de préconisations destinées à renforcer l'application du droit pénal en matière de corruption.

Les magistrats rencontrés par votre rapporteur dans le cadre de la préparation du présent rapport ont également souligné les difficultés rencontrées par les juridictions et les services d'enquête.

Comme l'a indiqué M. Jacques Beaume, procureur général près la cour d'appel de Lyon et président de la conférence des procureurs généraux, la prise en compte par le droit pénal de faits commis grâce à la mondialisation et aux flux financiers est encore insuffisante. M. Robert Gelli, procureur de la République de Nanterre et président de la conférence nationale des procureurs de la République, a également mis en évidence les insuffisances du droit pénal actuel face à une délinquance économique de plus en plus sophistiquée, recourant par exemple à de faux ordres de virement vers l'étranger ou le piratage de téléphones ou de systèmes informatiques.

Or, face à de telles évolutions, les juridictions pâtissent d'un certain tarissement des sources d'information , dû notamment à un désengagement des administrations financières sur le terrain, aux insuffisances du contrôle de légalité dans les préfectures 4 ( * ) et, surtout, au nombre très limité de signalements effectués sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale par les agents publics 5 ( * ) .

M. Bernard Legras, procureur général près la cour d'appel de Montpellier, tout comme les magistrats de la JIRS de Marseille, ont par ailleurs souligné la nécessité d'adopter une approche intégrée de phénomènes (grand banditisme, terrorisme, délinquance économique et financière, etc.) qui ont pendant longtemps été considérés comme cloisonnés. Or l'expérience montre qu'en ces matières, les réseaux s'interpénètrent, les flux financiers mêlent des revenus d'origines diverses et les auteurs passent aisément d'une forme de délinquance à une autre en fonction des circonstances. M. Jacques Dallest, procureur de la République de Marseille, a insisté sur l'interpénétration des milieux criminels et la proximité existant entre trafiquants et « délinquants en col blanc », notamment à travers le blanchiment. Face à ce constat, il est nécessaire de décloisonner les services d'enquête et de renforcer les synergies entre la police judiciaire et les diverses administrations.

Plus fondamentalement, l'ensemble des magistrats entendus par votre rapporteur ont attiré l'attention sur la diminution importante et continue des moyens affectés à la répression de cette délinquance :

- au niveau des services d'enquête, la gendarmerie nationale s'est largement désengagée de ce type d'investigations, tandis que les directions interrégionales de la police judiciaire sont surchargées, au point de mettre souvent plusieurs mois, voire plusieurs années, pour exécuter une commission rogatoire ;

- au niveau des juridictions, la délinquance économique et financière a fait l'objet d'importantes diminutions d'effectifs, tandis que, pendant plusieurs années, des instructions étaient données pour limiter les ouvertures d'informations judiciaires.

D'après les représentants de l'Union syndicale des magistrats (USM), le pôle financier du TGI de Paris a ainsi vu ses effectifs passer de 13 à 8 juges d'instruction, de 12 à 7 magistrats du parquet et de 7 à 4 assistants spécialisés, entre 2007 et 2012. À Nanterre, le pôle financier serait, de même, passé de 7 juges d'instruction en 2007 à 3 en 2012.

M. Charles Duchaine, vice-président chargé de l'instruction à la JIRS de Marseille, a également attiré l'attention sur le nombre insuffisant de magistrats spécialisés sur ces questions.


* 1 Projet de loi n°1011 relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 24 avril 2013.

* 2 Ce rapport peut être consulté à l'adresse suivante : http://www.oecd.org/fr/france/france-conventiondelocdesurlaluttecontrelacorruption.htm

* 3 Il s'agit de l'Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), créée par la loi du 9 juillet 2010 réformant le régime de la saisie et de la confiscation en matière pénale.

* 4 Voir à ce sujet le rapport d'information n° 300 (2011-2012) de notre collègue Jacques Mézard, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, déposé le 25 janvier 2012.

* 5 Dont le second alinéa dispose : « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page