EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 17 avril 2014, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. François Marc et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de loi n° 415 (2013-2014) de M. Jacques Mézard et des membres du groupe RDSE, tendant à rééquilibrer les règles relatives à la perception de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité au bénéfice des communes.

M. François Marc , rapporteur. - Le second point de notre ordre du jour concerne un sujet sur lequel nous nous étions déjà penchés à l'automne dernier, lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2013 : la taxe communale sur la consommation finale d'électricité (TCCFE).

La proposition de loi de Jacques Mézard revient sur cet épisode en nous proposant, pour l'essentiel, de défaire le dispositif adopté en loi de finances rectificative (LFR) pour 2013.

La TCCFE représente une recette importante pour les communes, qui s'est élevée en 2013 à près de 1,4 milliard d'euros. Actuellement, cette taxe est perçue par les communes, mais les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), les syndicats intercommunaux ou les départements peuvent s'y substituer, s'ils exercent la compétence d'autorité organisatrice de la distribution d'électricité (AODE). Pour les communes de moins de 2 000 habitants, la perception par l'organisme de coopération ou le département est de droit ; pour les autres communes, la perception par l'organisme de coopération ou le département est soumise à une délibération concordante des instances concernées. En pratique, de nombreuses communes de plus de 2 000 habitants, bien qu'ayant transféré la compétence d'AODE, conservent le produit de la TCCFE.

L'article 45 de la LFR pour 2013 a modifié ces règles et prévoit le transfert automatique, au 1 er janvier 2015, de la perception de la TCCFE à l'EPCI, au syndicat ou au département ayant la compétence d'AODE, quelle que soit la population de la commune considérée.

L'AODE pourra reverser aux communes jusqu'à 50 % du produit de la TCCFE perçue sur leur territoire, en cas de délibérations concordantes des instances concernées. Ce dernier dispositif implique une autre perte de recettes pour certaines communes, dans la mesure où, actuellement, les possibilités de reversement ne sont pas plafonnées.

La perte de recettes pour les communes est significative. Elle est toutefois difficile à chiffrer. Anne Marie Escoffier, alors ministre déléguée chargée de la décentralisation, avait estimé que la perte de recettes s'élevait à 750 millions d'euros environ. Ce chiffre a depuis été très largement repris dans le débat, notamment par les associations d'élus, mais il est vraisemblablement surévalué.

En effet, ces 750 millions d'euros représentent l'ensemble de la TCCFE perçue par les communes de plus de 2 000 habitants, mais parmi ces villes, environ 500, dont Paris et la plupart des grandes villes, ont conservé la compétence d'AODE et ne seront donc pas concernées par ce transfert de recettes.

À partir d'une enquête interne menée auprès de ses adhérents, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) m'a indiqué que la TCCFE perçue par ces communes s'élevait à environ 500 millions d'euros. Il faudrait donc en déduire que le transfert de produit de TCCFE serait de l'ordre de 250 millions d'euros.

À cette perte de recettes s'ajoute celle résultant du plafonnement du reversement des syndicats à leurs communes membres. En se basant à nouveau sur les chiffres de la FNCCR, on peut estimer cette perte de recettes à au moins 75 millions d'euros supplémentaires.

Je considère donc que le montant du transfert résultant de la LFR serait plus proche de 300 ou 350 millions d'euros que des 750 millions avancés par le Gouvernement. Si ces chiffres sont beaucoup moins élevés que ce qui avait pu être craint, le transfert de recettes n'en demeure pas moins significatif.

Le dispositif adopté en LFR 2013 pourrait également avoir deux effets indirects sur une redevance versée par Electricité Réseau Distribution France (ERDF) aux autorités organisatrices de la distribution d'électricité, d'une part, et sur la pression fiscale, d'autre part.

Concrètement, l'augmentation du produit de TCCFE perçu par les AODE pourrait diminuer la « redevance d'investissement » reversée par ERDF, dont le montant tient compte du produit de la taxe perçu par l'autorité concédante. Toutefois, ce point n'est pas de nature législative, puisqu'il relève des relations conventionnelles entre ERDF et les autorités concédantes, et n'aurait en tout état de cause de conséquences sur cette redevance qu'à compter de 2017, car elle est calculée à partir des données de la pénultième année.

Par ailleurs, le transfert de la perception de la TCCFE à l'AODE implique que le « coefficient multiplicateur », c'est-à-dire en quelque sorte son taux, soit fixé par cette dernière et donc harmonisé sur son territoire. Or, il semblerait que les villes de plus de 2 000 habitants aient, en moyenne, un coefficient multiplicateur inférieur à celui des AODE. L'harmonisation pourrait donc se traduire par une hausse de la pression fiscale.

Lors de l'examen du PLFR pour 2013, nous avions adopté un amendement supprimant le transfert automatique de la TCCFE, qui se justifiait par trois raisons principales.

Tout d'abord, nous étions opposés à la perte de recettes pour les communes, dans un contexte financier contraint et sans qu'une amélioration sensible de la performance de l'action publique puisse être attendue de manière certaine. Par ailleurs, nous avions regretté qu'aucune concertation n'ait été menée sur ce sujet. Enfin, nous avions émis des doutes quant à la pertinence de ce transfert : la TCCFE n'est pas une taxe affectée à l'exercice d'une compétence, mais une ressource fiscale des communes, qui vient alimenter leur budget ; il n'y a donc pas de raison de lier sa perception à l'exercice d'une compétence.

De plus, je m'interroge sur la nécessité d'accroître de façon aussi importante les ressources des AODE alors que la répartition des compétences en matière de transition énergétique n'est pas encore déterminée.

L'amendement de notre commission avait été adopté par le Sénat, mais le rejet de l'ensemble du projet de loi de finances rectificative avait rendu vaine cette initiative. Lors de l'examen du texte en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, nos collègues députés n'avaient en effet pas jugé utile de la reprendre à leur compte.

Pourtant, quelques semaines seulement après l'adoption définitive de ce texte, une forte inquiétude a été exprimée par les maires, relayée par les associations d'élus et les parlementaires. Consciente de ces inquiétudes, Anne-Marie Escoffier a annoncé en février que le Gouvernement n'était pas opposé à une concertation et précisé qu'il fallait retravailler cette question.

Sur ce sujet de la répartition du produit de la TCCFE, nous avons d'un côté ceux qui voudraient, dans le prolongement de la LFR, aller plus loin dans la concentration de la ressource au niveau des AODE et ceux qui, à l'inverse, souhaiteraient profiter de ce texte pour revenir sur des situations existantes et redonner plus de choix aux communes, y compris celles de moins de 2 000 habitants.

Pour ma part, je vous propose un équilibre entre ces deux positions, qui consiste à s'en tenir à un retour à la situation antérieure à la LFR 2013, conformément à la volonté que nous avions exprimée en décembre dernier et qui est également celle des auteurs de la proposition de loi. C'est de cette position de principe que découleront l'amendement et les avis que je vous proposerai tout à l'heure sur les amendements qui ont été déposés.

La proposition de loi reprend pour l'essentiel l'amendement que nous avions adopté à l'automne en revenant sur l'automaticité du transfert, qui serait soumis à délibérations concordantes. Elle s'en distingue néanmoins sur quelques points, sur lesquels je vais me concentrer.

Tout d'abord, elle supprime le plafond du reversement de l'AODE à ses communes membres, limité par la LFR 2013 à 50 % du produit perçu sur le territoire de la commune. Dans la mesure où il s'agit d'une souplesse supplémentaire dans les relations entre les communes et l'AODE et qu'elle permet de ne pas remettre en cause des situations existantes, je ne vous propose pas de revenir sur ce point.

Par ailleurs, elle précise le calcul des frais de gestion prélevés par les fournisseurs d'électricité, afin de s'assurer qu'ils seront les plus faibles possibles. Cette précision ne me semble pas indispensable d'un point de vue juridique mais, dès lors qu'elle permet de lever toute ambiguïté, je vous propose de la conserver.

Enfin, la PPL revient sur le mécanisme de « cristallisation ». Les dispositions antérieures à la LFR 2013 prévoyaient que les communes de plus de 2 000 habitants ayant transféré la TCCFE avant le 31 décembre 2010 ne pouvaient plus revenir sur ce transfert. Il s'agit en quelque sorte d'un «  effet cliquet ».

Afin de ne pas remettre en cause les situations existantes et conformément au souhait des auteurs de la proposition de loi de « revenir à la situation antérieure », je vous propose de réintroduire ce mécanisme de « cristallisation » à la date du 31 décembre 2010. Tel est l'objet de l'amendement qui vous a été distribué.

M. Vincent Delahaye . - Je suis favorable au retour à la situation antérieure mais je me demande si cette proposition de loi a des chances d'aboutir ? Sera-t-elle reprise par l'Assemblée nationale ? Un amendement à la prochaine loi de finances rectificative ne serait-il pas préférable ?

M. Philippe Marini , président . - Monsieur le rapporteur, quel accueil les ministres réserveront-ils à cette proposition de loi ? Quel est votre pronostic sur son cheminement ?

M . François Marc , rapporteur . - Le Sénat a toute légitimité à se mettre en avant sur le sujet. Le Gouvernement envisage de revenir sur la disposition adoptée en décembre ; ce sera peut-être dans le prochain projet de loi de finances rectificative. La proposition de loi rappelle opportunément ce que le Sénat, dans sa sagesse, avait voté.

M. Philippe Marini , président . - Compte tenu de la baisse à venir des dotations aux collectivités territoriales, dont les communes, le Gouvernement serait bien inspiré de saisir la perche que nous lui tendons !

M. Philippe Dallier . - Je suis très favorable à ce texte mais je souhaiterais des précisions sur l'article 2 ; pourrait-il entraîner une perte de recettes pour des collectivités ?

M . François Marc , rapporteur . - Non, il s'agit que d'un gage formel pour assurer la recevabilité de la proposition de loi au regard de l'article 40.

M. Pierre Jarlier . - La disposition prise en loi de finances rectificative avait suscité l'émotion dans beaucoup de communes. Le lien qui existe entre le transfert des compétences et le transfert des moyens est problématique. On a transféré systématiquement aux syndicats d'électrification une taxe qui n'était pas affectée. Il y a là une perte de recettes pour les communes, qui continuent pourtant d'assurer les charges de fonctionnement en matière d'électrification. Certains syndicats ont des réserves importantes ; le transfert ne devrait donc pas être systématique. La nouvelle donne budgétaire dans les communes justifie une remise à plat, y compris pour les communes de moins de 2 000 habitants.

M. François Fortassin . - Le texte est, je crois, équilibré. Il faut prendre en compte les besoins des communes et le bon fonctionnement des syndicats départementaux.

M. Philippe Marini , président . - Je remercie François Fortassin qui a été l'un des initiateurs de cette proposition de loi.

M . François Marc , rapporteur . - Je me souviens que le groupe RDSE s'était fait l'écho, en séance, de ces préoccupations.

M. Jean-Claude Frécon . - En revenant à la situation antérieure, on conserve un régime différent pour les communes de plus de 2 000 habitants et de moins de 2 000 habitants. Or, comme Pierre Jarlier l'a souligné à juste titre, toutes ont les mêmes difficultés financières. Cette proposition de loi ne peut-elle être mise à profit pour aller plus loin ?

M. Philippe Adnot . - Ne risque-t-on pas de mettre en difficulté les syndicats ? Si demain les communes qui ont déjà reçu les financements du syndicat peuvent ne plus y cotiser, cela pose un problème pour l'équilibre financier de ce dernier.

M. Philippe Marini , président . - La proposition de loi revient à la situation antérieure, ce risque est donc écarté.

M . François Marc , rapporteur . - Je crois que Philippe Adnot répond aux arguments développés par notre collègue Pierre Jarlier : en allant plus loin, nous pourrions en effet provoquer des déséquilibres. Revenons simplement à la situation antérieure.

M. Philippe Marini , président . - Le retour au statu quo qui vous est proposé pour l'instant est la démarche la plus consensuelle. Il sera évidemment loisible de défendre en séance une vision plus extensive de cette proposition de loi et il appartiendra au Sénat de trancher les oppositions naturelles entre les élus de communes de plus ou moins de 2 000 habitants, les départementalistes qui souhaitent renforcer les structures syndicales au niveau départemental et les communalistes. Efforçons-nous pour l'instant de nous en tenir au consensus proposé.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1 er

M . François Marc , rapporteur . - L'article L. 5212-24 du code général des collectivités prévoyait que les communes de plus de 2 000 habitants qui avaient transféré la TCCFE au 31 décembre 2010 ne pouvaient plus revenir sur ce transfert. Cet « effet cliquet » serait supprimé par la présente proposition de loi. Je vous propose avec l'amendement n° 1 de réintroduire ce mécanisme de cristallisation, conformément au souhait des auteurs de la proposition de loi de « revenir à la situation antérieure ».

M. Philippe Marini , président . - C'est un retour au statu quo dans toutes ses dimensions, y compris ce mécanisme de cristallisation. On peut penser que les communes qui ont transféré avant le 31 décembre 2010 l'ont fait en toute connaissance de cause. Il en est résulté pour les syndicats des charges récurrentes de fonctionnement ou d'investissement à financer. Si la ressource disparaît, comment financeront-ils les charges ?

M . François Marc , rapporteur . - L'amendement n° 2 rectifié de Pierre Jarlier vise à supprimer l'automaticité du transfert de la TCFE pour les communes de moins de 2 000 habitants. Cela changerait la donne par rapport à la situation ex ante . Je suis défavorable à cet amendement. Les amendements n° 3 de Xavier Pintat et n° 5 de François Patriat vont dans le sens inverse : ils visent à reprendre les dispositions de la loi de finances rectificative, c'est-à-dire à rétablir le transfert automatique de la TCFE aux syndicats intercommunaux. Cela contredit l'objet même de la proposition de loi. Avis défavorable, comme à l'amendement n°4 de Xavier Pintat, qui complète le n° 3.

M. Philippe Marini , président . - On voit les familles d'esprit, ou en tout cas les intérêts défendus. Le n° 2 rectifié est d'inspiration communaliste, les suivants d'inspiration syndicaliste, et le rapporteur s'efforce de tenir le milieu.

M. Pierre Jarlier . - Je ne suis pas systématiquement communaliste, mais il faut adapter la ressource aux besoins, tout en revenant au système classique de fonctionnement des syndicats. Pourquoi ne pas se donner la possibilité de moduler chaque année le prélèvement sur la taxe en fonction des besoins réels du syndicat ? Certains syndicats sont dans une situation assez confortable.

Je veux bien retirer l'amendement, puisqu'il n'est pas tout à fait au point techniquement, mais il faudrait trouver une solution d'ici la discussion en séance pour que ces transferts ne soient pas systématiques. Il pourrait y avoir chaque année un vote des représentants des communes qui composent le syndicat pour déterminer les montants nécessaires de prélèvement sur la taxe.

M. François Fortassin . - On ne peut pas du tout comparer un syndicat départemental de l'énergie ou de l'électricité avec un syndicat d'eau ou d'assainissement.

L'amendement n° 1 est adopté.

L'amendement n° 2 rectifié est retiré.

Les amendements n° 3, 4 et 5 ne sont pas adoptés.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

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