TRAVAUX EN COMMISSION

I. AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES

Réunie le mercredi 28 septembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis rendu par le Haut Conseil sur les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

Mme Michèle André , présidente . - Nous accueillons Didier Migaud, qui nous présentera officiellement l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2017. Beaucoup d'éléments sont toutefois déjà parus dans la presse.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques . - Je vous remercie de m'avoir invité, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter les principales conclusions de l'avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année à venir.

C'est la quatrième fois que le Haut Conseil est appelé, en application de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012, à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées aux textes financiers annuels et sur la cohérence de ces derniers avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

L'environnement international de la France se caractérise aujourd'hui par deux traits principaux. Tout d'abord, une faiblesse particulière du commerce mondial en 2016, conséquence d'un ralentissement de la croissance américaine, de la situation toujours dégradée de plusieurs pays émergents, d'une moindre augmentation des importations chinoises et de facteurs structurels durables. Parmi ces facteurs, la tendance des entreprises multinationales à décomposer leur processus de production entre plusieurs tâches effectuées dans des pays différents, qui a fortement contribué à la croissance des échanges internationaux dans les années 2000, marque le pas. La croissance du commerce mondial pourrait être pratiquement nulle cette année.

Vient ensuite la poursuite d'une croissance modérée en zone euro, tirée par la demande intérieure. D'abord limitée à la consommation, stimulée par la baisse du prix du pétrole, la reprise s'est progressivement étendue à l'investissement. Elle bénéficie du relâchement des efforts budgétaires dans certains pays européens et de la politique monétaire très expansive de la Banque centrale européenne (BCE). La croissance de la zone euro a été de 1,6 % en rythme annuel au 1 er semestre 2016.

Toutefois des interrogations existent sur la poursuite de cette dynamique. Elles sont alimentées par quelques signes d'essoufflement de la croissance dans certains pays européens et par les craintes nées du vote du 23 juin sur le « Brexit ». L'activité au sein de la zone euro risque d'être affectée par la baisse de la livre sterling et le probable ralentissement de l'économie britannique. Les incertitudes liées aux modalités de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et au climat politique dans plusieurs pays européens pourraient affecter la confiance des agents économiques, avec des répercussions possibles sur la consommation et l'investissement. Les enquêtes de conjoncture disponibles jusqu'en septembre restent toutefois bien orientées.

Le Haut Conseil a examiné le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement pour 2016 et 2017, et plus particulièrement les hypothèses les plus importantes pour la prévision des finances publiques, à savoir la croissance, l'inflation, l'emploi et la masse salariale.

Les hypothèses de croissance retenues pour 2016 et 2017 (1,5 % pour chacune des deux années) sont identiques à celles du programme de stabilité d'avril 2016.

Pour l'année 2016, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement de 1,5 % est un peu élevée au regard des informations connues à ce jour. Elle est supérieure à la plupart des prévisions publiées récemment. En effet, l'acquis de croissance est de 1,1 % à la fin du premier semestre, après une augmentation du PIB de 0,7 % au premier trimestre suivie d'une légère baisse au deuxième trimestre. La réalisation d'une moyenne annuelle de 1,5 % en 2016 suppose une forte progression du PIB aux troisième et quatrième trimestres. Les indicateurs disponibles sur le début de l'été laissent penser que ce rythme de croissance pourrait être difficile à atteindre au troisième trimestre, même si les enquêtes de conjoncture sont assez bien orientées en septembre.

Pour l'année 2017, le Gouvernement a maintenu sa prévision d'avril du programme de stabilité (1,5 %) alors que la plupart des organisations internationales et des instituts de conjoncture ont depuis abaissé les leurs ; ainsi, en septembre, le Consensus Forecasts anticipait une croissance de 1,2 % et l'OCDE de 1,3 %. Le Haut Conseil estime que cette hypothèse de croissance de 1,5 % est optimiste compte tenu des facteurs baissiers qui se sont matérialisés ces derniers mois (atonie persistante du commerce mondial, incertitudes liées au « Brexit » et au climat politique dans l'Union européenne et dans le monde, conséquences des attentats notamment sur l'activité touristique, etc.). Le scénario cumule un certain nombre d'hypothèses favorables, notamment pour les prévisions de consommation et d'investissement.

La prévision d'inflation du Gouvernement pour 2016 (0,1 %) est inchangée par rapport à celle du programme de stabilité d'avril 2016. Elle est cohérente avec les indices de prix connus jusqu'à l'été : le glissement annuel des prix, qui oscille autour de zéro depuis plus d'un an, est de 0,2 % en juillet.

Pour 2017, l'hypothèse d'inflation est de 0,8 %, soit une légère baisse par rapport au programme de stabilité (1,0 %). Les produits pétroliers cesseraient de contribuer négativement à l'inflation, sous l'hypothèse d'une stabilisation du prix du baril de Brent à 40 euros. La hausse des prix redeviendrait alors proche de son rythme sous-jacent. Cette prévision d'inflation est inférieure à la plupart des autres prévisions disponibles et notamment à celle retenue pour la zone euro par la BCE dans sa prévision de septembre (1,2 %). L'hypothèse d'inflation pour 2017 paraît ainsi prudente et moins exposée au risque de surestimation que celles qui avaient été retenues pour les années précédentes.

Parmi les autres variables importantes pour les finances publiques, les hypothèses d'emploi et de masse salariale semblent un peu élevées pour 2017, en cohérence avec la prévision de croissance. Le Gouvernement prévoit pour 2016 et 2017 une augmentation soutenue de l'emploi recouvrant notamment une accélération progressive de l'emploi salarié des branches marchandes (120 000 en 2016 puis 160 000 en 2017). Ce dynamisme de l'emploi refléterait l'évolution de l'activité mais aussi l'effet des mesures de baisse du coût du travail (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, baisses de cotisations, prime à l'embauche) qui continueraient d'enrichir la croissance en emploi. Pour l'année 2016, compte tenu des évolutions connues jusqu'au deuxième trimestre, les prévisions d'emploi et de masse salariale sont réalistes. Pour 2017, les prévisions sont cohérentes avec l'hypothèse de croissance du PIB, que nous trouvons optimiste. Elles sont supérieures à celles publiées récemment par l'Unédic, qui retient l'hypothèse d'une croissance plus faible.

J'en viens à présent à la cohérence des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Il s'agit d'abord d'examiner la cohérence des prévisions de solde structurel présentées dans l'article liminaire du projet de loi de finances avec la trajectoire cible. Il convient ensuite de vérifier si ces prévisions de solde structurel sont elles-mêmes cohérentes avec les évolutions prévisibles des recettes et des dépenses, compte tenu des mesures annoncées.

Aux termes de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012, la cohérence du scénario de finances publiques s'apprécie au regard de la trajectoire de solde structurel de la dernière loi de programmation de finances publiques (LPFP), qui est celle du 29 décembre 2014. Effectuer cette comparaison - et donc comparer ce qui est comparable - suppose de retenir les mêmes hypothèses de croissance potentielle que dans la loi de programmation. Ces hypothèses ont ensuite été révisées à la hausse - de 1,3 % à 1,5 % pour chacune des deux années - dans le programme de stabilité d'avril 2015 et dans tous les textes ultérieurs.

Recalculées avec les hypothèses de croissance potentielle de la LPFP 2014-2019, les estimations du déficit structurel sont un peu plus élevées que celles présentées dans le projet de loi de finances. Il est estimé à - 1,7 point de PIB en 2016 et - 1,3 point en 2017. Les objectifs figurant dans la loi de programmation des finances publiques étaient respectivement de - 1,8 point et - 1,3 point. Les chiffres sont presque exactement ceux de la loi de programmation, qui se trouve donc respectée.

Les prévisions de déficit structurel pour 2016 et 2017 sont en revanche plus élevées que les objectifs fixés dans le programme de stabilité d'avril 2016 (de 0,3 point de PIB chaque année). Mais, comme le Haut Conseil l'a noté en mai dernier dans son avis relatif au projet de loi de règlement pour 2015, cet écart s'explique pour l'essentiel par les révisions à la hausse du PIB dans les comptes nationaux sur les années 2013 à 2015, qui ont eu pour effet de réduire les estimations de l'écart de production et de dégrader rétrospectivement celles du solde structurel. Cette sensibilité des données de solde structurel à des révisions du PIB avait conduit le Haut Conseil en mai à préconiser que soient également pris en compte d'autres indicateurs plus représentatifs de l'orientation de la politique budgétaire, comme l'effort structurel.

À cet égard, le Haut Conseil constate que les évolutions prévues de l'ajustement structurel et de l'effort structurel sont proches des objectifs du programme de stabilité et de la loi de programmation. L'effort structurel figurant dans le projet de loi de finances est identique à l'objectif figurant dans le programme de stabilité sur l'ensemble des deux années 2016 et 2017 (0,8 point de PIB en deux ans). Les ajustements et efforts structurels restent toutefois légèrement inférieurs au minimum fixé par les règles européennes, qui requièrent en principe au moins 0,5 point de PIB d'ajustement par an.

Les développements qui précèdent comparent les prévisions du projet de loi de finances pour 2017 à la loi de programmation et au programme de stabilité. Mais cette comparaison arithmétique un peu formelle ne saurait épuiser le sujet et permettre de porter une appréciation sur la cohérence réelle du projet de loi de finances. Il convient pour cela d'examiner la crédibilité des objectifs de solde présentés pour 2016 et 2017, et donc d'identifier les risques qui pèsent sur les évolutions de recettes et de dépenses. Sur la base des informations communiquées, les éléments d'appréciation suivants peuvent être formulés.

En 2016, l'objectif d'amélioration du solde, ce dernier devant être ramené à - 3,5 % du PIB, contre - 3,3 % en 2015, peut être atteint sous réserve de poursuivre une gestion stricte des dépenses. S'agissant des recettes, les prévisions actualisées du projet de loi de finances sont en ligne avec les informations disponibles en cours d'année. Les moins-values constatées sur certains impôts, notamment en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, sont en partie compensées par l'impact sur les prélèvements sociaux de la révision à la hausse de la masse salariale. Au total, les prélèvements obligatoires augmenteraient en 2016, un peu moins vite que le PIB en valeur (avec une élasticité de 0,9).

S'agissant des dépenses, les objectifs peuvent être tenus mais au prix de tensions sur les dépenses de l'État et de l'assurance maladie plus fortes en 2016 qu'en 2015. D'éventuels dépassements sur ces dépenses, sous forme de reports de charges, pourraient conduire à dégrader le déficit public des années ultérieures.

Pour 2017, le Haut Conseil souligne plusieurs facteurs de risques qui sont susceptibles de se matérialiser et d'obérer la réduction attendue du déficit de 3,3 % du PIB à 2,7 %. Il est vrai que l'effort demandé, de 0,6 point est élevé plus que celui attendu pour 2016.

Le Haut Conseil estime que les risques pesant sur les dépenses sont plus importants en 2017 que pour les années précédentes. En particulier, il note le caractère irréaliste des économies prévues sur l'Unédic au titre des négociations paritaires à venir (1,6 milliard d'euros). En effet, ces négociations ne devraient avoir lieu que dans le courant de l'année 2017, ce qui ne permet pas d'anticiper un effet significatif sur le solde 2017 de l'Unédic.

Il existe également de fortes incertitudes sur la réalisation des économies de grande ampleur prévues au titre de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Par rapport au programme de stabilité, le taux d'évolution de l'objectif a été relevé pour 2017, de 1,75 % à 2,1 %, mais ce relèvement ne couvre pas l'ensemble des dépenses nouvelles décidées au cours des derniers mois (augmentations tarifaires de la nouvelle convention médicale, hausse du point d'indice dans la fonction publique, protocole de parcours professionnels, carrières et rémunérations). Sa réalisation suppose donc un montant d'économies très élevé (4,1 milliards d'euros), significativement plus élevé en tout cas que les trois années précédentes, dont la réalisation complète est incertaine.

Des incertitudes pèsent également sur l'évolution des dépenses de l'État et des collectivités territoriales dont la dynamique sera notamment soutenue par les facteurs d'accélération de la masse salariale. Enfin, les recapitalisations annoncées des entreprises publiques du secteur énergétique pourraient alourdir le solde public en 2017. À ces risques s'ajoutent ceux portant sur les prévisions de recettes du fait des hypothèses économiques favorables retenues dans le projet de loi de finances.

En conséquence, le Haut Conseil estime improbables les réductions des déficits prévues par le projet de loi de finances pour 2017 (de - 1,6 point du PIB à - 1,1 point pour le solde structurel, de - 3,3 points à - 2,7 points pour le solde nominal). Sur la base des informations dont il dispose, il considère comme incertain le retour en 2017 du déficit nominal sous le seuil de 3 % du PIB.

Le Haut Conseil relève par ailleurs que le remplacement des baisses d'impôts portant sur la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et l'impôt sur les sociétés, par des crédits d'impôt, afin de financer une partie des dépenses supplémentaires annoncées pour 2017, conduit à reporter sur le solde 2018 l'impact de ces baisses de recettes. Les dépenses supplémentaires étant pérennes, ce choix fragilise la trajectoire de finances publiques à compter de 2018 et le respect de l'objectif de solde structurel à moyen terme.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Il y a eu des fuites dans la presse, signe qu'en cette période électorale l'avis du Haut Conseil est regardé avec une grande attention. Chacun a noté, d'ailleurs, que le ton avait changé : le Haut Conseil ne se contente plus de qualifier les prévisions « d'optimistes », il considère que certaines économies envisagées sont « irréalistes » et que le scénario de réduction du déficit du Gouvernement est « improbable ». Voilà qui est nouveau !

Vous soulignez l'existence de nombreux risques qui pèsent sur les recettes et les dépenses. Le Haut Conseil les a-t-il quantifiés ?

Le Gouvernement a annoncé de nombreuses baisses d'impôts dont l'effet se fera sentir principalement en 2018, à l'image du remplacement de la baisse des charges sur les entreprises en un crédit d'impôt, ce qui repousse la charge sur le budget d'un an. Ces moindres recettes dégraderont la situation budgétaire en 2018 et viendront s'ajouter aux dépenses supplémentaires annoncées. Dans quelle mesure ces différents éléments dégraderont-ils le solde public l'an prochain ?

Enfin avez-vous pris en compte le risque lié aux contentieux, comme par exemple celui relatif à la contribution sociale généralisée (CSG) ?

M. Didier Migaud . - Le ton a changé, certes, mais la campagne électorale n'y est pour rien. Le Haut Conseil ne s'exprime pas en fonction des échéances électorales. Le supposer est infâmant. Simplement, les incertitudes nous paraissent aujourd'hui plus élevées que les années précédentes. Le Haut Conseil émet des avis techniques, non politiques. Il est constitué de personnalités de sensibilités diverses qui se prononcent en toute objectivité. Dans tous les cas, son avis n'est que consultatif. La décision appartient au Gouvernement et au Parlement. La représentation nationale et le Gouvernement peuvent « s'asseoir dessus », c'est d'ailleurs ce que fait le Gouvernement. Mais il en a tout à fait le droit.

Le Haut Conseil n'a pas les moyens de procéder à des quantifications précises. Nous ne disposons pas d'ailleurs de tous les éléments. Nous constatons toutefois que l'accumulation d'hypothèses optimistes et la sous-estimation de nombreux risques rendent « improbable » l'objectif de réduction du déficit affiché pour 2017. Pour atteindre l'objectif de croissance en 2016, il faudra que la croissance soit forte aux troisième et quatrième trimestres. Il est vrai, toutefois, que les enquêtes de conjoncture sont bonnes. Les prévisions de croissance pour 2017 sont aussi un peu optimistes. Les risques principaux concernent les dépenses : les économies prévues pour l'Unédic, le respect de l'ONDAM, les recapitalisations des entreprises publiques, les tensions sur les dépenses de l'État et des collectivités territoriales, etc. Considérer que l'on réduira le déficit tout en augmentant les dépenses alors que la conjoncture ne s'améliore pas n'est pas une idée intuitive. La marche pour 2017 est haute. Le Haut Conseil est dans son rôle en le disant. « Improbable » ne signifie pas toutefois « impossible ».

Nous travaillons sur la base des informations fournies par Bercy. Le ministère des finances joue le jeu. Mais, en raison de nombreuses contraintes, l'exercice n'est pas simple. Nous n'avons pas identifié tous les risques ; nous ne connaissons d'ailleurs pas dans le détail toutes les mesures contenues dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. En tant qu'ancien rapporteur général et ancien président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, je sais d'ailleurs combien le débat parlementaire peut être riche en la matière !

M. François Marc . - Merci pour cet éclairage. La loi organique de 2012 a donné pour mission au Haut Conseil, notamment, d'apprécier la cohérence entre l'article liminaire du projet de loi de finances, d'une part, et la trajectoire pluriannuelle des finances publiques et nos engagements européens, de l'autre. Au regard de cet objectif, votre avis montre que le projet de loi de finances est en cohérence avec nos engagements européens. Il fallait le souligner.

La conjoncture économique est incertaine. Le monde vit sous perfusion des banques centrales et, en dépit de cet assouplissement monétaire massif, la croissance ainsi que l'inflation restent faibles. Qu'en sera-t-il lorsque cette perfusion monétaire cessera ? Quelles sont les estimations du HCFP en ce cas ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Le Haut Conseil des finances publiques ne fait pas de politique - n'est-ce pas, d'ailleurs, une source de frustration de constater que vos remarques, depuis des années, ne sont pas suivies d'effet ? Mais la période électorale vous a certainement conduit à choisir vos mots avec un soin particulier. Je constate en tout cas que vous mettez sérieusement en doute les hypothèses retenues par le Gouvernement. C'est la sincérité du projet de loi de finances pour 2017 qui est en jeu. Pourriez-vous nous en dire plus sur la transformation des baisses d'impôts en crédits d'impôt ? Une telle manoeuvre, qui reporte la charge sur les années suivantes, est lourde de conséquences à la veille d'une élection.

M. André Gattolin . - Nous avions adopté, grâce au soutien de Michèle André, un amendement prévoyant la parité au sein du HCFP. Je constate toutefois que son secrétariat est très masculin... En année électorale les incertitudes sont fortes ; les investisseurs repoussent leurs investissements, les dépenses publiques ont tendance à augmenter, etc. Avez-vous tenu compte de ce risque particulier ?

M. Serge Dassault . - Ne faut-il pas s'inquiéter d'une remontée des taux d'intérêt pour la France en raison de l'importance de la dette et d'une possible dégradation de sa note par les agences de notation ?

Qu'en est-il des 50 milliards d'euros d'économies annoncées à grand renfort de publicité par le Gouvernement ? On a pu constater que les dotations aux collectivités territoriales avaient baissé de 11 milliards, ce qui les met en difficulté. Mais les autres économies promises ont-elles bien été réalisées ? Il me semble que l'on est loin du compte...

M. Éric Bocquet . - L'avis du Haut Conseil est précieux, au même titre que celui de la Commission européenne, des agences de notation, du Fonds monétaire international (FMI), de la Cour des comptes, du Parlement, etc. L'an dernier au Sénat nous avions examiné plus de 600 amendements sur le projet de loi de finances. Au total, nous avons pu modifier celui-ci à hauteur de trois milliards d'euros, soit 0,8 % du budget... Je m'interroge sur la souveraineté du Parlement.

Les quatre plus grandes banques françaises posséderaient dans leurs comptes plus de 75 000 milliards d'euros de produits dérivés. Ces produits ont été au coeur de la crise financière de 2008. Ces chiffres donnent le vertige et révèlent une prise de risque considérable.

La dette est au centre de toutes les préoccupations des économistes et des politiques. Toutefois, je ne comprends pas comment les marchés financiers accepteraient de prêter chaque année 180 milliards d'euros à la France si notre État était réellement au bord de la faillite, comme on nous le répète à longueur de journée... En 2013, les administrations publiques possédaient un actif de 3 094 milliards d'euros et avaient un passif de 2 547 milliards, soit un solde net de 547 milliards. En somme, chaque Français en possède 10 000 euros. Pourquoi passe-t-on sous silence que la dette privée qui a crû plus vite que la dette publique ?

M. Marc Laménie . - L'exercice budgétaire est complexe. La marge de manoeuvre est limitée. Les risques et les aléas nombreux. Le déficit était de 4 % du PIB en 2014. L'objectif est de le réduire à 2,7 % en 2017. Peut-on parler d'une légère amélioration ? Qu'en est-il des hypothèses concernant la masse salariale ? Il n'est pas aisé de la réduire.

Mme Fabienne Keller . - Merci pour votre diagnostic clair. Je salue votre travail de vigilance et d'analyse factuelle. Vous refusez de quantifier les risques. Toutefois, vous évoquez le CICE. Marie-France Beaufils avait montré, dans un rapport publié avant la suspension estivale de nos travaux, que le reste à payer pour les années à venir s'élevait déjà à 20 milliards d'euros. Quel sera le montant du report supplémentaire prévu dans le projet de loi de finances ? Combien coûteront également les augmentations d'effectifs annoncées dans la police, la justice, l'armée, l'Éducation nationale ? Et combien coûtera la hausse du point d'indice de la fonction publique ?

Enfin, que répondez-vous à Michel Sapin qui déclarait, ce matin, que ce qui est « improbable » aujourd'hui sera réalisé demain ?

M. Richard Yung . - Je me réjouis de l'avis du Haut Conseil. Nous avions voulu sa création en 2012 pour éclairer le débat. Sans doute croyions-nous naïvement qu'il existait une réalité objective en matière économique ; en fait la réalité est plus complexe. Utilisons cet avis pour nous aider, sans l'instrumentaliser.

Il me semble que les résultats pour 2016 sont bons. Vous n'avez pas mentionné l'amélioration remarquable du solde de la Sécurité sociale ; nous venons de loin et la tendance se poursuivra l'an prochain. Le déficit public a été réduit de moitié par rapport à 2010 ; ce n'est pas rien ! De même, le déficit de l'État en juillet est inférieur aux prévisions. La tendance est bonne. Le Haut Conseil est toutefois dans son rôle, comme un médecin, en appliquant le principe de précaution.

La Commission européenne a montré qu'elle était capable de juger avec intelligence les budgets, comme elle l'a fait avec l'Espagne et le Portugal récemment, et Jean-Claude Juncker l'a réaffirmé la semaine dernière. Toutefois, un dirigeant de droite a déclaré que la règle des 3 % n'était pas un « mantra ». Évitons les polémiques !

M. Vincent Capo-Canellas . - « Improbable » sera certainement le mot budgétaire de l'année ! Il a une forte valeur pédagogique puisque chacun comprend que les prévisions budgétaires du Gouvernement ont peu de chances de se réaliser. Vous avez réussi à rendre accessible à tous une matière aride. Il est important que l'opinion soit éclairée.

Ce budget est la somme d'hypothèses optimistes. Quel serait, selon vous, le scénario le plus vraisemblable ? Quelle est l'ampleur des réductions de crédits que nous devrions voter pour atténuer les risques ?

M. Maurice Vincent . - Il est incontestable que l'amélioration des comptes est continue et spectaculaire depuis 2012. La question est de savoir à quel rythme elle se poursuivra. Vous avez évoqué le risque de recapitalisations en 2017. Avez-vous toutefois pris en compte d'éventuelles cessions dont les recettes pourraient abonder le compte des participations financières de l'État ? De même les bénéfices de la lutte contre la fraude fiscale sont difficiles à estimer et pourraient être plus élevés que prévus. Ainsi de nouvelles recettes sont envisageables.

Votre rapport m'aurait inquiété si vous aviez estimé que le déficit déraperait fortement, à hauteur de 4,5 % du PIB ou plus. Nous en serons loin ! De plus, dans le contexte économique actuel, serait-il vraiment grave que le Gouvernement ne réussisse pas à tenir l'objectif de 2,7 %, dès lors que l'écart serait d'ampleur limitée ? L'essentiel n'est-il pas de savoir s'adapter à la conjoncture en cas de ralentissement ? Finalement, je trouve ce rapport très encourageant !

M. Éric Doligé . - Ma question portera sur le « Brexit ». En avez-vous tenu compte ? Quel serait l'impact sur notre budget ?

M. Claude Raynal . - Je note votre position nuancée sur l'année 2016 : selon vous, les objectifs du Gouvernement pourront être respectés. C'est bon signe car il a fallu faire face aux attentats, engager des dépenses supplémentaires pour assurer notre sécurité ; il a aussi fallu composer avec le « Brexit ». L'exercice budgétaire, en effet, n'est pas un exercice financier abstrait mais vise à répondre aux attentes de la population.

Vous avez indiqué avec raison que le Haut Conseil ne faisait pas de politique et que son avis n'était pas influencé par les élections. Personne n'accuse le HCFP d'être partisan. Toutefois, votre avis ne tient-il pas compte, implicitement, du climat politique qui règne en France en cette période électorale ? Ne constitue-t-il pas plus généralement, en creux, une mise en garde à l'attention de tous les candidats à l'élection présidentielle ? Il est vrai que certaines annonces auraient de quoi vous inquiéter. Certains annoncent d'ores et déjà un collectif budgétaire. On entend parler de contre-choc fiscal, d'aggravation transitoire du déficit, certains envisageant même de laisser filer le déficit jusqu'à 4,7 %... Votre choix des mots n'est-il pas une mise en garde à l'égard de tous ?

M. Daniel Raoul . - Vous avez employé le terme « improbable ». Mais pour énoncer une probabilité, il faut la quantifier. Votre avis ne le fait pas.

Depuis 2013, date du premier avis du HCFP, la trajectoire pluriannuelle et nos engagements européens ont été respectés. Pourquoi en irait-il différemment en 2017 ? Si le Gouvernement avait retenu une prévision de croissance de 1,3 % et un déficit de 3 %, qu'auriez-vous écrit ?

Mme Michèle André , présidente . - Une dernière question sur le « Brexit » : les instituts de conjoncture ont révisé à la hausse, entre les mois de juin et septembre, leurs prévisions de croissance pour le Royaume-Uni l'année prochaine. Cette donnée ne vient-elle pas relativiser le caractère « optimiste », pour reprendre les termes du Haut Conseil, de l'hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement au titre de l'année 2017 ?

M. Didier Migaud . - Non, Marie-Hélène Des Egaulx, il n'est pas frustrant d'émettre un avis consultatif. Dans une démocratie, il est légitime que le pouvoir de décision revienne aux représentants du suffrage universel. Je ne commenterai pas les propos du ministre. Il y a deux ans, il avait choisi, au nom du principe de prudence, de changer de stratégie en retenant non plus les hypothèses les plus optimistes, mais les hypothèses les plus prudentes. Nous ne pouvons que constater que cette année il s'est écarté du scénario le plus prudent. Dans tous les cas, il appartient au Gouvernement d'élaborer le budget.

Je laisse à chacun le soin de ses interprétations. Le Haut Conseil n'a pas jugé le projet de loi de finances « insincère », il a estimé que le scénario retenu était « improbable ». Ne donnons pas à ces termes un sens qu'ils n'ont pas. Nous n'avons pas souhaité non plus envoyer un message subliminal aux candidats à la présidentielle. Simplement l'effort de réduction du solde budgétaire attendu en 2017 se monte à 0,6 point de PIB contre 0,2 point en 2016. Nous constatons que la marche est plus haute, alors que les risques sont élevés et que le Gouvernement a prévu d'augmenter les dépenses.

La mission du HCFP n'est pas de se prononcer sur différents scénarios hypothétiques, mais sur le scénario choisi par le Gouvernement. Certains croient noter que cette année nous nous sommes davantage attardés sur le déficit nominal que les autres années. C'est faux. Nous avons toujours identifié, dans nos avis, les risques sur les recettes et les dépenses pesant sur le déficit nominal. Notre mission, au regard de la loi organique, est d'apprécier la cohérence du budget, et en particulier de son article liminaire qui fait apparaître le solde effectif et le solde structurel, avec la trajectoire pluriannuelle prévue. Nous ne pouvons pas non plus nous fonder uniquement sur la loi de programmation des finances publiques, car elle a été suivie de programmes de stabilités qui s'en écartent. Nous nous prononçons sur les engagements pris par le Gouvernement, votés par le Parlement. Le HCFP ou la Cour des comptes ne sont pas des organes politiques, à la différence de la Commission européenne, avec laquelle il est possible de négocier pour trouver le meilleur scénario politiquement acceptable.

La hausse à court terme des taux d'intérêt est peu probable. La Réserve fédérale américaine (Fed) hésite à relever ses taux à cause de l'incertitude économique. Le Gouvernement a pris en compte dans son scénario l'hypothèse d'une remontée possible à 1,25 %, contre 0,3 % actuellement. Ce scénario est plutôt prudent. Si la charge liée aux intérêts s'avérait moins lourde, cela dégagerait des marges de manoeuvres budgétaires.

M. Serge Dassault . - La France ne risque-t-elle pas de voir ses taux augmenter ?

M. Didier Migaud . - La France est un grand pays et possède de nombreux atouts. Si la France s'isole en Europe et reste la dernière à ne pas respecter les critères de Maastricht, les taux risqueront de monter et le choc peut être lourd. C'est pourquoi la Cour des comptes et le Haut Conseil appellent à la prudence. Notre endettement a fortement augmenté et le passif des administrations publiques est devenu supérieur à l'actif, sans compter les engagements hors bilan. La Cour des comptes a rendu son rapport sur l'exécution des lois de financement de la sécurité sociale. Les déficits se réduisent mais la situation reste fragile. Les déficits des comptes sociaux sont une anomalie : il s'agit de dépenses courantes financées par emprunt, donc au détriment des générations futures. La France est une exception dans le monde. L'équilibre des comptes est le gage de la pérennité du système. Sinon, à force de déremboursements, l'accès aux soins pour tous sera compromis. C'est déjà le cas pour les soins bucco-dentaires.

Le Haut Conseil ne souhaite pas faire de quantifications. Il n'a pas les moyens de le faire avec précision, mais rien n'empêche le Parlement de le faire, sur la base des risques que nous avons identifiés.

Les recettes de cessions éventuelles n'améliorent pas le déficit au sens des critères maastrichtiens. Les conséquences du « Brexit » sont difficiles à évaluer ; pour le moment elles sont très réduites. L'impact se fera peut-être sentir à partir de 2017. Le Gouvernement fait l'hypothèse d'une perte de croissance d'un quart de point, estimation identique à celle de la Commission européenne ou du FMI. Le risque est mesuré. Le problème pour la France tient à l'addition de tous ces risques qui peut compromettre l'hypothèse d'un déficit à 2,7 % en 2017. Nous n'avons, en revanche, pas exprimé d'inquiétudes sur l'atteinte de l'objectif de 3,3 % de déficit en 2016.

Cet avis exprime la conviction des membres du HCFP. Nous avons beaucoup réfléchi et nous assumons le choix de nos mots. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur les orientations budgétaires souhaitables pour la France ; c'est au pouvoir politique de fixer les objectifs. Notre tâche est simplement de juger s'ils peuvent être atteints ou non. Enfin, nous estimons, en l'état des données, que les reports de charges en 2018 liés aux transformations de baisses d'impôts en crédits d'impôt s'élèvent à environ trois milliards d'euros.

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