EXAMEN EN COMMISSION

(Mercredi 25 mars 2015)

M. Philippe Bas , président . - Nous nous sommes saisis d'une proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes. Compte tenu de l'investissement des membres de la commission des affaires européennes, nous avons proposé que nos travaux leur soient ouverts, et j'ai demandé à Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, de bien vouloir co-présider cette séance avec moi.

L'article 88-4 de la Constitution dispose que le Gouvernement nous soumet les projets d'actes législatifs européens et autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne. Les résolutions du Sénat en matière européenne portent en principe sur ces projets, ou sur tout document émanant des institutions de l'Union européenne. La proposition se rattache plutôt à cette dernière catégorie. Si nous l'adoptons, nous la soumettrons au vote du Sénat, même si le règlement de notre Haute Assemblée prévoit que trois jours après son adoption par notre commission, la résolution deviendrait de droit résolution du Sénat.

M. Jean Bizet , président . - Au lendemain des attentats odieux survenus dans notre pays, la Commission européenne a entrepris de recenser les dispositions législatives pertinentes afin de les compléter. Je remercie la conférence des présidents d'avoir inscrit la résolution à la séance publique du 1 er avril. Nous recevrons le 30 mars le président de la commission des affaires européennes du Bundesrat, Peter Friedrich, le représentant de la chambre des Lords, Lord Boswell, le représentant du Folketing danois, celui du Saeima de Lettonie et celui du Sénat espagnol. Ils ont vécu sur leur sol des drames analogues. Ils seront à nos côtés pour assurer à nos concitoyens que nous mettrons tout en oeuvre pour les protéger. Nous venons de rencontrer à Bruxelles le coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, qui approuve notre résolution.

M. Jean-Jacques Hyest , rapporteur . - La menace terroriste à laquelle font face les États de l'Union européenne s'est récemment aggravée. Certains de leurs ressortissants ou de leurs résidents, parfois mineurs, rejoignent des zones où opèrent des groupes terroristes et leur retour pose des questions pour la sécurité. Cette proposition de résolution européenne synthétise les travaux de la commission des affaires européennes sur les domaines dans lesquels le cadre juridique ou la coopération pourraient être améliorés. Présentée en application de l'article 88-4 de la Constitution, elle invite les institutions de l'Union à adopter un « Acte pour la sécurité intérieure ». C'est ambitieux.

Elle préconise d'améliorer les mécanismes existants, comme Europol et Eurojust : la transmission d'informations par les États devrait être plus systématique. Les moyens matériels de ces deux structures doivent être renforcés : Eurojust ne traite aujourd'hui que 1 576 dossiers, à grande majorité bilatéraux, alors que tout l'intérêt de ce dispositif est de traiter des dossiers impliquant plusieurs États. Le nombre de réunions de coordination est limité et les équipes communes d'enquête, qui favorisent l'échange d'informations sans passer par les canaux traditionnels de l'entraide judiciaire, sont encore peu utilisées. L'activité d'Eurojust ne concerne que très marginalement des dossiers liés au terrorisme : 17 en 2013, sans doute davantage en 2014.

Le « code frontières Schengen » donne de larges marges de manoeuvre aux États. Les auteurs de la résolution souhaitent qu'à droit constant, des « indicateurs de risque appliqués uniformément par les États membres » permettent d'exercer des contrôles approfondis de ressortissants de l'espace Schengen lorsqu'ils y entrent ou en sortent.

La première stratégie de l'Union européenne contre la radicalisation et le recrutement de terroristes date de 2005. En 2010, un programme plus complet, mêlant approche policière et approche préventive, a été développé par le biais de groupes thématiques, touchant différents aspects de la lutte contre la radicalisation. L'efficacité de cette initiative étant conditionnée par la participation des États membres, les auteurs de la résolution préconisent de l'intensifier. La résolution rappelle enfin l'importance d'une diplomatie active de l'Union à l'égard de ses voisins et des pays limitrophes de zones où opèrent des groupes terroristes, au Maghreb notamment. Les délégations du service d'action extérieure de l'Union européenne restent très orientées sur la politique de développement et de coopération et sont peu sensibilisées aux questions de sécurité.

Le texte recommande également une évolution du cadre juridique. L'Union européenne veille à l'élaboration d'une définition uniforme et exhaustive du terrorisme par les États. La décision cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme en donne une définition précise, empruntée aux traditions des États membres. Cette directive a été révisée et complétée par la décision cadre du 28 novembre 2008 afin d'ajouter aux infractions terroristes de nouveaux comportements comme l'apologie d'actes terroristes et le prosélytisme en faveur de tels actes.

Toutefois, le phénomène nouveau de nationaux ou de résidents européens s'enrôlant dans des groupes terroristes, identifié comme une menace particulière par l'ONU dans la résolution du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité, justifie des évolutions du cadre juridique. Un Comité sur les combattants terroristes étrangers et les questions connexes a été constitué le 11 février 2015 par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, afin de rédiger un protocole additionnel à la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention du terrorisme.

Afin de pouvoir mener des contrôles permanents sur les personnes définies selon les critères objectifs mentionnés, il est nécessaire de réformer le « code frontières Schengen », sans en modifier l'équilibre général. L'espace Schengen a suscité l'essor d'un système d'information commun, plus efficace qu'une juxtaposition de systèmes indépendants.

La résolution préconise en outre l'adoption rapide de la directive relative à un « Passenger Name Record européen », système d'exploitation et de partage des données recueillies par les transporteurs auprès des passagers au stade de la réservation commerciale. Cette appellation désigne en réalité un mécanisme de coopération entre des PNR nationaux, non la création d'un instrument européen unique. Un premier projet de directive en date du 6 novembre 2007 ayant été abandonné, une nouvelle proposition de directive est en cours de discussions au Parlement européen. Le 2 février 2011, la commission des libertés civiles du Parlement européen a rejeté ce texte. Le 24 février 2015, Timothy Kirkhope, rapporteur du texte pour la commission des libertés civiles a présenté un nouveau rapport. Dans sa résolution du 15 mars 2015, le Sénat a appelé à l'adoption rapide de cette directive en constatant que le système proposé respectait bien les droits des personnes concernées.

En préconisant de conférer à Frontex, l'agence européenne pour la gestion des frontières extérieures, un rôle particulier dans la lutte contre le terrorisme par la création d'un corps de gardes-frontières européens, le texte rejoint les conclusions du Conseil sur le terrorisme et la sécurité des frontières des 5 et 6 juin 2014. Cette recommandation répond aux préoccupations suscitées par le retour de nationaux ou de résidents qui ont rejoint des zones où opèrent des groupes terroristes.

Le texte appelle enfin à mettre en place un parquet européen en application de l'article 86 paragraphe 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et à étendre « sans délai » ses compétences à la criminalité grave transfrontière. La forme collégiale et décentralisée préconisée par le texte est conforme à la position précédemment exprimée par votre commission sur ce sujet.

En conclusion, les auteurs de la résolution rappellent que la lutte contre le terrorisme doit respecter les valeurs de l'Union européenne et de l'État de droit. D'une manière générale, je souscris à ces demandes. À juste titre, la résolution insiste sur l'importance de mieux faire fonctionner ou d'améliorer à droit constant les dispositifs existants, en renforçant l'implication des États. Toutefois, la coopération entre Eurojust et Europol est également largement perfectible. Ainsi, Eurojust n'accède pas de manière privilégiée aux fichiers d'analyse d'Europol, notamment à ceux dédiés à la lutte contre le terrorisme. La convention entre ces deux structures devrait être révisée rapidement pour y remédier.

Une résolution européenne s'adresse à la fois au Gouvernement, qu'elle incite à soutenir une politique dans les enceintes européennes, et aux institutions européennes. De ce point de vue, les alinéas 49 et 50, relatifs au droit de la nationalité, qui se bornent à rappeler la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et le droit international applicable, doivent être supprimées car l'Union européenne n'est que très indirectement concernée par le droit de la nationalité des États membres. Les institutions européennes pourraient s'étonner que le Sénat les ait insérés...

M. Simon Sutour . - Effectivement : elles nous l'ont dit !

M. Jean-Jacques Hyest , rapporteur . - Alors me voilà d'accord avec Gilles de Kerchove. Ouvrir un débat sur la déchéance de nationalité affaiblirait sans profit notre résolution sur le terrorisme. Je présente également un amendement rédactionnel. Sous ces réserves, je vous propose d'adopter la proposition de résolution.

M. Philippe Bas , président . - Je remercie le président Hyest qui s'est livré, comme à son habitude, à un examen approfondi du texte qui lui était soumis.

Mme Catherine Tasca . - Je me réjouis que la commission des affaires européennes nous ait fait cette proposition et ait élaboré un texte aussi complet. Le plan d'action est très ambitieux ; pour des raisons de clarté, il conviendrait d'établir un calendrier et de déterminer les questions à examiner en priorité. Nous en parlerons à l'occasion du débat programmé.

Le moment est venu d'armer notre Gouvernement dans le débat européen sur ces sujets. Le projet de résolution insiste sur la nécessité d'actions communes. L'absence d'une volonté d'action commune constitue précisément la faille la plus visible de la construction européenne et ce, dans de nombreux domaines déterminants tels le droit social ou le droit fiscal. Puisse l'urgence attachée à la lutte contre le terrorisme nous permettre de susciter enfin cette convergence ! De ce point de vue, le projet de résolution, même s'il n'est pas très orthodoxe, est utile.

M. Pierre-Yves Collombat . - Les intentions des auteurs de la résolution ne peuvent qu'être partagées. En revanche, je suis réservé sur l'usage préconisé d'indicateurs de risques : il ne faudrait pas que cela s'apparente à des contrôles au faciès... Les textes que nous examinons mettent en avant des problèmes policiers et évacuent l'aspect idéologique du phénomène ; or, le terrorisme est une forme très particulière de délinquance. Pour y répondre, il est indispensable d'élaborer un contre-discours, à l'image de ce qui est pratiqué dans d'autres pays.

Mme Catherine Tasca . - L'action éducative est visée par la résolution.

M. Pierre-Yves Collombat . - C'est exact mais une place plus importante aurait pu lui être donnée.

M. Jean-Jacques Hyest , rapporteur . - J'insiste dans le rapport sur le soutien au développement de réseaux européens visant à sensibiliser au phénomène de radicalisation et à proposer des solutions. Cela figure à l'alinéa 52 de la résolution. Colette Mélot a travaillé sur le sujet. Nous devrons le répéter dans le débat.

Mme Colette Mélot . - La lutte contre la radicalisation est également abordée ailleurs, par exemple à propos de la place d'Internet dans le combat contre le terrorisme.

M. Philippe Bas , président . - Passons à l'examen des amendements.

M. Jean-Jacques Hyest , rapporteur . - Je propose un amendement rédactionnel concernant l'alinéa 10 et un second amendement, déjà évoqué, visant la suppression des alinéas 49 et 50.

Les amendements n os COM-1 et COM-2 sont adoptés.

M. Philippe Bas , président . - Ces alinéas ne comportent pas de recommandation en faveur d'une initiative européenne. Les retrancher de la résolution ne la vide d'aucune proposition.

La déchéance de nationalité est une matière délicate. Notre droit la prévoit notamment à l'égard d'auteurs de crimes constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou d'actes de terrorisme. La personne concernée ne doit pas être titulaire de la nationalité française depuis plus de quinze ans. Les conditions sont rigoureuses. Dans sa décision QPC Ahmed S. du 23 janvier 2015, le Conseil constitutionnel a décidé qu'il n'était pas possible de prendre en compte des crimes ou délits moins graves que ceux déjà visés, ni d'allonger la période probatoire de nationalité. La déchéance de nationalité n'est pas une peine prononcée par un juge. Elle résulte d'un décret du Gouvernement, pris après avis conforme du Conseil d'État, juge de l'excès de pouvoir. Selon moi, nous sommes allés au plus loin de ce qu'il est possible de faire dans le respect de la Constitution. Notre rapporteur a souligné que ce sujet n'a qu'un rapport indirect avec le droit européen. La citoyenneté européenne découle de la possession de la citoyenneté d'un État membre. Lorsqu'un citoyen français, titulaire d'une autre nationalité d'un État non membre de l'Union européenne, perd sa nationalité française, il perd sa citoyenneté européenne par voie de conséquence. La Cour de justice de l'Union européenne veille à ce que la déchéance de nationalité a été prononcée dans le respect des principes fondamentaux du droit européen. Je soutiens sans réserve l'amendement de notre rapporteur.

M. Michel Mercier . - Il est exact que le droit de la nationalité n'est pas un droit européen. Le droit d'accorder ou de retirer la nationalité, c'est-à-dire de reconnaître les siens, est une des premières prérogatives de l'État à qui il incombe de protéger ses ressortissants. Ce droit peut être interétatique si cela est prévu par une convention mais il ne relève pas du champ de compétence communautaire. La France a rarement ratifié des clauses conventionnelles limitant sa liberté en matière de déchéance de nationalité. La principale garantie accordée, à savoir l'interdiction de retirer sa nationalité à un citoyen qui ne possède pas d'autre nationalité, résulte d'une loi française et non d'engagements internationaux. Nous aurons sans doute l'occasion bientôt de discuter à nouveau de ces questions. La résolution est une invitation à agir. Or, nous ne demandons pas à l'Union européenne d'agir dans le domaine de la nationalité. Je partage donc l'opinion de notre rapporteur.

M. Philippe Bas , président . - Tout décret de déchéance de nationalité qui conduirait à ce qu'un ancien ressortissant français devienne apatride serait illégal. J'ajoute qu'il est souvent difficile d'avoir une certitude quant à l'existence d'une seconde nationalité.

M. Jean Bizet , président . - Je comprends la rationalité de votre réflexion. Le point 50 n'a pas sa place dans une résolution européenne. Toutefois, je ne regrette pas de l'avoir rédigé car le sujet fera l'objet de discussions ultérieures. Par pragmatisme, je souscris à la suppression de cet alinéa. Je me réjouis de l'esprit qui a présidé à nos réflexions dans nos commissions respectives. La résolution vise à armer davantage le Gouvernement, ce qui n'est pas chose facile. Nous sommes sous une menace constante. Il ressort de nos contacts avec M. de Kerchove et M. Claude Moraes, président de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen, qu'il existe une carence au niveau communautaire sur la coordination et l'échange des informations. Ce projet de résolution invite le Gouvernement à jouer davantage ces cartes afin d'être plus opérationnel.

La proposition de résolution est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Proposition de résolution européenne

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. HYEST, rapporteur

2

Rédactionnel

Adopté

M. HYEST, rapporteur

1

Suppression des dispositions relatives
à la déchéance de nationalité

Adopté

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