Rapport n° 186 (2013-2014) de M. Jean-Claude FRÉCON , fait au nom de la commission des finances, déposé le 3 décembre 2013

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N° 186

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 décembre 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi de M. Daniel DUBOIS et plusieurs de ses collègues, relative au financement du service public de l' assainissement par des fonds de concours ,

Par M. Jean-Claude FRÉCON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

840 (2012-2013)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES

Réunie le mardi 3 décembre 2013 sous la présidence de Philippe Marini, président, la commission des finances du Sénat a procédé à l'examen du rapport de Jean-Claude Frécon sur la proposition de loi n° 840 (2012-2013) relative au financement du service public de l'assainissement par des fonds de concours .

La commission des finances a reconnu que le financement du service public de l'assainissement, notamment dans les territoires ruraux, pouvait se heurter à des difficultés, en particulier dans le cas où cette compétence a été transférée à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) alors même que ses communes membres avaient, préalablement au transfert, fait des choix et des investissements très divers en la matière.

Elle a cependant estimé que les possibilités de déroger aux règles existantes en matière de financement des services publics industriels et commerciaux (SPIC) d'une part, et de versement de fonds de concours d'autre part, étaient suffisantes pour répondre aux préoccupations exprimées par les auteurs de la présente proposition de loi.

Aussi la commission des finances a-t-elle décidé de ne pas adopter de texte sur la proposition de loi. En conséquence, et en application de l'article 42, alinéa premier, de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Certaines communes font face à des difficultés de financement de leur service public d'assainissement. En effet, particulièrement dans les zones rurales, ces investissements peuvent s'avérer très importants. Ils résultent à la fois des mises en conformité des ouvrages des collectivités et du nécessaire renouvellement des réseaux, dont l'ancienneté peut être source de dysfonctionnements (fuites, etc.).

L'assainissement est une compétence obligatoire pour les communautés urbaines et les métropoles. En revanche, il s'agit d'une compétence optionnelle pour les communautés de commune et les communautés d'agglomération.

Or, selon les auteurs de la présente proposition de loi, le transfert de cette compétence à l'intercommunalité peut créer des difficultés - voire des blocages - s'agissant du financement du service public de l'assainissement.

En effet, les communes membres d'une intercommunalité peuvent avoir fait des choix très différents en matière de financement du service public de l'assainissement. Or, ce service public industriel et commercial (SPIC) doit être financé par les redevances versées par les usagers. Par conséquent, les usagers d'une commune ayant investi dans son réseau d'assainissement avant le transfert de la compétence à l'EPCI peuvent se voir imposer une hausse de la redevance correspondante afin de financer les dépenses de leurs voisins, qui n'ont pas réalisé les travaux nécessaires, préalablement à leur adhésion à l'EPCI.

La présente proposition de loi de notre collègue Daniel Dubois et plusieurs de ses collègues du groupe Union des démocrates et indépendants-union centriste (UDI-UC) vise à permettre à une commune qui souhaite réaliser des travaux en matière d'assainissement de les financer elle-même, par voie de fonds de concours, alors même que cette compétence relève de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) auquel elle appartient . Ainsi, le coût, qui peut s'avérer particulièrement important dans les zones rurales, ne reposerait pas sur l'ensemble des usagers et contribuables de l'EPCI, mais sur la seule commune en bénéficiant.

Dans les années 2000, des assouplissements des règles relatives aux SPIC d'une part et aux fonds de concours d'autre part ont été introduits : le droit existant permet d'ores et déjà, dans des cas clairement définis par la loi, de répondre à cette préoccupation.

Ces exceptions paraissent suffisantes pour introduire une souplesse sans doute nécessaire, sans toutefois remettre en cause à la fois le principe selon lequel un SPIC est financé par des redevances, ni surtout le fondement même de l'intercommunalité, qui veut que les compétences transférées à l'EPCI soient financées par celui-ci.

C'est pourquoi votre commission a décidé de ne pas adopter la présente proposition de loi.


I. LA QUESTION DU FINANCEMENT DU SERVICE PUBLIC DE L'ASSAINISSEMENT EN MILIEU RURAL

A. DES DIFFICULTÉS DE FINANCEMENT RÉELLES

Les territoires ruraux sont confrontés à des difficultés particulières pour le financement des réseaux d'assainissement.

D'une part, dans ces territoires, les investissements peuvent s'avérer particulièrement importants car de nombreuses communes sont dépourvues d'assainissement collectif ; d'autre part, ces investissements sont plus coûteux - notamment si l'on considère le coût par habitant - que dans des communes plus peuplées, alors même que les collectivités rurales ont des capacités financières souvent plus limitées.

Par ailleurs, l'équipement en matière d'assainissement peut être très hétérogène entre les communes membres d'un même établissement public de coopération intercommunale (EPCI), en fonction des choix des communes ou de leurs capacités financières.

Or, cette disparité peut être source de blocage, dès lors que l'on raisonne dans le cadre de l'intercommunalité : les communes ayant fourni un effort important pour financer leur propre réseau d'assainissement peuvent se montrer réticentes à participer au financement, à travers l'EPCI, d'un réseau d'assainissement qui bénéficierait à une autre commune.

C'est pourquoi les auteurs de la présente proposition de loi notent que « les communautés de commune peuvent être amenées à rechercher des participations financières de leurs communes membres, destinataires des aménagements, afin de ne pas faire peser tout l'effort financier des travaux sur l'ensemble des usagers du territoire intercommunal ».

Cette volonté se heurte cependant à un double problème juridique.

B. UN DOUBLE PROBLÈME JURIDIQUE

1. Le principe d'exclusivité des EPCI

Les EPCI sont régis par les principes de spécialité et d'exclusivité.

En application du principe de spécialité, un EPCI ne peut intervenir en dehors de son périmètre ou en dehors du champ des compétences qui lui ont été transférées par ses communes membres. Il n'a donc pas la « compétence de sa compétence ».

En contrepartie, l'EPCI est assuré du respect par les communes du principe d'exclusivité : une compétence transférée à l'EPCI - que ce soit obligatoirement en vertu de la loi ou par décision des communes membres, ne peut être détenue et exercée que par l'EPCI. La jurisprudence administrative 1 ( * ) a ainsi établi qu'une commune ayant transféré une compétence à un EPCI dont elle est membre, ne peut plus intervenir dans le cadre de cette compétence.

En conséquence, le budget d'une commune membre ne peut plus comporter de dépenses ou de recettes relatives à l'exercice des compétences qui ont été transférées .

2. Le principe d'équilibre des SPIC

L'article L. 2224-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que les budgets des services publics à caractère industriel ou commercial (SPIC) « doivent être équilibrés en recettes et en dépenses ».

En d'autres termes, un SPIC doit être, en principe, financé par les redevances des usagers et non par les contribuables , ce qui s'oppose à ce que le budget général d'une commune (ou d'un EPCI) vienne abonder le budget annexe d'un SPIC (article L. 2224-2 du CGCT).

Il résulte de ces deux principes que le financement, par une commune membre, d'un SPIC relevant de la compétence d'un EPCI, est impossible.

II. LES SOUPLESSES OFFERTES PAR LE DROIT EXISTANT

Néanmoins, ces principes connaissent des exceptions, qui permettent une application souple.

A. UN ASSOUPLISSEMENT PROGRESSIF DE LA POSSIBILITÉ DE VERSER DES FONDS DE CONCOURS ENTRE COMMUNES ET EPCI

Les fonds de concours ont été créés afin d'assouplir les principes de spécialité et d'exclusivité des EPCI.

L'article 17 de la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale a prévu qu'une communauté de communes « peut attribuer des fonds de concours aux communes membres afin de contribuer à la réalisation ou au fonctionnement d'équipements d'intérêt commun ». Il s'agit donc du financement, à la fois par la commune et par l'EPCI , d'un équipement.

L'article 48 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a encore assoupli cette règle - pour les communautés de communes, les communautés urbaines et les communautés d'agglomération - en substituant à la notion (jugée trop restrictive) « d'équipements d'intérêt commun » celle « d'équipements dont l'utilité dépasse manifestement l'intérêt communal ».

Enfin, l'article 186 de la loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004 2 ( * ) a modifié ces règles en prévoyant que les fonds de concours :

- puissent être versés également des communes membres vers l'EPCI à fiscalité propre , « après accord concordant exprimés à la majorité simple du conseil communautaire et des conseils municipaux concernés » ;

- puissent financer la réalisation de tout équipement et non plus seulement de ceux « dépassant manifestement l'intérêt communal » ;

- ne puissent intervenir qu'en complément d'un financement assuré majoritairement, hors subventions, par leur bénéficiaire .

Ces règles sont codifiées aux articles L. 5214-16 (V), L. 5215-26 et L. 516-5 (VI) du CGCT, s'agissant respectivement des communautés de communes, des communautés urbaines et des communautés d'agglomération.

Article L. 5214-16 du CGCT

«V. - Afin de financer la réalisation ou le fonctionnement d'un équipement, des fonds de concours peuvent être versés entre la communauté de communes et les communes membres après accords concordants exprimés à la majorité simple du conseil communautaire et des conseils municipaux concernés.

« Le montant total des fonds de concours ne peut excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours ».

Il faut souligner que les fonds de concours doivent servir à financer la réalisation ou le fonctionnement d'un équipement ; ils ne sauraient donc prendre en charge des déséquilibres structurels du service .

Enfin, le fonds de concours ne peut financer que 50 % du montant du projet à réaliser, hors subvention. Ainsi, pour un projet dont le coût s'élève à 100 000 euros, bénéficiant d'une subvention à hauteur de 20 000 euros, le fonds de concours ne pourra excéder 40 000 euros (soit la moitié de 100 000 - 20 000).

B. DES POSSIBILITÉS DE SUBVENTIONNER UN SERVICE D'ASSAINISSEMENT, NOTAMMENT POUR LES COMMUNES RURALES

Comme on l'a vu, l'article L. 2224-2 du CGCT prévoit que les communes ont l'interdiction de prendre en charge, dans leur budget, des dépenses des SPIC .

Néanmoins, cette interdiction connaît plusieurs exceptions , introduites par la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 d'amélioration de la décentralisation :

- si des contraintes particulières de fonctionnement sont imposées par la collectivité en raison des exigences du service public ;

- « lorsque le fonctionnement du service public exige la réalisation d'investissements qui, en raison de leur importance et eu égard au nombre d'usagers, ne peuvent être financés sans augmentation excessive des tarifs » ;

- « lorsque, après la période de réglementation des prix, la suppression de toute prise en charge par le budget de la commune aurait pour conséquence une hausse excessive des tarifs ».

Par ailleurs, à l'initiative du Sénat, l'article 91 de la loi de finances pour 2006 3 ( * ) a complété l'article L. 2224-2 précité afin de prévoir des dérogations . Il s'agissait alors d'accompagner l'obligation pour les collectivités de créer un service public d'assainissement non collectif avant le 31 décembre 2005.

Ainsi, les communes de moins de 3 000 habitants et les EPCI dont aucune commune membre n'a plus de 3 000 habitants, peuvent prendre en charge, dans leur budget, les dépenses des services de distribution d'eau et d'assainissement .

La spécificité des communes les moins peuplées est donc bien reconnue en la matière , puisque ces communes et EPCI sont autorisés à utiliser leur budget général pour contribuer à l'équilibre financier du SPIC. Il faut souligner que ces dispositions concernent 33 098 communes, soit 91 % de l'ensemble des communes de métropole.

De plus, quelle que soit la taille des collectivités, l'interdiction de financer le SPIC par le budget général de la collectivité ne s'applique pas « aux services d'assainissement non collectif , lors de leur création et pour une durée limitée au maximum aux cinq premiers exercices ».

III. DES EXCEPTIONS QUI SEMBLENT SUFFISANTES

A. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PAR LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI

L'article unique de la proposition de loi de notre collègue Daniel Dubois modifie les articles L. 5214-16 (V), L. 5215-26 et L. 5216-5 (VI) du CGCT afin d'y inscrire que les fonds de concours peuvent également être versés « pour prendre en charge des dépenses au titre du service public de l'assainissement », par dérogation au principe d'équilibre des SPIC (article L. 2224-2).

Il s'agit donc de prévoir une dérogation générale : dès lors qu'il s'agit du service public de l'assainissement, les communes et les EPCI pourront verser des fonds de concours, sans être tenus par la taille des communes, par les effets sur les tarifs ou par un délai suivant la création de l'EPCI.

Les règles régissant les fonds de concours seraient également assouplies, dans la mesure où les « dépenses au titre du service public de l'assainissement » pourraient être financées par ce biais. S'agissant du service public de l'assainissement, cette notion est plus large que « la réalisation ou le fonctionnement d'un équipement », puisqu'elle couvre à la fois les dépenses de fonctionnement et d'investissement liées à un équipement, mais également, le cas échéant, les déséquilibres structurels du service .

En revanche, le caractère complémentaire du fonds de concours par rapport au financement assuré majoritairement par le bénéficiaire serait maintenu.

B. UN ASSOUPLISSEMENT EXCESSIF AU RISQUE DE REMETTRE EN CAUSE LE PRINCIPE MÊME DE L'INTERCOMMUNALITÉ

1. Les exceptions actuelles sont suffisantes

Les exceptions prévues dans le cadre du droit actuel (cf. supra ) vont déjà très loin :

- la situation particulière des communes rurales est prise en compte à travers la dérogation au principe d'équilibre des SPIC dont bénéficient les communes de moins de 3 000 habitants (et les EPCI dont aucune commune membre n'est peuplée de plus de 3 000 habitants). Certes, le seuil de 3 000 habitants peut faire débat, mais il reste qu'il englobe un très grand nombre de communes (91 %) tout en prenant en compte le fait que les communes de plus de 3 000 habitants disposent d'une « surface financière » relativement importante et en tout cas susceptible de leur permettre de prendre en charge le service public de l'assainissement ;

- les communes de plus de 3 000 habitants (et les EPCI dont une commune membre compte plus de 3 000 habitants) peuvent financer directement le SPIC lorsqu'une augmentation excessive des tarifs résulterait de la réalisation d'investissements importants ;

- lors de la mise en place de l'intercommunalité, il est possible de subventionner le service d'assainissement non-collectif , pendant une période transitoire de cinq ans ; on peut là encore s'interroger sur le choix d'une durée de cinq ans, mais il importe que les dispositions transitoires le soient réellement ;

- enfin, les difficultés propres au financement d'un équipement d'ampleur trouvent également une réponse dans la possibilité ouverte par l'article L. 5214-16 d'un financement par voie de fonds de concours.

Ainsi, depuis la loi précitée de 2004, les EPCI peuvent recevoir, de la part de leurs communes membres, une « subvention » par voie de fonds de concours (exception au principe d'exclusivité et de spécialité des EPCI). Cette possibilité peut s'appliquer aux SPIC dans les cas (certes limitativement énumérés) où un financement du SPIC par le budget général est permis.

2. La remise en cause de l'idée même d'intercommunalité

Certaines intercommunalités peuvent rencontrer des difficultés de financement du service public de l'assainissement, résultant notamment d'un transfert de la compétence assainissement moins désiré que fortement encouragé, dans le cadre des schémas départementaux de coopération intercommunale 4 ( * ) .

Mais ces difficultés doivent être traitées dans le cadre de l'intercommunalité. Prévoir une dérogation générale pour permettre à une commune de financer les dépenses d'assainissement sur son territoire, alors même que cette compétence a été transférée à l'EPCI, revient à nier l'existence même de l'intercommunalité.

C'est pourquoi votre commission vous invite à ne pas adopter la présente proposition de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 3 décembre 2013, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Claude Frécon, rapporteur, et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de loi n° 840 (2012-2013) relative au financement du service public de l'assainissement par des fonds de concours .

M. Jean-Claude Frécon , rapporteur . - La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui a pour objet d'élargir les possibilités de versement de fonds de concours entre communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), en matière de financement du service public de l'assainissement.

En effet, certaines communes font face à des difficultés de financement de ce service public. Ces dépenses, qu'il s'agisse d'investissement ou de fonctionnement, peuvent s'avérer très importantes et, dans les zones rurales en particulier, être difficile à financer.

De plus, d'après les auteurs de la proposition de loi, le transfert à l'intercommunalité de la compétence en matière d'assainissement peut créer des difficultés - voire des blocages - s'agissant du financement de ce service public. Ne faut-il pas néanmoins analyser les risques et les avantages avant de procéder au transfert d'une compétence ?

En effet, les communes membres d'une intercommunalité peuvent avoir fait des choix très différents. Or, ce service public est financé par les redevances versées par les usagers. Par conséquent, les usagers d'une commune ayant investi dans son réseau d'assainissement avant le transfert de la compétence à l'EPCI peuvent se voir imposer une hausse de la redevance afin de financer les dépenses liées au réseau d'assainissement d'une commune voisine, qui n'aurait pas réalisé les travaux nécessaires.

C'est pourquoi les auteurs de la proposition de loi notent que « les communautés de commune peuvent être amenées à rechercher des participations financières de leurs communes membres, destinataires des aménagements, afin de ne pas faire peser tout l'effort financier des travaux sur l'ensemble des usagers du territoire intercommunal ».

Ce souhait se heurte cependant à un double problème juridique.

Tout d'abord, en application du principe d'exclusivité des EPCI, une commune ayant transféré une compétence à un EPCI dont elle est membre ne peut plus intervenir dans le cadre de cette compétence. En conséquence, son budget ne peut plus comporter de dépenses ou de recettes relatives à l'exercice des compétences qui ont été transférées. Il s'agit du principe même de l'intercommunalité.

D'autre part, les budgets des services publics à caractère industriel ou commercial (SPIC) doivent être équilibrés en recettes et en dépenses, c'est-à-dire financés par les redevances des usagers et non par les contribuables, ce qui s'oppose à ce que le budget général d'une commune vienne abonder le budget annexe d'un SPIC.

Néanmoins, le droit actuel prévoit déjà plusieurs exceptions à ces principes.

S'agissant du versement de fonds de concours entre communes et EPCI, celui-ci a été rendu possible en 1999 et assoupli en 2004. Le versement de fonds de concours est ainsi autorisé lorsqu'il s'agit de financer « la réalisation ou le fonctionnement d'un équipement », après accord concordant des instances concernées. La seule limitation est que le fonds de concours ne peut financer plus de 50 % du projet à réaliser, hors subventions.

Concernant la possibilité de subventionner un service d'assainissement, celle-ci est ouverte depuis 1988 et a été assouplie en 2005. Ainsi, il est notamment possible de subventionner un service si la réalisation d'un investissement provoque une « hausse excessive des tarifs ». De même, les communes de moins de 3 000 habitants et les EPCI dont aucune commune ne compte plus de 3 000 habitants peuvent prendre en charge dans leur budget les dépenses des services d'assainissement. La spécificité des communes rurales est donc reconnue.

M. François Marc , rapporteur général . - Très bien !

M. Jean-Claude Frécon , rapporteur . - La proposition de loi qui nous est soumise propose d'aller plus loin, en prévoyant une dérogation générale : dès lors qu'il s'agira d'un service public de l'assainissement, les communes et les EPCI pourraient verser des fonds de concours, sans être tenus par la taille des communes, par les effets sur les tarifs ou par un délai suivant la création de l'EPCI.

Les règles régissant les fonds de concours seraient également assouplies puisqu'il serait possible de couvrir à la fois les dépenses de fonctionnement et d'investissement liées à un équipement, mais également, le cas échéant, les déséquilibres structurels du service. La mécanique dont il s'agit est donc beaucoup plus complexe et risquée que ce qui existe actuellement.

Dès lors, cette dérogation générale me semble excessive et je considère que les exceptions actuelles sont suffisantes.

Certes, certaines intercommunalités peuvent rencontrer des difficultés de financement du service public de l'assainissement. Cela peut notamment se produire lorsque le transfert de la compétence a été moins désiré que fortement encouragé, dans le cadre des schémas départementaux de coopération intercommunale.

Mais je considère que ces difficultés doivent être traitées dans le cadre de l'intercommunalité. Prévoir une dérogation générale pour permettre à une commune de financer les dépenses d'assainissement sur son territoire, alors même que cette compétence a été transférée à l'EPCI, revient à nier l'existence même des principes de l'intercommunalité.

C'est pourquoi je vous invite à ne pas adopter la présente proposition de loi.

M. Philippe Marini , président . - Si je comprends bien, vous nous proposez d'appliquer la règle « donner et retenir ne vaut ». Autrement dit, on ne peut pas appliquer une chose et son contraire.

M. François Marc , rapporteur général . - Je partage l'avis du rapporteur, qui considère qu'il est délicat d'introduire une dérogation générale, qui pourrait ouvrir la porte à une évolution des intercommunalité sans doute non souhaitable.

M. Joël Bourdin . - Au risque de répéter les propos du rapporteur, je tiens à souligner que le financement du service public d'assainissement par des redevances est un « grand principe », qui a néanmoins été assoupli pour les communes les moins peuplées.

De même, le principe d'exclusivité qui régit l'intercommunalité est également important même si la loi a également prévu la possibilité de versement de fonds de concours entre communes et EPCI, selon les règles rappelées par le rapporteur.

La proposition de loi que nous examinons concerne l'assainissement en général - par exemple les stations d'épuration ! - alors que les exceptions prévues jusqu'alors étaient très ciblées et tombaient sous le sens.

Je suis donc un peu dubitatif : en matière d'intercommunalité, il faut accepter qu'une fois le transfert de compétences effectué, on ne puisse revenir dessus.

M. Gérard Miquel . - Je partage les conclusions du rapporteur. En matière d'eau, d'assainissement et de déchets, il faut toujours trouver le niveau d'intervention pertinent pour mutualiser les services et optimiser les dépenses. Dans les zones rurales, un syndicat, à partir d'une certaine échelle, peut, avec l'aide de subventions, réaliser une installation dans une petite commune, sans augmenter excessivement les tarifs.

En restant à petite échelle, on « bricole des fonds » de concours pour financer de petites opérations et avec des tarifs complètement disparates.

M. Charles Guené . - Je souscris aux propos du rapporteur, mais je pense néanmoins que les principes qu'il a rappelés doivent être conciliés avec celui de l'égalité entre usagers. Un EPCI à cheval sur deux agences de bassin recevra des financements parfois très différents : ne faut-il pas rétablir l'égalité entre communes et entre usagers ? Je pense donc que la nécessité de garantir l'égalité entre usagers doit permettre de déroger aux règles de financement des SPIC et de versement des fonds de concours.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je ne partage pas les conclusions du rapporteur. L'intercommunalité n'est pas un niveau de collectivité, c'est une sorte d'association de communes, qui décident d'agir ensemble ; je suis donc favorable à une grande souplesse dans les relations entre communes et EPCI, car les intercommunalités sont très différentes entre elles, selon leur population, leur localisation... Le versement de fonds de concours a par exemple rendu possible dans mon intercommunalité le financement d'une piscine.

Il est de plus en plus difficile de financer l'assainissement. Nous ne pouvons pas rester enfermés dans les schémas qui ont été conçus à une époque où les ressources financières étaient plus abondantes.

M. Jean Arthuis . - Je ne partage pas non plus les conclusions de notre rapporteur. La nouvelle phase de décentralisation devrait redonner aux acteurs locaux les marges de manoeuvre dont ils ont besoin. Cela permettra de rétablir les conditions d'une équité entre communes et entre habitants.

Je constate que de plus en plus les communes mutualisent ces investissements, ce qui renforce le lien de solidarité. Traiter ensemble ses eaux usées, c'est partager véritablement une communauté de destin.

Notre pays souffre des normes que l'on multiplie et qui sont un obstacle aux solutions innovantes.

M. François Fortassin . - Je tiens à souligner les contraintes particulières qui pèsent sur les collectivités rurales. Néanmoins, il est exact que le droit existant prend déjà en compte leur situation spécifique, aussi suivrai-je l'avis du rapporteur.

M. Jean-Claude Frécon , rapporteur . - Ma position sur cette proposition de loi découle logiquement de principes qui existent déjà et auxquels des dérogations ont été apportées.

Les assouplissements évoqués par notre collègue Joël Bourdin ont été prévus dès 1988 pour les syndicats, notamment en raison des difficultés de distribution d'eau potable en raison du coût excessif des travaux dans les zones rurales : il aurait fallu multiplier le prix de l'eau par trois, quatre ou dix pour absorber le coût.

S'agissant du cas, évoqué par Charles Guené, d'un syndicat ou d'un EPCI « à cheval » sur deux bassins, il convient de demander des subventions à tous les organismes susceptibles d'en donner, mais pour les usagers, le tarif doit être le même.

Selon Marie-Hélène Des Esgaulx, la souplesse la plus grande est nécessaire en raison de la diversité des EPCI. Le constat est juste, mais il existe des règles.

Or, ces règles peuvent déjà être assouplies, en particulier s'agissant du service public de l'assainissement dans les communes de moins de 3 000 habitants ou dans les EPCI dont aucune commune ne compte plus de 3 000 habitants. De plus, depuis 2004, les fonds de concours peuvent être versés à la fois de l'EPCI vers les communes, mais aussi des communes vers l'EPCI.

C'est d'ailleurs dans cette perspective que s'inscrit la proposition de Daniel Dubois : dans son département, une communauté de communes rurale doit financer des travaux coûteux en matière d'assainissement sur le territoire d'une de ses communes membres. Mais l'EPCI souhaiterait que la commune concernée participe au financement pour éviter que la hausse de tarifs résultant de ces dépenses ne soit répercutée sur l'ensemble des habitants de la communauté. D'autant plus qu'au sein de la communauté de communes, certaines communes membres ont réalisé des travaux avant le transfert de la compétence assainissement à l'EPCI, financés par conséquent par les habitants de ces seules communes. Elles ne souhaitent donc pas que leurs habitants financent des travaux d'assainissement pour les communes voisines.

Mais il faut rappeler le principe de l'intercommunalité : il faut que les communes se regroupent pour essayer de faire plus pour toutes les communes membres, et non pour une seule.

M. Philippe Marini , président . - Pour le meilleur et pour le pire...

M. Jean-Claude Frécon , rapporteur . - L'exemple donné par Marie-Hélène des Esgaulx sur les piscines n'est pas équivalent à la question de l'assainissement, car dans ce dernier cas, il s'agit d'un SPIC.

Or, je l'ai indiqué, la proposition de loi remet en cause le principe de l'intercommunalité, mais aussi celui régissant le financement des SPIC.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je suis favorable à la souplesse totale.

M. Jean-Claude Frécon . - Mais c'est alors « chacun pour soi » et la négation du principe de l'intercommunalité !

Notre collègue François Fortassin a bien indiqué que des dérogations sont déjà accordées pour les zones rurales : il n'est pas question de revenir dessus, mais de considérer qu'elles sont suffisantes.

La commission a décidé de ne pas adopter de texte sur la proposition de loi relative au financement du service public de l'assainissement par des fonds de concours.

En conséquence, et en application de l'article 42, alinéa premier, de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.


* 1 Conseil d'État, Assemblée, Commune de Saint-Vallier, 16 octobre 1970.

* 2 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

* 3 Loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.

* 4 Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.

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