I. AUDITION DE MME FLORENCE ROBINE, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L'ENSEIGNEMENT SCOLAIRE (24 JUIN 2015)

Réunie le mercredi 24 juin 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'audition de Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire, responsable des programmes 140 « Enseignement scolaire public du premier degré » et 141 « Enseignement scolaire public du second degré » sur l'exécution des crédits du titre 2 et la gestion des recrutements dans l'éducation nationale.

Mme Michèle André , présidente . - Je vous propose de poursuivre notre série d'auditions préparatoires à l'examen du projet de loi de règlement en entendant la directrice générale de l'enseignement scolaire, Florence Robine, responsable des programmes 140 « Enseignement scolaire public du premier degré » et 141 « Enseignement scolaire public du second degré » de la mission « Enseignement scolaire ». Comme précédemment, cette audition est ouverte à la presse.

Je salue également la présence parmi nous de Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur la mission « Enseignement scolaire ».

Les dépenses de personnel se sont élevées à 120,8 milliards d'euros en 2014, soit 40 % des dépenses du budget général. Je rappelle que la mission « Enseignement scolaire » a représenté à elle seule plus de 40 % des effectifs de l'État et la moitié des dépenses de personnel.

La gestion de la masse salariale apparaît donc comme un important levier pour la maîtrise des dépenses publiques. La loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 fixe d'ailleurs l'objectif d'une augmentation maîtrisée de la masse salariale qui devra évoluer moins vite que l'inflation. Elle dispose en outre que les créations d'emplois dans les secteurs prioritaires, dont l'éducation nationale, devront être compensées par des réductions d'effectifs dans les autres secteurs.

C'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre afin que vous puissiez nous présenter l'exécution des crédits du titre 2 et la gestion des recrutements dans l'éducation nationale en 2014. Des questions ne manqueront certainement pas de vous être posées sur la mise en oeuvre des 54 000 recrutements dans l'éducation nationale sur la législature ou sur le pilotage de la gestion de ces crédits, dont on peut comprendre qu'il s'agit d'un exercice complexe compte tenu du nombre de paramètres à prendre en compte, tels que le glissement vieillesse technicité, le nombre de départs à la retraite, etc.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire » . - L'exécution 2014 des crédits de la mission « Enseignement scolaire » est satisfaisante, les taux d'exécution s'élevant respectivement à 100,19 % en AE et à 99,64 % en CP. Les prévisions ont donc été respectées. Les dépenses de personnel ont, quant à elles, atteint un montant de 60,3 milliards d'euros en AE comme en CP. Une sous-réalisation du schéma d'emplois peut toutefois être constatée dans le premier degré à hauteur de 1 077 équivalents temps plein (ETP) en moins, alors que le bilan des entrées et des sorties dans le second degré est, quant à lui, positif et s'établit à 973 ETP supplémentaires. Cela explique l'écart très faible aux prévisions au niveau global.

Mes observations tourneront toutes autour d'une question simple : peut-on à la fois faire du qualitatif et du quantitatif ?

Ma première question a trait à l'écart salarial qui peut être constaté par rapport aux autres pays de l'OCDE au détriment des enseignants français. Dans le premier degré, les salaires sont inférieurs de près de 14 % à la moyenne des pays de l'OCDE. Or, le primaire est un moment sensible, celui où doivent être acquis les fondamentaux, dont la lecture, chère à Jean-Claude Carle. Un article des Échos du 16 juin rappelait ainsi qu'en l'absence de revalorisation, le salaire des enseignants débutants serait prochainement rattrapé par le SMIC. Cela pose des questions en termes d'attractivité de la profession alors que ces personnels disposent désormais d'un diplôme de master. Un choix gouvernemental a été fait, celui d'une politique de recrutements massifs, qui est déjà en partie engagée et qui obère les marges de manoeuvre en matière salariale. Ma question est donc la suivante : une inflexion est elle-envisagée sur ce sujet ?

Par ailleurs, pour avoir été rapporteur spécial de cette mission pendant de nombreuses années, je dois reconnaître que si vos prédécesseurs avaient pour consigne de diminuer les effectifs, il leur était également demandé de compenser cette baisse par une augmentation du nombre d'heures supplémentaires. L'offre scolaire était donc in fine la même. Nous sommes dans une situation inverse aujourd'hui : on augmente les effectifs mais on diminue les heures supplémentaires. Cela a des conséquences sur la situation matérielle des enseignants qui tend à se dégrader. Je souhaiterais par conséquent savoir si la création de postes a bien été compensée par la baisse du nombre d'heures supplémentaires effectives. Pourriez-vous également nous indiquer le montant moyen d'une heure supplémentaire ?

S'agissant toujours de la question de l'attractivité du métier, avez-vous des informations sur le nombre de démissions, dans les premières années d'exercice de la profession notamment, comme cela existe pour les militaires de carrière. À l'inverse, avez-vous connaissance de personnes qui rejoindraient l'enseignement dans le cadre d'une seconde partie de carrière ?

Enfin, ma dernière question porte sur la productivité de la classe. Il me semble que les enseignants souffrent de la dégradation relative de leur productivité par rapport à d'autres métiers. Qu'il s'agisse de l'industrie, c'est une évidence, ou des services, c'est vérifié, la productivité a crû de manière tendancielle au cours de ces dernières décennies. Or, la productivité dans l'enseignement s'est dégradée en raison de l'augmentation du taux d'encadrement, pour des raisons que nous connaissons tous. La dégradation de la situation matérielle des enseignants résulte pour partie de cette baisse de la productivité de la classe. Des réflexions sont-elles en cours sur cette question ou bien estimez-vous qu'il existe une sorte de fatalité à cela ?

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Je ne reviendrai pas sur les questions d'exécution que vous avez parfaitement résumées.

Beaucoup de questions que vous m'avez posées concernent plutôt la direction des ressources humaines, que je ne représente pas ici mais à qui je transmettrai vos interrogations.

En ce qui concerne les écarts salariaux que vous avez rappelés, un effort est mené, en particulier dans le premier degré où l'écart est plus significatif, notamment en début de carrière. Cet écart est moins flagrant par la suite, les salaires des enseignants augmentant plus rapidement que dans les autres pays. En fin de carrière, les niveaux de rémunération se situent dans la moyenne de l'OCDE. Le ministère a mis en place une indemnité pour le premier degré, de l'ordre de 400 euros par an, qui devrait atteindre progressivement les montants du second degré.

S'agissant des heures supplémentaires, nous n'avons pas modifié leur taux ni diminué leur nombre depuis 2013. Les heures supplémentaires nous permettent de donner une certaine souplesse aux établissements, notamment au moment de la préparation de la rentrée. Cela permet aux enseignants d'effectuer l'intégralité de leur service dans un seul collège, par exemple, au lieu de devoir être présents dans plusieurs établissements. Pour répondre à votre question sur le montant moyen d'une heure supplémentaire, si je ne connais pas le chiffre exact, il me semble qu'il s'élève, pour une heure supplémentaire annuelle, à environ 1 370 euros en moyenne.

En ce qui concerne les démissions, je ne dispose pas de chiffres précis. Mais d'expérience, en tant que recteur dans des académies parfois difficiles, il n'y a pas de phénomène de démissions massives. Il arrive que certains stagiaires démissionnent avant leur titularisation, lorsque la réalité du métier ne correspond pas à leurs attentes, mais cela reste marginal. Je vais cependant demander des chiffres précis sur cette question que je vous transmettrai.

S'agissant de la dégradation de la productivité, il me semble que cette notion est difficile à mettre en oeuvre dans l'éducation. En ce qui me concerne, je préférerais parler d'efficacité ou d'efficience. Or, un facteur d'efficacité réside dans la qualité de la formation des enseignants. Nous avons travaillé à la reconstruction d'une formation de qualité pour permettre aux enseignants de prendre la mesure de leurs missions et de répondre aux objectifs que la Nation a fixés à l'école.

En ce qui concerne la dualité entre qualité et quantité, de mon point de vue, les deux doivent être poursuivies. On ne peut nier qu'il existe un besoin d'enseignants supplémentaires alors que la France, et nous pouvons nous en féliciter, connaît une très forte croissance démographique. Nous constatons ainsi, depuis quelques années, dans le second degré, une augmentation moyenne des effectifs d'élèves de près de 30 000 élèves par an. Nous avons donc besoin d'enseignants plus nombreux et de qualité, c'est-à-dire bien formés et accompagnés.

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire » . - Je rejoins en partie les observations de Gérard Longuet, notamment sur l'exécution, qui est en effet conforme aux prévisions, même si je ne partage pas son analyse sur la baisse de la productivité des enseignants. Je fais mienne sa remarque sur la sous-réalisation du schéma d'emplois dans le premier degré public, qui est inférieure de 1 077 ETP aux prévisions, alors que le bilan des entrées et des sorties dans le second degré est positif. Je rappelle en outre que le plafond d'emplois a été sous-consommé cette année encore.

La loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République du 8 juillet 2013 prévoit le recrutement de 7 000 personnels destinés, notamment, au renforcement des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED). Pourriez-vous nous indiquer à combien se sont élevés les effectifs des RASED en 2014 ?

En tant que rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire », je me suis ému, avec d'autres collègues, à plusieurs reprises de ce que les emplois d'assistants d'éducation ne soient pas inclus dans le plafond d'emplois du ministère et soient rémunérés par des crédits d'intervention. Avez-vous envisagé de placer ces personnels, comme nous le souhaitions, sous plafond ministériel ou, le cas échéant, de créer un plafond d'emplois spécifique, ce qui permettrait au Parlement de bénéficier d'une vision plus exhaustive des effectifs de l'éducation nationale ?

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, je me suis prononcé en faveur de la mise en place d'un plan pluriannuel de recrutements par discipline qui permettrait aux étudiants désirant passer les concours de l'enseignement d'avoir une meilleure visibilité. Un tel projet pourrait-il être mis en place ?

Enfin, ma dernière question rejoint celle de Gérard Longuet et concerne le nombre de démissions. Vous y avez déjà répondu en partie en indiquant qu'un effort devait être fait dans l'accompagnement des enseignants, grâce, en particulier, à la reconstruction d'une formation initiale. Cela était demandé par l'ensemble des organisations syndicales que nous avions reçues ici même.

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Compte-tenu de la technicité de certaines de vos questions, je ne serai pas en mesure de répondre à l'ensemble d'entre elles. Vous avez parlé d'une sous-réalisation du schéma d'emplois dans le premier degré, cet écart a également été constaté par nos services qui ont été surpris par une augmentation non prévue des temps partiels des personnels enseignants du premier degré. Si ces phénomènes sont difficiles à anticiper, nous faisons en sorte que le service soit néanmoins assuré.

S'agissant des effectifs des RASED, cette question me semble rejoindre celle plus large de la difficulté scolaire. Or, l'aide à la difficulté scolaire peut revêtir de nombreux aspects et donc engager des réponses différentes, dont le recours à des personnels spécialisés. Sur ce dernier point, nous travaillons à la reconstitution des effectifs. Cela nécessite des formations longues ainsi que des engagements de personnels et prend donc du temps.

D'autres réponses ont en outre été apportées pour traiter la difficulté scolaire, je pense en particulier, dans le premier degré, au dispositif « plus de maîtres que de classes », auquel d'importants moyens sont consacrés. Ces difficultés étaient autrefois traitées à l'extérieur de la classe par des personnels spécialisés. D'expérience, je ne suis pas convaincue que cela convienne à l'ensemble des enfants. Il me semble préférable de disposer d'une aide au sein de la classe plutôt que de séparer l'élève de ses camarades et de lui demander de rattraper des heures de cours ensuite. À cet égard, le dispositif « plus de maîtres que de classes » me semble intéressant, il donne des résultats positifs, qui font d'ailleurs l'objet d'une évaluation actuellement.

Enfin, s'agissant des assistants d'éducation, j'entends votre préoccupation, qui est légitime, sur la nécessaire visibilité et transparence en matière d'effectifs. Je précise cependant que le nombre d'emplois d'assistants d'éducation figure dans les documents budgétaires, même si, dans la mesure où l'employeur n'est pas l'État mais les établissements publics locaux d'enseignement, ces personnels ne peuvent pas, en l'état actuel du droit, être rémunérés sur des crédits de titre 2.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - La commission des finances est attachée aux chiffres. J'ai posé délibérément la question de la productivité pour faire le lien entre notre contrainte majeure de maîtrise de la dépense publique et les résultats médiocres de l'éducation nationale dans les enquêtes internationales de type PISA ( Program for international student assessment ) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Notre système d'éducation repose sur la classe : ne faut-il pas faire évoluer son mode d'organisation ? Thierry Foucaud a soulevé implicitement cette question en évoquant les assistants d'éducation. Il y a déjà eu des évolutions sur le terrain, avec la disparition, au cours des vingt dernières années, des classes uniques dans l'enseignement primaire - ce qui est assurément un regret car cela nous a fait perdre de vue les effets positifs du tutorat des plus âgés sur les plus jeunes. Nos enseignants ont aujourd'hui un niveau de diplôme bac +5 - ce qui n'était pas le cas des hussards noirs de la République de Charles Péguy - et auraient certainement besoin d'être suppléés et soutenus. Le fonctionnement de la classe n'est certes pas un sujet dans le champ de compétence de la commission des finances mais, à partir du moment où nous avons des contraintes budgétaires, nous avons un devoir de productivité.

Nos compatriotes sont habitués à bénéficier d'un système de santé qui soigne, à des avions qui volent, à des moyens de communication performants et ils ont du mal à se faire à l'idée d'un système éducatif qui ne fonctionne pas. Il y a une part de responsabilité des parents, j'en suis convaincu, une part de responsabilité des élus locaux, mais nous devons aussi nous interroger sur la productivité - pardonnez-moi pour ce mot qui peut vous sembler grossier - d'un système qui ne tient plus suffisamment compte de la diversité.

S'agissant de la « pente » de recrutements, la Cour des comptes a indiqué qu'il faudrait recruter 34 000 enseignants en 2015 et en 2016 pour tenir l'engagement du Gouvernement de créer 54 000 emplois supplémentaires dans l'éducation nationale. Si l'on tient compte des effectifs déjà inscrits en loi de finances initiale pour 2015, qui prévoit 9 561 postes supplémentaires, plus de 24 400 postes devront être créés en 2016. Ces objectifs vous semblent-ils vraiment atteignables ? Doit-on s'attendre à un dépassement massif de l'enveloppe budgétaire en 2015 et à une explosion de la dépense en 2016 ?

L'ensemble des postes ouverts aux concours de recrutement 2014 n'ont pas été pourvus. Cette faiblesse des recrutements a été en partie compensée par un recours aux contractuels. Pourriez-vous nous indiquer précisément le nombre d'emplois de titulaires et de contractuels ouverts et ceux effectivement pourvus ?

Enfin, des annulations importantes sur les crédits de personnel sont intervenues en fin de gestion au titre de l'année 2014 sur la mission « Enseignement scolaire », 174 millions d'euros de crédits de titre 2 ont été annulés. Ces annulations faisaient suite à des ouvertures par décret d'avance, à hauteur de 327 millions d'euros. Comment expliquer de telles difficultés de calibrage des dépenses de personnel en fin de gestion ?

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Sur la question de la réalisation du schéma d'emplois, nous nous astreignons à tenir l'engagement politique, maintes fois réaffirmé, de réaliser 54 000 recrutements dans l'enseignement public. Cet objectif a été difficile à mettre en oeuvre au début, pour des raisons qui ont été très bien mises en évidence par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale. Lorsque l'on « ferme la vanne » de recrutements pendant plusieurs années, il est extrêmement difficile de « remettre la machine en route ». Depuis le début des années 1990, les à-coups successifs de la politique de recrutement, en particulier les annonces de suppressions de postes, ont entraîné un recul très important du nombre d'étudiants se préparant au métier d'enseignant. Un enseignant se « construit » dans la durée. Nous aurons beau rouvrir des postes, la reconstitution du « vivier » prend environ quatre à cinq années.

Toutefois, nous avons, à l'heure actuelle, des signes extrêmement positifs de « reprise » : il y a eu un double recrutement en 2014 et le concours exceptionnel organisé cette année dans l'académie de Créteil pour créer 500 postes supplémentaires a attiré 11 000 inscrits. Nous mettons en oeuvre tout ce qui est possible pour inciter les étudiants à s'engager dans la préparation au métier d'enseignant. De ce point de vue, la réforme de la formation est un point important pour permettre aux futurs enseignants de se sentir confiants.

Concernant les annulations de crédits en fin de gestion, elles ont porté très majoritairement sur des crédits de titre 2 du compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » et non sur des crédits de rémunération directe.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Ceci est-il lié au fait que certains enseignants ont prolongé leur carrière et différé leur départ à la retraite ?

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Ceci s'explique effectivement en partie par un nombre moins important que prévu de départs à la retraite, en particulier dans le second degré, mais aussi par la modification de l'équilibre entre titulaires et contractuels, ce qui a un effet sur le CAS « Pensions ».

Vous avez également évoqué le décret d'avance de début décembre 2014. Il y a eu, il est vrai, un léger « surcalibrage » de 70 millions d'euros. Mais ceci paraît marginal par rapport au budget global de l'enseignement scolaire, comme l'a d'ailleurs noté la Cour des comptes dans son analyse sur l'exécution du budget 2014.

Concernant la répartition entre emplois titulaires et contractuels, je précise que nous n'ouvrons pas de façon différenciée des emplois de titulaires ou de contractuels. Il s'agit ensuite d'une problématique de ressources humaines de définir quels emplois sont occupés par des titulaires ou par des contractuels, si nous n'avons pas réussi à recruter des titulaires.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Pourriez-vous nous indiquer la répartition entre titulaires et contractuels ?

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Je vous fournirai bien sûr des chiffres précis ultérieurement. Mais je peux déjà vous indiquer que la proportion de titulaires et de contractuels est très différente selon les académies, comme vous pouvez l'imaginer...

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Y a-t-il une distinction entre le nord et le sud de la Loire, où le nombre de contractuels serait moins important ?

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Exactement, je vous confirme qu'au sud de la Loire, il y a relativement peu de contractuels, sauf dans des « poches » bien identifiées à l'intérieur de certaines académies. Il y a une hétérogénéité très forte. J'ai connu personnellement des académies - le sénateur Georges Patient s'en souvient certainement - où le taux de contractuels peut atteindre 30 %.

Mme Michèle André , présidente . - Pourrez-vous nous transmettre des informations plus détaillées par écrit ?

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Oui, bien entendu.

M. Jean-Claude Carle . - La France consacre environ 145 milliards d'euros à l'éducation, c'est-à-dire près de 6,5 % du produit intérieur brut (PIB) ce qui la situe dans la moyenne des pays de l'OCDE. Le budget scolaire représente quant à lui environ 64 milliards d'euros et a quasiment doublé depuis 1980. Or les résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes. Notre pays a l'un des systèmes scolaires les plus inégalitaires et le déterminisme social y joue un très grand rôle : aujourd'hui, un fils d'ouvrier a dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu'un fils d'enseignant ou de cadre supérieur. 20 % à 30 % des jeunes qui entrent en classe de sixième ont des difficultés à maîtriser les fondamentaux. Sans parler des 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification.

À mon sens, ceci relève moins d'un problème de moyens que d'un problème d'affectation des ressources : l'enseignement primaire est « sous-financé » tandis que le secondaire concentre davantage de moyens. C'est d'ailleurs ce qui nous différencie des pays qui réussissent le mieux : ceux-ci ont porté leurs efforts sur le primaire car tout se joue vers l'âge de sept ans. Or, nous continuons à nier cette réalité. Cela se confirme d'ailleurs dans l'exécution du budget 2014 : le premier degré connaît une sous-réalisation de son schéma d'emplois d'environ 1 000 ETP tandis que le secondaire enregistre une sur-exécution de 973 ETP.

La deuxième distorsion caractérisant le système français concerne les salaires des enseignants. Si l'on se réfère aux comparaisons de l'OCDE, ils vont du simple au double entre la France et l'Allemagne, alors même que les enseignants du primaire français travaillent davantage d'heures qu'en Allemagne. Comment s'étonner, dans ce cas, du peu d'attractivité du métier d'enseignant et du peu de candidats aux concours ?

La troisième distorsion observée en France par rapport aux pays qui réussissent est le poids des personnels administratifs. Ils représentent 23 % de votre budget, Madame la directrice, contre 18 % en moyenne dans l'OCDE.

Le budget de l'enseignement scolaire pour 2016 tâchera-t-il de réduire ces distorsions ? Allons-nous en finir avec la logique de hausse continue des dépenses ? Va-t-on redéployer les moyens sur le premier degré ? Enfin, le poids des dépenses de personnels administratifs diminuera-t-il ?

M. Philippe Dallier . - Une audition en commission des finances sur un sujet tel que l'enseignement scolaire est nécessairement frustrante. Nous aurions tous envie de poser des questions sur l'efficacité des moyens ou la gestion des ressources humaines plutôt que sur des questions purement budgétaires.

Madame la directrice, vous avez évoqué l'académie de Créteil. Je vais vous parler plus précisément de la Seine-Saint-Denis, dont je suis l'élu. La pression démographique est forte et il existe des difficultés pour recruter. Ceci nous a amenés à ouvrir un deuxième concours, organisé après la première série de concours. J'ai lu l'argument selon lequel des recalés des autres concours régionaux pourraient venir se présenter dans l'académie de Créteil. Ce type d'arguments est difficile à accepter. Le fait même de décaler dans le temps ce concours par rapport aux autres amène à s'interroger. Pour ma part, cela me choque et je ne trouve pas cela normal. Ceci étant dit, des postes sont créés mais nous avons énormément de mal à les pourvoir, avec un taux de contractuels hors norme. Cela est encore plus compliqué de remplacer les enseignants absents. Les moyens permettant de pourvoir aux remplacements sont-ils isolés par académie ou par département ? Dispose-t-on des indicateurs de performance sur ce sujet ? Que faites-vous pour remédier à la situation actuelle ?

M. Vincent Delahaye . - Je suis surpris de ne pas trouver dans les documents budgétaires un tableau de synthèse récapitulant le nombre de classes, d'élèves et d'enseignants par niveau, et leur évolution sur plusieurs années. Est-il prévu d'inclure un tel tableau dans le prochain projet annuel de performances de la mission « Enseignement scolaire » ? Ensuite, je souhaiterais savoir quel a été, en 2014, le budget consacré à la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires, en comparaison du budget initialement prévu ?

M. Michel Bouvard . - J'ai bien entendu, Madame la directrice, que vous faites face à une augmentation des effectifs scolaires. Je me permets toutefois de rappeler qu'il y a encore trois ans, nous avions 12 % d'élèves en moins par classe par rapport à la moyenne de l'OCDE, ce qui laissait une certaine marge de manoeuvre. Ma première question concerne la « bivalence », c'est-à-dire l'enseignement de deux matières par professeur. Nous avons en effet à gérer le problème des options, tout en assurant la souplesse de gestion des enseignants. La bivalence est-elle enfin intégrée à la formation initiale des enseignants ?

Ma deuxième question concerne les indicateurs. Au moment de la loi de règlement, il est intéressant de regarder les indicateurs afin de nous renseigner sur les résultats du ministère. Je m'interroge sur le contenu de certains indicateurs et plus particulièrement deux d'entre eux : celui mesurant les absences remplacées et celui renseignant le taux d'occupation des enseignants remplacés. Il y a encore deux ans, cet indicateur prenait uniquement en compte les congés pour maladie ou maternité et excluait les absences pour motif personnel ou syndical. Surtout, il ne comptabilisait que les absences de plus de quinze jours dans le second degré, soit neuf dixièmes des absences mais seulement un tiers des journées d'absences. Enfin, le rapport de la Cour des comptes, intitulé « Gérer les enseignants autrement », indiquait que de nombreuses absences qui auraient dû être saisies ne l'étaient pas. Il y a donc un décalage entre l'indicateur donné au Parlement et la réalité des absences. Le contenu de cet indicateur a-t-il été modifié pour inclure la totalité des absences ?

M. Roger Karoutchi . - J'ai eu l'occasion, lorsqu'en 2010 je représentais la France auprès de l'OCDE, de défendre le système éducatif français pour le rapport PISA. Cela n'était pas facile. Très sincèrement, notre système dérape et dérive depuis trente ans. Il y a de plus en plus de charges et de centralisation. Le « mammouth » de l'éducation nationale a du mal à laisser plus d'autonomie aux enseignants. En 2010, on me faisait ainsi remarquer que le système éducatif de la Corée du Sud avait globalement 32 % de moins de charges administratives. Nous dépensons beaucoup mais mal ; en réalité notre système éducatif n'est pas performant. Dans les autres pays de l'OCDE, il y a un nombre d'élèves moyen par classe plus élevé avec de meilleurs résultats. L'obsession « pédagogiste » française qui considère qu'il ne faut pas plus de vingt élèves par classe est une aberration. Ne pensez-vous pas, Madame la directrice, qu'il faudrait aller vers un système laissant plus d'autonomie aux enseignants, avec moins d'enseignants mieux payés et moins d'options, qui alourdissent notre système ? Ne serait-il pas temps d'avoir un système plus décentralisé, plus attractif pour les professeurs et laissant davantage d'autonomie aux établissements ? En un mot, êtes-vous prête à faire la révolution ?

M. Serge Dassault . - Notre système éducatif actuel fabrique des chômeurs : environ 150 000 jeunes par an qui sortent du système sans aucun diplôme. Or, la seule chose qui est faite est la suppression de la sélection, des redoublements... Qu'envisagez-vous de faire ?

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Je voudrais d'abord rappeler que la priorité au premier degré est inscrite dans notre action. En effet, nous partageons l'idée selon laquelle beaucoup se joue dans le primaire. C'est pourquoi des moyens supplémentaires y sont consacrés mais aussi qu'un effort a été consenti en matière d'accompagnement et de formation.

Sur la question relative au remplacement, je rappellerai que, depuis que j'ai été nommée recteur en 2009, j'ai eu l'occasion d'administrer plusieurs régions, au moment des suppressions massives de postes notamment. Or, pour éviter de mettre en difficulté les familles et les établissements tout en respectant le schéma d'emplois, nous avons massivement supprimé des postes de remplaçants et de RASED, et plus généralement de personnels qui n'étaient pas devant la classe. Le potentiel de remplacement a été affaibli, nous le reconstruisons depuis. Il revient aux recteurs - car nous sommes un ministère déconcentré - de déterminer la part respective des postes devant élèves en classe et des postes de remplacement, d'accompagnement des élèves ayant des besoins spécifiques, je pense notamment aux élèves en situation de handicap. Des efforts ont été consentis, mais cela n'est pas encore suffisant.

Vous avez évoqué la question des indicateurs sur les taux de remplacement. Je vous confirme qu'un tel indicateur existe dans les documents budgétaires, même s'il ne prend en compte que les absences de plus de quinze jours. En effet, les absences de moins de quinze jours doivent être gérées en interne, conformément au protocole de remplacement de courte durée. Dans le second degré, cela permet par exemple de remplacer un cours de mathématiques par un cours de français, etc. Il n'est donc pas prévu de modification de cet indicateur.

Je rappelle en outre que grâce aux créations d'emplois, nous avons pu reconstruire les effectifs des zones de remplacement, même si je reconnais que dans certains territoires, considérés comme moins attractifs, la situation reste tendue. Au total, il me semble que les moyens sont là mais qu'il subsiste une difficulté pour attirer et conserver les enseignants.

La politique d'éducation prioritaire, qui sera généralisée à la rentrée 2015, améliorera de manière substantielle la condition de nombre d'établissements et d'enseignants. Des primes importantes seront ainsi accordées aux enseignants dans les réseaux d'éducation prioritaires renforcés (REP +), pour un montant d'environ 2 300 euros par an. Ces enseignants bénéficieront en outre d'allègements de services qui leur permettront de bénéficier de compléments de formation ou encore de prévoir des temps de rencontre avec les familles, dont on connaît l'importance. Enfin, des mesures seront prévues pour ces personnels en termes de promotion ou de mutation. Nous travaillons donc à la mise en place d'une véritable différenciation territoriale afin de stabiliser les équipes. C'est une question complexe dans la mesure où, dans certains territoires, notamment ruraux, également prioritaires, il n'y a aucun « turn-over », contrairement à la Seine-Saint-Denis. Les incitations ne doivent donc pas être les mêmes : dans ces territoires, il serait plus pertinent d'inciter les enseignants à changer d'établissement ou d'académie. Cette politique doit être une prérogative des recteurs afin qu'elle puisse être la plus adaptée possible à la réalité de chaque territoire.

Sur la question de Jean-Claude Carle sur le poids des personnels administratifs, il me semble que ce type de comparaisons doit se faire à périmètre identique. Or, la répartition des responsabilités entre les collectivités territoriales et l'État est différente d'un pays à l'autre. Une partie des responsabilités que nous assumons est exercée, dans d'autres pays, par les collectivités territoriales. L'accompagnement administratif à la charge de l'État dans le second degré ne dépasse pas 6 % à 7 % des personnels. D'expérience, il ne me semble pas que l'institution scolaire soit suradministrée. Au contraire, la charge qui pèse sur les personnels administratifs est énorme et je profite de cette audition pour leur rendre hommage. Je ne crois pas que l'éducation nationale soit un ministère surencadré compte tenu des responsabilités qui sont les nôtres. En cette période d'examen, on ne peut que se féliciter de pouvoir compter sur les personnels d'encadrement et administratifs pour faire face aux responsabilités qui nous sont assignées.

M. Michel Bouvard . - Je ne peux pas me satisfaire, comme parlementaire et comme citoyen, d'un indicateur qui exclut de facto 50 % des absences du périmètre permettant de calculer le taux d'absences remplacées dans le secondaire. Il s'agit d'une forme d'insincérité administrative. Je ne conteste pas l'existence d'une différence de gestion selon la durée de l'absence mais l'impossibilité de savoir si une absence aboutit ou non à un remplacement. Cette opacité nourrit une défiance chez le citoyen qui, lorsqu'il regarde ces indicateurs, peut s'étonner du décalage avec la réalité. En tant que parlementaires, nous recevons de nombreux courriers dans lesquels des parents d'élèves se plaignent d'absences non remplacées. Or, les indicateurs de performance indiquent des taux de remplacement très satisfaisants. Cela est vrai, mais pour la moitié du périmètre pris en compte seulement.

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Je m'interroge sur l'efficience d'un système qui nécessiterait des remontées heure par heure...

M. Michel Bouvard . - Entre quinze jours et une heure, il y a un écart...

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Cela est la même chose pour nous dans la mesure où nous ne disposons pas, dans nos systèmes d'information, de remontées permettant de suivre la présence des enseignants, celle-ci étant gérée selon un principe d'autonomie, de décentralisation et de non-surcharge des personnels administratifs localement, par le chef d'établissement qui est le premier responsable de la continuité des apprentissages.

M. Vincent Delahaye . - Vous n'avez pas répondu à mes questions sur l'établissement d'un tableau de bord et sur la dépense liée au fonds d'amorçage des rythmes scolaires.

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Nous ne faisons pas figurer ce type de tableaux dans les documents budgétaires dans la mesure où la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) produit une synthèse complète dans un document intitulé « Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche ». Je transmettrai néanmoins votre demande.

En ce qui concerne le fonds d'accompagnement des rythmes scolaires, celui-ci est doté de 400 millions d'euros pour 2015. Je n'ai pas le chiffre exact de la dépense en 2014, mais celle-ci devrait être un peu inférieure au montant de 2015 dans la mesure où on a assisté à une montée en puissance progressive de l'enseignement privé. Je vais demander que l'on vous transmette les chiffres exacts.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Il y a un malentendu, Michel Bouvard ne demande pas une gestion centralisée des remplacements mais une remontée de l'information. Nous savons parfaitement que pour une absence de moins de quinze jours, le remplacement est de la responsabilité du chef d'établissement. Nous ne lui refusons pas cette possibilité. L'information en revanche n'est pas inintéressante. Je parlais tout à l'heure de l'aviation, de la santé et du numérique, j'évoquerai à présent les chemins de fer. En effet, les usagers sont désormais informés des retards, y compris en région parisienne. On peut imaginer qu'un système numérisé pourrait permettre d'accéder à une information centralisée, même si la gestion du remplacement demeurerait quant à elle décentralisée.

Mme Florence Robine, directrice générale de l'enseignement scolaire . - Je vais me renseigner auprès de la direction des ressources humaines sur l'existence d'une enquête sur ce sujet. À ce stade, je ne peux que rappeler que nos systèmes d'information ne nous permettent pas, à l'heure actuelle, de disposer des informations que vous demandez.

Mme Michèle André , présidente . - Vous avez pu constater que nos collègues sont attentifs à de nombreux sujets et, en particulier, à la question des absences qui constitue un élément de la récente réforme du règlement du Sénat. Je vous remercie d'avoir accepté de vous livrer à cet exercice difficile pour une fonctionnaire. La loi de règlement s'y prête peut-être davantage puisqu'elle consiste à analyser l'exécution et non à juger des orientations politiques.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page