EXAMEN EN COMMISSION

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Je reprends à mon compte une formule de notre collègue Mézard : cette proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage s'apparente davantage à un communiqué de presse qu'à un texte équilibré...

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Voilà qui commence bien !

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Elle attire l'attention sur une question sensible mais y apporte des réponses simplistes et inadaptées. L'enjeu est d'importance : il s'agit de savoir quel sens nous donnons au mot de République.

À l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a censuré en octobre 2012 les dispositions les plus discriminatoires de la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, notamment l'obligation de rattachement pendant trois ans à une commune pour bénéficier d'une inscription sur les listes électorales, ou l'obligation de « pointer » tous les trois mois dans la commune où l'on est de passage. Mais dans ses grandes lignes, la loi de 1969 demeure et elle a pour effet d'exclure les gens du voyage du droit commun et d'en faire une catégorie particulière de citoyens.

Le régime du titre de circulation aurait dû conduire à disposer de chiffres fiables sur cette population et ses habitudes, or les données sont incertaines, aussi bien sur la structure par âges que sur le pourcentage de sédentarisation ou les habitudes de semi-sédentarité. On estime entre 250 000 et 500 000 le nombre de personnes concernées.

En application de la loi Besson, environ 40 000 aires d'accueil auraient dû être réalisées : la moitié seulement a été créée, selon la Cour des comptes. Même si cette loi était respectée, elle ne garantirait pas la fluidité de circulation, les places de stationnement resteraient insuffisantes. Parfaitement au fait de cette carence, les représentants de l'État font parfois preuve d'une complaisance coupable face aux installations illégales dont les maires demandent avec raison le démantèlement.

Il est urgent de faire respecter la loi, dans toutes ses dispositions, faute de quoi la situation se dégradera encore. Les communes en règle ne comprennent pas pourquoi elles ne peuvent obtenir le concours du préfet en cas d'occupation illicite de terrains.

La loi Besson du 5 juillet 2000 définit les gens du voyage comme les personnes dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles. Elle a mis en place un dispositif ambitieux destiné à régler les difficultés et répartir équitablement les efforts sur le territoire national. Treize ans plus tard, les aires d'accueil, plus particulièrement celles destinées aux grands passages, sont trop rares, ce qui engendre en chaîne des occupations illicites de terrains, des tensions avec les populations locales et le désarroi de nombreux maires.

La loi Besson confie aux communes la responsabilité de créer des aires d'accueil, attribue à celles qui la respectent des moyens renforcés pour lutter contre les stationnements illicites et investit l'État comme garant de cet équilibre, y compris par une contribution financière à la réalisation des emplacements.

Elle prévoit l'élaboration d'un schéma départemental, révisé tous les six ans. Les communes de plus de 5 000 habitants doivent aménager une aire. Mais le schéma peut en identifier d'autres, soit parce qu'il apparaît nécessaire d'installer des emplacements dans une zone peu urbanisée, soit parce que, par un accord intercommunal, la réalisation d'une aire prévue sur le territoire d'une commune de plus de 5 000 habitants est transférée sur celui d'une autre commune.

Les communes inscrites au schéma peuvent exercer elles-mêmes cette compétence, la transférer à l'intercommunalité dont elles sont membres (le transfert est de plein droit pour les communautés urbaines et les métropoles), ou la mettre en oeuvre dans le cadre de conventions intercommunales fixant les contributions financières.

Le schéma départemental, élaboré par le préfet et le président du conseil général, doit être approuvé conjointement dans les dix-huit mois de la publication de la loi du 5 juillet 2000 après avis des conseils municipaux concernés et de la commission consultative départementale des gens du voyage. Passé ce délai, l'approbation relève du seul préfet.

Les communes disposaient d'un délai initial de deux ans pour réaliser les aires d'accueil, délai prorogé de deux ans pour les communes ou EPCI ayant manifesté la volonté de se conformer à leurs obligations, puis, pour les mêmes collectivités, d'un délai supplémentaire, jusqu'au 31 décembre 2008.

Le bilan est globalement décevant. Les schémas ne sont que partiellement mis en oeuvre, avec de fortes disparités. Les Côtes-d'Armor sont le département le mieux doté en proportion ; ce sont les Alpes-Maritimes qui font le moins bien. Le Nord, qui a une obligation trois fois plus importante que d'autres, se situe néanmoins dans la moyenne nationale. Au 31 décembre 2010, seuls 52 % des places prévues en aires d'accueil (21 540 places réparties sur 919 aires) et 29,4 % des aires de grand passage (103 aires) avaient été réalisés.

L'État contribue aux investissements nécessaires à l'aménagement
- avec un plafond de 15 245 euros par place - et à la réhabilitation des aires d'accueil, dans la proportion de 70 % des dépenses engagées dans les délais légaux. Il peut se substituer aux communes ou aux EPCI défaillants après mise en demeure du préfet demeurée infructueuse, acquérir les terrains, réaliser les travaux et gérer les aires pour le compte de la collectivité défaillante. Mais cette procédure n'a jamais été mise en oeuvre.

En contrepartie, lorsque les obligations ont été respectées, le maire peut interdire le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d'accueil aménagées. La loi de 2000 organise une procédure encadrée d'évacuation administrative mise en oeuvre par le préfet à la demande du maire, du propriétaire du terrain ou du titulaire du droit d'usage, en cas d'atteinte à l'ordre public. Le préfet met en demeure les occupants de quitter les lieux et fixe un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures. Dans ce délai, le mis en demeure, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage peut saisir le tribunal administratif à fin d'annulation de l'arrêté préfectoral. Ce recours est suspensif. Le juge statue dans les 72 heures de sa saisine. Si l'occupation se poursuit sans que le tribunal soit saisi, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles. Le dispositif peut être mis en oeuvre par le préfet dans les communes non inscrites au schéma départemental.

La proposition de loi de Pierre Hérisson vise à renforcer les moyens de lutte contre le stationnement illicite des gens du voyage. L'article 1 er double les peines prévues pour réprimer l'installation en réunion sur un terrain appartenant soit à une commune qui a respecté ses obligations, soit à un propriétaire qui n'a pas donné son autorisation. Ce délit est aujourd'hui sanctionné de six mois d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 euros.

Les articles 2 à 5 assouplissent les motifs fondant la mise en demeure et réduisent les délais de recours : la procédure pourrait être déclenchée en l'absence d'atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ; le délai d'exécution de la mise en demeure serait de 24 heures au plus, ramené à six heures en cas de récidive. En cas de recours, le délai fixé au juge pour statuer serait abaissé de 72 à 48 heures.

Les deux derniers articles visent à mieux organiser les déplacements de grande ampleur. L'article 6 confie à l'État la responsabilité du bon ordre des grands passages et des grands rassemblements occasionnels ou traditionnels des gens de voyage. L'article 7 prévoit la signature d'une convention destinée à préciser les conditions d'occupation du terrain entre les représentants des gens du voyage et le maire concerné trois mois avant l'arrivée des caravanes. Dans sa rédaction actuelle, cependant, l'article vise tous les mouvements, quelle que soit leur taille... J'exposerai lors de la discussion des amendements les réserves que m'inspirent un certain nombre d'articles.

M. Jean-Pierre Michel . - Cette proposition de loi s'attaque à un problème difficile et médiatisé au mauvais sens du terme. Elle ne concerne pas les Roms : cela va mieux en le disant.

Les gens du voyage, il faut le préciser, sont des citoyens qui circulent sur le territoire et se rassemblent pour des cérémonies religieuses...

M. André Reichardt . - Pas seulement !

M. Jean-Pierre Michel . - La proposition de loi est incomplète car elle n'abroge pas les dispositions subsistantes de la loi du 3 janvier 1969. Ce qu'il reste de ce livret, hérité du Moyen-Âge, mérite d'être supprimé.

Elle apparaît peu utile : à quoi sert d'aggraver des peines qui ne sont pas prononcées ? Elle semble hasardeuse d'un point de vue constitutionnel : la mise en oeuvre d'expulsions en l'absence d'atteinte à l'ordre public et la réduction à 24 heures du délai d'exécution pourraient être censurées. La proposition de loi est en partie inapplicable : comment obliger les tribunaux administratifs à statuer dans un délai de 48 heures, en l'état des effectifs de ces juridictions ? Enfin, ce texte est en contradiction avec l'esprit de la loi Besson, qui visait fort heureusement à rapprocher le statut des gens du voyage du droit commun.

La proposition de loi est au demeurant très éloignée des conclusions du rapport remis par Pierre Hérisson lui-même au Premier ministre en juillet 2011. Soit notre collègue n'a pas de suite dans les idées, soit la proposition ne traduit pas ses idées et répond plutôt à des préoccupations électoralistes !

Le député M. Dominique Raimbourg déposera très bientôt une proposition de loi plus proche des 26 propositions du rapport Hérisson. Nous examinerons les amendements à la proposition de loi Hérisson, et nous les voterons s'ils vont dans le sens du rapprochement avec le texte de Dominique Raimbourg. Nous voterons contre la proposition de loi Hérisson en l'état.

M. Jacques Mézard . - On peut s'interroger sur l'opportunité de ce texte à quelques semaines des élections municipales, mais n'omettons pas de réfléchir à ce qui se passe sur le terrain - et qui n'a pas grand-chose à voir avec la vision angéliste de certains.

M. André Reichardt . - Tout à fait !

M. Jacques Mézard . - En ma qualité de cumulard de mandats, je connais bien la réalité locale d'aujourd'hui : quand les communes dépensent des sommes considérables pour aménager des aires et que les gens du voyage ne changent rien à leurs habitudes, nos concitoyens finissent par avoir des réactions de rejet à l'encontre des grands principes que nous défendons ici. Les communes qui méconnaissent la loi ne sont pas inquiétées. A Paris, fin 2010, il n'existe aucune place, l'ensemble du département des Hauts-de-Seine en compte 26, le département de Seine-Saint-Denis 70, alors que le schéma départemental en prévoit 600...

La loi de la République doit être respectée par tous, communes et gens du voyage. Quand ceux-ci s'installent n'importe où sauf sur l'aire aménagée à cet effet, et que le représentant de l'Etat ne bouge pas, que faire ? Le personnel communal est souvent injurié, parfois agressé, dans l'indifférence des pouvoirs publics. Je respecte les gens du voyage. Et tout le monde doit respecter la loi de la République. Sans envoyer un message négatif aux gens du voyage, il convient de le leur en faire prendre conscience. Vos amendements, Monsieur le rapporteur, n'y concourent pas car ils sont déconnectés des réalités.

M. Yves Détraigne . - Je rejoins ce qui vient d'être dit. Dans mon département, la Marne, la venue des gens du voyage pour les vendanges ne pose aucune difficulté. En revanche, autour de Reims, les trois aires d'accueil réalisées à grand frais ont été délibérément détruites dans les trois mois qui ont suivi leur mise en service. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que la population s'exaspère contre les gens du voyage. Le respect de la loi s'impose à eux comme aux communes.

Mme Esther Benbassa . - Je remercie notre collègue pour son rapport. J'ai suivi les auditions qu'il a menées. Elles ont mis en lumière une situation plus complexe que le résumé qu'en a fait M. Mézard - il n'est pas le seul, soit dit en passant, à savoir ce qui se passe sur le terrain.

Je signale que j'ai déposé une proposition de loi il y a deux ans visant à supprimer le livret de circulation.

Le titre de la proposition de loi est discriminatoire et stigmatisant. Tous les gens du voyage ne sont pas nomades, 73% d'entre eux sont installés et circulent uniquement pour rejoindre les grandes célébrations et les marchés d'été.

M. Jean-Jacques Hyest . - Vous confondez avec les forains !

Mme Esther Benbassa . - Nous avons entendu les associations de forains ; parmi eux il y avait des gens du voyage. Vous le voyez, la question est compliquée ! Ne faut-il pas sanctionner les maires qui n'appliquent pas la loi ? Que faire lorsque les aires d'accueil sont occupées par d'autres que par des gens du voyage ?

Les associations se plaignent aussi de ce que les aires destinées aux grands passages ne sont pas praticables, notamment en hiver lorsque les terrains sont boueux. Il ne faut pas tomber dans le volontarisme électoral et voter la loi pour de mauvaises raisons ; mais chercher à régler réellement les problèmes. Les gens du voyage sont encore considérés comme des citoyens de seconde zone. La loi Besson doit être appliquée par les élus.

M. Antoine Lefèvre . - M. Mézard a dit beaucoup de ce que je comptais dire. La proximité des échéances électorales ne doit pas interdire le débat. Au Congrès des maires, une véritable inquiétude s'est exprimée sur le sujet. La plupart des élus essayent en conscience de gérer la situation et d'appliquer la loi. Ma communauté de communes a consenti une dépense importante, 800 000 euros. Or, comme chez M. Détraigne, l'aire d'accueil a été très rapidement vandalisée. Nous ne pouvons envisager sa reconstruction alors que nous n'avons pas fini de rembourser le coût des aménagements réalisés et que d'autres projets intéressent la population locale. Pendant les quelques mois où la commune s'est trouvée en conformité avec la loi, des terrains ont été occupés de manière illégale sans que nous pussions obtenir des mesures préfectorales ou judiciaires d'expulsion.

Il ne peut y avoir deux poids, deux mesures. Les gens du voyage sont des citoyens à part entière, ils ont des droits mais doivent respecter la loi. La pose du moindre velux sans autorisation dans un périmètre classé du centre-ville vaut au propriétaire, immanquablement, une convocation au commissariat tandis que la construction illicite d'un F5 ne donne pas lieu à la moindre poursuite... Cela est inacceptable. Il nous faut renforcer nos moyens de défense contre les occupations illégales.

Parmi les gens du voyage, certains sont en voie de sédentarisation et nous accompagnons comme nous le pouvons ce processus.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Chacun a toute légitimité pour s'exprimer au sein de cette commission. Nous connaissons tous la réalité du terrain. J'habite à 175 mètres d'une aire d'accueil depuis trente ans, je constate que beaucoup dépend de la compétence du directeur du terrain : une gestion de qualité peut faire la différence.

Je salue le travail de notre rapporteur. Le sujet est plus facile à exhiber qu'à traiter. Le choix d'une démarche pragmatique, visant à améliorer le texte par les amendements est le bon. Nous verrons bien si nous y parvenons.

Mon département accueille chaque printemps un rassemblement de gens du voyage de 10 000 caravanes. Le ministre de l'intérieur avait pris l'engagement de trouver un autre lieu de rassemblement cette année... L'engagement n'a pas été tenu, car on n'a pas trouvé de terrain adéquat. La puissance régalienne de l'État doit s'exercer pour que les terrains de grand passage soient aménagés.

Pierre Hérisson et moi sommes allés sur place. Nous avons été accueillis par 4 000 personnes chantant la Marseillaise, au son des accords du fils de Django Reinhardt. J'ai prononcé un discours, je n'ai jamais été autant applaudi... Il ne faut pas faire d'amalgames hâtifs. Cela vaut pour les gens du voyage comme pour les communes, dont certaines font leur travail, tandis que d'autres s'enorgueillissent de ne pas appliquer la loi.

Je trouverai normal qu'on alourdisse les sanctions en cas d'occupations illégales mais comment faire lorsque la commune refuse d'aménager une aire d'accueil ?

M. Jean-Jacques Hyest . - Oui, nous en sommes là aujourd'hui, c'est à cela qu'il faut réfléchir.

M. Simon Sutour . - Nous siégeons ici pour relayer la parole de nos administrés. Or, pour eux, la situation des gens du voyage constitue un sujet de préoccupation. La proposition de loi a le mérite d'aborder la question mais elle n'apporte pas de réponse satisfaisante aux problèmes posés. A quelques mois des élections, le texte n'est pas exempt d'arrière-pensées électoralistes. Le sujet vaut mieux que ces considérations politiciennes. Je regrette qu'il ne puisse être abordé de manière non partisane car, sur le terrain - que je connais sans cumuler les mandats - les difficultés s'aggravent.

Les départements du Sud, comme le mien, sont en première ligne. Il fait beau, tout le monde veut venir. Cet été, des gens du voyage ont occupé les stades des communes d'Aimargues et Marguerittes. Les maires s'y sont rendus, l'un des deux n'a dû son salut qu'à l'intervention des gendarmes, l'autre, plus prudent, a battu en retraite. Les poursuites judiciaires sont inopérantes car les préfets ne veulent jamais accorder le concours de la force publique pour procéder aux évacuations. Les occupants finissent toujours par partir mais après quels dégâts !

Il faut réaliser un travail de fond, sanctionner les communes défaillantes et faire accepter les aires d'accueil par les gens du voyage. Nous devons dialoguer mais sans faiblesse : les menaces contre les élus sont inacceptables ! Finalement, je rejoins largement les propos de M. Mézard.

M. Christian Favier . - Le texte ne règle rien. Il va stigmatiser davantage une population qui ne l'est déjà que trop. Il est empreint d'électoralisme et inapplicable en l'état : comment exécutera-t-on les peines de prison prévues ? Les établissements pénitentiaires sont déjà surpeuplés !

Nous payons les conséquences de l'inapplication de la loi Besson. Dans mon département de petite couronne, deux communes sur 47 sont en conformité avec les dispositions légales... Il est vrai qu'en Ile-de-France, la pénurie de terrains libres complique les choses. Au moment où l'on envisage la mobilisation du foncier de l'État, le temps est venu de faire l'inventaire des besoins. Les schémas départementaux apparaissent inadaptés à la demande. Il fait moins beau dans le Val-de-Marne que chez M. Sutour, mais les établissements hospitaliers y sont nombreux : les gens du voyage viennent chez nous pour les soins. Aujourd'hui tout cela se fait dans de mauvaises conditions ; or ce n'est pas cette proposition de loi qui résoudra le problème.

M. Hugues Portelli . - Je vais vous raconter deux versions de la même histoire. Après de longues discussions avec les associations concernées, j'ai construit une aire d'accueil dans la commune dont je suis maire. Elle n'a jamais été vandalisée ; les enfants des gens du voyage sont scolarisés. C'est la version officielle.

Passons à la version officieuse. J'ai passé un accord avec le chef de la communauté des gens du voyage installée sur ma commune, un pasteur évangéliste digne de La Diligence , un album de Lucky Luke. C'est que je ne peux compter ni sur le préfet, ni sur les gendarmes, ni sur les juges. Le chef empêche toute intrusion dans la commune de personnes qu'il n'a pas choisies ; il agit de fait comme un délégataire d'une mission de service public.

J'ai eu cette opportunité mais elle n'est pas ouverte à tous les élus. Dans une commune voisine, le maire est menacé de mort car il a demandé l'expulsion des gens du voyage. Il ne se présentera plus aux municipales et, à ce jour, il n'y a aucun candidat déclaré à sa succession.

M. André Reichardt . - Je n'ajouterai pas de nouvelle anecdote, même si nous avons tous une histoire à raconter. Il faut distinguer entre les grands rassemblements et les petites communautés de 15 à 20 caravanes qui sillonnent les routes du département à longueur de temps sans jamais utiliser les aires d'accueil, suscitant une exaspération justifiée dans les communes.

La proposition de loi est imparfaite mais elle a le mérite d'exister et de faire naître la discussion. Il nous appartient de la mener, non de chercher à l'éviter au motif fallacieux de la proximité des élections. Ne venons-nous pas de débattre des modes de scrutin ? Nous devons dégager un consensus afin d'améliorer la situation et réformer ce qui ne fonctionne pas.

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Je suis presque d'accord avec chacun des orateurs ! N'éludons pas l'examen de la proposition de loi car la situation actuelle constitue une atteinte à la République. Nous pouvons améliorer le texte : tel est l'objet de mes amendements.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Articles additionnels avant l'article 1 er

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Les amendements identiques n os 8 et 1 visent à abroger la loi du 3 janvier 1969 qui fixe un statut discriminatoire pour les gens du voyage.

M. Jean-Pierre Michel . - Supprimons ce genre de catégories, nous n'en voulons plus. Notre société excessivement normée n'accepte pas que les gens se déplacent, s'installent ici puis là : c'est regrettable.

M. Jean-Jacques Hyest . - Le problème est celui de l'exercice du droit de vote qu'entraîne la domiciliation, notamment pour les élections locales. En effet, les gens du voyage ont leur domicile dans une commune sans vraiment y habiter. Imaginez un village où 150 de ces personnes viendraient à être inscrites sur les listes électorales. Elles feraient la loi dans la commune, elles bouleverseraient tout ! Bref, attention aux effets de la domiciliation.

M. René Vandierendonck . - Nous sommes favorables à une égalité parfaite devant la loi. La loi Besson, qui représente un progrès incontestable, doit cependant être amendée sur un point : il faut prendre en compte la charge sociale qui pèse sur certaines communes. Sur dix ou vingt ans, ce sont systématiquement les mêmes qui ont accueilli les Roms ou les gens du voyage, toutes ces populations que je n'amalgame pas, mais dont je constate que géographiquement, elles viennent renforcer les inégalités sociales que la politique de la ville a échoué à enrayer.

L'exercice de leurs droits pose problème à cause de l'inégalité de leur répartition. Si les préfets intervenaient pour répartir les inscriptions, nous pourrions éviter des phénomènes comme celui décrit par M. Hyest, dont la possibilité ne peut être exclue.

Les amendements identiques n os 8 et 1 ne sont pas adoptés.

L'amendement de conséquence n° 9 devient sans objet.

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - L'amendement n° 10 vise à prévoir une obligation annuelle d'inventaire des aires d'accueil à la charge des communes et la constitution d'un fonds départemental destiné à financer les aires.

M. Jean-Jacques Hyest . - L'inventaire consistera à vérifier ce qui a été réalisé par rapport au schéma départemental, je suppose ? On va pénaliser les communes qui appliquent la loi ! En Ile-de-France, le taux de réalisation des places en aires d'accueil est de 56 % en Seine-et-Marne quand pour d'autres il est de 12% seulement ou même de 0 %. Pourquoi alimenter un fonds en infligeant une amende pour absence d'inventaire ? Pénalisez plutôt les communes pour le défaut d'aménagements !

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Le mécanisme proposé ne vise que les communes qui ne respectent pas leurs engagements. Il y a d'autres voies pour arriver au même résultat, je sais que Dominique Raimbourg proposera des dispositions. Cependant je maintiens cet amendement, car le devoir de substitution de l'État n'est jamais mis en oeuvre et il est temps de prévoir des dispositions adéquates. Le Cantal a un taux de réalisation de 88 % quand d'autres n'atteignent pas 10 % !

M. Jean-Pierre Michel . - Nous nous abstenons dans l'attente de la proposition de loi Raimbourg.

L'amendement n° 10 n'est pas adopté.

Article 1 er

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - L'amendement n° 4 vise à supprimer l'article 1 er , car les sanctions pénales dont il augmente le quantum sont aujourd'hui très peu utilisées. En fait, ces sanctions sont conçues pour avoir une valeur dissuasive et inciter les gens du voyage à évacuer les campements illicites.

M. Jean-Jacques Hyest . - Si l'on suivait l'argumentation de notre rapporteur, on supprimerait 80 % des sanctions du code pénal et peut-être plus encore !

M. Yves Détraigne . - Comme notre rapporteur, je préfère une loi appliquée à une loi plus sévère mais restant lettre morte. Il faudrait sensibiliser le ministère de l'Intérieur pour que les préfets fassent appliquer la loi.

M. Philippe Bas . - Il y a deux débats, celui du quantum de la peine et celui de l'application de la sanction pénale. Il est tout à fait possible de relever le quantum, en estimant que l'infraction mérite une sanction plus sévère, et de réfléchir aux raisons d'une utilisation si rare de ces sanctions. Je rappelle que le juge peut toujours prononcer une peine inférieure.

M. Jean-René Lecerf . - Il me semble que ces dispositions sont utiles, même si elles restent inappliquées. Sans assimiler les gens du voyage à des délinquants, je veux prendre l'exemple des établissements pénitentiaires. La loi prévoit un encellulement individuel. Nous savions, en la votant, qu'un moratoire était inévitable, mais au moins nous donnions mauvaise conscience à l'administration pénitentiaire ! De même pour la domiciliation des détenus : l'administration était réticente à l'exercice du droit de vote, et les communes concernées aussi, car la population carcérale dépasse parfois en nombre la population extérieure... Néanmoins voter des dispositions en ce sens oblige à chercher des solutions pour assurer l'exercice effectif de ce droit. Je pourrais citer encore le cas de cette petite commune de l'Indre où l'évêque est intervenu pour freiner l'exercice du droit de vote des moines, nombreux par rapport à la population du village.

Mme Catherine Tasca . - Cet amendement est à mes yeux pleinement justifié. Je suis contre le principe selon lequel toute pénalisation non appliquée devrait être abolie. Ce qui est beaucoup plus important, c'est de se donner les moyens administratifs concrets de faire appliquer les dispositions existantes. C'est un vice de notre système que de surlégiférer sans appliquer les textes existants. À quoi sert d'empiler les textes en sachant d'entrée de jeu qu'ils ne seront pas appliqués ?

M. René Vandierendonck . - Renforcer les pouvoirs de préemption du préfet, prévoir qu'en cas d'inexécution des poursuites, la collectivité puisse engager la responsabilité de l'État en dehors du cas de la faute lourde : cela inciterait l'Etat à agir.

Mme Catherine Troendlé . - Exactement.

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - L'amendement ne vise pas à supprimer les dispositions actuelles. Les durcir en revanche, comme le fait l'article, ne sert à rien. Une contravention immédiate de 100 euros est plus efficace pour faire partir les gens du voyage qu'une menace de sanction très lourde qui ne sera jamais prononcée.

L'amendement n° 4 est adopté. L'article 1 er est en conséquence supprimé.

Article 2

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Je souhaite que l'on conserve le critère de la menace à l'ordre public mais je vous propose une alternative : autoriser la mise en demeure si le représentant de l'État propose aux mis en demeure des emplacements disponibles dans une aire d'accueil située dans les 30 kilomètres autour du lieu occupé illicitement.

L'amendement n° 2 est adopté.

Article 3

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - L'article 3 tel qu'il est rédigé empêche tout recours : le Conseil constitutionnel ne sera pas d'accord ! Le délai est bien court, en outre, pour organiser l'évacuation. La négociation est parfois plus efficace que la force. L'amendement n° 5 vise à borner à 48 heures le délai imparti aux occupants pour déposer un recours. Si des difficultés allongent le délai avant l'évacuation forcée, il n'est pas légitime que les occupants aient alors plus de temps pour faire un recours.

M. Jean-Pierre Vial . - Je m'interroge sur la nécessité de modifier le délai. De facto , rien ne se passera avant 48 heures, car une procédure d'évacuation implique la saisine du tribunal, qui avertit ensuite la préfecture. La rapidité de la mise en oeuvre est essentielle. Ceux qui veulent rester savent exploiter toutes les voies de recours. Mais la procédure actuelle fonctionne bien, n'allons pas la bloquer par ces délais supplémentaires de latence.

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Aujourd'hui, le préfet doit respecter un délai de 24 heures pour procéder à une évacuation. L'amendement ne vise pas à modifier cela. Mais, aujourd'hui, si le préfet estime qu'une semaine est nécessaire pour procéder à l'évacuation, les occupants gagnent une semaine de plus pour former un recours. L'amendement vise à limiter cette faculté à 48 heures. Reste un sujet que la proposition de loi n'aborde pas : le délai dans lequel le préfet répond à la commune. Rien ne nous interdit d'en discuter et de présenter des amendements en séance publique.

M. Alain Richard . - Comme l'a souligné le rapporteur, le vrai risque porte sur les délais nécessaires, à la juridiction pour se prononcer sur l'expulsion, au préfet pour rassembler les effectifs de police - ce qui est, dans la pratique, le plus difficile.

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Je rectifie l'amendement : au lieu de « sont remplacés par les mots... », il faut lire « sont insérés les mots : « dans la limite de 48 heures à compter de sa notification» ».

L'amendement n° 5 rectifié est adopté.

Article 4

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - L'amendement n° 3 vise à supprimer l'article 4, car il ne précise pas si la récidive doit être immédiate, pour justifier un délai de mise en demeure réduit. De plus, l'anonymat de la mise en demeure rend difficile l'établissement de la récidive.

M. Alain Richard . - Lorsque les forces de l'ordre interviennent pour une évacuation, elles commencent par relever les identités des occupants et les plaques numérologiques de leurs véhicules. Les récidivistes peuvent être identifiés sans hésitation ! Il est donc utile de conserver cette disposition. Sa suppression entraînerait une dépense d'énergie supplémentaire pour lutter contre ces groupes organisés, bien conseillés, au savoir-faire industriel, qui se déplacent d'une parcelle à la parcelle voisine, et ainsi de suite par sauts de puce successifs, de sorte que toutes les procédures sont sans cesse à refaire.

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - Soit. L'article cependant est rédigé de façon hasardeuse ; il faudra y apporter des corrections en séance publique.

L'amendement n° 3 est retiré.

Article 6

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - L'amendement n° 6 précise la rédaction de l'article en attribuant à l'État la charge du bon ordre des grands passages et des grands rassemblements des gens du voyage.

M. Jacques Mézard . - L'intention est bonne, mais les modalités d'application difficiles. Chaque aire de grand passage a son règlement intérieur. Est-ce à l'État d'intervenir pour faire respecter ce règlement ?

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - L'amendement ne vise pas le règlement des aires, mais l'organisation du stationnement.

M. Jacques Mézard . - Je ne vois pas comment l'État peut interférer dans les règles applicables sur chaque aire.

M. Alain Richard . - Lorsqu'une aire de passage existe déjà, si un groupe n'en respecte pas l'organisation, la responsabilité sera assumée directement par le représentant de l'État, sans que le maire doive le saisir.

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - L'État a déjà une responsabilité, que nous élargissons.

L'amendement n° 6 est adopté.

Article 7

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur . - L'amendement n° 7 précise la procédure d'information préalable pour les grands passages. La rédaction de l'article est en effet trop générale, elle ne mentionne pas le nombre de caravanes au-delà duquel le mouvement doit être notifié trois mois à l'avance.

L'amendement n° 7 est adopté.

L'amendement n° 11 est retiré.

M. Jean-Pierre Michel . - Notre amendement n° 1 n'ayant pas été adopté, nous nous abstiendrons sur l'ensemble.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article(s) additionnel(s) avant Article 1 er

M. LECONTE, rapporteur

10

Institution de dispositions incitatives
pour la réalisation des aires d'accueil

Rejeté

M. LECONTE, rapporteur

8

Abrogation de la loi du 3 janvier 1969

Rejeté

M. J.P. MICHEL

1

Abrogation de la loi du 3 janvier 1969

Rejeté

M. LECONTE, rapporteur

9

Domiciliation des gens du voyage par élection
de domicile

Tombe

Article 1 er
Doublement des peines de l'installation illicite en réunion
sur un terrain appartenant à autrui

M. LECONTE, rapporteur

4

Suppression de l'article

Adopté

Article 2
Suppression des motifs d'ordre public fondant la mise en demeure de quitter les lieux

M. LECONTE, rapporteur

2

Mise en demeure assortie d'une proposition d'emplacements disponibles

Adopté

Article 3
Abaissement du délai minimum d'exécution de la mise en demeure

M. LECONTE, rapporteur

5

Fixation à 48 heures au plus du délai de recours

Adopté avec modification

Article 4
Réduction du délai d'exécution de la mise en demeure en cas de récidive

M. LECONTE, rapporteur

3

Suppression de l'article

Retiré

Article 5
Réduction du délai ouvert au juge des référés

Article 6
Élargissement de la responsabilité de l'Etat en matière de bon ordre

M. LECONTE, rapporteur

6

Attribution à l'État de la charge du bon ordre
des grands passages et des grands rassemblements

Adopté

Article 7
Convention d'organisation des grands passages

M. LECONTE, rapporteur

7

Procédure d'information préalable
des grands passages

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

M. LECONTE, rapporteur

11

Modification de l'intitulé

Retiré

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