C. LA NÉCESSAIRE RÉVISION DU CADRE JURIDIQUE DE L'ÉTAT D'URGENCE

D'une manière plus générale, le cadre juridique de l'état d'urgence mériterait un réexamen à l'aune des enseignements tirés pendant cette première période de mise en oeuvre. Votre commission a cependant considéré que les délais extrêmement brefs d'examen du présent texte et le fait que le Parlement est actuellement saisi d'un projet de révision constitutionnelle, dont l'un des objets porte sur l'instauration d'un fondement constitutionnel à l'état d'urgence, ne permettaient pas de mener une telle réflexion dans des conditions propices à la conduite d'un travail parlementaire serein.

Ainsi, selon votre rapporteur, il appartiendra au législateur, le cas échéant saisi d'un projet de modification de la loi du 3 avril 1955, d'envisager l'opportunité de plusieurs compléments, au-delà des dispositions proposées par le Gouvernement dans son avant-projet de loi d'application sur l'état d'urgence qui pourrait résulter du nouveau cadre constitutionnel.

1. Garantir le droit au recours des personnes assignées à résidence

Sans avoir l'ambition d'être exhaustif, votre rapporteur estime en particulier qu'il serait opportun d'inscrire dans la loi le fait que la condition d'urgence est présumée remplie pour le recours juridictionnel en référé d'une mesure d'assignation à résidence et que les mesures de restriction de la liberté d'aller et venir ne peuvent s'opposer à ce que l'intéressé puisse venir plaider sa cause devant la juridiction administrative afin de garantir son « droit à l'audience ». À cet égard, votre rapporteur déplore qu'en dépit de la décision du Conseil d'État du 11 décembre 2015, qui affirme que la condition d'urgence pour la contestation d'une mesure d'assignation à résidence en référé liberté est présumée « sauf à ce que l'administration fasse valoir des circonstances particulières », le ministère de l'intérieur continue, un mois après l'édiction de cette jurisprudence, de soutenir dans ses mémoires en défense, à l'occasion des audiences de contestation de ces mesures, que la condition d'urgence n'est pas remplie en raison « de la menace exceptionnellement grave pesant sur le territoire national (...) l'urgence [devant] être appréciée en tenant compte de l'intérêt public qui s'attache à ce que la mesure ne soit pas suspendue » 86 ( * ) .

2. Préciser le cadre juridique des perquisitions

Le cadre juridique des perquisitions administratives mériterait également d'être précisé. À la lumière d'un cas individuel dont votre rapporteur a été saisi, il semble indispensable de prévoir dans la loi qu'une copie de l'ordre de perquisition est remise à la personne faisant l'objet d'une perquisition. Bien que les ordres de perquisition signés par les préfets disposent, en leur dernier article, que l'acte doit être notifié à l'intéressé, des perquisitions ont été conduites sans qu'il ait été procédé à une telle remise, ce qui rend ensuite quasiment impossible toute faculté de recours juridictionnel pour les personnes concernées, celles-ci n'étant pas formellement informées de leur droit au recours. De la même manière, il est indispensable qu'une copie du compte rendu de la perquisition soit, à son issue, remise à l'intéressé.

Dans le droit fil des propositions faites par le président Philippe Bas 87 ( * ) , il convient de préciser le statut des données informatiques copiées lors des perquisitions administratives. En effet, comme l'a indiqué votre rapporteur dans son rapport 88 ( * ) sur la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste, contrairement aux données recueillies à l'occasion de la mise en oeuvre d'une technique de recueil de renseignements en application de la loi du 24 juillet 2015 89 ( * ) , ces données informatiques ne font l'objet d'aucun statut légal spécifique. Les services qui les ont collectées peuvent donc en disposer sans aucune limitation temporelle et sans aucune garantie pour les personnes à qui elles appartiennent.

Cet encadrement législatif apparaît nécessaire au regard des développements récents de la jurisprudence constitutionnelle. En effet, l'absence d'un tel cadre juridique pour les données recueillies par la mise en oeuvre des techniques de surveillance des communications électroniques internationales a conduit le Conseil constitutionnel à déclarer contraires à la Constitution les dispositions relatives à cette technique de recueil de renseignement pour « incompétence négative » du législateur en relevant qu'« en ne définissant dans la loi ni les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés en application de l'article L. 854-1 (...), le législateur n'a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » 90 ( * ) .

Enfin, le réexamen du cadre juridique des perquisitions administratives constituera une occasion pour votre commission d'apprécier l'opportunité d'une autre proposition émise par Philippe Bas, ainsi que par le Gouvernement dans son avant-projet de loi, tendant à permettre la saisie temporaire des matériels informatiques supports de ces données dans le cas où leur copie lors de la perquisition ne serait pas possible.

3. Examiner l'opportunité du maintien de certaines prérogatives

Au regard des déclarations faites par le ministre de l'intérieur à l'occasion de son audition devant votre commission (« l'état d'urgence doit être une nécessité et certainement pas un confort, ce qui signifie que lorsque nous pouvons opter pour le droit commun, nous l'utilisons ») et de l'absence d'utilisation par l'autorité administrative de ces mesures au cours des douze semaines écoulées, votre rapporteur estime que la justification du maintien dans la loi du 3 avril 1955 de nouvelles prérogatives accordées par le législateur en novembre dernier à l'autorité administrative (dissolution d'associations et blocages de sites) se pose pleinement et devra être examinée à l'occasion des prochains débats législatifs pouvant s'y prêter.

4. Créer un lien entre les motivations de l'état d'urgence et celles des mesures prises en son application ?

Enfin, le législateur, à la lumière le cas échéant du nouveau cadre constitutionnel, devra s'interroger sur l'absence de lien entre les motivations à l'origine de la déclaration de l'état d'urgence et celles qui fondent les mesures de police administrative prises en son application. Comme l'a rappelé la jurisprudence du Conseil d'État du 11 décembre 2015 exposée ci-dessus par votre rapporteur, cet état du droit autorise aujourd'hui l'autorité administrative à prendre des mesures déconnectées de l'objectif de prévention du terrorisme, ce qui suscite des interrogations quant à la justification de l'utilisation de l'état d'urgence à d'autres fins que celles pour lesquelles il a été déclaré.


* 86 Voir, par exemple, ordonnance n° 1504254 du 15 janvier 2016 du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans.

* 87 Article 21 de la proposition de loi n° 280 (2015-2016) tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste.

* 88 Rapport n° 335 (2015-2016) fait par M. Michel Mercier au nom de la commission des lois sur la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste.

* 89 Le statut de ces données est désormais fixé par les articles L. 822-1 à L. 822-4 du code de la sécurité intérieure.

* 90 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, loi relative au renseignement.

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