ANNEXE 6 - ÉTUDE DE LÉGISLATION COMPARÉE SUR LE RÉGIME DE L'ÉTAT D'URGENCE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Mars 2016

- LÉGISLATION COMPARÉE -

Le régime de l'état d'urgence

_____

Allemagne - Belgique - Espagne -
Italie - Portugal - Royaume-Uni

_____

Cette note a été réalisée à la demande de

M. Philippe BAS,

Sénateur de la Manche

DIRECTION DE L'INITIATIVE PARLEMENTAIRE

ET DES DÉLÉGATIONS

LC 264

AVERTISSEMENT

Les notes de Législation comparée se fondent sur une étude de la version en langue originale des documents de référence cités dans l'annexe.

Elles présentent de façon synthétique l'état du droit dans les pays européens dont la population est de taille comparable à celle de l'Hexagone ainsi que dans ceux où existe un dispositif législatif spécifique. Elles n'ont donc pas de portée statistique.

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs par la division de Législation comparée de la direction de l'Initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

SOMMAIRE

Pages

NOTE DE SYNTHÈSE 189

MONOGRAPHIES PAR PAYS 209

ALLEMAGNE 211

BELGIQUE 215

ESPAGNE 221

ITALIE 231

PORTUGAL 235

ROYAUME-UNI 245

ANNEXE : DOCUMENTS UTILISÉS 251

NOTE DE SYNTHÈSE

Cette note est consacrée au régime de « l'état d'urgence », qui se caractérise en droit français par ce que « des pouvoirs de police accrus sont, dans ce cadre, confiés au Gouvernement et au préfet pour faire face à un "péril imminent" résultant d'atteintes graves à l'ordre public ou d'événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamités publiques » 266 ( * ) .

Elle repose sur l'étude des dispositions applicables dans six États de l'Union européenne : Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Portugal et Royaume-Uni.

Elle ne s'intéresse pas :

- aux régimes tendant à faire face aux calamités publiques ou aux catastrophes naturelles ;

- aux régimes d'état de siège ou d'état de guerre.

Après avoir rappelé les grands traits du régime applicable en France, et les conclusions qui résultent de l'examen de ces législations, elle présente successivement, pour chacun des pays faisant l'objet d'une des monographies figurant ci-après :

- le cadre constitutionnel applicable à l'« état d'urgence » ou à ses équivalents et son ordonnancement au regard des droits fondamentaux ;

- et les principales normes législatives qui en déterminent le régime.

A. LA SITUATION EN FRANCE

Faute de dispositions constitutionnelles le concernant, le régime applicable à l'état d'urgence résulte, en France, exclusivement de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, récemment modifiée le 20 novembre 2015 267 ( * ) .

• Absence de disposition constitutionnelle

La Constitution française prévoit deux régimes applicables en cas de crise grave, à savoir : l'octroi de pouvoirs exceptionnels au Président de la République (article 16) et l'état de siège (article 36), mais reste silencieuse sur l'état d'urgence.

En vertu de l'article 16 de la Constitution, « Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel ».

Le Conseil des ministres peut, aux termes de l'article 36, décréter l'état de siège, dont la prorogation au-delà de douze jours requiert l'autorisation du Parlement.

À la suite du dépôt par le Gouvernement d'un projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, le Parlement débat de l'inscription dans la Constitution du régime de l'état d'urgence. Le texte, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 10 février 2016, vise notamment à la constitutionnalisation de l'état d'urgence, dont découleraient de nouvelles mesures de police, comme la retenue de la personne concernée pendant une perquisition administrative ou la possibilité de contrôler l'identité sans avoir à justifier de circonstances particulières 268 ( * ) .

• Le régime applicable à l'état d'urgence

Modalités de déclaration

L'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres en cas de « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou d'« événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Il ne peut excéder douze jours, prorogeable par la loi, et s'applique sur tout ou partie du territoire (articles 1 er , 2 et 3 de la loi de 1955).

Restriction des libertés publiques résultant de l'état d'urgence

L'état d'urgence permet, dans une zone géographique déterminée, l'application de mesures exceptionnelles visant à restreindre les libertés des individus pour garantir la sécurité et l'ordre publics.

Le préfet d'un département concerné peut, à ce titre :

- « interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté » ;

- « instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé » ;

- « interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics » (article 5).

Le ministre de l'Intérieur a, quant à lui, la faculté de prononcer l'assignation à résidence d'une personne, assortie le cas échéant :

- de l'obligation de demeurer dans un lieu d'habitation, pour une durée ne pouvant excéder douze heures par jour ;

- de l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police et de leur remettre les papiers d'identité ;

- de l'interdiction d'entrer en contact avec certaines personnes ;

- du placement sous surveillance électronique mobile en cas de condamnation à une peine privative de liberté pour un acte de terrorisme (article 6, tel que modifié par la loi n o 2015-1501).

Le Conseil des ministres peut dissoudre par décret les associations dont les activités portent gravement atteinte à l'ordre public (article 6-1).

Le ministre de l'Intérieur ou les préfets ont également la possibilité d'ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, des débits de boissons et des lieux de réunion et d'interdire les réunions de nature à provoquer le désordre (article 8).

Ces mêmes autorités ont la faculté :

- d'exiger la remise des armes et des munitions (article 9) ;

- d'ordonner des perquisitions, de jour comme de nuit, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics, à condition d'en informer le procureur de la République sans délai (I de l'article 11).

Ne peuvent faire l'objet d'une perquisition les locaux affectés à l'exercice professionnel d'un parlementaire, d'un avocat, d'un magistrat ou d'un journaliste (I de l'article 11, résultant de la loi n o 2015-1501) 269 ( * ) .

Les officiers chargés des perquisitions sont autorisés à consulter les données stockées sur des équipements informatiques (article 11-I 270 ( * ) ). Enfin, le ministre de l`Intérieur peut prendre toute mesure visant à interrompre les services de communication en ligne qui incitent au terrorisme ou en font l'apologie (II de l'article 11).

Contrôle de la mise en oeuvre

Les mesures prises en application de l'état d'urgence sont portées sans délai à la connaissance des deux chambres du Parlement (article 4-1) et sont soumises au contrôle du juge administratif (article 14-1, inséré par la loi n o 2015-1501). Elles cessent de porter effet lorsque prend fin l'état d'urgence, à l'exception de la dissolution des associations dont les activités portent atteinte à l'ordre public (articles 14 et 6-1).

• Le rapport de la Commission des Lois du Sénat sur la prorogation de l'état d'urgence

Le régime de l'état d'urgence, notamment ce qui concerne ses modalités de déclaration et de mise en oeuvre, les limitations des libertés et les dispositions de la loi n o 55-385 du 20 novembre 2015 sont présentés dans le rapport n o 177 du 19 novembre 2015 de M. Philippe Bas, Sénateur 271 ( * ) .

Un bilan des mesures prises au cours de la première période d'application de l'« état d'urgence » depuis le 14 novembre 2015 a été effectué dans le rapport n° 368 du 3 février 2016 de M. Michel Mercier, Sénateur 272 ( * ) .


* 266 Emmanuel Dupic, « L'état d'urgence : pratiques et évolutions » dans La Gazette du Palais , édition professionnelle, vendredi 20-samedi 21 novembre 2015 ; n° 324 à 325, p. 6.

* 267 Loi n o 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 268 Extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 23 décembre 2015.

* 269 L'article 11 de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence instituait un « contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Cette disposition a été abrogée par la loi n o 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 270 L'article 11 prévoyait également, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015, la possibilité de copier ces données informatiques. Dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires à la Constitution.

* 271 Rapport n o 177 du 19 novembre 2015 de M. Philippe Bas, Sénateur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l'application de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 272 Rapport n° 368 de M. Michel Mercier, Sénateur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

Page mise à jour le

Partager cette page