B. DOTER L'AGENCE FRANCE-PRESSE D'UNE VÉRITABLE « COMMISSION DE SURVEILLANCE » GARANTE DE LA STRATÉGIE DE LONG TERME

La situation de l'AFP est plus paradoxale qu'on ne l'imagine de prime abord. L'AFP possède, en effet, deux visages bien différents selon que l'on regarde ses atouts ou ses faiblesses.

Côté atouts, votre commission ne peut qu'être admirative de la qualité du travail fourni par les salariés de l'AFP et, particulièrement, de ses journalistes. La rigueur, l'indépendance, le souci de ne laisser de côté aucun territoire ni aucun événement d'importance expliquent la réputation d'excellence de cette institution française à dimension européenne et mondiale.

Côté faiblesses, votre rapporteur a pu constater combien l'AFP était aujourd'hui à un tournant et combien il était devenu urgent pour les autorités de réaffirmer leur plein et entier soutien à l'AFP en apportant des réponses à ses vulnérabilités qui sont au moins au nombre de trois :

- l'absence de capital de la société est devenue un problème majeur et la déconsolidation de la dette à travers le recours à une filiale de moyens chargée de porter l'endettement nécessaire au plan d'investissement constitue une création « innovante » peut-être inévitable mais qui pose de véritables problèmes et ne garantit pas complètement l'avenir de la société. Faute de pouvoir doter l'AFP d'un capital, sa gouvernance doit être garante de l'utilisation du plan d'investissement pour assurer la pérennité de l'institution ;

- la situation financière n'est pas aujourd'hui satisfaisante ni surtout rassurante pour l'avenir 7 ( * ) . Selon les dires même du président de la commission financière de l'AFP, Daniel Houri, auditionné par votre rapporteur, « son résultat devrait être négatif en 2014 et si l'AFP était une société normale, elle aurait aujourd'hui des fonds propres négatifs » . En termes moins choisis, cela signifie que si l'AFP était une société de droit commun, elle serait aujourd'hui probablement menacée de cessation de paiement ;

- la faible gouvernance de l'AFP a favorisé la poursuite de la dégradation de sa situation financière dans un contexte marqué, depuis de nombreuses années, par un intérêt moins affirmé de l'État pour l'état financier de l'institution. Dans ces conditions, l'inadaptation de la gouvernance n'a pu que s'accentuer, aidée en cela par le fait que le conseil d'administration et le conseil supérieur se réunissent en réalité très peu souvent et que leurs membres connaissent un investissement très inégal dans l'activité de l'Agence. La commission financière exerce quant à elle correctement sa mission concernant les comptes mais n'a pas son mot à dire sur la définition de la stratégie de l'Agence.

Au final, la faiblesse de la gouvernance apparaît considérable et les propositions utiles adoptées par l'Assemblée nationale insuffisantes pour y remédier puisqu'elles se limitent à renforcer partiellement le conseil d'administration. Votre commission vous proposera donc d'approfondir les propositions de l'Assemblée nationale en créant une « commission de surveillance » de l'AFP.

1. Parachever le renforcement du conseil d'administration de l'Agence

La principale mesure prévue par la proposition de loi de Michel Françaix en termes de gouvernance de l'AFP consiste en un rééquilibrage de la composition de son conseil d'administration dans lequel les représentants des médias français voient passer leur représentation de huit à cinq sièges tandis que cinq personnalités qualifiées en rejoindront les rangs.

Cette évolution qui avait été largement esquissée par la proposition de loi de notre collègue Jacques Legendre en 2011 ne saurait toutefois suffire à revaloriser le rôle du conseil d'administration pour au moins trois raisons :

- le conseil d'administration de l'AFP se réunit très peu, tout au plus deux ou trois fois par an , ce qui ne lui confère pas un véritable rôle de contrepouvoir dans la gouvernance par rapport au président-directeur général ;

- les représentants des médias français ont reconnu devant votre rapporteur qu'ils étaient insuffisamment impliqués dans la gestion de l'AFP qui ne représentait plus pour eux un enjeu aussi important que par le passé ;

- la nomination des cinq personnalités qualifiées par le conseil supérieur, qui doit permettre d'« aérer » la composition du conseil d'administration, pose la question des modalités de leur désignation. Or, le conseil supérieur 8 ( * ) de l'AFP n'est pas en mesure aujourd'hui d'assurer cette responsabilité avec une légitimité suffisante.

Dans ces conditions, votre commission a décidé d'adopter deux modifications au texte de l'Assemblée nationale concernant le fonctionnement et la composition du conseil d'administration.

Tout d'abord, afin de permettre au conseil d'administration de jouer véritablement son rôle dans la direction de la société, elle a prévu que le conseil d'administration devra se réunir au moins quatre fois par an , ce qui semble constituer un minimum pour une institution de cette importance.

Ensuite, afin de permettre au conseil d'administration de représenter véritablement la réalité de l'AFP - c'est-à-dire une agence mondiale qui réalise une majorité de son chiffre d'affaire hors de France - elle a prévu qu'au moins trois des cinq personnalités qualifiées devront bénéficier d'une expérience significative au niveau européen ou international . Cela signifie que les cinq personnalités qualifiées devront être nommées « en raison de leur connaissance des médias et des technologies numériques et de leurs compétences économiques et des gestion » comme le prévoyait le texte de l'Assemblée nationale mais qu'au moins trois d'entre elles, de nationalité française ou étrangère, devront en plus avoir réalisé une partie significative de leur carrière à l'étranger.

2. Fusionner le conseil supérieur et la commission financière au sein d'une « commission de surveillance » de l'AFP

Le second ajout au texte de l'Assemblée nationale concernant l'AFP consiste à constituer un véritable contre-pouvoir, au sein de l'entreprise, au conseil d'administration et à son président-directeur général afin de mieux distinguer ce qui doit relever des fonctions de direction de ce qui incombe normalement aux organes chargés de la supervision et de la définition de la stratégie .

L'AFP a besoin aujourd'hui d'une gouvernance forte afin de faire face à aux décisions importantes qu'elle va devoir prendre dans les prochaines années. Le plan d'investissement et son financement au travers d'une filiale de moyens qui va pouvoir s'endetter auprès d'investisseurs aura pour conséquence de porter le niveau d'endettement de la société à un niveau jamais atteint par le passé. Dans le même temps, il n'existe aucune garantie que les choix d'investissement feront l'objet d'un examen contradictoire au sein de la société, les éditeurs étant peu investis et les cinq personnalités qualifiées risquant d'être, dans les faits, nommées par la direction vue la faiblesse du conseil supérieur.

Ses auditions ont convaincu votre rapporteur que les personnels de l'AFP étaient très attachés à leur entreprise et qu'ils étaient conscients de la nécessité de faire évoluer les choses tout en garantissant l'indépendance de l'Agence. C'est pourquoi votre commission a décidé de permettre à chacun d'exercer véritablement ses responsabilités en fusionnant le conseil supérieur et la commission financière de l'AFP afin de créer une véritable « commission de surveillance » qui reprendra les missions relatives à la déontologie et au contrôle financier des deux structures fusionnées mais qui, surtout, - sur le modèle de la commission de surveillance de la caisse des dépôts et consignations - pourra surveiller le conseil d'administration et discuter de sa stratégie .

Le président du conseil supérieur, le Conseiller d'État Thierry le Fort, comme celui de la commission financière, le conseiller maître à la Cour des comptes Daniel Houri, ont apporté à votre rapporteur leur soutien à cette initiative. La Société des journalistes (SDJ) 9 ( * ) qui représente la majorité des journalistes de l'AFP soutient également cette proposition, son président, Roland de Courson, ayant même déclaré que « la "Commission de surveillance de l'AFP" sera, enfin, l'organisme de contrôle attentif et le contrepoids au conseil d'administration dont notre entreprise a cruellement besoin. En matière de bonne gouvernance, le texte mettra l'AFP sur un pied d'égalité avec les autres médias de rang mondial, comme la BBC ».

Par ailleurs, dans un communiqué de presse en date du 29 janvier, le syndicat national des journalistes (SNJ) AFP a apporté un soutien affirmé aux propositions de votre commission en espérant qu'elles seront retenues dans le texte final.

Afin de s'inscrire dans le prolongement de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, votre commission a prévu que la commission de surveillance serait composée des huit membres du conseil supérieur auxquels s'ajouteraient deux magistrats de la Cour des comptes. Pour tenir compte de la charge de travail de la Cour des comptes, votre rapporteur a renoncé à porter à trois le nombre des magistrats de la Cour des comptes .

Votre rapporteur estime, par ailleurs, que la composition de la commission de surveillance pourrait sans doute évoluer dans le cadre de la poursuite de la discussion parlementaire au moins sur deux points. La suppression de l'honorariat décidée par l'Assemblée nationale n'est pas sans poser des difficultés aux trois juridictions concernées, le Conseil d'État, la Cour de cassation et la Cour des comptes. Le Conseil d'État et la Cour des comptes ont demandé à ce que la possibilité de désigner un magistrat honoraire soit rétablie. Pour autant, la volonté de redynamiser les instances de contrôle plaide pour la nomination de représentants en activité qui sont sans doute plus en lien avec les enjeux immédiats de l'AFP. Une réflexion mérite d'être conduite sur ce point d'ici le débat en séance publique.

Le second point concerne la forte présence de hauts fonctionnaires au sein de la nouvelle commission de surveillance. Cet important contingent peut se justifier par le fait que l'État occupe une place incontournable dans le fonctionnement de cette société et on peut rappeler que l'Assemblée nationale a déjà pris l'initiative d'intégrer deux parlementaires dans l'organe de contrôle ce qui diversifie donc sa composition. Toutefois, une évolution pourrait également être envisagée afin, par exemple, de faire entrer quelques personnalités qualifiées à la commission de surveillance qui pourraient, éventuellement, être nommées par les présidents des deux assemblées.


* 7 Votre rapporteur ne peut que regretter que l'examen de la proposition de loi intervienne alors que la négociation du contrat d'objectifs et de moyens (COM) n'a pas été finalisée, ce qui ne permet pas de pouvoir tenir compte des orientations stratégiques de la société pour les années à venir. Par ailleurs, il observe une forte évolution de l'endettement de la société qui s'accompagne d'une diminution de la trésorerie qui devrait se poursuivre avec la création de la filiale technique qui s'apparente à de la déconsolidation de la dette. Votre rapporteur observe qu'une telle déconsolidation a déjà été opérée dans le passé au travers du contrat de crédit-bail concernant l'immeuble historique de l'AFP. Il remarque, par ailleurs, que le nouveau dispositif envisagé aura pour conséquence de faire payer par l'AFP à sa filiale technique des redevances auxquelles s'imputera la TVA, ce qui ne saurait constituer une pratique de gestion vertueuse.

* 8 Selon les informations transmises par la direction de l'AFP : « le conseil supérieur se réunit une fois par an. Par ailleurs, il se réunit lorsqu'il est saisi par un tiers. Depuis janvier 2010, il y a eu cinq saisines du conseil supérieur ». On peut rappeler que ces saisines émanent de clients de l'Agence et concernent, pour l'essentiel, des questions liées à la déontologie de l'Agence.

* 9 À l'issue de l'adoption des amendements par la commission, la Société des journalistes a publié le 30 janvier 2015 un communiqué dans lequel elle déclare que : « La Société des journalistes, qui milite depuis des mois pour un renforcement en profondeur de la gouvernance de l'AFP et une internationalisation de ses organes de direction, se félicite de ce progrès. Nous saluons également le consensus qui a prévalu au Sénat sur cette question et nous espérons que nul, dans les dernières étapes du processus parlementaire, ne s'avisera de remettre en cause les améliorations obtenues. Une gouvernance solide est plus que jamais indispensable pour l'AFP alors que le niveau d'endettement de notre entreprise n'a jamais été aussi élevé (48 millions d'euros prévus en 2015), ce qui pourrait nous exposer à la faillite à la moindre erreur stratégique ou de gestion. »

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