EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mercredi 14 octobre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale, sur la mission « Remboursements et dégrèvements ».

Mme Marie-France Beaufils , rapporteure spéciale . - La mission « Remboursements et dégrèvements » présente deux spécificités.

D'une part, elle fait partie, avec la mission « Engagements financiers de l'État », des deux missions du budget de l'État dont les crédits sont évaluatifs et non limitatifs : en d'autres termes, les montants inscrits dans le projet annuel de performances correspondent davantage à une prévision qu'à un plafond. D'autre part, c'est la mission la plus lourde du budget de l'État : en 2016, 100,2 milliards d'euros de crédits sont demandés, montant quasiment stable par rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances initiale pour 2015.

Ces deux caractéristiques doivent être prises en compte : le poids budgétaire de la mission s'explique par le fait qu'elle récapitule tous les grands enjeux de la première partie du projet de loi de finances et le caractère évaluatif des crédits conduit à prêter davantage attention à la logique des dispositifs fiscaux qui sont à l'origine des restitutions, au-delà du commentaire des évolutions prévisionnelles dont le caractère est incertain. En d'autres termes, il s'agit de s'attacher aux causes des prévisions plutôt qu'aux montants inscrits.

Je vous présenterai successivement les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État puis d'impôts locaux, avant de dire quelques mots du contrôle budgétaire que j'ai commencé au sujet des bénéficiaires du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Le programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » devrait s'élever à 88,2 milliards d'euros en 2016, en baisse d'environ 3 milliards d'euros par rapport à la prévision révisée pour 2015. Cette baisse prévisionnelle de 3,2 %, soit 2,9 milliards d'euros, fait suite à deux années consécutives de forte augmentation des crédits alloués au programme. À cet égard, la hausse entre 2014 et 2015 devrait être encore supérieure à celle d'abord anticipée puisque la prévision révisée pour 2015 est supérieure d'environ 3,3 milliards d'euros à l'estimation de la loi de finances initiale pour 2015.

La baisse attendue en 2016 est principalement portée par deux grands ensembles : les restitutions d'excédents de versement d'acomptes d'impôt sur les sociétés d'une part et la restitution de la prime pour l'emploi d'autre part. En effet, l'augmentation anticipée du bénéfice fiscal des entreprises entre 2014 et 2015 s'élève à près de 10 % en raison de la reprise estimée de la croissance.

M. Serge Dassault . - Estimée !

Mme Marie-France Beaufils , rapporteure spéciale . - Oui, s'agissant du projet de loi de finances pour 2016, il s'agit forcément d'une estimation.

Du fait de cette augmentation du bénéfice fiscal, les premiers acomptes versés par les entreprises en 2016 - au titre des revenus 2015 - devraient dans l'ensemble être inférieurs au total de l'impôt dû et donner lieu à moins de restitutions.

La baisse drastique des remboursements liés à la prime pour l'emploi (PPE) est simplement le résultat de la suppression du dispositif, à compter de 2016, par la seconde loi de finances rectificative pour 2014. Des remboursements résiduels sont prévus à hauteur de 55 millions d'euros en 2016.

S'agissant des impôts locaux, les crédits demandés en 2016 au titre des remboursements et dégrèvements s'élèvent à 11,97 milliards d'euros, en hausse de 2,8 %, soit 325 millions d'euros, par rapport à la loi de finances initiale pour 2015. L'actualisation des prévisions pour 2015 se limite à une augmentation de 36  millions d'euros, inférieure à celle de l'année passée qui était de 142 millions d'euros et qui tranche avec les chiffres observés certaines années. Je pense notamment à l'année 2012 où l'ajustement avait atteint 1,1 milliard d'euros. Contrairement aux années précédentes, cette hausse ne s'explique pas par l'évolution des dégrèvements d'impôts économiques, mais essentiellement par l'augmentation des dégrèvements de taxe d'habitation et de taxes foncières.

M. Philippe Dominati . - C'est-à-dire que la situation des ménages se dégrade...

Mme Marie-France Beaufils , rapporteure spéciale . - Je note d'ailleurs qu'il est constaté une hausse du contentieux de 3,2 % sur la taxe d'habitation et de 4,6 % sur les taxes foncières, sans qu'elle soit compensée par une baisse des demandes gracieuses. Peut-être faut-il y voir, mais ce n'est qu'une hypothèse, une plus grande vigilance des collectivités territoriales sur l'évolution de leurs bases fiscales, dans le contexte de la forte diminution des concours de l'État.

Je souhaite également insister à nouveau sur l'importance de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, dont l'expérimentation s'est récemment achevée. Au-delà des effets qu'elle aura en matière de justice fiscale et de justice entre collectivités, en permettant de disposer de potentiels fiscaux plus fiables, cette révision pourrait avoir des effets très importants sur les dégrèvements d'impôts locaux, si elle devait se traduire par une baisse relative de la valeur locative des logements des ménages de condition modeste.

Enfin, je profite de la présentation de ce rapport pour vous faire part des premières conclusions du contrôle budgétaire que j'ai commencé au cours de l'année 2015, qui a porté sur le profil des bénéficiaires du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Le CICE constitue une dépense fiscale extrêmement coûteuse alors même qu'un large consensus s'était formé ces dernières années pour réduire le coût de ces « niches » : le coût budgétaire du CICE, c'est-à-dire le montant de CICE consommé en 2015, devrait s'élever à 12,5 milliards d'euros. Quant à la créance fiscale, qui est supérieure à son coût budgétaire puisqu'elle intègre des créances constituées sur l'État mais non consommées, elle devrait atteindre près de 18 milliards d'euros en 2015 pour atteindre plus de 20 milliards d'euros en 2017.

Tout d'abord, je souhaite rappeler les conséquences de la mise en place du CICE sur les services fiscaux : elle se traduit par une hausse significative des demandes de restitution d'impôts sur les sociétés, dans un contexte de diminution des effectifs. Le dispositif fait peser une charge de gestion - mais aussi de promotion - importante sur l'administration fiscale. Comme j'ai pu le constater lors d'une visite sur place à la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France, le travail préalable de vérification d'un dossier de demande de CICE est très lourd et fait intervenir un grand nombre de logiciels, dont certains apparaissent d'ailleurs vétustes.

Les interlocuteurs que j'ai rencontrés m'ont expliqué les conditions tendues dans lesquelles le CICE a été mis en place : il représentait une priorité politique absolue et a pris le pas sur d'autres dispositifs ou d'autres missions, au détriment du bon fonctionnement des services. Si les années à venir devraient être plus apaisées, en raison de l'adaptation des services à cette nouvelle charge, les représentants syndicaux que j'ai rencontrés ont fait part de leur inquiétude quant aux conditions dans lesquelles les missions de recouvrement et de contrôle sont effectuées et le seront à l'avenir. Or ces missions restent fondamentales : l'administration fiscale a pour principal rôle de recouvrer des recettes, et non de verser des fonds aux entreprises.

En outre, l'analyse du profil des bénéficiaires du CICE fait ressortir que la présentation du dispositif, et son intitulé, ne paraissent pas correspondre à la réalité de son fonctionnement. En effet, le CICE n'est pas concentré sur les entreprises qui sont effectivement soumises à la concurrence internationale, c'est-à-dire celles qui exportent. Je m'interroge donc sur l'intérêt de mettre en place un tel dispositif, d'autant que les allègements de cotisations sociales déjà en oeuvre depuis 1993, ainsi que le crédit d'impôt recherche (CIR), sont maintenus sans que l'impact sur l'emploi et l'investissement dans les entreprises ne paraisse significatif.

Je poursuivrai ce contrôle en 2016 et pourrai donc compléter ces premières observations.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général. - Je me demande où nous en sommes par rapport aux ambitions du Gouvernement concernant l'expérimentation de la révision des valeurs locatives, qui devait se tenir dans cinq départements. Avez-vous reçu des éléments d'information relatifs aux résultats de l'expérimentation dans ces départements ?

Par ailleurs, concernant le fonctionnement du CICE, je souhaite rappeler que la majorité sénatoriale était en faveur d'un dispositif automatique de dégrèvement, la TVA dite sociale, qui n'aurait pas nécessité de travail particulier de la part de l'administration. Le choix d'un crédit d'impôt ne me paraît pas simple : l'entreprise doit formuler une demande, ce qui lui fait du travail, ces demandes doivent ensuite être traitées par les services fiscaux, ce qui leur fait aussi du travail... cela n'est pas compatible la réduction des moyens alloués à l'administration fiscale. C'est un sujet de fond qui dépasse le CICE. Il faut y penser lorsque l'on met en place des crédits d'impôt : des dispositifs automatiques sont préférables.

M. Maurice Vincent . - Je voudrais rappeler que la mise en place du CICE comme celle du crédit d'impôt recherche fait suite au rapport de Louis Gallois sur la compétitivité de l'économie française. Ce rapport dressait le constat d'un affaiblissement de notre compétitivité depuis dix ans, problème auquel le CICE vise à répondre. Il s'agit donc d'une politique structurelle de long terme poursuivant l'objectif d'une redynamisation de l'économie. En ce qui concerne le CIR, le rapport non publié de la commission d'enquête sénatoriale présidée par Francis Delattre, qui faisait suite à une initiative du groupe communiste, républicain, citoyen (CRC), concluait dans un sens favorable à ce dispositif. Même s'il recommandait certains ajustements, il montrait que le CIR permet de soutenir la recherche et développement et de relocaliser des activités économiques en France. Je ne partage donc pas les conclusions de notre collègue rapporteure spéciale.

Par ailleurs, de manière plus générale, je relève, suite au rapport qui nous a été présenté, que de nombreux citoyens vont échapper à l'impôt sur le revenu en 2016 mais que nous retrouvons tout de même une part de ménages assujettis proche de celle qui a précédé le déclenchement de la crise.

M. Vincent Delahaye . - Je m'interroge sur l'écart entre les prévisions et l'exécution 2015 du programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » - respectivement 87,8 et 91 milliards d'euros - : ne risque-t-on pas de voir se reproduire le même écart en 2016 ?

M. Vincent Capo-Canellas . - À mon sens, la rapporteure spéciale est un peu sévère sur le CICE et le CIR. Je souligne que nous souffrons toujours d'un manque de recul sur ce dernier. C'est un dispositif récent qu'il s'agit de rendre stable et plus lisible, et non de bouleverser quelques temps à peine après sa mise en oeuvre. J'estime, pour ma part, qu'il est loin d'être inutile puisqu'il réduit les charges des entreprises. Nous devons prendre le temps pour évaluer cette mesure, qui a certainement été une bouffée d'oxygène pour l'économie française. Par ailleurs, s'agissant de la révision des valeurs locatives, nous sommes tous d'accord pour dire que le système actuel est injuste, mais je souligne le risque d'aboutir à un désordre majeur à force de vouloir tout réformer en même temps. C'est une contradiction dont il faudra un jour sortir, mais comment ?

M. Francis Delattre . - Je vais me concentrer sur le CIR puisque j'ai présidé la commission d'enquête sur le sujet. Nous n'avons pas constaté de détournements et n'avons proposé que quelques ajustements. Quand j'entends dire que le CIR n'a pas eu de résultats, je trouve cela absolument scandaleux. C'est totalement inexact. Il a permis d'impulser des projets de recherche dans des petites entreprises comme dans des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Je pense, par exemple, au cas des équipementiers du constructeur automobile Toyota : ces ETI que j'ai eu la chance de rencontrer assurent parfois la fourniture de plus de 10 % du coût total de la voiture. C'est grâce à la recherche et développement encouragée par le CIR que ces entreprises ont pu être au niveau en matière technologique et s'épanouir dans un contexte de crise.

De nombreux exemples du même type existent : je me suis rendu au salon des start-up à Los Angeles, l' electronic entertainment expo (E3). Nos entreprises sont, en gros, en deuxième position après les entreprises américaines. Le problème est qu'elles se font racheter dès qu'elles ont de bons produits, souvent parce que se pose la question du financement de l'innovation. Il s'agit d'un enjeu majeur. Le fait que le CIR permette parfois de financer un peu d'innovation n'a rien de scandaleux.

Nous disposons d'un autre atout : ce sont nos doctorants. Grâce au CIR, les partenariats entre des entreprises et des universités ou des centres de recherche se sont multipliés. Le CNRS, que nous avons auditionné, est très favorable à cette dynamique de coopération. Il s'agirait de 500 millions d'euros sur le total de 6 milliards d'euros au profit de nos laboratoires de recherche publique. Il ne faut pas opposer le CIR à la recherche publique.

On peut, certes, considérer que le CIR est un « cadeau » aux entreprises - mais je souhaite rappeler qu'il a été mis en place sous le Gouvernement de Pierre Mauroy dont des communistes faisaient alors partie.

Je conclurai donc que nous pouvons améliorer ce dispositif mais qu'il ne me semble pas opportun de le faire disparaître.

M. Serge Dassault . - Je me demande comment financer les dépenses supplémentaires liées au CICE, soit 12,5 milliards d'euros. D'où viendront ces crédits ? Qui va payer ? J'imagine qu'on va encore recourir à l'emprunt. J'avais interrogé à ce sujet le secrétaire d'État au budget Christian Eckert, qui ne m'avait pas répondu. Je rappelle, de plus, que ce dispositif concerne essentiellement des entreprises de services, donc des entreprises qui reposent sur des personnels à bas salaires. Les entreprises de production, celles qui contribuent le plus fortement à la croissance, ne sont pas concernées. Je m'interroge, en outre, sur la réforme de l'impôt sur le revenu. Là aussi, la question du financement se pose. Recourra-t-on à l'emprunt une fois de plus ? Tout cela n'est pas de la bonne gestion.

M. Jean-Claude Boulard . - Le montant total des dégrèvements pour les taxes foncières et la taxe d'habitation représente 5 milliards d'euros. J'espère que ce ne sera jamais une variable d'ajustement mais nous devons rester vigilants, notamment lors de la révision des bases locatives que nous attendons avec une infinie patience. Il n'y a pas de raison technique au report de la réforme. La seule raison est politique et réside dans le fait que la contraction des recettes des uns se fera en contrepartie de plus grandes ressources pour d'autres. C'est une réforme de vases communicants et il faudra un jour que soit organisé un débat sur les causes ayant conduit à ce que cette réforme soit différée, à juste titre, depuis plus de vingt ans.

Par ailleurs, je souhaiterais savoir si l'exonération de taxe sur le foncier bâti pour le logement social est remboursée ou dégrevée.

S'agissant du CICE, j'indique que les collectivités territoriales peuvent aussi en bénéficier. J'ai connu le cas, au Mans, d'une société d'économie mixte (SEM) de transport, donc peu exposée à la concurrence internationale, qui va bénéficier du CICE et le remboursera à la collectivité. C'est intéressant et j'invite mes collègues à se renseigner sur le sujet, d'autant plus que les collectivités territoriales participent au financement du CICE : le repli des dotations aux collectivités territoriales s'explique par la mise en place du CICE depuis 2014 et du pacte de responsabilité depuis cette année.

M. Marc Laménie . - Le montant de la prévision 2016 du programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » s'élève à 88 milliards d'euros. C'est une somme importante. Puisque plus de 49 milliards d'euros correspondent à la TVA, quel est le montant lié aux collectivités territoriales au titre du fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) ?

M. Richard Yung . - Nous ne pouvons pas suivre les conclusions de la rapporteure spéciale sur le CIR et le CICE. Il s'agit de deux dispositifs essentiels de l'action du Gouvernement. Sur le CIR, Francis Delattre a dit l'essentiel. Il fait la force, l'image et la compétitivité de notre économie. Le remettre en cause serait se tirer une balle dans le pied. Pour ce qui concerne le CICE, c'est la pièce maîtresse du Gouvernement à la fois pour restaurer un meilleur niveau de compétitivité et pour créer des emplois. Je note qu'il atteint désormais son rythme de croisière : ce n'est vraiment pas le moment de le contester.

M. Bernard Lalande . - Les positions anti-CIR et anti-CICE m'ont toujours surpris. Francis Delattre et Richard Yung ont montré que le CIR permet de financer l'avenir. C'est notre responsabilité d'assurer le financement de la recherche et de l'innovation des entreprises françaises. Nous étions quelques-uns qui, faisant partie de la commission d'enquête sur le CIR, avions suivi les conclusions de son président Francis Delattre car nous estimions que ce dispositif a toute sa raison d'être.

Je tiens à apporter des précisions sur la nature du CICE : il ne faut pas être dogmatique, il ne s'agit pas d'une réduction de charges. 65 à 70 % des entreprises bénéficiaires sont des entreprises françaises qui n'exportent pas. Baisser les charges des entreprises diminue leur prix de revient ; immédiatement le marché vient chercher ce gain pour faire de la compétition. Le CICE est un crédit d'impôt et ne modifie donc pas le prix de revient de la prestation ou du bien. Si nous nous contentions de baisser les charges, ce serait le tonneau des Danaïdes : le marché viendrait s'ajuster aux nouveaux coûts. Le CICE n'est pas dans cette logique ; au contraire, il favorise le développement des entreprises et leur permet de renforcer leurs fonds propres. Si l'on peut constater de meilleurs résultats en 2015 en matière de défaillances d'entreprises, c'est pour une part grâce au CICE.

Mme Fabienne Keller . - Les remboursements et dégrèvements de taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) sont assez stables alors qu'on devait voir ce montant baisser en raison du plafonnement des dégrèvements au profit des taxis. Cette dépense fiscale s'apparente, en effet, à une subvention aux énergies fossiles. Peut-on en savoir plus sur cet écart par rapport aux prévisions ?

En ce qui concerne le CICE, j'estime pour ma part qu'il constitue un effet d'aubaine. Un chef d'entreprise qui veut recruter calcule ce que lui coûte un salarié et si la réduction de charges n'est pas certaine l'année du recrutement mais se fait en décalé, comme dans le cas du CICE, le dispositif n'a pas d'effet sur l'emploi. Il sera très difficile de revenir à un système de réduction de charges, puisque l'on rencontrera un problème de double exonération l'année de bascule. À travers le CICE, nous sommes face à un système d'économie administrée : les pouvoirs publics prennent d'abord pour restituer ensuite. Il ne conduit pas à responsabiliser et libérer les énergies, ce que permettrait à l'inverse une baisse du coût du travail grâce à la réduction des charges des entreprises.

M. André Gattolin . - Je soutiens la rapporteure. Le CIR a conduit notre pays à être perçu à l'étranger comme un paradis fiscal en matière de recherche...

M. Michel Bouvard . - Pour une fois !

M. André Gattolin . - Certains États voient en effet leurs chercheurs partir pour venir travailler en France. Mais le problème n'est pas seulement celui d'une réduction générale des charges des entreprises. À ce sujet, je conseille à Francis Delattre de lire le rapport que j'ai co-écrit avec Bruno Retailleau sur l'industrie des jeux vidéo : nos travaux nous ont conduit à constater que la difficulté provient en grande partie de l'impossibilité d'un soutien sectoriel, contrairement à ce qui se passe en Amérique du Nord et en Asie. A filière équivalente, le salaire dans le domaine de la création informatique n'est pas plus élevé en France, charges comprises, qu'aux États-Unis. Mais hors secteur culturel, il devient impossible d'avoir des dispositifs de soutien sectoriel et de ce fait, les personnes que nous formons ou les filières que nous développons partent ensuite à l'étranger.

D'ailleurs, la conformité du CIR au droit européen pose question : la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, ouvre une enquête à ce sujet. La réglementation européenne ne nous permet de développer une stratégie sectorielle.

M. Éric Bocquet . - On est en droit de s'interroger sur ces dispositifs et je suis dubitatif sur les effets du CICE. Je voudrais vous présenter une note de Patrick Artus, qui n'est pas un dangereux révolutionnaire, relative au CICE. Nous constatons que les marges des entreprises progressent - c'était l'objectif - grâce à la diminution du prix du pétrole, à la dépréciation de l'euro et, en partie, du fait du CICE. Cette amélioration de la marge, comme le montre Patrick Artus, peut être utilisée de différentes façons : augmenter les réserves de liquidité, se désendetter, baisser ses prix de vente, augmenter les dividendes, augmenter les salaires, accroître les investissements, augmenter les stocks et embaucher. Sur beaucoup de ces points, les progrès sont très timides voire un peu suspects. La croissance de l'emploi reste très faible, les stocks se réduisent, les salaires ralentissent, les entreprises continuent à accumuler des réserves liquides et monétaires... Permettez donc que nous nous interrogions !

M. Didier Guillaume . - On peut certes s'interroger sur le CICE, sa mise en place, son évolution, son efficacité... Il ne faut pas oublier qu'il s'agissait d'un choix de stratégie politique, comme le rappelaient tout à l'heure Maurice Vincent et Richard Yung. Nous avons fait le choix de ne pas confirmer la TVA sociale de nos prédécesseurs et, comme l'a précisé Bernard Lalande, d'aider toutes les entreprises et pas uniquement celles qui exportent. La situation des entreprises en 2012 et 2013 était catastrophique : face aux difficultés économiques, les marges des entreprises ont beaucoup baissé et le coût du travail était très important. Les entreprises n'avaient aucune marge et licenciaient. L'objectif du CICE était de leur redonner des marges de manoeuvre, peut-être pas assez diront certains. Mais ce n'est pas de l'économie administrée.

Il n'y a pas toujours de décalage annuel, car certaines entreprises ont bénéficié d'un préfinancement. Les patrons de PME et de TPE que je rencontre sont très contents du travail de Bpifrance. À partir de cette année, il n'y aura plus besoin de préfinancement, car les entreprises toucheront automatiquement le CICE au titre des années passées. C'est une baisse des charges très importante, qui redonne aux entreprises des marges de manoeuvre. Il permet à certaines, qui auraient mis la clé sous la porte autrement, de bénéficier de 5 000 ou 10 000 euros pour acheter une machine ou simplement constituer la trésorerie qui leur a permis de ne pas fermer et, demain, d'être plus compétitives.

On peut certes s'interroger sur l'efficacité du CICE après deux années pleines d'application, mais c'est sur la durée qu'il faudra voir si les objectifs sont atteints. Si ce n'est pas le cas, nous serons les premiers à dire : nous avons tenté quelque chose qui n'a pas forcément fonctionné. Les résultats des entreprises permettent de dire que ça a quand même l'air de fonctionner. On peut s'interroger sur le fait que toutes les entreprises soient concernées, même la Poste, mais toutes les entreprises ont besoin d'être compétitives ! Et je préfère que la Poste bénéficie du CICE, continue à distribuer le courrier six jours sur sept à J+1 et soit compétitive, plutôt qu'elle soit rachetée par une entreprise extérieure.

Mme Marie-France Beaufils , rapporteure spéciale . - Je me réjouis de l'affluence à notre réunion de ce matin, qui sera désormais la règle et grâce à laquelle nous avons un vrai débat sur cette mission, contrairement aux années précédentes.

S'agissant de mon travail sur le CICE, le but est de savoir si les objectifs annoncés ont été atteints. Je n'en suis encore qu'au commencement et je le poursuivrai l'an prochain, mais les éléments à notre disposition ne vont pas dans ce sens. Je vous invite à lire le troisième rapport d'évaluation du comité de suivi du CICE, présidé par Jean Pisani-Ferry, qui dit notamment - et je l'ai constaté lors de mon déplacement - que dans les grandes entreprises, le CICE est demandé et géré par la direction des affaires financières, sans que la direction des ressources humaines ne semble fortement associée aux « gains » qui découlent de cette niche fiscale. Je rappelle que les comités d'entreprise devraient également être associés, mais nous n'avons pas encore d'éléments nous permettant de dire qu'ils l'ont été. S'agissant des investissements, le même rapport indique que le CICE n'a pas toujours permis leur augmentation.

Je n'ai pas écrit qu'il fallait supprimer le CICE - même si je le pense -, j'ai simplement expliqué que les éléments à notre disposition montrent que les effets sur l'emploi et l'investissement ne paraissent pas significatifs. Lors de la création de ce dispositif, le Gouvernement insistait sur deux points : la compétitivité et l'emploi. Mais si le vrai objectif est d'aider les PME et les TPE en matière de trésorerie, il est possible de trouver un outil plus adapté que le CICE.

S'agissant du CIR, si le président de la commission d'enquête que Francis Delattre était avait autorisé la publication du rapport, nous n'aurions pas ce débat. D'après les éléments à ma disposition, le rapport allait plutôt dans le sens d'une modification du dispositif que vers sa suppression.

J'en viens aux questions plus précises qui m'ont été posées. Qui finance le CICE ? Il n'y a pas de financement particulier, il s'agit d'une moindre recette au budget de l'État.

Par ailleurs, je précise à Didier Guillaume qu'il y aura encore du préfinancement assuré par la banque publique d'investissement, même si les conditions d'accès ont été renforcées. D'ailleurs, le CICE n'est pas forcément la formule la plus pertinente pour répondre aux problèmes de trésorerie des petites entreprises : peut-être faudrait-il plutôt réfléchir à un outil ad hoc .

Pour répondre à Vincent Delahaye sur l'évolution des crédits de la mission, l'essentiel de la variation des crédits du programme 200 provient de l'impôt sur les sociétés et plus particulièrement d'un dynamisme plus important que prévu du CICE. Il est difficile de prévoir à quel moment une entreprise va mobiliser la créance qu'elle détient sur l'État. En 2017, la créance fiscale liée au CICE devrait atteindre 20 milliards d'euros.

On m'a interrogée sur le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, mais il n'est pas retracé dans la mission « Remboursements et dégrèvements ».

S'agissant de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, que les taxis acquittent mais pour laquelle ils bénéficient d'un taux réduit, aucune évolution significative n'est constatée.

S'agissant des dégrèvements d'impôts locaux portés par la mission, ils ne font pas partie des « variables d'ajustement » au sein des concours financiers de l'État, qui comprennent des compensations d'exonération et sont des prélèvements sur recettes. Il faut être attentif à ce que cela ne change pas. Concernant la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, un rapport aurait dû être remis au Parlement le 30 septembre dernier sur les résultats de l'expérimentation. Pour ma part, j'insiste sur le fait que la révision des bases fiscales doit conduire à diminuer la fiscalité des foyers modestes.

J'en viens enfin aux crédits de la mission : à titre personnel, compte tenu des observations que je vous ai présentées, je voterai contre l'adoption des crédits. Mais je ne propose pas à la commission de les rejeter.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

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Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission.

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