III. EXAMEN DU RAPPORT (5 NOVEMBRE 2014)

Réunie le mercredi 5 novembre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen des principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances pour 2015, sur le rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général .

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - En présentant la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, je m'étais attardé sur l'analyse de la trajectoire de solde public à moyen et long termes, et notamment de sa composante structurelle, ainsi qu'aux prévisions macroéconomiques. Je m'intéresserai aujourd'hui plus particulièrement au déficit effectif, en le comparant à l'exécution des lois de finances pour 2013 et 2014.

Depuis le programme de stabilité d'avril 2014, le Gouvernement a revu ses hypothèses de croissance et d'inflation pour 2015, qui passent de 1,7 % et 1,5 % à 1 % et 0,9 %. À en croire le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et la Commission européenne, ces chiffres restent trop optimistes. Le premier juge « plausible » la prévision d'inflation, mais « optimiste » l'anticipation de progression du PIB ; la seconde, quant à elle, a annoncé qu'elle prévoyait, pour la France, une croissance de 0,7 %.

La croissance devant s'établir autour de 0,4 % en 2014, il faudrait, pour atteindre une progression de 1 % en 2015, que l'activité redémarre rapidement et durablement. À cet égard, le scénario du Gouvernement prévoit, tout d'abord, une hausse du commerce mondial de 5,1 % ; toutefois, la prévision de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) n'est que de 4 %. Les effets du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité et de solidarité pourraient être plus limités que prévu. Les incidences du CICE tant sur l'investissement des entreprises que sur l'emploi sont encore difficiles à déterminer à ce jour. Quant à la consommation, ni le taux d'épargne élevé, ni la situation du marché du travail ne laissent envisager une hausse rapide. Par ailleurs, l'indice synthétique de l'Insee sur le climat des affaires fait apparaître une dégradation au cours des derniers mois, qui ne laisse guère présager de rebond avant la fin de l'année, ni même l'an prochain. Même, les résultats d'une enquête menée par le cabinet de conseil Bain montre un net recul de l'attractivité de la France auprès des investisseurs américains.

En loi de finances initiale, un article liminaire présente l'évolution du solde structurel par rapport à la trajectoire prévue. En 2015, le solde structurel serait de - 2,2 % du PIB, pour un solde public effectif de - 4,3 % du PIB. La France affiche l'un des déficits les plus élevés de la zone euro ! La prévision de solde structurel pour 2015 comme la trajectoire de solde pour la période 2014-2019 sont déjà dépassées puisque le Gouvernement a annoncé, il y a quelques jours, un ajustement supplémentaire en 2015. Aucune des recommandations du Conseil de l'Union européenne, dans le cadre de la procédure de déficit excessif, n'a été respectée, d'où les récents échanges de lettres entre Paris et Bruxelles dans le cadre de la procédure instituée par le Two Pack . La première phase est passée, mais il faut, malgré tout, s'attendre à ce qu'un avis sévère soit rendu à la fin du mois de novembre par la Commission européenne. Pour l'heure, le Gouvernement s'est borné à annoncer, dans un courrier du 27 octobre à la Commission, un ajustement structurel supérieur à 0,5 point de PIB en 2015. En quoi consiste l'effort supplémentaire de 3,6 milliards d'euros envisagé ? Nos seules informations sont puisées dans les journaux. Je rappellerai à Michel Sapin, qui vient cet après-midi devant notre commission, que le Parlement devrait être informé et lui demanderai des évaluations chiffrées des mesures envisagées. Quoi qu'il en soit, la trajectoire 2014-2019 est déjà périmée.

La plus grosse partie du programme d'économies de 50 milliards d'euros pour la période 2015-2017 s'appliquera en 2015 ; sur un total de 21 milliards d'euros, l'État et ses agences réaliseraient un effort en économies de 7,7 milliards d'euros, les collectivités territoriales, de 3,7 milliards d'euros et les administrations de sécurité sociale, de 9,6 milliards d'euros.

L'évolution des recettes de l'État résulte de celle de trois grands ensembles : les recettes fiscales nettes, soit les recettes fiscales desquelles sont déduits les remboursements et dégrèvements, les dépenses fiscales et, enfin, les recettes non fiscales, comme les dividendes issus des participations de l'État. Pour 2014, d'après l'estimation révisée du projet de loi de finances pour 2015, les recettes fiscales nettes se seraient élevées à 273 milliards d'euros, soit 11 milliards d'euros de moins que prévu en loi de finances initiale. Cet écart est-il dû à un excès d'optimisme ? À une dégradation de la conjoncture ? Je crois qu'il résulte aussi des hausses d'impôts successives, qui ont fini par engendrer ce que Pierre Moscovici lui-même a appelé un « ras-le-bol fiscal ». Les hausses ne produisent plus le rendement attendu. Ainsi, s'agissant par exemple des cotisations sociales des particuliers employeurs, la suppression du système de forfait au décompte des heures réelles s'est traduite par une baisse de 8 % de leur produit dès le trimestre suivant.

Pour 2015, le Gouvernement escompte une progression de 5,6 milliards d'euros des recettes fiscales. D'où proviendrait-elle ? Certaines hausses d'impôts déjà votées entreront en vigueur. À l'inverse, la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu et la réforme de la décote coûteront 2,7 milliards d'euros ; de même, la hausse du coût des contentieux fiscaux est estimée à 800 millions d'euros. La plus grande part de l'augmentation des recettes fiscales est portée par l'évolution spontanée : or, la progression des recettes de 4,8 milliards d'euros grâce à la croissance me paraît des plus douteuses : si la croissance n'est que de 0,7 %, compte tenu de la forte élasticité prévue des recettes à la croissance, le manque à gagner en recettes serait de l'ordre de 4 milliards d'euros.

Le produit de tous les « grands » impôts devrait augmenter en 2015, à l'exception de celui de l'impôt sur les sociétés (IS) en raison de la montée en charge du crédit d'impôt compétitivité et emploi (CICE). Selon ce scenario optimiste, la TVA devrait rapporter 142,6 milliards d'euros, contre 137,8 milliards d'euros en 2014. Le produit de l'impôt sur le revenu (IR) augmenterait également malgré la suppression de la première tranche et la réforme de la décote. L'impôt sur le revenu a spectaculairement crû depuis 2011 : de 51,5 milliards d'euros à 69,5 milliards d'euros l'an prochain, soit une hausse de 35 % ! En aucun cas cette hausse n'accompagne celle de la richesse en France.

Cette évolution résulte de plusieurs mesures, parmi lesquelles : la fiscalisation des heures supplémentaires, la soumission des revenus du capital au barème progressif de l'impôt sur le revenu, les abaissements successifs du quotient familial et la suppression de dépenses fiscales en faveur des salariés et des retraités. La réforme de l'impôt sur le revenu coûtera 3,2 milliards d'euros, dont 500 millions d'euros pour la suppression de la première tranche.

Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, demandé par notre commission à l'initiative de François Marc et Philippe Marini et relatif à la fusion de l'impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée, nous sera présenté en janvier prochain. L'impôt sur le revenu, en particulier, est mité par de multiples dépenses fiscales. Très progressif, il est payé par un nombre de plus en plus réduit de contribuables : le journal Le Monde indiquait ainsi que 75 % des hausses récentes ont été payées par 20 % des ménages.

Les dépenses fiscales, au nombre de 453, augmenteront de près de 3 milliards d'euros : elles coûteront 81,9 milliards d'euros en 2015, contre 78,9 milliards d'euros en 2014. Cette évolution reflète la montée en puissance du CICE. Dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques qui sera examiné demain, en séance publique, la commission a adopté un amendement limitant à quatre ans et soumettant à une évaluation plus systématique toute nouvelle dépense fiscale. Le plafonnement des dépenses fiscales hors CICE prévu dans la loi de programmation des finances publiques 2012-2017 conduit à ce que les autres dépenses fiscales, hors crédit d'impôt recherche (CIR), diminuent d'environ 2 milliards d'euros.

Quant aux recettes non fiscales, certaines, provenant de la vente d'actifs et retracées dans les comptes d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » et « Participations financières de l'État », ne peuvent financer les dépenses courantes de l'État, comme le prévoit la LOLF s'agissant des participations financières de l'État.

Si on met à part ces recettes non fiscales provenant de la vente d'actifs, les autres recettes non fiscales sont composées de divers agrégats, comme par exemple les produits du domaine, les amendes... Elles incluent notamment les dividendes, qui constituent 40 % des recettes non fiscales du budget général de l'État. Au total, les recettes non fiscales diminueraient de 340 millions d'euros en 2015 par rapport à l'évaluation révisée pour 2014, principalement du fait de la baisse des recettes issues des dividendes.

Les dépenses totales de l'État devraient s'élever à 372,9 milliards d'euros en 2015, contre 379,1 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale pour 2014. Sur un périmètre plus restreint, celui des dépenses des ministères et des opérateurs, l'estimation pour 2015 est de 208,6 milliards d'euros, contre 210,4 milliards d'euros en loi de finances pour 2014. Ces dépenses diminueraient donc de 1,8 milliard d'euros en valeur, soit une baisse par rapport au tendanciel de 7,2 milliards d'euros.

Les crédits peuvent être présentés par destination, ce qui correspond à une approche par mission, ou par nature, c'est-à-dire par titre : dépense d'investissement, dépense de personnel...

L'analyse par mission fait ressortir que la mission la plus importante est la mission « Enseignement scolaire », dotée de 66,4 milliards d'euros. Suivent la mission « Engagements financiers de l'État », avec 45,2 milliards d'euros, c'est-à-dire la charge de la dette - ce poste est donc sensible à la variation des taux d'intérêt - puis les budgets de la défense, de la recherche et de l'enseignement supérieur... L'analyse par nature de la dépense permet de noter que les crédits de personnel représentent 30 % des dépenses, de même que les crédits d'intervention. Les dépenses d'investissement se situent à 2,1 % seulement : ce chiffre est vraiment frappant.

L'État investit très peu et l'essentiel de l'investissement public est porté par les collectivités territoriales. Attention, donc, à ne pas trop diminuer leurs dotations ! Et ce d'autant plus que l'investissement devient une variable d'ajustement pour l'État.

Le plan d'économies de 50 milliards d'euros annoncé par le Gouvernement concerne aussi bien l'État (19 milliards d'euros) que les collectivités territoriales (11 milliards d'euros d'économies) et les administrations de sécurité sociale (20 milliards d'euros d'économies). En 2015, l'État devra dégager 1,4 milliard d'euros d'économies dans ses dépenses de personnel, 2,4 milliards d'euros dans ses dépenses d'intervention, 2,1 milliards d'euros dans ses autres dépenses et il devra réduire de 1,8 milliard d'euros les dépenses de ses opérateurs. Il faut noter que le taux de mise en réserve est augmenté à 8 % dans le projet de loi de finances pour 2015. Dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques, nous avons voulu encadrer le taux de mise en réserve en prévoyant un plafond et un plancher, j'y reviendrai. Les réformes qui sous-tendent ces économies ne sont pas toutes détaillées : si certaines, comme les prélèvements sur des fonds de roulement, ne présentent guère d'aléa, d'autres, comme la réduction des dépenses d'intervention et de fonctionnement, sont encore floues, faute de précisions du Gouvernement sur les sources d'économies. D'où l'augmentation à 8 % du taux de mise en réserve des crédits.

Le plafond global des taxes affectées diminue de 309 millions d'euros à périmètre constant. Sur 1,1 milliard d'euros d'économies au titre des ressources affectées aux opérateurs, 780 millions d'euros sont liés à des contributions exceptionnelles : 500 millions d'euros seraient prélevés sur les fonds de roulement des chambres de commerce et d'industrie, 175 millions d'euros sur ceux des agences de l'eau, pendant trois ans, 45 millions d'euros sur les chambres d'agriculture et 60 millions d'euros sur le Centre national de la cinématographie (CNC). Si ces diminutions sont peut-être justifiées pour certains organismes, elles ne sont pas pérennes et ne s'accompagnent d'aucune réforme structurelle : il s'agit de simples coups de rabot pour assurer le bouclage du budget.

Les collectivités territoriales devront dégager 3,7 milliards d'euros d'économies, 1,45 milliard d'euros pour les communes, 621 millions d'euros pour les intercommunalités, 1,1 milliard d'euros pour les départements et 500 millions d'euros pour les régions.

L'État réduit légèrement ses effectifs, mais cette réduction masque des disparités selon les missions. Les créations de postes sont concentrées sur quelques ministères, principalement l'éducation nationale, l'enseignement supérieur et la recherche, l'intérieur et la justice. Le ministère de la défense compensera, à lui seul, 85 % des créations d'emplois dans l'éducation nationale en 2015, ce qui, dans le contexte international actuel, me semble inquiétant. Le gel prolongé du point d'indice et une réduction inédite des mesures catégorielles, qui sont presque exclusivement destinées aux fonctionnaires les moins bien payés, entraîneront un tassement de la grille salariale qui devient préoccupante car elle dégrade l'attractivité de la fonction publique.

Les crédits correspondant aux prestations et transferts ont continument augmenté depuis dix ans, quand la part des crédits d'investissement, déjà faible, n'a fait que se réduire. Elle diminuera encore de 14 % en 2015. À cet égard, la diminution des dotations aux collectivités territoriales n'augure rien de bon : nous attendons avec impatience le rapport de Charles Guené et ses collègues au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.

M. Charles Guené . - Nos conclusions seront rendues le 12 novembre.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le Gouvernement reconnaît que la baisse des dotations aura un impact sur le niveau de l'investissement. Or, le recul de l'investissement ne peut qu'avoir un effet récessif, surtout dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

Le solde budgétaire de l'État est estimé à - 75,7 milliards d'euros pour 2015. Ce déficit doit être financé, de même que les dettes qui sont arrivées à échéance, pour environ 120 milliards d'euros et qu'il faut reconduire en empruntant - tel le sapeur Camembert ! Le besoin de financement total de l'État devrait ainsi s'élever à 196,6 milliards d'euros en 2015. L'agence France Trésor peut également procéder à des rachats anticipés de dette afin de tirer parti de la faiblesse actuelle des taux. La plus grande part de celui-ci sera couverte par l'émission de dette, pour 188 milliards d'euros.

Depuis 2013, le solde budgétaire se dégrade - même si certaines présentations peuvent faire accroire qu'il s'améliore grâce à des « effets d'optique ». Cela résulte davantage d'une mauvaise perception des recettes que d'un manque de maîtrise des dépenses, je le reconnais. Optimisme excessif, dégradation de la conjoncture ou ras-le-bol fiscal : le résultat est une baisse de plus de 5 milliards d'euros du rendement des impôts, malgré l'augmentation des prélèvements obligatoires. C'est essentiellement grâce aux collectivités territoriales que les dépenses ont été réduites de plus de 5 milliards d'euros depuis 2013. Les dépenses du budget général de l'État augmenteront de 1,2 milliard d'euros.

La dette publique atteindrait 97,2 % du PIB en 2015, contre 95,3 % du PIB en 2014. Sa variation est principalement due à l'évolution du déficit de l'État. En pourcentage du PIB, nous aurons l'un des déficits les plus élevés de la zone euro, dont nous serons également le plus gros emprunteur public.

M. Éric Doligé . - Au moins nous sommes premiers dans un domaine !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Ce n'est pas la première place que j'ambitionne pour la France... Les taux sont très bas, et le gouverneur de la Banque de France nous a indiqué qu'ils vont sans doute remonter. Fabienne Keller avait demandé quel serait l'impact d'une hausse des taux de 100 points de base : elle coûterait 2,4 milliards d'euros la première année, beaucoup plus les années suivantes, et deviendrait insupportable dès 2017, avec un surcoût de 7,4 milliards d'euros. Nous vivons actuellement dans une illusion budgétaire, grâce à des taux d'intérêt très bas. Le meilleur ami de la France aujourd'hui, c'est la finance - pour combien de temps ?

Parmi les mesures importantes du volet recettes du projet de loi de finances figure la réforme de l'impôt sur le revenu visant à réduire la charge pesant sur les revenus modestes. Elle combine trois mesures : la première, la revalorisation des seuils du barème de 0,5 % est classique. Deux autres mesures sont moins classiques : un renforcement de la décote accompagné de la création d'une décote conjugale, et la suppression de la tranche à 5,5 % accompagnée de l'abaissement du seuil d'entrée dans la tranche à 14 %, à 9 690 euros. Ces mesures entraînent une perte de recettes totale de 3,2 milliards d'euros, dont 2,2 milliards d'euros pour la seule refonte de la décote. Elles aggravent l'hyper-concentration de l'impôt sur le revenu, acquitté par moins de la moitié des foyers fiscaux.

Les articles 4 à 7 concernent la construction de logements, qu'ils entendent favoriser en libérant du foncier grâce à une réforme des plus-values et à un aménagement temporaire des droits de mutation. Le dispositif « Pinel » remplace le « Duflot », et l'application d'un taux réduit de TVA est censée contribuer à l'accession sociale à la propriété. En un mot, nous sommes tombés sur la tête : l'instabilité fiscale est permanente, chaque ministre du logement voulant attacher son nom à un dispositif, quitte à revenir sur celui de son prédécesseur. On modifie en permanence le régime des plus-values et celui des droits de mutation... Et tout cela sans aucune efficacité car la France n'a jamais aussi peu construit. Les droits de mutation sont à un niveau historiquement faible. Le système est bloqué. Comment les contribuables pourraient-ils vouloir investir, alors qu'ils n'ont aucune visibilité ?

Cette situation inquiétante du bâtiment et des travaux publics explique une part importante de notre écart de croissance avec l'Allemagne : l'Insee estimait fin juin qu'elle devrait nous coûter 0,4 point de PIB en 2014, et je ne suis pas certain que les mesures proposées y remédient.

L'Assemblée nationale a procédé à des ajustements sur les dispositions relatives aux finances des collectivités territoriales. Elle a « sorti » le fonds de compensation pour la TVA ( FCTVA ) de « l'enveloppe normée » - c'est l'aboutissement d'un vieux combat que nous menions au comité des finances locales, en considérant que la compensation de la TVA n'est pas une dotation - et elle a augmenté le taux de remboursement de 4 %.

Le Gouvernement a annoncé la création d'un fonds de soutien à l'investissement local. On s'en réjouirait, s'il était financé par des recettes extérieures. Il le sera en réalité par la suppression des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP). Autant dire que cette dotation en trompe-l'oeil sera prise aux communes pauvres qui bénéficiaient de la péréquation !

Les députés enfin ont augmenté de 99 millions d'euros la dotation de solidarité urbaine (DSU) au profit des 250 communes les plus pauvres. C'est encore un tour de passe-passe, puisque cette augmentation sera entièrement financée par les autres collectivités, au sein de la DGF et sur les variables d'ajustement.

Nous aurons l'occasion de revenir sur l'ensemble de ces éléments lors des débats relatifs au projet de loi de finances pour 2015.

Pour conclure, je rappelle que nous entendrons cet après-midi Michel Sapin sur les engagements de la France pour le G20 : il faudra l'interroger sur le détail des mesures annoncées par voie de presse pour réaliser 3,6 milliards d'euros d'économies supplémentaires. Si le Gouvernement entendait modifier sa trajectoire par des amendements à ses propres textes, il conviendrait, par respect pour les droits du Parlement, que la loi de programmation qui sera examinée demain soit corrigée.

Mme Michèle André , présidente . - Je remercie le rapporteur général pour cet exposé très détaillé sur les questions dont nous débattrons au cours des prochaines semaines.

M. Marc Laménie . - Nous avons une hypothèse de forte progression de la TVA. Quel niveau sa majoration est-elle susceptible d'atteindre ? Quel avenir pour les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle ?

Mme Fabienne Keller . - Alors que les prélèvements obligatoires augmentent, les recettes fiscales diminuent, comme la Cour des comptes l'a découvert dès 2013 : c'est une première bombe à retardement pour le budget de 2015 et les suivants. Je vous remercie d'avoir procédé à l'évaluation de l'impact d'une hausse des taux d'intérêt sur la charge de la dette. Je retiendrai un seul chiffre : les intérêts de la dette pourraient représenter en 2017 une charge supplémentaire de 7,4 milliards d'euros en année courante, davantage si la notation de la France est dégradée - il s'agit d'un deuxième facteur de risque. Troisième bombe à retardement : le secteur du logement est menacé par une instabilité fiscale constante, qui s'aggrave de l'accumulation des normes et de l'augmentation de la TVA sur les travaux. D'où un ralentissement qui se répercute sur le PIB. La baisse de l'investissement des collectivités locales, enfin, représente un quatrième facteur de risque majeur, à moyen terme, dans le budget pour 2015. Cette année d'inflexion pourrait être suivie d'années plus noires encore. Ce scénario s'accorde d'ailleurs avec les prévisions de l'Union européenne.

M. François Marc . - Les représentants de la droite dans cette commission avaient pour habitude, ces dernières années, de concentrer leurs critiques sur les dépenses. S'il n'en est plus ainsi, c'est que le Gouvernement les maîtrise indéniablement : prenons acte de cette réussite inédite. Vous évoquez en revanche des recettes qui rentrent moins vite que prévu : la moins-value s'établira à 11 milliards d'euros si les projections pour 2014 sont justes. Il importera d'examiner la répartition entre l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, la TVA, la TICPE et autres prélèvements. Mais la théorie, que vous invoquez, selon laquelle trop d'impôt tue l'impôt ne constitue pas une explication convaincante. La moindre croissance et la faiblesse de l'inflation, en revanche, ont bien une incidence sur les recettes et le coefficient d'élasticité entraîne des conséquences mécaniques. Ce phénomène conjoncturel bien connu explique une bonne part de cette moins-value de recettes. Ceux qui prônent une augmentation de la TVA comme seul remède à tous nos maux devraient étudier la situation du Japon, où son augmentation de deux points a un effet récessif considérable.

Vous nous avez présenté la dégradation du solde budgétaire de l'État depuis 2013. Pourquoi ne pas faire remonter le graphe jusqu'en 2008 ? Cela ferait apparaître que les efforts annoncés par la précédente majorité n'ont pas été accomplis. Méfions-nous des analyses à courte vue.

M. Daniel Raoul . - Je souhaiterais obtenir une précision concernant les hausses et baisses de plafond des taxes affectées à certains organismes. Quels sont au juste les « organismes concourant à une mission de service public » pour lesquels est prévue une hausse du plafond, ou au contraire une baisse ?

M. Michel Bouvard . - Avons-nous prévu d'auditionner le directeur de l'agence France Trésor (AFT), pour l'interroger sur la structure de la dette et sur sa sensibilité à une augmentation des taux : consiste-t-elle aujourd'hui en des emprunts à plus court terme que par le passé ? Quelle est la stratégie de l'AFT pour sa gestion ?

Nous n'aurons pas le temps d'une analyse fine des mesures pour le logement d'ici le vote de la loi de finances, mais ce sujet mériterait un travail collectif de fond sur les politiques passées et les arbitrages entre tous les systèmes d'allocation. L'origine de notre malheur a bien été la création d'aides aux personnes au détriment des aides à la pierre, à une époque où l'on ne prévoyait pas la situation économique dépressive actuelle.

Le sort fait aux fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) recouvre une iniquité : ces fonds réunissaient l'enveloppe des communes dotées de « grands d'établissements », c'est-à-dire de d'établissements industriels, d'ouvrages hydrauliques et autres infrastructures, et les sommes destinées aux communes défavorisées. C'est l'argent destiné aux recettes de fonctionnement de ces communes qui sera prélevé pour alimenter des investissements au bénéfice, le plus souvent, de communes urbaines assurées, elles, de retrouver leur part. La répartition sera confiée aux préfets, qui y procédaient jusqu'ici sur proposition des conseils généraux, mais qui définiront à l'avenir des critères dont rien ne garantit qu'ils soient adaptés aux territoires locaux.

M. Richard Yung . - Je remercie le rapporteur de son exposé, qui accumulait certes les chiffres à charge mais c'est de bonne guerre...

Si, au lieu de 1 %, la croissance n'atteignait que 0,7 %, nous perdrions selon vous la quasi-totalité de l'excédent de recettes attendu en 2015. L'élasticité que vous avez mentionnée mérite explication.

Vous nous avez présenté l'évolution du produit de l'impôt sur le revenu ; il serait intéressant politiquement de pouvoir la rapporter, année par année, aux différentes mesures prises. En 2011, les recettes de l'impôt sur le revenu sont passées de 51 à 59 milliards d'euros. De quelles mesures cette augmentation a-t-elle résulté ?

Les niches fiscales provoquent chaque année les mêmes protestations au sein de cette commission : au nombre de 453, elles coûtent 80 milliards d'euros à l'État. Nous crions tous au scandale, mais rien de plus. Il nous arrive même de créer de nouvelles niches. Combien parmi nous ont proposé de supprimer le CIR ? Faudra-t-il nous enfermer en conclave et ne nous libérer que lorsque nous aurons supprimé les trois quarts des niches ? Certaines sont certes justifiées, beaucoup d'autres sont les refuges d'intérêts corporatistes.

Vous vous inquiétez de l'évolution des taux d'intérêt de la dette. Je crains bien davantage, pour ma part, un scénario déflationniste à la japonaise. J'appelle à des taux d'intérêt plus élevés.

M. Philippe Dallier . - D'accord, mais modérée !

M. Roger Karoutchi . - Je partage les inquiétudes de mes collègues sur la dette et sur l'éventualité d'une remontée des taux. Certains sujets du débat budgétaire sont plus polémiques que d'autres ; il s'agit, en particulier, de la capacité financière des collectivités locales et de la situation des familles. Le rapporteur pourrait-il retracer leur évolution depuis 2012 - sans vouloir en déplaire à François Marc -, afin que nous disposions d'un bilan de l'ensemble des politiques financières et fiscales ?

M. Philippe Dallier . - Quelle est l'hypothèse de revalorisation des valeurs locatives pour les collectivités locales : 1 % ? Le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) et les fonds d'investissement sont loin d'être le principal problème des collectivités locales pour les trois années à venir. Leur premier souci concerne bien plutôt la section de fonctionnement, durement affectée par la baisse des dotations de l'État qui accompagne la baisse ou la stagnation du FCTVA. Dire à des collectivités : « vous aurez beaucoup moins de moyens pour investir, mais l'État vous aidera si vous investissez tout de même », c'est proposer un marché de dupes.

La baisse des variables d'ajustements au sein de l'enveloppe normée devait initialement s'élever à 40 % ; l'Assemblée nationale a voté un amendement la ramenant à 20 %. Quel montant exact cela représente-t-il ?

Conjugués à la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), les mécanismes de péréquation auront un impact insoutenable pour beaucoup de collectivités territoriales. Les prélèvements des plus riches étant plafonnés, le mécanisme fera rejaillir la charge sur la « classe moyenne » des collectivités locales.

Que la dotation de solidarité urbaine (DSU) progresse encore au profit des communes cibles, c'est très bien ; mais le montant destiné à ses autres bénéficiaires a été figé il y a deux ou trois ans, sans réexamen de leur classement au sein de la catégorie. Les situations relatives des communes ayant évolué, à enveloppe constante, il est urgent de réviser la répartition.

M. Éric Doligé . - Un gestionnaire responsable regarde vers l'avenir, il ne passe pas son temps à critiquer ses prédécesseurs, je le dis à François Marc. L'important est de se consacrer aux progrès que l'on entend pour sa part accomplir.

Si l'évolution des effectifs de l'État présente une relative stabilité, il s'agit tout de même de la première dépense de l'État. Il conviendrait de compléter l'analyse par la mention du taux d'absentéisme par secteur, et d'identifier les postes sur lesquels des économies sont possibles.

M. Maurice Vincent . - Le rapporteur général nous alerte sur la probabilité d'une croissance plus faible que prévu. Quelles seraient ses préconisations pour ce budget 2015 ? Faudrait-il réduire le déficit budgétaire, ou l'accepter pour ne pas ajouter de la récession à la récession ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La prévision d'une croissance de 0,7 % a été livrée hier par la Commission européenne. Cette révision aboutit par un effet de base, à une moins-value d'environ quatre milliards d'euros pour les recettes. Être optimiste est parfois dangereux, compte tenu de la sensibilité de la TVA et des dépenses sociales à la conjoncture.

La suppression en 2015 des FDPTP, prévue par le texte de l'Assemblée nationale, est une question sensible, en particulier dans les départements dotés d'installations nucléaires ou autres établissement procurent des recettes fiscales importantes pour les collectivités territoriales. Les 423 millions d'euros correspondants iront au Fonds de soutien à l'investissement local : nous en discuterons lors de l'examen du projet de loi de finances.

La baisse des recettes fiscales évoquée par Fabienne Keller et François Marc s'explique certes par des effets conjoncturels, mais nous sommes nombreux à considérer qu'elle résulte aussi d'un phénomène de saturation. On peut citer l'exemple des cotisations sociales des particuliers employeurs. Notre niveau de prélèvements obligatoires, supérieur de près de cinq points à la moyenne des pays de l'Union européenne, est responsable de tels effets d'érosion.

Le risque récessif dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) est particulièrement inquiétant, surtout si les collectivités n'investissent plus du fait de la baisse de leurs dotations. Cette question sera extrêmement sensible lorsque nous examinerons, au Sénat, le projet de loi de finances.

François Marc fait crédit au Gouvernement de sa maîtrise des dépenses, or celui-ci a surtout mis en oeuvre des expédients - rogner les fonds de roulement des opérateurs, c'est facile, mais c'est un « fusil à un coup » - au détriment des réformes de structure... De même sur les dépenses d'intervention, aucun choix courageux n'a été fait. On rabote les plafonds d'emplois, mais on continue à augmenter le nombre de postes dans l'éducation nationale.

J'avais présenté des graphiques commençant en 2002 dans mon rapport sur la loi de programmation. On y voyait clairement que l'année du déclenchement de la crise, la France, comme tous les pays européens, avait injecté de l'argent public dans un plan de soutien à l'investissement. La dégradation du déficit budgétaire a été générale.

Les « organismes concourant à une mission de service public » dont le plafond de taxe affectée serait réhaussé, pour un montant total de 132,5 millions d'euros, sont l'Agence nationale d'amélioration de l'habitat (ANAH), l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), le Centre national de la chanson des variétés et du jazz (CNV), la Société du grand Paris, le Centre technique des industries mécaniques... Les diminutions touchent les chambres de commerce et d'industrie (CCI), pour 213 millions d'euros, l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour 21 millions d'euros, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) pour 40 millions d'euros, etc.

La maturité moyenne de la dette est relativement stable, près de huit ans. L'Agence France Trésor a légèrement accru ses émissions à plus de trente ans ; elle trouve facilement des investisseurs. Je suis entièrement d'accord avec Michel Bouvard sur le logement. La multiplicité des dispositifs, reposant sur de la dépense budgétaire, de la dépense fiscale, des financements des collectivités et d'organismes divers ou encore de l'épargne réglementée, rend ceux-ci totalement illisibles. La commission des finances ferait oeuvre utile si elle se penchait sur les sommes que la France consacre au logement : considérables par rapport à ce que font d'autres pays, elles ne semblent pas employées efficacement. Le raccourcissement de la maturité de la dette concerne effectivement la dette sociale gérée par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). J'ai évoqué avec le gouverneur de la Banque de France le risque de déflation. À la différence de celle de la France, la dette du Japon est détenue par des investisseurs domestiques ; ce pays est donc bien moins exposé que nous à une hausse des taux d'intérêt. Quelle deviendra l'attitude de nos créanciers lorsque notre dette atteindra 100 % du PIB ?

Nous reviendrons lors du débat en séance sur la capacité d'investissement des collectivités territoriales. Quant aux familles, il serait intéressant de comparer l'évolution des prélèvements auxquels sont soumis les différents types de foyers fiscaux, et les effets réels de ces hausses sur leur situation.

Le rendement de l'impôt sur le revenu a augmenté de 35 % entre 2011 et 2015 en raison, notamment, de la fiscalisation des heures supplémentaires, la soumission des revenus du capital au barème progressif, de la non revalorisation du barème, les abaissements successifs du quotient familial, etc. Si certaines hausses de l'impôt sur le revenu résultent de mesures antérieures à la présente législature - comme la suppression de la « demi-part des veuves » -, il n'en demeure pas moins que l'essentiel des augmentations constatées découlent des textes financiers adoptés en 2012 et 2013.

La revalorisation des bases figurera dans le collectif budgétaire, mais nous n'en connaissons pas encore le coefficient. Je n'ouvrirai pas le débat sur la péréquation ce matin, gardons ce sujet pour la séance publique.

La faible croissance qui nous attend pour 2015 appelle des décisions courageuses, les coups de rabot ne suffisent pas. Il est temps de prendre des mesures transversales sur les effectifs dans la fonction publique, de procéder à des réformes de structure sur les dépenses d'intervention. La dépense est aujourd'hui stabilisée, j'en conviens. Il n'en faudra pas moins revenir sur certaines politiques. Nous ferons des propositions en séance publique. Le Gouvernement a évoqué des revues de dépenses ; précisément, nous voulons savoir quelle est l'efficacité exacte des politiques de logement, de la formation professionnelle, du budget de l'éducation nationale, trois domaines qui engloutissent des sommes considérables.

La commission a donné acte au rapporteur général de sa communication.

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