EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. DES DISCRIMINATIONS RARES ET ILLÉGALES À L'ACCÈS À LA CANTINE DES ÉCOLES PRIMAIRES

A. UN SERVICE PUBLIC FACULTATIF MAIS SOUMIS AU PRINCIPE D'ÉGALITÉ ET À L'INTERDICTION DES DISCRIMINATIONS

1. Un service public non obligatoire mais largement répandu
a) Une compétence facultative des communes

La commune a la charge du service public de la restauration scolaire dans les écoles primaires publiques, qui incluent les écoles maternelles et élémentaires.

Toutefois, la restauration scolaire dans l'enseignement primaire constitue un service public administratif facultatif , annexe au service public de l'enseignement . Il ressort des dispositions du code de l'éducation et du code général des collectivités territoriales que « la création d'une cantine scolaire présente pour la commune [...] un caractère facultatif et qu'elle n'est pas au nombre des obligations [lui] incombant [...] pour le fonctionnement du service public de l'enseignement » 2 ( * ) .

Dans le second degré, la restauration scolaire est une compétence obligatoire des départements et des régions , en application des articles L. 213-2 et L. 214-6 du code de l'éducation qui disposent que la collectivité compétente « assure l'accueil, la restauration, l'hébergement [...] dans les [établissements] dont [elle] a la charge ». En conséquence, les dépenses au titre de la restauration scolaire figurent parmi les dépenses obligatoires de ces collectivités, fixées respectivement par les articles L. 3321-1 et L. 4321-1 du code général des collectivités territoriales.

Le caractère facultatif du service public de la restauration scolaire dans les écoles primaires implique que les communes sont entièrement libres de la création et de l'organisation d'un tel service , dans le respect des principes fixés par la loi et la jurisprudence.

Ainsi, à la différence d'un département ou d'une région, une commune peut mettre fin à ce service , en application du principe de mutabilité (ou d'adaptation) du service public 3 ( * ) , ou bien choisir d'en restreindre l'accès , pourvu que les critères retenus ne portent pas atteinte au principe d'égal accès des usagers. Les communes sont également libres d'exiger une participation financière des usagers 4 ( * ) , qui peut être modulée en fonction du revenu de la famille 5 ( * ) , pourvu que cette participation n'excède pas le montant le coût par usager supporté par l'autorité organisatrice 6 ( * ) .

Comme le précisait Mme Marie-Arlette Carlotti devant votre assemblée le 4 février 2014, en réponse à une question orale de notre collègue Michel Billout, « en l'état actuel du droit, les communes ne sont pas tenues de créer autant de places qu'il existe d'élèves potentiels » 7 ( * ) . En effet, dans sa décision Commune de Dreux du 13 mai 1994 portant sur l'accès à une école de musique, le Conseil d'État jugeait que « s'agissant d'un service public non obligatoire, créé par une commune, dont l'objet n'exclut pas que son accès puisse être réservé à certaines catégories d'usagers, le principe d'égalité des usagers du service public ne fait pas obstacle à ce que le conseil municipal limite l'accès du service en le réservant à des élèves [...] se trouvant dans une situation différente de l'ensemble des usagers potentiels du service » 8 ( * ) .

La restauration scolaire dans l'enseignement privé

La restauration scolaire dans l'enseignement privé relève de l'organisme de gestion de l'établissement.

Les cantines des établissements privés ne sont pas subventionnées par les collectivités et les repas sont donc facturés aux familles dans leur intégralité (ce qui revient environ au double de ce que payent les parents dont les enfants sont scolarisés dans l'enseignement public).

Toutefois, la loi du 31 décembre 1959 définit les modalités de financement par l'État et par les collectivités territoriales des établissements d'enseignement privés sous contrat et, codifiée à l'article L. 533-1 du code de l'éducation, elle prévoit que les collectivités territoriales peuvent faire bénéficier des mesures à caractère social tout enfant sans considération de l'établissement d'enseignement qu'il fréquente.

Le Conseil d'État a rappelé qu'il s'agissait là d'une faculté, non d'une obligation. Ainsi, « il appartient au conseil municipal d'apprécier, à l'occasion de chacune des mesures à caractère social qu'il institue en faveur des enfants scolarisés, s'il y a lieu d'en étendre le bénéfice aux élèves des écoles privées » 9 ( * ) .

Source : Défenseur des droits

b) Un service néanmoins très répandu

On estime que 80 % des vingt-quatre mille communes possédant une école primaire publique , soit environ vingt mille communes , proposent un service de restauration scolaire à leurs élèves . Toutefois, nombre de petites communes rurales s'associent pour proposer un service de cantine à leurs élèves, dans le cadre de regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) ou d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Le rapport du Défenseur des droits concluait qu' « il est de ce fait difficile de savoir précisément combien d'écoles publiques n'ont pas accès à un service de cantine 10 ( * ) . »

La mesure même de l'offre de restauration scolaire est malaisée. Le nombre d'élèves de l'enseignement primaire déjeunant à la cantine serait de trois millions environ, soit la moitié des effectifs scolarisés. Quatre cents millions de repas seraient servis chaque année dans les écoles 11 ( * ) .

2. Le service de restauration scolaire est déjà soumis aux principes d'égalité et de non-discrimination dans l'accès au service public

S 'il est mis en oeuvre, le service de restauration scolaire est astreint au respect des grands principes du service public , notamment le principe d'égalité, ainsi que des dispositions législatives et réglementaires qui y ont trait .

En ce qui concerne l'accès des élèves au service de restauration scolaire , celui-ci est gouverné par deux principes majeurs : l'égal accès au service public et l'interdiction des discriminations .

Le principe d'égalité devant le service public signifie que les usagers ne peuvent faire l'objet d'une différence de traitement pour un même service rendu que s'il existe entre ces usagers des différences de situation appréciables, objectives et proportionnées , ou si cette différence de traitement est justifiée par un motif d'intérêt général en rapport avec l'objet du service 12 ( * ) . Les communes peuvent ainsi restreindre l'accès au service lorsque la capacité d'accueil de la cantine est saturée, sous réserve que les différences de traitement obéissent aux conditions précitées 13 ( * ) .

Dans une décision du 28 décembre 2012 portant sur l'accès à un service de restauration scolaire dont les capacités étaient saturées, la cour administrative d'appel de Versailles a rappelé qu'« un service public, même facultatif, dès lors qu'il a été créé, impose l'égal accès des usagers ; que toutefois dans la mesure où le service public ne serait pas en mesure d'accueillir l'ensemble des usagers, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que , dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier 14 ( * ) . »

De plus, le refus d'accès à un service public fondé sur des critères discriminatoires constitue, aux termes de l'article L. 225-2 du code pénal, un délit puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Selon l'article L. 225-1 du même code, constitue une discrimination toute distinction opérée entre des personnes opérée « à raison de leur origine , de leur sexe, de leur situation de famille , de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur lieu de résidence , de leur état de santé , de leur handicap , de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge , de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée . »

Ainsi, si la commune n'est pas en mesure d'assurer l'accès de l'ensemble des élèves au service de restauration scolaire , il lui appartient alors « de déterminer, dans le cadre d'un règlement, l'ensemble des critères appropriés qu'il convient de prendre en compte afin de pouvoir apprécier dans toutes ses dimensions la situation objective des élèves et de leur famille au regard des caractéristiques de ce service public » 15 ( * ) , dans le respect des deux principes précités.


* 2 Conseil d'État, 5 octobre 1984, Préfet de l'Ariège, n° 47875.

* 3 Conseil d'État, 27 janvier 1961, Sieur Vannier, n° 38661 : « les usagers d'un service public administratif n'ont aucun droit au maintien de ce service ».

* 4 Conseil d'État, 6 mai 1996, Commune de Montgiscard, n° 148042.

* 5 Conseil d'État, 10 février 1993, Ville de la Rochelle, n° 95863.

* 6 Article R. 531-53 du code de l'éducation.

* 7 Question orale sans débat n° 0630S de M. Michel Billout (Seine-et-Marne - CRC) publiée dans le JO Sénat du 07/11/2013 - page 3190, réponse du ministère chargé des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, publiée dans le JO Sénat du 05/02/2014 - page 1276.

* 8 Conseil d'État, 13 mai 1994, Commune de Dreux, n° 116549.

* 9 Conseil d'État, 5 juillet 1985, Commune d'Albi, n° 44706.

* 10 L'égal accès des enfants à la cantine scolaire , rapport du Défenseur des droits, 28 mars 2013.

* 11 Idem, d'après le site Internet cantinescolaire.net.

* 12 Conseil d'État, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, n° 88032 et 88148.

* 13 Conseil d'État, 27 février 1981, Guillaume, n° 21987 et 21988, voir aussi Tribunal administratif de Versailles, ord. ref. 13 juin 2002, M. Durand, n° 1202932.

* 14 Cour administrative d'appel de Versailles, 28 décembre 2012, Commune de Neuilly-Plaisance, n° 11VE040083.

* 15 Réponse du ministère chargé des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, publiée dans le JO Sénat du 05/02/2014 - page 1276.

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